Sainte Thècle, née à Iconium (capitale de la Lycaonie antique en Asie Mineure, actuelle Konya en Turquie) au Ier siècle, dans une riche famille païenne, est une martyre du temps des Apôtres. Les saints pères l'ont appelée avec enthousiasme la femme apostolique, la fille aînée de saint Paul, la protomartyre parmi les femmes, comme saint Étienne fut le protomartyr parmi les hommes. L'Église orthodoxe la vénère comme égale aux apôtres. Son culte se répandit dès le IVe siècle en Occident. L'Eglise catholique en a supprimé son culte en 1969.
Thècle, très versée dans la philosophie, dans les sciences et dans les belles-lettres, fut convertie par Saint Paul, à Iconium.
Elle voulut rester vierge et fut dénoncée comme chrétienne par le jeune homme qui aspirait à sa main. Condamnée au feu, dans l'amphithéâtre, à la demande de sa mère, elle vit Notre-Seigneur lui apparaître sous les traits de saint Paul, puis remonter au ciel comme pour lui en tracer le chemin. Pleine alors d'un courage tout nouveau, elle s'arme du signe de la croix et monte, rayonnante de joie et de beauté, sur le bûcher; bientôt les flammes l'entourent de toutes parts, mais sans la toucher, et la foule étonnée aperçoit la victime pleine de vie et priant Dieu; nouveau miracle: un nuage s'abat sur le bûcher et en éteint les flammes.
Bientôt Thècle put revoir l'apôtre saint Paul et être confirmée par lui dans la foi. L'ayant suivi à Antioche de Syrie, elle s'y livra à la propagation du christianisme. Un des premiers habitants de la ville, nommé Alexandre, conçut pour elle une violente passion. Thècle, au lieu de répondre à ses avances, l'humilia en public. Alexandre la dénonça au gouverneur. Elle fut bientôt accusée de nouveau et condamnée aux bêtes. On lâcha contre elle, une lionne furieuse et affamée; mais celle-ci, loin de dévorer sa victime, vint lui lécher les pieds; ni la rage de la faim, ni les excitations des bourreaux, ni les clameurs du peuple ne purent réveiller son instinct carnassier. "La lionne, dit S. Ambroise, vénéra sa proie et fut pénétrée d'une compassion dont les hommes s'étaient dépouillés."
Peu de jours après, la jeune martyre fut exposée au même supplice; on lança sur elle des lions et des ours; aussitôt la lionne qui l'avait épargnée une première fois courut vers elle et lui lécha les pieds. Un ours s'avança, mais la lionne le mit en pièces; un lion, voulut aussi se précipiter sur la victime; mais une lutte acharnée se livra entre la lionne et lui, et ils périrent tous les deux. Le préfet la fit alors jeter dans une fosse remplie de serpents. A peine y fut-elle précipitée, qu'un globe de feu consuma tous les reptiles, et la sainte fut délivrée. L'ordre fut donné d'attacher chacun de ses pieds à des taureaux furieux, pour l'écarteler; les bêtes, excitées par des aiguillons rougis au feu, bondirent en mugissant; mais les liens de la vierge se brisèrent, et elle resta sans blessure. Le préfet étonné, lui demanda l'explication de ces prodiges: "Je suis, dit-elle, la servante de Dieu, Maître de l'univers."
Thècle, rendue à la liberté, retourna dans sa patrie à Iconium pour y prêcher la foi.
Plus tard, elle se retira dans la solitude près de Séleucie où elle se serait construit un ermitage, convertissant par la parole et par ses vertus, les femmes qui venaient en foule la visiter. Elle mourut à l'âge de quatre-vingts ans et y serait enterrée.
On l'invoque pour les paralysés et les enfants qui marchent tardivement.
Un apocryphe, connu en copte, les Actes de Paul et Thècle, probablement du IIe siècle, qui fut largement diffusé en Orient est à l'origine de sa vénération. De nombreuses versions furent diffusées en grec, syriaque, arménien et latin, ce qui explique que nombre d'ouvrages des Pères de l'Église y fassent allusion.
Il existe un monastère et un sanctuaire très connu de Sainte-Thècle à Maaloula en Syrie (à 60 km au nord de Damas), où on vénère son tombeau, qui serait la grotte-ermitage où elle acheva sa vie terrestre à l'âge de 80 ou 90 ans.
La légende de sainte Thècle, dont la plupart des versions convergent, est construite autour d’un événement central.
Thècle, convertie par saint Paul, dut fuir les hommes envoyés par son père, resté païen et hostile à sa conversion : arrivée à Maaloula (dont une des étymologies araméennes couramment invoquées fait opportunément référence à l’idée d’ « ouverture »), la montagne se serait ouverte sur son passage (matérialisé par le fajj, défilé étroit formé par l’érosion karstique) (Annexe 19). Elle aurait ainsi trouvé refuge dans une grotte, d’où sort une source sacrée. Taqla, appelée aussi en araméen « Berikhta » (bénédiction, baraka en arabe) est une figure de la médiation religieuse, par sa présence diffuse à Maaloula : le lieu sacré de la grotte lui appartient (les religieuses veillent à ce que les pélerins se déchaussent en entrant). ... [L]e pèlerin peut légitimement espérer obtenir la baraka de la part de la Sainte, par la déambulation dans le sanctuaire, la collecte d’un peu d’eau de la source ou l’absorbtion de morceaux de coton imbibés d’huile. On vient demander à sainte Thècle la guérison du corps, que l’on soit chrétien ou musulman, comme autrefois l’avaient noté Ferrette ou Bliss, mais surtout la résolution de ses problèmes personnels [Source: Frédéric Pichon, Maaloula (XIXe-XXIe siècles). Du vieux avec du neuf, Histoire et identité d’un village chrétien de Syrie (texte intégral), note 115].
|
Statue de Sainte-Thècle à Maaloula |
Le culte de sainte Thècle s’organisa essentiellement au sud de Séleucie d’Isaurie : Hagia-Thekla devint rapidement un grand centre de pèlerinage. La translation de sainte Thècle s’est sans doute effectuée par homonymie : Maaloula est parfois identifiée comme « Séleucie de Damas » à l’époque hellénistique. Toujours est-il que le prénom Taqla est d’origine araméenne. Voir Christelle Jullien, « Thècle, un prénom araméen ? À propos de l’inscription de la grotte funéraire 38 », in M. J. Steve, L’île de Khârg, une page de l’histoire du Golfe persique et du monachisme oriental, Neuchâtel, 2003, p. 51-54. [Source: F. Pichon, ibid. (texte intégral), note 111.]
Stephen J. Davis s'est intéressé aux lieux où le culte de sainte Thècle est attesté par l'archéologie, à Séleucie, ville méridionale de la Turquie actuelle, proche de Tarse, la patrie de l'apôtre Paul et non loin d'Iconium où celui-ci a prêché. Le sanctuaire de sainte Thècle à Séleucie est agrandi à la fin du ve siècle sous l'empereur Zénon, alors que les Actes de Thècle circulent déjà indépendamment des Actes de Paul, depuis près d'un siècle déjà. Les pèlerinages organisés autour de ce sanctuaire favorisent le développement de réécritures des Actes de Paul et Thècle et la production de la Vie et des miracles de sainte Thècle. S. Davis a relevé minutieusement les éléments qui témoignent de la puissance charismatique de la sainte dans le cadre de son culte. La stature apostolique de Thècle sert à encourager aussi bien les pratiques d'ascèse, dans le monachisme, qu'à favoriser la guérison des pèlerins. [Source: Archives de Sciences sociales des religions, Editions EHESS, 136 | octobre - décembre 2006 : Stephen J. Davis, The Cult of Saint Thecla: A Tradition of Women's Piety in Late Antiquity, Oxford University Press, coll. « Oxford Early Christian Studies », Oxford 2001.]
S. Davis repère les traces de préoccupations liées à la place des femmes dans la culture chrétienne primitive, et le portrait d'ascètes itinérants.
Les Actes de Paul et Thècle illustrent un type de christianisme où les femmes sont valorisées et participent activement à la vie des communautés.
Entre le 6 et le 8 septembre 2013, la ville de Maaloula dont les habitants chrétiens sont grecs-catholiques, est entrée tristement dans l'actualité après avoir été prise d'assaut par les égorgeurs amis de Laurent Fabius, à la solde de l'Arabie Saoudite et du Qatar, qui y ont détruit la statue de la Vierge Marie, bleu ciel et blanc, et renversé des croix aux sommets d'édifices religieux, dont la croix qui surmontait la coupole du monastère des Saints Serge et Bacchus.
Maaloula est resté l’un des derniers lieux où se parle encore l’araméen, la langue du Christ. Le 23 septembre 2013, l'armée syrienne annonça avoir repris le contrôle de la ville occupée par les islamistes sunnites du "front Al-Nosra".
En décembre 2008, le Général Michel Aoun, lors d’une visite inédite en Syrie qui avait pour thème le christianisme oriental, se rendit à Maaloula et inscrivit dans le livre d’or du couvent Saint Serge son « émotion et sa joie profonde d’avoir entendu et récité la prière du Notre Père dans la langue du Christ » (Voir l’article de Scarlett Haddad, dans le quotidien libanais L’Orient-Le Jour, « Liesse populaire : Pèlerinage religieux et accueil enthousiaste pour Aoun à Homs », 6 décembre 2008.) ... (Source: F. Pichon, ibid.)
L'origine mythique troyenne des Maalouliens, à peu près absente dans les sources écrites et qui ne doit son existence qu’au fait que Burton (très brièvement) et Parisot plus tard la recueilleront (fin XIXe siècle, NdCR.) auprès de certains habitants non identifiés (Jean Parisot, « Traditions maalouliennes : les émigrés de Sendjar », mars-avril 1898, NdCR.), disparaît tout à fait des écrits se rapportant à Maaloula par la suite. De nos jours, cette origine mythique est ignorée de tous et n’est jamais mise en avant dans aucun discours interne, pour des raisons évidentes dans le contexte politique actuel. Maaloula a échappé à son origine troyenne [Source: Frédéric Pichon, ibid (texte intégral), paragraphe 50, http://books.openedition.org/ifpo/1621].
Le mythe des origines troyennes est resté très actif dans l’Europe médiévale et moderne : on ne compte plus les peuples, régions ou cités qui ont revendiqué la filiation troyenne, évidemment mythique mais porteuse de sens politique. Le cas le plus ancien étant celui de la France : ainsi dans l’Historia Francorum de Frégédaire (vers 660) et plus tard dans les Gesta regum Francorum, œuvre anonyme datant de 727, figure cette parenté qui bénéficiera d’une grande postérité littéraire. (Source et suite: F. Pichon, Maaloula (XIXe-XXIe siècles), ibid., note 145.)
Le culte de Sainte-Thècle est également présent dans la fameuse "grotte (ou cave) de saint Paul" à Ephèse (Turquie) où se trouvent des fresques qui datent environ des IVe - VIe siècles.
Ephèse est l'une des plus anciennes et plus importantes cités grecques d'Asie Mineure, la première de l'Ionie.
Saint-Paul et sainte Thècle, "Grotte de Saint-Paul", Ephèse (Turquie) Source: http://archive.archaeology.org/online/news/stpaul.html
En Égypte, le culte de Thècle est bien plus développé, car on ne manque pas tant de témoignages littéraires que de traces iconographiques sur des ampoules de pèlerins, des peintures à Bagawat ou des stèles tombales, dans la vallée du Nil.
Divers appendices iconographiques, un catalogue systématique des ampoules conservées ainsi qu'une étude des attestations de l'onomastique liée à Thècle agrémentent cette étude détaillée.
Dès le ive siècle, la figure de Thècle est utilisée dans les controverses théologiques au sein des monastères, et Athanase, évêque d'Alexandrie, s'en servira autant que ses adversaires pour canaliser les élans de ceux et celles qui prennent la sainte pour modèle. Les traces de pèlerinages liés à la figure de Thècle dans les environs d'Alexandrie, autour du lac Maréotis, montrent l'association de la sainte avec le culte de saint Ménas, le long de la vallée du Nil jusque dans l'oasis de Kharga. Ce chapitre utilise un maximum de sources coptes directes et illustre, abondamment, comment la dévotion à la sainte a été progressivement égyptianisée. (Source: Archives de Sciences sociales des religions, Editions EHESS, 136 | octobre - décembre 2006 : Stephen J. Davis, The Cult of Saint Thecla: A Tradition of Women's Piety in Late Antiquity, Oxford University Press, coll. « Oxford Early Christian Studies », Oxford 2001. http://assr.revues.org/3908)
En Occident, avec la Vierge Marie et sainte Agnès, Thècle est l'une des trois saintes qui apparaissent chaque soir pendant des mois à saint Martin, l'Apôtre des Gaules, dans son ermitage tourangeau.
Une légende raconte que Thècle aurait traversé les mers pour fuir les persécutions. Arrivée en Gaule, elle aurait franchi les Cévennes pour s'installer dans ces montagnes.
Elle serait morte à Saint-Bonnet-de-Chirac, en Gévaudan et enterrée près de la fontaine qui porte son nom. Cette légende expliquerait pourquoi Thècle d'Iconium est si présente dans les vénérations du sud du Massif Central. On retrouve en effet sa présence en Lozère (crypte Sainte-Thècle à Mende, fontaine à Saint-Bonnet-de-Chirac, patronne de Rocles, ...) et en Auvergne (elle est vénérée à Chamalières où ses reliques furent conduites au VIIe siècle).
En Suisse, une chapelle romane lui est dédiée à Donatyre.
Sainte-Thècle est également la patrone de Tarragone en Espagne. La cathédrale lui est dédiée. À Sitges en Espagne encore, une rue porte son nom.