Jacques Attali est souverainiste en Israël, mais mondialiste lorsqu'il s'agit de la France. Incohérence ou antifrancisme primaire ?
Pour Attali, "le souverainisme n’est que le nouveau nom de l’antisémitisme." Sur son site internet, l’économiste s’est fendu d’un billet lunaire, où il compare purement et simplement le souverainisme… à l’antisémitisme.
Le souverainisme résumé à un refus de migrants et de musulmans
« Les juifs et les musulmans, menacés tous les deux par lui, doivent s’unir face aux fantasmes du grand remplacement », fait-il valoir. Si la comparaison est un peu obscure, Jacques Attali l’explique un peu plus loin : « Quand on parle de ‘souverainisme’, beaucoup de gens veulent croire qu’on ne parle, en Europe, que d’une maîtrise des importations et d’un refus des disciplines communautaires », mais « en réalité, dans la plupart des cas, ceux qui en font l’apologie parlent en fait ainsi à mots couverts d’un refus de migrants, et plus largement, d’un refus des musulmans », expose-t-il. L’adhésion à une théorie politique, la xénophobie et la discrimination religieuse se retrouvent ainsi dans le même sac, comme le souligne Marianne. Et l’économiste de poursuivre : « [La France] ne doit pas oublier non plus que ce qui se cache aujourd’hui derrière le ‘souverainisme’ désigne en fait la même xénophobie, la même fermeture, la même absence de confiance en soi que les idéologies anti-italienne, anti-polonaise, anti-arménienne, et antisémites des siècles passés ».
Attali veut faire taire Zemmour, Goldnadel et Finkielkraut
« Ces discours hostiles aux musulmans de France son mortifères », dénonce aussi Jacques Attali, « en particulier quand ils viennent de juifs, qui devraient ne pas oublier que l’antisémitisme vise à la fois les uns et les autres ». « Il faut donc à tout prix dénoncer les discours délirants d’Éric Zemmour, de Willian Goldnagel (sic), ou même, dans de trop nombreuses de ses déclarations, d’Alain Finkielkraut », insiste celui qui est l’un des mentors d’Emmanuel Macron. Il concède ensuite la nécessité de « s’opposer à toutes les tentatives religieuses, d’où qu’elles viennent, pour imposer une conception du monde, ou un mode de vie, contraires aux règles de la laïcité, non respectueuses des droits des femmes, ou plus généralement, violant les lois de la République ». (Valeurs Actuelles)
Ce proche de Nicolas Sarkozy et d'Emmanuel Macron a rapidement été raillé sur les réseaux :
«Les juifs et les musulmans, menacés tous les deux par lui [le souverainisme], doivent s’unir face aux fantasmes du grand remplacement», ajoute-t-il dans le tweet, comparant ainsi les défenseurs du souverainisme aux partisans de la théorie du «grand remplacement».
Il suffit pourtant d'ouvrir un dictionnaire Larousse pour découvrir la définition du souverainisme : «Doctrine des défenseurs de l'exercice de la souveraineté nationale en Europe.» D'aucuns rajouteraient à la souveraineté nationale la défense de la souveraineté populaire, mais il s'agit là d'un débat philosophique qui ne saurait remettre en cause la définition proposée par le Larousse. Le titre premier de la Constitution française se nomme d'ailleurs : «De la souveraineté.» Plus généralement, ceux qui se revendiquent souverainistes en France, à gauche comme à droite, reprennent la conception philosophique, venue du Québec, en revendiquant un problème démocratique en France du fait de l'imposition de normes et d'une supranationalité par l'Union européenne. Ils expriment globalement une critique virulente du libre-échange et du libéralisme économique, imposés selon eux par l'UE. Pour Jacques Attali, les tenants du souverainisme seraient en premier lieu des antimusulmans et des xénophobes. Il dénonce de fait «les discours délirants, d’Eric Zemmour, de William Goldnagel [qui se nomme en réalité Gilles-William Goldnadel], ou même, dans de trop nombreuses de ses déclarations, d’Alain Finkielkraut». Les trois personnalités citées sont d'origine juive. Elles seraient malgré tout, d'après Jacques Attali, des partisans de l'antisémitisme et, par voie de conséquence, du souverainisme. Fait cocasse, l'avocat Gilles-William Goldnadel, par exemple, est un libéral revendiqué, pas certain donc qu'il se définisse lui-même comme un «souverainiste»...
Celui-ci a d'ailleurs réagi sur Twitter, après l'accusation de Jacques Attali : «Tellement ravi de faire partie du top three avec Zemmour et Finkielkraut de la liste des honnis du contrefacteur Attali. Celui qui ferma les yeux par courtisanerie aux complaisances de Mitterrand pour Bousquet, l’organisateur de la déportation des petits juifs français.»
L'association d’étudiants de Sciences Po Paris «Critique de la raison européenne» constate de son côté : «Jacques Attali nous démontre la profondeur de sa pensée en un tweet. Donc si vous souhaitez restaurer la démocratie et osez critiquer l'Union européenne, c'est que vous êtes pour les chambres à gaz. Imparable !»
Le président des Patriotes, Florian Philippot, ironise : «Mince j’ignorais que la Constitution française, qui exige théoriquement la défense de la souveraineté nationale, était antisémite.»
Dans sa diatribe, l'essayiste oublie cependant que des défenseurs du souverainisme, donc de la souveraineté nationale, se situent également à gauche de l'échiquier politique, à l'instar de Jean-Pierre Chevènement ou de Jean-Luc Mélenchon. C'est enfin faire fi du fait que des personnalités musulmanes, bien que critiques de l'islamisme et de l’obscurantisme religieux, revendiquent être des promoteurs du souverainisme, à l'instar de Fatiha Agag-Boudjahlat par exemple. (RT)
En terme de "souverainisme", Jacques Attali ferait bien de regarder la poutre dans son oeil, lui qui, auteur pour la France du "Rapport Attali", cyniquement intitulé "Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française : 300 décisions pour changer la France", dévoilait en 2008, dans un discours adressé uniquement aux Juifs intitulé "Discours Les Juifs au XXIe siècle, un avenir incertain", "c'est quoi aujourd'hui être juif en France et dans le monde" (Les Juifs au XXIe siècle, un avenir incertain, Jacques Attali, économiste, Paris, mars 2007), une conception ethnique et racialiste de l'identité "juive" au travers de son inquiétude de la disparition de la communauté juive "en tant que peuple" (sic).
Nous notions ainsi en 2008 à propos de ce discours d'Attali : "Ce qui est intéressant, c'est de constater le double jeu d'Attali, selon que l'on se place du point de vue de la France ou selon le point de vue d'Israël."
Dans son rapport, l'auteur préconisait en effet à Nicolas Sarkozy une politique immigrationniste d'ouverture des frontières en France (comme solution à la "libération de l'économie française". Sic). Il s'agissait d'« élargir et favoriser la venue des travailleurs étrangers » pour la France (Source : Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, Sous la présidence de Jacques Attali, La Documentation française, p. 172.) Le rapport expliquait par exemple: "Si l’arrivée d’immigrants ne peut être considérée comme une solution de long terme au vieillissement de la population (il faudrait un nombre extrêmement important d’immigrants – 920 000 personnes par an – pour maintenir le rapport entre actifs et inactifs), l’immigration peut permettre de remédier à des pénuries de main d’œuvre." (Décision 222, "Accueillir plus de travailleurs étrangers, p. 174) et précisait sans rire : "l’immigration a aussi un effet positif sur la croissance si le marché du travail est assez flexible pour l’absorber. [...] Au total, l’immigration de travail renforce la croissance en accroissant la population active et l’emploi." (Décision 222, p. 173.)
De l'autre côté, en Israël, c'est un autre son de cloche. Attali faisait alors montre d'un enthousiasme immigrationniste plus relatif, et d'une vive inquiétude quant au nombre de la "population juive par rapport aux populations environnantes, qui sont elles-mêmes de plus en plus nombreuses dans la région" et, sur la scène mondiale, l'inquiétude face à "des peuples aussi sophistiqués que sont les Chinois et les Indiens" (Sic).
Il est donc frappant qu'un tel personnage au double discours, qui selon les pays envisagés (la France ou Israël), prône deux politiques radicalement différentes, soit encore écouté de nos jours et autorisé à donner son avis.
Pour Attali, en 2008, cela restait une question "presque évidente" : "nous sommes juifs, nous savons que nous avons un rôle historique particulier que nous avons joué au moins depuis 3000 ans… Ce rôle est inscrit dans l'histoire de l'humanité". Seulement, Attali soulevait immédiatement une inquiétude, celle du "cauchemar de la disparition du peuple juif" : "se poser la question si le peuple juif survivra au XXIe siècle, en tant que peuple", car "rien n'est éternel dans l'histoire humaine, et la meilleure façon de résister à une menace, c'est de la connaître. [...] Se pose en Israël la question, en Israël, de la population juive par rapport aux populations environnante."
"Toutes les communautés juives du monde disparaissent ou décroissent, soit en nombre absolus, soit en nombre relatifs, sauf quelques-unes, étranges, la communauté juive allemande, la communauté juive australienne, ou quelques autres. [...] Donc la probabilité que la communauté juive représente une part décroissante de l'espèce humaine, est une évidence, accélérée par ce phénomène … de l'assimilation par les mariages mixtes. Il y a donc un processus d'assimilation et de disparition hors de l'Etat d'Israël considérable," précisait Jacques Attali.
"En Israël proprement dit, se pose la question de la population juive par rapport aux populations environnantes, qui sont elles-mêmes de plus en plus nombreuses dans la région, et qui à l'échelle de cinquante ans, seront non seulement plus nombreuses dans l'ensemble palestinien que dans l'ensemble israélien et à l'échelle de soixante ou soixante-dix ans plus nombreuses sur le territoire israélien en population non-juive qu'en population juive. Donc nous avons clairement à affronter le fait que la population juive est de plus en plus minoritaire, faible, et en voie de disparaître", ajoutait Attali.
"Qu'est-ce qu'une identité d'un peuple dont la trace numérique dans l'histoire disparaît, et dont la présence sur un sol, sur un territoire, se réduit de plus en plus à une population dont la conception est celle d'une nation qui a à défendre son intérêt en tant que nation et qui le défend sans véritablement se poser la question du destin d'un peuple à vocation universelle, mais seulement comme nation… Cette identité où est-elle aujourd'hui?"
Attali exprimait alors la crainte du peuple juif devant "la montée et l'arrivée sur la scène mondiale de peuples aussi sophistiqués que les peuples chinois et indiens."
"Pourquoi jusqu'à aujourd'hui le peuple juif a-t-il été capable de survivre", demandait alors Attali. "Parce que l'obsession du peuple juif, cela a été et cela reste de transmettre. L'obsession c'est de transmettre. J'ai toujours été frappé par cette définition talmudique qui dit qu'à la question 'qu'est-ce qu'être un juif', la première réponse, c'est d'avoir un père juif, la seconde réponse, c'est d'avoir une mère juive, la troisième réponse, mais pas du tout, c'est d'avoir des enfants juifs", concluait Jacques Attali.
Ce discours de 2008 d'Attali indiquait parfaitement l'ambivalence du discours pour la France ou pour Israël. D'un côté (Rapport Attali, "De la Commission pour la libération de la croissance française : 300 décisions pour changer la France"), pour la France, la préconisation de l'entrée de millions d'immigrés pour détruire l'identité française et le peuple français (promotion d'une immigration massive, remplacement de la population sur une trentaine d'années, ultra-libéralisme sauvage, "égalitarisme", "démocratie", "tolérance", "ouverture", etc.) et de l'autre côté, pour Israël, défense de l'identité juive coûte que coûte (la "transmission talmudique"), défense de "la population juive par rapport aux populations environnantes, qui sont elles-mêmes de plus en plus nombreuses dans la région", et "sur la scène mondiale", défense du peuple juif par rapport aux "peuples aussi sophistiqués que les peuples chinois et indiens"...