Mis à jour le 20/02/2018
Auguste n’a régné que par une pax cruenta, paix dégouttant du sang de ses victimes, et il a fondé une dynastie détestée, qui s’est achevée par le règne bouffon et sanglant de Néron.
Jules César a conquis les Gaules, mais la "pacification" était loin d'être gagnée. Il lui restait à briser les révoltes qui devaient émailler l'histoire des Gaules jusqu'au IIIe siècle. Quelques vingts années seulement après la conquête de la Gaule, Octave Auguste, le successeur de César, préoccupé par les rapports qu'il recevra sur des ferments ou des foyers de résistance en Gaule, entreprendra un voyage chez nous. Il tiendra une assemblée à Narbonne à la fin de l'année 27 av. J.-C., afin d'organiser administrativement la Gaule en la cadastrant, c'est-à-dire en la divisant en trois provinces (Aquitaine, Lyonnaise, Belgique) et en soumettant la Gaule à une occupation armée. Le ressentiment gaulois doit être encore persistant à l'égard des Romains si une telle mesure est prise, alors qu'Auguste se présente comme un souverain pacifique et qu'il fait symboliquement fermer à Rome le temple de Bellone consacré à la guerre. Pour contenir toute velléité de révolte, il crée trois régions militaires qui serviront de territoires tampons pour éviter toute infiltration d'une possible rébellion gauloise en Italie : ainsi naissent les districts des Alpes maritimes, des Alpes Cottiennes et des Alpes Grées, en 15 av. J.-C. Il accélère l'année suivante l'installation de colons dans la Narbonnaise, afin de consolider la présence romaine dans cette province. Dans un rescrit de date inconnue, Auguste interdit aux citoyens romains la religion des druides... [1]
Le bilan des huit années de la Guerre de Jules César en Gaule était lourd. Les chiffres avancés par Plutarque sont terrifiants : un million de morts, un million de prisonniers réduits en esclavage. Certaines contrées furent ravagées de fond en comble, deux et trois fois, voire quatre fois, comme le pays des Carnutes, la Beauce. Les nombreuses villes prises d'assaut furent mises à sac, pillées, incendiées, la population égorgée ou réduite en esclavage.
Le fidèle de César, Hirtius écrivit à ce sujet : « Désespérant de réduire en son pouvoir cet ennemi (Ambiorix) fugitif et tremblant [sic] César crut devoir à sa dignité [sic] de détruire dans les états d'Ambiorix les hommes, le bétail, les édifices, au point que, en horreur à ceux que le hasard aurait épargnés, Ambiorix ne pût jamais rentrer dans un pays où il aurait attiré tant de désastres. » Une curieuse ressemblance dans la méthode avec celle employée sous la Terreur [Cf. Les déclarations des révolutionnaires, dont celle de Turreau : « J'ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré des femmes, qui au moins pour celles-là n'enfanteront plus de brigands. . » (Général François-Joseph Westermann, cité in
Voilà la « dignité » romaine. « Tout fut détruit, ajoute Hirtius, par le meurtre, le feu et le vol (rapinis). »
Suétone dit que César en Gaule « détruisait plus souvent les villes pour le pillage (ob praedam) qu'en punition de quelque tort. »
Le vol dans les temples et dans les demeures privées fut organisé méthodiquement, avec une régularité digne de la grande administration romaine. César bourrait les temples romains d'ex-voto volés dans les sanctuaires gaulois.
Le proconsul des Gaules était certes un guerroyeur de génie,
Mais les voleurs n'ont pas de place au Panthéon...
Ce vers est de Paul Déroulède. Il ne peut être question d'y laisser Jules César ! [2]
Pendant des siècles l'historiographie a décrit l'influence civilisatrice de Rome qui aurait soumis "les Barbares", mais rien n'est plus éloigné de la vérité.
La vision simpliste d'une Rome civilisatrice apportant la culture aux Barbares s'est effondrée à la suite des travaux de Camille Jullian, historien, auteur d'une monumentale Histoire de la Gaule écrite fin XIXe, début XXe s., qui a été à la civilisation gauloise et à l'historiographie sur la Gaule ce que Régine Pernoud fut au Moyen Âge. Il a mis fin au cliché répandu par l'école de la IIIe république sur les Gaulois barbares incultes, civilisés par les Romains, qui n'avaient aucune «unité», dont le sol «mal cultivé», avec un territoire où l'on «voyait presque point de routes et pas de villes»,«le contraire des Romains» (Cf. Le Petit Lavisse d'Ernest Lavisse, dit l'«Instituteur national», dont les «manuels Lavisse» de la IIIe république, constamment réédités jusqu'en 1950..., ont déformé de multiples générations de professeurs, instituteurs et élèves en leur inculquant des contre-vérités historiques, aujourd'hui révolues.
Quelles étaient les motivations de César ?
« Le projet de César semble avant tout relever du désir de s'illustrer face à ses concurrents, notamment Pompée, rêvant comme lui d'égaler Alexandre le Grand, en cherchant à l'Ouest un empire semblable à celui qu'il avait construit à l'est.
D'autres motivations, révélées par les correspondances, montrent à la fois le désir de s'enrichir sur le dos des territoires conquis, et une certaine curiosité pour les régions mystérieuses du Danube et de l'Océan. Les mouvements quasi permanents des Barbares, le souvenir de la menace des Cimbres et des Teutons, les rumeurs concernant les ambitions de Burebitsa au nord-est et d'Arioviste au nord-ouest servent de prétexte pour engager une action contre ce dernier, et contre les Helvètes dont il écrit de façon minutieuse le projet de migration. César présente un récit où il justifie son intervention contre une menace, alors qu'il attaque des populations qui ont déjà des liens étroits avec Rome, mais ne servent pas son parti politique... (Bituriges, Eduens, Séquanes] » (L'Europe celtique à l'Âge du fer (VIIIe-Ier siècles), sous la direction de Olivier BUCHSENSCHUTZ, Nouvelle Clio, PUF, Mayenne 2015, p. 365.)
La défaite de Vercingétorix à Alésia (septembre 52 av. J.-C.) ne marque pas la fin de la résistance de Nos ancêtres les Gaulois. De nombreuses tribus refusèrent leur soumission et maintinrent allumés les feux de la "liberté gauloise". César demeura à Bibracte durant l'hiver 52-51 et y consacra cette année à de dures campagnes.
La résistance de Drappès et Luctérios
Si les Carnutes et les Bituriges furent assez vite soumis (février 51), il fallut encore cinq mois pour venir à bout des Gaulois Belges Bellovaques (l’un des peuples les plus importants numériquement, ils étaient les premiers des Belgae) des Eburons et des Trévires.
Un parti d'irréductibles mené par le sénon Drappès et le cadurque Luctérios, ainsi que le chef des Andes Dumnacos, réunirent leurs forces avec l'intention de libérer la Provincia (Gaule narbonnaise). Ils se réfugièrent dans l'oppidum d'Uxellodunum (Puy d'Issolud, dans le Lot). Les recherches archéologiques ont confirmé que ce site correspondait au théâtre de la dernière grande bataille de la guerre des Gaules. Deux mois d'un siège sévère furent nécessaires à César pour réduite ce dernier bastion.
César, fidèle à son habitude, fit trancher la main droite de tous ceux qui parmi les assiégés avaient combattu (BG, VIII, 44).
La résistance de Marseille (49 av. J.-C.)
En 49 av. J.-C., César fit assiéger Marseille qui s'était révoltée et rangée du côté de Pompée. Il n'en vint à bout qu'après un long siège de plusieurs mois. César, quitta ensuite la Gaule en 49 av. J.-C pour n'y plus revenir qu'en passant. Ses nouveaux ennemis se trouvaient désormais en Orient, en Afrique, et à Rome où débutait la guerre civile.
En juin 46, après la mort du sénateur stoïcien Caton (qui en 59 av. J.-C. avait voté contre la mesure qui donnait à César le commandement des Gaules pour cinq ans, disant aux sénateurs qu'ils se décrétaient un tyran pour l'avenir) et de son concurrent Pompée, César put enfin célébrer à Rome son triomphe sur la Gaule, autour du char du triomphateur. Des écriteaux résumaient les actions de César en Gaule : 300 tribus soumises, 800 villes prises, 30 batailles gagnées, 3 millions d'ennemis combattus, 1 million d'esclaves, 1 million de cadavres. La figure de Marseille domptée rappelait aux Romains qu'ils avaient réussi à écarter les Grecs de l'Occident pour se le réserver. Vercingétorix fut ramené dans la prison pour y être exécuté de la main du bourreau: son crime avait été de vouloir, contre Rome, la liberté de la Gaule.
Traditions, souvenirs, coutumes, importait peu à César. Briseur de nations et d'hommes, il distribua la civitas romana (la citoyenneté romaine) à tous ceux qui la voulaient. Des Gaulois l'a reçurent. Des milliers de soldats de la Narbonnaise l'obtinrent d'un coup, au moment où il forma la Légion des Alouettes, parfois aussi connue comme Legio Gallica (58/57 av. J.-C.) Il l'accorda même aux officiers celtes qui le suivaient, et moins de dix ans après la fin de l'indépendance de leur nation, les rois et fils de rois de la Gaule s'apprêtaient, comme membres du peuple souverain à exploiter le monde à leur tour... Le conscrit gaulois qui était incorporé dans une légion était fait citoyen romain avant d'y entrer (car il ne pouvait y avoir que des "citoyens" dans une légion...); le conscrit qui servait dans les autres corps de troupes, dits "auxiliaires", recevait le droit de cité en sortant du service.
Quelques uns de ces nouveaux citoyens arrivèrent d'emblée à la dignité de sénateurs, et ils furent invités à entrer dans cet étrange sénat créé par César, ramassis d'hommes accourus de tous les points de la terre. On se moquait d'eux à Rome, quand ils demandaient le chemin de la Curie. Sur le passage de César, pendant son triomphe, les soldats chantaient en ricanant : "Il mène les Gaulois derrière son char, mais c'est pour les conduire au Sénat." L'assimilation, c'était rompre du même coup les peuples gaulois (diviser pour régner) mais rompre aussi la patrie romaine, et "remplacer, une cité maîtresse et des nations sujettes en un peuple nouveau embrassant le genre humain" [3], selon la formule de Camille Jullian.
Il faudra trois siècles seulement, pour voir le "peuple nouveau" ruiné et dissous avec l'édit de Caracalla de 212 ap. J.-C. ("Constitution Antonine"), qui accordait la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l'empire sans distinction d’origine. La terre entière achevaient de se confondre dans l’égalité des droit. A ce syncrétisme politique se superposait un syncrétisme religieux avec le développement du culte de la divinité unique... Mais naturellement, il ne faut pas voir dans cette mesure un quelconque souci humanitaire du cruel empereur : l'édit de Caracalla visait avant tout à généraliser la perception des lourds impôts dus par les citoyens romains.
La révolte des Bellovaques (46 av. J.-C.)
En 46 av. J.-C., les Bellovaques (peuple gaulois de la Gaule Belgique) prirent donc les armes. Mais la révolte fut étouffée par Decimus Brutus, qui était alors en Gaule.
Peu abordées sous leurs aspects politiques et culturels, voici quelques unes des résistances et des révoltes gauloises celtes après la conquête de Jules César. Cette histoire peu vulgarisée montre pourtant que le souvenir de l'indépendance nationale n'avait pas complètement disparu des pensées de nos ancêtres les Gaulois.
En 39 av. J.-C., le successeur de César, Octave, lors d'un déplacement en Gaule échappe de peu à un complot gaulois lors du franchissement des Alpes. Le général Agrippa est chargé de réprimer la révolte de l'Aquitaine et de la Gaule Belgique (39 - 37 av. J.-C.) Dix ans plus tard, Octave doit réprimer une autre révolte en 29 av. J.-C.
En 27, lorsque Auguste ordonne le recensement de toutes les Gaules, il vient dans le pays, et s'installe à Narbonne pendant l'opération. Personne ne bouge. Quinze ans plus tard, en 12 av. J.-C., il a à refaire ou à compléter le recensement. Il confie le recensement à son beau-fils, Drusus. Les choses se passent moins bien. Il y a chez les Gaulois des colères et des grondements, mais nul ne se risque dans un acte de rébellion.
La révolte de Sacrovir et Florus (21 ap. J.-C.)
Peu après la tentative ratée de conquête de la Germanie, la Gaule connait une révolte conduite par deux aristocrates, Julius Sacrovir, chef des éduens, naguère alliés de César, et le prince de la tribu des Trévires, Julius Florus. L'historien romain Tacite explique qu'il faut trouver la "raison" de cette première grande révolte gauloise dans les "lourdes taxes que les Gaulois sont obligés de payer aux gouverneurs romains..." (Annales, III, 40.) Les deux chefs gaulois "tinrent clandestinement des assemblées générales où ils dénonçaient avec virulence les impôts iniques prélevés par Rome, l'énormité de l'usure réclamée par les financiers romains et la cruauté des légats et des gouverneurs qui mettaient les terres et les cités gauloises en coupes réglée." [4]
La monarchie romaine est une monarchie administrative. En Occident, l'autonomie des villes est battue en brèche par les gouverneurs. Les impôts levés sur les provinciaux (capitation, impôt foncier sur les propriétaires de terres) relèvent de gouverneurs assistés de leurs procurateurs a rationibus sous Claude (41-54). Le cadastre général de l'Empire commencé sous Agrippa, et comportant des renseignements sur la valeur des terres et la nature des cultures pratiquées, est terminé sous Trajan (98-117). Au milieu du IIe s. ap. J.-C., le nombre des procurateurs sera fortement accru: il passera de 62 à 109 entre 96 et 161.
Dans ce contexte de forte centralisation romaine, les assemblées provinciales se réunissent pour une seule session annuelle dans la capitale de la province. L'Assemblée, en Gaule, est créée par Auguste en 12 av. J.-C., autour de l'autel des Trois-Gaules. Vespasien (70-79) osera en créer dans les provinces sénatoriales (Narbonnaise). Ces assemblées sont les héritières des koina de l'époque hellénistique en Asie, en Lycie [5], mais aussi de cette institution récemment confirmée par l'archéologie, l'Assemblée annuelle de toutes les tribus gauloises :
« Chaque année, en effet, écrit Jean-Louis Brunaux, un "Conseil de toute la Gaule" (Concilium totius Galliae) se réunissait et les élus de chacun des peuples y accordaient le principat (le leadership) à un peuple-patron. Cette assemblée, dont les pouvoirs paraissent avoir été limités, avait l'avantage de matérialiser un espace dont la nature était avant tout politique.
Très tôt - au moins dès le IIIe siècle avant J.-C. -, les peuples prirent l'habitude de réunir leurs chefs et des délégués des différentes assemblées dans le "Conseil de toute la Gaule"... qui avait pour mission d'accorder à l'un d'entre eux ce que César nomme un "principat".
En 52 avant J.-C., c'est lui (César) qui décida la création d'une gigantesque armée confédérale. Mais le contrôle des accords, le respect des prérogatives de chaque population, l'arbitrage des conflits étaient délégués à une autre assemblée annuelle, celle des druides. » [6]
Cette Assemblée des Gaules jouera un rôle important dans l'"Assemblée de Reims" en 70 ap. J.-C. lorsqu'il s'agira de choisir entre l'indépendance ou la paix et rester ou non loyal à Rome durant la révolte de Sabinus (Voir plus bas). L'Assemblée des Gaules se réunira jusqu'au Ve siècle (Voir plus bas.)
Sacrovir et Florus tentent donc de soulever plusieurs peuples des Gaules, en commençant par le Centre-Ouest, avec les Andécaves et les Turons.
Les deux armées s'affrontent dans une première bataille vers la silva Arduenna, et Florus est vaincu. Il se donne la mort afin de ne pas être fait prisonnier. Ainsi finit la révolte des Trévires. (Tacite, Annales, III, 42.) La révolte des Éduens devait être "plus difficile à réprimer, parce que cette nation était plus puissante", et les forces romaines "plus éloignées" (Tacite, Annales, III, 43.)
"Sacrovir lui-même, entouré des principaux chefs, parcourait les rangs sur un cheval superbe" (Tacite, Annales, III, 45.) Combat de Romains et de Gaulois - Penture de Charles-Évariste-Vital Luminais (19e s.)
"À douze milles d’Augustodunum (Autun), [l'ancienne Bibracte renommée "ville d'Auguste"], on découvrit dans une plaine les troupes de Sacrovir. Il avait mis en première ligne ses hommes bardés de fer, ses cohortes sur les flancs, et par derrière des bandes à moitié armées. Lui-même, entouré des principaux chefs, parcourait les rangs sur un cheval superbe, rappelant les anciennes gloires des Gaulois, les coups terribles qu’ils avaient portés aux Romains, combien la liberté serait belle après la victoire, mais combien, deux fois subjugués, leur servitude serait plus accablante." (Tacite, Annales, III, 45).
Sacrovir, vaincu, "se retira d’abord à Augustodunum ; ensuite, craignant d’être livré, il se rendit, avec les plus fidèles de ses amis, à une maison de campagne voisine. Là il se tua de sa propre main." (Tacite, Annales, III, 46.) "Et Les autres chefs s'entre-tuèrent pour ne pas tomber aux mains des Romains, ayant mis le feu à la demeure qui devint leur bûcher de crémation".
Bien des usages gaulois disparurent d'eux-mêmes ou du fait des lois. Par exemple, passé le règne de l'empereur Claude (41-54), il n'y a plus trace des anciens titres nationaux qu'avaient conservés jusque-là quelques chefs de cités : au lieu de vergobrets, ils ne s'appelleront plus que préteurs ou duumvirs.
"Le droit de cité ne cessa d'être largement octroyé aux Gaulois sous les premiers empereurs, surtout César, Caligula et Claude." [7]
Après les règnes d'Auguste (-44 / + 14) et de Tibère (14-37), plus avares du titre de citoyen romain, les portes de la Cité se rouvrirent brusquement à tous les peuples.
Claude fit un discours qui nous a été conservé. Long, diffus et incohérent, ce discours d'homme politique n'abandonne pas le projet universaliste de César. Il montre que la loi divine de Rome, depuis son origine, est de faire de tous les peuples une seule patrie... L'aristocratie romaine se plaignit vivement de cette extension.
L'empereur Néron (64-68) ignorera la Gaule. Mais il vit néanmoins une révolte celtique en Bretagne insulaire, que nous pouvons aborder ici, bien qu'elle ne concerne pas strictement la "Gaule" dans ses limites géographiques définies par César. Néron vit aussi à la fin de son règne une révolte gauloise menée par Vindex, gouverneur de la Lyonnaise, qui provoquera son renversement.
La révolte de Boudicca en Bretagne (60-63)
"Les Celtes ne sont qu'une partie (un tiers) des Gaulois." [8]
Et les Gaulois ne résident pas que dans la zone géographique délimitée par César.
Source image : http://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Sciences/La-carte-de-l-installation-des-Celtes-2016-08-07-1200780564
Dans la carte ci-dessus, on voit en rouge la "présence celtique dès le IIIe millénaire avant J.-C. en "Bretagne" (nom antique de l'actuelle Grande-Bretagne).
Si après la bataille d'Alésia (52 av. J.-C.), toute la Gaule (en France) fut occupée par les Romains, des tribus celtiques peuplant l'autre rive de la Manche demeuraient libres de vivre selon leurs coutumes. Ils étaient connus sous le nom de Britanni (Bretons ou Brittons).
A la période de la Tène (450 av. J.-C. - 25 av. J.-C.) des Gaulois continentaux ont peuplé la Bretagne insulaire, l’Irlande, alors composée d'autres peuples indigènes (dont les Pictes, Calédoniens, Maètes, Attacottes).
Au Ier siècle av. J.-C., arrivèrent les Gaulois Belges : Cantii (Durovernum/Canterbury), Regni ou Regnenses (Novomiagus/Chichester), Atrébates (Calleva/Silchester), Belgae (Venta/Winchester), Trinovantes (Camulodunum), Catuvellauni (Verulamium) et les Donubi.
Dans le Pays de Galles arrivèrent les Silures (Venta Silurum/Caervent) dont sera issu le roi Arthur au Ve. s. qui vaincra les Saxons.
Le centre fut peuplé par les Coritani (Ratae/leicester) et les Cornovii (Virconium/Wroxeter). [9]
La population peut avoir atteint un million d'habitants, dont la moitié vivant dans les cités et les villae rurales du Bassin de Londres.
Les Romains partirent à la conquête des Îles Britanniques, sous l'empereur Claude, en 43 ap. J.-C. La résistance britannique était dirigée par Togodumnos et Caratacos, les fils du roi Cunobelinos des Catuvellauni.
Et 17 ans plus tard nous est connue ce qui est restée dans l'histoire comme la révolte celtique de la reine Boudicca.
La conquête de l'île ne s'arrêtera qu'en 83 apr. J.-C (Tacite, De vita et moribus Iulii Agricolae 13.) L'empereur Antonin fit construire une muraille, le Mur Antonin, vers 140, qui "doublait" au Nord la fortification du mur d'Hadrien déjà édifiée. Il fut submergé par les invasions "Barbares" pictes (territoire de l'Écosse actuelle) à la fin du IIe siècle.
Carte de la Celtique. Source (image) : Patrice BRUN, Princes et Princesses de la Celtique, Le premier Âge du fer en Europe, 850 – 450 av. J.-C., Collection des Hespérides, Editions Errance, Paris 1987, p. 26
Vers 60 ap. J.-C., il y eut en Bretagne une révolte des Icènes de la reine Boudicca : le roi des Icènes, Prasutagus, est mort en laissant comme co-héritier l'empereur romain Néron, et ses propres filles ; le procurateur traita la province comme territoire romain, pillant, évinçant les indigènes, les traitant comme des esclaves, fit fouetter publiquement la reine Boudicca et violer ses filles.
La révolte démarra avec les Icènes puis les Trinovantes qui avaient perdu leurs terres au profit des colons de Colchester.
Les rebelles détruisirent Camulodunum (Colchester), Verulanium (St Albans) et Londinium (Londres).
« Grande, terrible à voir et dotée d'une voix puissante. Des cheveux roux flamboyants lui tombaient jusqu'aux genoux, et elle portait un torque d'or décoré, une tunique multicolore et un épais manteau retenu par une broche. Elle était armée d'une longue lance et inspirait la terreur à ceux qui l'apercevaient. » (Dion Cassius, Histoire romaine, 62, 2.)
Suetonius Paullinus regroupa ses 10.000 hommes dans les Midlands et livra bataille aux rebelles supérieurs en nombre de Boudicca qui fut battue.
La répression romaine fut sans pitié. Suetonius Paullinus extermina les tribus rebelles. La présence d'un Concilium provincial prévu par Claude à Camulodunum (temple de Rome et de l'empereur) n'est plus attestée après la révolte de Boudicca.
La fin de la reine Boudicca varie selon les sources : elle se suicida par empoisonnement, ou elle mourut des suites de ses blessures. Encore aujourd'hui, la révolte de Boudicca est un symbole de courage et de résistance des populations bretonnes contre l'envahisseur romain.
La Bretagne ne fut jamais profondément romanisée: sa conquête avait été trop tardive, inachevée et sa position trop excentrique.
La prestigieuse revue Nature nous a réservé une surprise de taille en publiant le 18 mars 2015 une étude sur les origines génétiques de la population britannique, intitulée "The fine-scale genetic structure of the British population". Il s'agit d'une oeuvre d’une solide équipe de chercheurs de l’Université d'Oxford, de l’Université du College London et du Murdoch Childrens Research Institute (Australie) emmenée par le statisticien Stephen Leslie. L'étude repose sur une analyse détaillée de l’ADN de 2 039 britanniques "de souche".
Des comparaisons avec des prélèvements provenant de 6 209 personnes de dix pays voisins ont permis de mettre en évidence leurs liens avec d’autres populations européennes. L’étude a montré une relative homogénéité de la population du sud et du centre de l’Angleterre. Cependant, les Saxons représentent moins de la moitié de l’ascendance de cette population – plus probablement entre 10 et 40 %, soit moins qu’on ne le pensait jusque-là compte tenu des bouleversement apportés dans la langue, les noms de lieux et l’agriculture par les invasions saxonnes. Malgré leur longue présence attestée, les Vikings auraient laissé très peu de traces génétiques, sauf dans les Orcades, qui ont fait partie de la Norvège de 875 à 1472 ; et même là, leur place dans le "profil ancestral" des habitants actuels ne dépasse pas 25 %. En revanche, trois groupes de populations européennes ont apporté une contribution spécialement importante au peuplement actuel ; ils se situent en Allemagne de l’ouest, en Flandres et dans le nord-ouest de la France. Ce dernier groupe est spécialement apparenté aux populations du Pays de Galles, d’Irlande du Nord et d’Écosse de l’ouest. Faut-il y voir la trace d’un unique peuplement celtique des deux côtés de la Manche ? Sur ce point, les auteurs de l’étude sont clairs : « nous n’avons constaté aucune évidence d’une population ‘celtique’ générale dans les parties non saxonnes du Royaume-Uni ». De nombreux groupes génétiques distincts voisinent en Irlande du Nord, en Écosse et au Pays de Galles. Les populations galloises apparaissent comme les plus proches des premiers occupants de la Grande-Bretagne installés au Royaume-Uni après la dernière ère glaciaire. Le profil ancestral de la Cornouaille est très différent de ceux du Pays de Galles mais proche de celui du Devon. (Source : L’ADN des Britanniques est moins saxon, moins viking et moins celte qu’on ne croit, Breiz Info)
Cette information récente doit être rapportée à ce qu'écrivait Frantz FUNCK-BRENTANO, le disciple de Camille JULLIAN, en 1925 au sujet de la répartition ethnique de la "nation française" :
"On dit souvent que la nation française s'est formée d'un alliage de peuples différents où l'élément prépondéral aurait été constitué par les Celtes. Après avoir envahi la Gaule , ces derniers s'y trouvèrent au contraire, en très petite minorité, comparativement aux peuples indigènes; comme les germains qui leur succéderont quelques siècles plus tard (les Francs. Ndlr.)
Que s'il fallait, parmi les races diverses dont s'est formée la nation française, chercher un type prédominant, c'est sans aucun doute chez les Ligures qu'il se trouverait et chez les autochtones, en admettant que les Ligures aient été eux-mêmes des immigrants. Pour parler généralement, et d'une manière d'ailleurs trop absolue, il ne faut pas dire que nous sommes des celtes, nous sommes des Ligures.
Dans la formation de la nation française seraient entrés 50% d'autochtones, Ligures et Ibères, 20% de Celtes, 5% de Latins, 16% de Germains, en y comprenant l'élément gothique, 4% de Normands et 5% d'éléments divers : Grecs, Basques, Sémites, Syriens, Africains...
... La langue des Celtes, pareille au Ligure, avait des rapports étroits avec l'ombro-latin.
Des dialectes néo-celtiques se parlent de nos jours encore en notre Bretagne bretonnante, en Irlande, en Pays de Galles, en Haute-Ecosse et dans l'Île de Man, mais ces idiomes n'ont plus que des rapports éloignés avec ce que l'épigraphie a conservé du celte primitif.
La nation celtique ne pénétra d'ailleurs pas tout entière en Gaule; une partie en demeura sur la rive droite du Rhin qui se trouva ainsi celtique sur ses deux rives, de même que les deux versants des Alpe étaient ligures, et ibériques les deux versants des Pyrénées."
(Frantz FUNCK-BENTANO, Les Origines, Librairie Hachette, 1925, p. 31, 32, 33.) En l'état de nos connaissances, il semble aujourd'hui que les Ligures soient une sous-branche ethnique italo-celtique, un peuple de type protohistorique d'Europe ou Proto-Celtes. Ce qui donnerait une répartition de 70% de Celtes (Ligures et Celtes à proprement dit) pour 16% de Germains (Francs et Goths).
Boadicée a inspiré différents artistes. Henry Purcell (1659-1695) lui a dédié une de ses œuvres en 1695, Bonduca, or the British Heroine (Z. 574).
En 1782, William Cowper lui consacra un des poèmes les plus populaires, Boadicea, an Ode.
Enya :
La Statue de Boadicée, ou Boudicca, héroïne de la patrie britannique, érigée à Londres, œuvre de Thomas Thornycroft (1815–1885) :
Un péplum britannique "Centurion" sorti en 2010 fut réalisé par Neil Marshall sur le thème de l'héroïne celte et une libre inspiration de la disparition de la neuvième légion romaine en 117 ap. J.-C. au nord de la Bretagne.
La Bande-annonce :
La révolte de Julius Vindex de 68
Gaius Julius Vindex est un noble gaulois originaire d'une puissante famille d'Aquitaine et sénateur romain. Il est sans doute légat (gouverneur) de la province de Gaule lyonnaise. Il mène en Gaule une fronde contre Néron en 68 ap. J.-C., qui allait être à l'origine de sa chute, puis de la crise politique qui secouera l'Empire en 69, et qui fut dénommée l'"année des quatre empereurs" (Néron, Galba, Vitellius, Othon).
Selon Dion Cassius, il aurait déclaré qu'il ne reconnaissait plus Néron comme empereur, au nom des Gaulois qu'il administrait, et qu'il s'en remettait au peuple romain et à son sénat pour le choix d'un nouvel empereur. Les crimes et les folies de Néron n'étaient pas en effet inconnus des Gaulois, honteux de vivre sous les lois d'un tel dément. En mars 68 ap. J.-C., Caius Julius Vindex, réclame le droit de la province à participer à l'élection de l'empereur. Il dénonce les turpitudes de Néron qu'il veut remplacer par Galba, alors gouverneur de la Tarragonaise (province romaine d'Espagne), un personnage connu en Gaule et estimé : il avait été gouverneur de l'Aquitaine et de la Germanie Supérieure.
Les Gaulois répondirent à l'appel de Vindex qui réussit à lever une milice de 100.000 hommes (dont 20.000 en armes) et offrit la direction du mouvement à Galba par l’envoi d’émissaires à Carthagène. L’armée du Rhin de Verginius Rufus, légat de Germanie Supérieure, resta cependant fidèle à Néron. À la nouvelle Révolte de Vindex en Gaule, Néron, alors à Naples, resta d'abord sans réaction. En avril, Galba fut déclaré ennemi public par le Sénat, ses biens confisqués et sa tête mise à prix. Son agent à Rome, Icelus fut arrêté. L. Verginius arriva en hâte du Rhin avec ses légionnaires. Vindex, vaincu aux environs de Vesontio (Besançon), se tua (fin mai 68).
Cette révolte n'en a pas moins une importance : les Gaulois ont montré le pouvoir des provinces à élire un empereur non julio-claudien..., une idée alors saugrenue.
Au reste, malgré la victoire des légions rhénanes devant Besançon, la cause de Galba l'emporta : l'armée d'Espagne le proclama "Auguste". Néron se tua et Galba traversa la Narbonnaise pour venir à Rome revêtir la pourpre. Durant son règne très court (puisqu'il fut massacré par les prétoriens dès le 28 janvier 69), il avait pu témoigner de sa gratitude à la Gaule celtique, en diminuant le tribut qu'elle payait à l'Empire et en y multipliant le droit de cité... [10]
La révolte de Civilis "pour la liberté des Gaulois et des Germains". Sabinus et le premier "empire gaulois" (69-70)
Tacite parle des "prophètes" gaulois, qui en l'an 69 prédisaient la fin de l'empire romain et la domination de Rome par les races transalpines. [11]
"Ca et là, quelques druides prédisaient la chute de Rome; mais c'était une prophétesse germaine, Velléda, qui inspirait les chefs." [12] De la nation des Bructères, "elle se dérobait aux regards" des députés du Congrès de Reims, "afin d'inspirer plus de respect". (Tacite, Histoires, IV, 65.) Elle prédit les succès des Germains et la ruine des légions.(Tacite, Histoires, IV, 61.)
Fin décembre 69, la révolte du batave Civilis et du mouvement national gaulois est donc appuyé par les druides de Gaule, les Trévires (peuple celte du groupe belge), et les Lingons (un des plus anciens peuples gaulois). Civilis veut fonder un Empire des Gaules (Imperium Galliarum). Les insurgés s'emparèrent de Cologne.
Les Bataves étaient un peuple germanique détaché des Chattes, proches des Gaulois Belges. Julius Civilis et son frère Paulus avait combattu dans l'armée romaine et reçu la citoyenneté avant d'être accusés, à tort, de trahison sous Néron. Paulus avait été exécuté tandis que son frère Julius était délivré par Galba, pour être mis en cause de nouveau sous Vitellius. Aussi Julius Civilis décida-t-il cette fois de se révolter réellement. Il commença par feindre d'accepter les propositions des vespasianistes (partisan de Vespasien). Il gagna l'appui des Germains de la rive droite (les Bructères). La guerre se déroula avec en arrière-plan la guerre en Italie où Primus Antonius affrontait Vitellius pour le compte de Vespasien.
Révolte des Bataves conduite par Iulius Civilis, en 69 sur le Rhin. Huile sur bois d'Otto van Veen, 1613
Maricc, le "libérateur des Gaulois". La révolte de Maricus et des Boïens contre l'empereur Vitellius (69)
En Gaule, sous l'empereur Vitellius (en 69), un boïen (habitant du pagus des Boïens sur le territoire des Eduens) dénommé Maricc (ou Mariccus), est issu de la plèbe; Il tente de lever les Boïens et les Éduens pour l'indépendance de la Gaule. Il parcourt la Gaule, se prétendant être "le champion des Gaules", un prophète envoyé des dieux et le "libérateur des Gaulois". Les Boïens est l'un des plus anciens peuples gaulois qui avaient participé à la prise de Rome en 390 av. J.-C.
« Le jour espéré et prévu par les amis de Vindex et par le prophète Maricc était enfin arrivé. Les prêtres et les devins des campagnes, derniers héritiers de l'Eglise druidique, prédirent aussitôt la chute de Rome et la ruine de l'Empire : le feu du temple romain était, chantaient-ils, le flambeau allumé par les dieux pour servir de présage à la gloire d'un empire nouveau, celui des Gaules. » (Camille Jullian, La Gaule dans l'Empire romain, Editions du Trident, Paris 2013, p. 36)
Il y avait 120 ans, depuis Vercingétorix, que ce mot d'"empire gaulois" n'avait plus été prononcé. Mais ni le temps de ce long siècle ni les ouvrages des empereurs n'avaient suffi pour l'effacer de la mémoire. Le groupement de chefs autour de Vindex, Galba et Othon, leurs mystérieux serments en face de Vitellius, prouvaient que les cités celtiques n'avaient renoncé à aucun de leurs rêves d'entente et de liberté.
Le complot s'ébaucha partout pendant que les armées du Rhin et du Danube se disputaient l'Italie et Rome. Des résolutions furent discutées à Cologne et arrêtées par les chefs gaulois qui commandaient des troupes auxiliaires. Julius Classicus et Julius Tutor chez les Trévires, Julius Sabinus chez les Lingons, rejoignirent Civilis avec les corps placés sous leurs ordres et d'autres qu'ils entraînèrent.
Civilis s'empara de Vetera, les Gaulois prirent Cologne et Mayence. Le titre de citoyens romains qu'ils portaient tous, n'étaient pour eux qu'une apparence.
Sabinus portant le manteau de pourpre d'un imperator romain, entra dans le camp des légions, monta sur l'estrade du légat, et, lut la formule du serment que tous devaient prêter à l'"Empire des Gaules" et s’autoproclama "César" de l'Imperium Galliarum. (Tacite, Histoires, IV, 67)
La rébellion s'étendit sur une grande partie de la Belgique et de la Germanie romaine. Elle reçut le renfort de Germains transrhénans (Usipètes, Mattiaques et Chattes).
Cependant, Civilis n'avait pas prêté serment à l'Empire des Gaules et prétendait lui imposer son autorité en s'appuyant sur les tribus germaniques. Le mouvement ne tarda pas à s'essouffler, alors qu'arrivait la préparation par Vespasien d'une grande expédition placée sous les ordres de Petillus Cerialis pour réprimer la révolte.
L'Assemblée des Gaules à Reims (janvier 70 ap. J.-C.)
Les cités répondirent à l'appel des Rèmes qui proposèrent de réunir à Reims une Assemblée des Gaules pour choisir entre l'indépendance ou la paix. Les délégués, examinant la situation, pesèrent toutes les conséquence d'une sécession qui loin de déboucher sur une possible indépendance, se traduirait par une domination germanique, dont la perspective rendait préférable la tutelle romaine. Finalement, la plupart des cités résolurent de rester fidèles à Rome (Tacite, Histoires, IV, 68-69.)
Le général romain Cerialis tint alors aux Trévires et aux Lingons (Tacite, Histoires, IV, 73-74) un véritable discours politique moderne que ne répudierait nos actuels républicains. Ce discours empruntait à la tactique de Jules César en Gaule du diviser pour régner, ainsi qu'au lexique du chantage à la "paix" ou à la "guerre universelle". Il rappela la menace que les les tribus germaniques avait fait pesée sur les Gaulois, avant d'exploiter habilement nos divisions ancestrales.
La campagne du romain Cérialis écrasa Civilis à l’embouchure du Rhin à Trèves. Civilis finit par traiter avec les Romains et devint leur allié à la fin de 70... Cependant, tandis que Cerialis soumettait les Trévires, le général romain Appius Annius Gallus fit face aux Lingons toujours insurgés et conduits par Julius Sabinus († 78 apr. J.-C.)
Sabinus fut finalement défait par les légions assistées des Séquanes (peuple gaulois de l'est de la Gaule, versant ouest du jura). La cité de Trèves fut réduite au rang de ville tributaire, mais la répression fut relativement modérée.
Sabinus, simulant un suicide et brûlant sa maison, prit la fuite. Il passa neuf ans en clandestinité se cachant dans une grotte que la tradition situe aux sources de la Marne, avant d'être trahi et découvert. Il fut mis à mort malgré les supplications d'Éponine, sa femme devenue chrétienne avec qui il avait eu deux enfants. L'histoire d'Éponine est émouvante et montre la fidélité de la gauloise à son mari. Elle fit semblant de porter le deuil le jour, mais rejoignait Sabinus la nuit.
Sabinus finit par être découvert et conduit devant Vespasien. Éponine plaida pour obtenir la grâce de son mari ; elle finit par demander à mourir avec lui (Plutarque). Elle fut exécutée après son mari, en 79. Elle fut béatifiée sous le nom de Sainte-Eponine. Elle est fêtée le 1er novembre. De leurs deux enfants, l’un fut tué en Égypte ; le second, portant le même cognomen que son père, serait passé par Delphes.
Sabinus faisait partie des personnages les plus importants de Gaule de cette époque, aussi bien par sa réputation que par sa fortune, comme les autres commanditaires de l’insurrection. Tout comme eux, il était également citoyen romain : comme son gentilice l’indique, il fait partie de la gens Julia ; un de ses ancêtres avait dû obtenir la citoyenneté de Caius Julius César ou de son fils adoptif Auguste.
Depuis la "Renaissance", l’histoire d’Éponine et Sabinus a connu un grand succès en tant que sujet pour de nombreuses œuvres d’arts : poèmes, nouvelles, romans, pièces, peintures, sculptures ou gravures (Jacques-Remi Dahan, Éponine & Sabinus, Dominique Guéniot, 2011). Une vingtaine de pièces de théâtre ont été consacrées à Sabinus et à sa femme, ainsi qu'une trentaine de tableaux, et environ huit opéras. Mais à partir du XIXe siècle, on ne trouve presque plus de représentations de cette histoire, les artistes leur préférant au couple les figures d’autres gaulois : Brennus, Ambiorix, Camulogène et surtout Vercingétorix. Sabinus s’effaça ainsi peu à peu de notre mémoire populaire : c’est la figure du chef arverne qui le remplaça dans Le Tour de la France par deux enfants de G. Bruno, alors que Sabinus apparaissait encore en 1876 dans l’Histoire de France de Guizot.
Vespasien (69-79) restaure l'autorité impériale que ses fils Titus (79-81) et Domitien (81-96) mèneront à bien. Trajan (98-117) combattra Daces et Parthes; il ne séjournera pas en Gaule, non plus qu'Hadrien (138-161). Sous Marc-Aurèle (161-180), la frontière du Danube sera en danger : la Gaule en subit le contrecoup sur le Rhin, qu'il faut défendre (166), cependant que de graves désordres éclatent chez les Séquanes. C'est l'époque où les cultes orientaux s'installent livrement dans les Gaules. C'est aussi le moment où le christianisme pénétra dans les Gaules. (Cf. S. Pothin et Ste Blandine martyrs en 177)
À l’époque de l’empereur Commode, entre 185 et 188 ap. J.-C., le brigandage sévit en Gaule : une bande de soldats déserteurs et de brigands gaulois commandée par un simple soldat déserteur, Maternus. Celui-ci ravage le sud de la Gaule et le nord de l'Espagne en ralliant à sa cause les oubliés de la prospérité économique, les Gaulois couverts de dette, les paysans soumis aux impôts et aux tributs romains. [13]
Mais apparaît alors pour la première fois un prêtre catholique qui soit vraiment conducteur d'hommes et chef d'église : à Lyon, après une terrible persécution qui vit périr sainte Blandine, saint Pothin, et les suppliciés de 177, S. Irénée de Lyon monta sur le siège épiscopal de Lyon (178), et reconstitua cette église dévastée. Le Christianisme s'apprêtait à continuer l'oeuvre de l'Empire, à propager, comme lui, la culture gréco-latine, et à en prendre la succession (Cf. S. Léon Ier Pape, héraut de la Romanitas † 461)
En 197, on vit arriver les premiers prétendant au trône d'origine non-romaine. Deux prétendants africains s'opposaient : Septime Sévère, de Tripolitaine (premier empereur romain d'origine africaine, qui règne de 193 à 211) et Clodius Albinus, d'Hadrumète en Bizacène (Afrique proconsulaire, actuelle Tunisie).
D'origine punique et à l'accent carthaginois, Sévère voulait retirer à l'oligarchie sénatoriale romaine ce qui lui restait d'autorité..., achever l'assimilation de toutes les provinces de l'Empire à l'Italie, en enlevant à Rome et au Sénat des Romains leur suprématie. C'était la destruction de l'ancienne conception augustéenne, romano-centrée. Celle-ci trouva un défenseur en la personne de Clodius Albinus, alors chef des légions de Grande-Bretagne. Albinus vint s'installer à Lyon. Sévère accourut avec ses troupes campées dans la région du Danube. La Gaule fut le théâtre de cette étrange lutte où deux non-romains prétendaient au trône d'un empire "romain". Une bataille furieuse, où 150.000 hommes furent engagés aux portes de Lyon : cognant, se culbutant, les combattants entrèrent pêle-mêle dans la ville qui fut incendiée. Sévère remporta la victoire. Albinus se tua. Aurelius Antonicus, dit Caracalla, le fils et successeur de Sévère (211-217), admirateur d'Alexandre le Grand, accentuera la politique de son père, par l'édit qui étendait à tous les sujets nés libres de l'immense empire, le titre et les droits de citoyens romains.
La carrière militaire dans les auxilia et les légions, tremplin vers l'acquisition de la citoyenneté en perdait son principal avantage. Les empereurs du IVe siècle tenteront d'y remédier en rendant le métier militaire héréditaire et d'une hérédité que l'on ne pouvait récuser : Valentinien (365) décidera que les fils de soldats seront soldats; mais la contrainte donna les résultats faciles à prévoir : les réfractaires recoururent à tous les moyens pour échapper au service. Ils désertèrent. Poursuivis, traqués dans leurs repaires, on les rechercha et on condamna ceux qui leur avaient donné asile. Des jeunes gens se coupèrent le pouce de la main droite pour se mettre dans l'incapacité de tenir une épée. La pénurie de soldats devint si grande que l'Empire en vint à interdire aux centurions de donner des congés à leurs hommes...
Le IIIe siècle sera le siècle de l'Anarchie militaire (235-284), une période où l'Empire romain subit sa première grande crise politique de son histoire avec 43 empereurs en cinquante ans, et plusieurs usurpateurs, dont la plupart ne dépassèrent pas un an de "règne". Tous les empereurs, ainsi que les usurpateurs moururent de mort violente, tués au combat, assassinés ou contraints au suicide. Un seul mourut naturellement, de la peste.
Les empereurs du IIIe siècle, aux prises avec de graves difficultés extérieures redoutèrent la rupture de l'unité morale, condition de la survie de l'Empire.
Cette rupture de l'unité morale était en fait virtuellement inscrite dans la politique de Jules César, donnant la citoyenneté romaine aux Gaulois de Cisalpine (49 av. J.-C.). La surenchère dans l'universalité (hormis sous un Octave Auguste ou un Tibère) ne s'arrêta plus.
Rappelons qu'au Ier siècle, dans un discours qui nous a été conservé, l'empereur historien Claude (41-54), davantage soucieux de l'intérêt de l'humanité tout entière, montra que la loi divine de Rome, depuis son origine, était de faire de tous les peuples une seule patrie...[14]
Claude accorda à son tour le droit de cité à des peuples alpins, les Anaunes (Anauni) et leurs voisins de la région de Trente, qui à vrai dire, croyaient l'avoir de bonne foi et servaient même dans les cohortes prétoriennes. Lors de sa censure en 47-48, il demanda au Sénat d'admettre en son sein les notables de la Gaule chevelue (les Trois-Gaules) par un discours que nous a restitué la Table claudienne de Lyon, corroborant le résumé mieux composé de Tacite (Annales, XI ,23-25), et qui souleva des oppositions. [15]
Les portes de la patrie s'ouvrirent brusquement... jusqu'à ce qu'un roi franc (Clovis), cinq siècles plus tard vienne rétablir l'unité et l'indépendance de la Gaule, à son profit.
En 260, la Gaule fait sécession sous la conduite de Postumus.
En Orient, Palmyre (Syrie) fait de même avec Odénat, l'époux de la reine Zénobie qui parvint à réunir sous son autorité les provinces de Syrie, Arabie, Egypte et commença la conquête des provinces d'Asie mineure.
Ce IIIe siècle est celui d'une pression fiscale ressentie plus lourdement que l'inflation, d'une crise démographique (dépopulation : de 70 millions d'habitants au Ier siècle, la population tombe à 50 millions dans la seconde moitié du IIIe siècle), et d'une crise urbaine (ruralisation).
La révolte de Posthumus (260), le "libérateur de la Gaule". Le second "Empire gaulois (260-274)", l'Empire romain disloqué
En 253, les deux co-empereurs Valérien et son fils Gallien combattent les Perses de Sapor qui ont rompu la trêve et annexé l'Arménie jusque-là protectorat romain).
Gallien est envoyé sur les bords du Rhin pour faire face à l'invasion germanique. C'est la première division historique de l'Empire entre deux princes, un régnant en Orient (Valérien), l'autre en Occident (Gallien). Les deux sont engagés dans des guerres très éloignées. Les Francs participent entre 253 et 256 à un premier raid qui les conduit jusqu'en Espagne et en Afrique. L'empire est disloqué.
Les deux Augustes luttèrent contre les Goths qui déferlaient également sur les régions côtières d’Asie Mineure, dans les Balkans, en Dacie, en Mésie, en Thrace, en Macédoine même; contre Germains et Saxons qui menaçaient le littoral de la mer du Nord et de la Manche; contre les Berbères qui se soulevaient en Numidie et Maurétanie (Afrique) et contre les Perses en Arménie, en Mésopotamie, mais encore en Syrie où ils s’étaient carrément installés à Antioche avec la ferme intention de s'approprier définitivement tout l'Orient romain...
Après avoir été refoulés et cantonnés dans un territoire par Aurélien (270-275), Francs et Alamans franchissent une seconde fois, massivement, le Rhin, pillent et ravagent la Gaule de fond en comble (275-280).
C'est dans ce contexte désastreux qu'entre 260 et 274 se réalise la sécession de l’"Empire gaulois".
Des deux grandes vagues d'invasion au III et Ve s., celle des années 270, a probablement été, comme le soulignait Camille Jullian (Histoire de la Gaule, Paris, Hachette, 1908-1926, 8 vol.) - ce que semblent confirmer les travaux récents -, la plus terrible et la plus meurtrière: les premiers barbares et les empereurs, notamment Aurélien, qui disposent de troupes aguerries, sont encore capables de se défendre et de rejeter les envahisseurs au-delà des frontières. Mais les combats sont très violents et les ravages souvent effroyables (Pierre Chaunu, Éric Mension-Rigau, Baptême de Clovis, baptême de la France, De la religion d'État à la laïcité d'État, Éditions Balland, Paris 1996, p. 64).
En 256, l'empereur Gallien fit une campagne sur le Rhin à la suite de laquelle il s'attribua le titre de "restaurateur des Gaules" : il est bien probable qu'il dut ce titre aux victoires de ses lieutenants en Gaule, Aurélien et Postume.
Gibbon précise que tandis que que Gallien) et Salonin, son fils, encore enfant, "déployaient dans le cour de trèves toute la majesté du trône, les armées se signalèrent sous le commandement de Posthume. Quoique cet habile général trahît par la suite la famille de Valérien (co-empereur), il fut toujours fidèle à la cause importante de la monarchie. Le langage perfide des panégyriques et des médailles parle obscurément d'une longue suite de victoires; des titres, des trophées attestent, si l'on peut ajouter foi à un pareil témoignage, la réputation de Posthume, qui est souvent appelé le vainqueur des germains et le libérateur de la Gaule." [16]
Gallien partit pour le Danube, laissant dans le pays son fils aîné, le jeune César Valérien. Celui-ci n'était qu'un adolescent et l'autorité réelle sur ses soldats et les provinces de Gaule resta confiée à l'excellent officier, Postume, "duc de la frontière du Rhin" (257).
Ces mots de Gaule et d'Empire, cet accord entre les armées et les cités de l'Occident celtique, l'unité morale et politique de cette grande contrée rappelaient les temps d'avant César, ceux de Bituit, de Celtill et de Vercingétorix. Pour la première fois depuis les rois arvernes, le pays était maître de ses destinées.
En 258, Postume et le prince se brouillèrent. Des légions refusèrent d'obéir au jeune Valérien, rompirent la foi due à Gallien, et acclamèrent leur général comme "Auguste" des Gaules, des Bretagnes, des Germanies et de Rhétie (260).
Une inscription de l'été 260, découverte à Augsbourg, a montré que l'usurpation de Postume fut liée à la capture de Valérien à Edesse et mis à mort par les Perses (260). [17]
Jusque-là rien que de très banal : c'est une armée d'Occident qui donne la pourpre à son chef, et Postume ne fait d'abord que ressembler à Clodius Albinus (193-197) ou à Vitellius (69).
Mais par la suite les choses changèrent. Reconnu par l'Occident, Postume, appelé en Gaule le "vainqueur des Germains" et le "libérateur de la Gaule", se contente d'y régner. Et ceux qui lui succéderont, jusqu'au dernier, se refuseront également à toute ambition universelle, comme si la proclamation de 258 avait avait eu pour objet de fonder un Empire romain des Gaules. Ces "empereurs" des Gaules restaient dans l'obédience romaine, sans pouvoir aller s'imposer à Rome. Il s'agissait surtout d'une prise en main des provinces gauloises. [18] Le titre de "restaurateur des Gaules" reparut comme épithète des empereurs. [19]
Posthume résidait près de la frontière à Mayence, Cologne ou Trèves. Trèves surtout devenait une vraie capitale des Gaules. Aussi Postume fut-il fort populaire dans les pays qu'il gouverna. Il commandait la plus grande force militaire du monde. L'empire des Gaules s'agrandissait en "Empire d'Occident".
« Le monde lui-même profita tout entier à cette création d'un empire gaulois. Un historien officiel de la fin du IIIe siècle a caractérisé en ces termes l'oeuvre des cinq empereurs gaulois : "Ils ont été de vrais défenseurs du nom romain. ... Sans eux, les Germains franchissaient le Rhin et foulaient le sol romain. Or, en ces temps-là, Perses et Goths étaient répandus dans l'empire: que serait-il arrivé si tous ces barbares s'étaient rejoints. Certes, c'en était fait du nom de l'empire romain." » [20]
Les vertus sévères de Posthume furent la cause de sa perte : après la chute d'un compétiteur qui avait pris la pourpre à Mayence, il refusa d'abandonner à ses troupes le pillage de la ville rebelle. Leur avarice trompée par son compétiteur Lélien (ou Lollien) les rendit furieuses; elles massacrèrent Posthume dans la septième année de son règne (269).
Les empereurs des Gaules, au nombre de 7, sont connus par les monnaies qu'ils émirent. La chronologie proposée en 1964 par Jean Lafaurie (La chronologie des empereurs gaulois, Revue numismatique, 6e série, vol. 6, 1964) à partir de ses analyses numismatiques est la suivante :
Postumus été 260 – 269
Lélien juin/juillet 268
Marius 269
Victorinus 269 - 271
Domitianus 271
Tetricus Ier 271 - printemps 274
Tetricus II 271 - 273
Maître de la Gaule, de l'Espagne et de la Bretagne, "à la différence de ses prédécesseurs, Tetricus n'était pas un général de l'armée du Rhin; c'était un aristocrate gallo-romain, pacifique, dépourvu d'ambition.
On ne sait pas grand-chose de son avènement, ni de son règne : est-ce sous Victorinus (269) ou sous Tetricus en 271-272 que fut saccagée Autun par des soldats furieux de la fidélité persistante de la ville à l'empereur de Rome ?
Dès son retour d'Orient, Aurélien marcha contre lui. Courant 273, alors qu'Aurélien se trouvait déjà Châlons-sur-Marne, Tetricus qui disposait pourtant des légions de Germanie et de Bretagne, ne fit rien pour s'opposer à li. Mieux, il écrivit pour lui demander de le délivrer de son fardeau.
Des soldats l'obligèrent à combattre, il passa dans le camp romain. Exhibé dans le cortège triomphal d'Aurélien, il retrouva son siège au sénat et reçut un poste officiel en Italie du Sud, comme corrector de Lucanie. Ainsi prit fin l'Empire gaulois. Fruit d'un mouvement plus provincialiste que séparatiste, il n'en avait pas moins montré pendant près de quinze ans la fragilité maintenant évidente de l'Empire." [21]
"Les soldats rebelles, quoiqu'en désordre et consternés de la désertion inattendue de leur chef, se défendirent longtemps avec le courage du désespoir. Ils furent enfin taillés en pièces, presque jusqu'au dernier, dans cette bataille sanglante et mémorable qui se donna près de Châlons en Champagne. Un nombreux corps d'auxiliaires, composé de Francs et de Bataves, repassa la Rhin à la persuasion du vainqueur, ou forcé par la terreur de ses armes. Leur retraite rétablit la puissance d'Aurélien, depuis le mur d'Antonin jusqu'aux colonnes d'hercule. ... Lyon avait résisté avec la plus grande opiniâtreté aux armes d'Aurélien." (Gibbon, Histoire du Déclin et de la Chute de l'Empire romain, Rome de 96 à 582, Robert Laffont, Malesherbes 1984, p. 224.)
L'Anarchie militaire du IIIe siècle et les "grandes invasions" de 275-280
En 276, le nouvel empereur, d'origine illyrienne, M. Aurelius Probus, accourut d'Orient où il avait été proclamé par les légions. Il s'efforça de réoccuper le secteur du Rhin. Son biographe de l'Histoire Auguste parle de 400.000 Barbares tués tant sur le Rhin qu'à l'intérieur des Gaules. ... A la mort de Probus en 282, les Gaules sont ruinées. Son successeur, M. Aurelius Carus, proclamé par les soldats, confia les provinces gauloises à son fils aîné, Carinus, avec le titre de César. A la mort de Carus, Dioclétien fut nommé Auguste par ses troupes (284). (Marcel Le Glay, Rome, tome II. Grandeur et chute de l'Empire, ibid., p. 408.)
Les coups d'Etat du IVe siècle
Au IVe siècle encore, de toutes les contrées de l'Empire, c'est la Gaule qui connaît le plus de coups d'Etat et qui produit le plus de prétendants : Magnence (350-353), Sylvain (355), Julien (357-363), Maxime (383-388), Eugène (392-394), Marcus (407), Gratien (407), Constantin III (407-411), Jovin (411-413), Sebastianus (412-413), Avitus, noble arverne devenu empereur romain (455-456). Chaque génération de Gaulois a son jour de révolte et sa crise politique.
Survivance du parler celtique au IVe siècle
Il ne faudrait pas croire à une romanisation profonde du pays. La grande masse de la nation parlera encore le celte quand se formeront les premiers royaumes germains. A Bordeaux par exemple, où la culture des lettres latines brille alors du plus vif éclat, la famille d'Ausone, le plus grand poète en langue latine de l'époque, se sert familièrement de la langue celtique (IVe s.)
Les Trévires, descendants des révoltés de l'an 69 qui avaient proclamé le premier "empire gaulois", passaient pour l'une des peuplades les plus romanisées. Pourtant, leur cité, Trèves, était devenue une manière de seconde capitale latine où les Trévirois parlent encore le celte à la fin du IVe siècle, au témoignage de S. Jérôme, et les Arvernes le parleront encore au Ve siècle, sous les Wisigoths.
La Gaule subjugue son farouche vainqueur
Constantin avait déjà allégé les impôts de la province de Gaule. Les empereurs qui se succéderont après la mort de Constance II (361), témoigneront envers cette province d'une particulière attention et d'une singulière bienveillance. La proclamation en 358 de Julien comme empereur dans la ville même des Parisiens, à Lutèce, qui devait prendre le nom de Paris, est plus qu'un signe, le symbole, le clin d'oeil de l'Histoire. Elle est particulièrement appréciée par les habitants de la Gaule. Une véritable renaissance de la Gaule, certes précaire, certes provisoire, mais reconnue par tous les historiens anciens et contemporains, a permis aux villes de se repeupler et de prospérer, aux champs d'être à nouveau cultivés et à la démographie de rebondir. Une politique fiscale beaucoup moins lourde à libéré l'économie de la Gaule.
La Gaule sans cesse vaincue au cours de son histoire conflictuelle et millénaire avec Rome finit par séduire son vainqueur. À Vienne, dans l'Isère, l'empereur Julien en 362 célèbre ses cinq années de son pouvoir au milieu d'un grand concours de fierté générale d'une Gaule tout heureuse d'avoir "fait" un empereur. Vienne, théâtre de tant de batailles d'autrefois, de tant de martyres qui se sont déroulés dans son amphithéâtre et qui a vu Julien, encore simple général, la défendre (contre les invasions franques), tout comme Autun, Auxerre, Troyes, Sens, Strasbourg, la Gaule considère Julien comme l'un des siens. [21]
L'usurpation en Gaule de Constantin III (407-411)
En 406, arrivant de l'extrémité septentrionale de la Germanie, le goth païen Radagaise, à la tête d'une armée de 150.000 hommes composée de Goths, de Vandales, d'Alamans et d'Alains, et de Burgondes, franchit le Danube puis était entré en Italie par les Alpes.
Balayant les défenses frontalières, Radagaise pilla et ravagea la plaine du Pô. Un grand nombre de villes de l'Italie furent détruites. Se dirigeant vers le sud, il fut arrêté près de Florence par le général romain Stilicon commandant une armée romaine de 30 ou 40.000 hommes, considérablement renforcée de contingents barbares, et est sévèrement battu près de Fiesole. Le courage des citoyens de Florence fut soutenu par l'autorité de S. Ambroise († 397) qui était apparu en songe pour leur annoncer une prompte délivrance (Paulin, in Vitâ Ambrosii, c. 50.) Peu de jours après, ils aperçurent du haut de leurs murs, les étendards de Stilichon, qui avançait, à la tête de toutes ses forces réunies, au secours de cette ville fidèle, et qui fit bientôt de ses environs le tombeau de l'armée barbare.. Orose et S. Augustin attribuent cette victoire miraculeuse à une protection du ciel, plutôt qu'à la valeur des hommes. Stilicon informa l'empereur Honorius (395-423), fils de Théodose, et mérita le titre de "libérateur de l'Italie".
Cependant, Stilicon sauva l'Italie en sacrifiant la Gaule. Orose et S. Jérôme l'accusent d'avoir suscité l'invasion de la Gaule qui fut exécutée par les restes de l'armée de Radagaise. Les Francs (alliés de Rome) firent briller leur valeur et leur zèle pour la défense de l'empire. Ils attaquèrent avec impétuosité les Vandales, qui, oubliant les leçons de l'adversité, s'étaient encore séparés de leurs alliés. Ils payèrent cher leur imprudence ; Godigisclus (Godégisel), leur roi, et vingt mille guerriers furent tués sur le champ de bataille. Toute leur nation aurait probablement été détruite par les Francs qui défendirent seuls la Gaule, si les escadrons des Alains, accourant à leurs secours, n'eussent passé sur le corps de l'infanterie des Francs. Ceux-ci après une honorable résistance furent contraints d'abandonner un combat inégal. Les envahisseurs continuèrent leur route ; et le dernier jour de l'année (31 décembre 406), ils entrèrent sans opposition dans les provinces désarmées de la Gaule.
"Ce passage mémorable des Suèves, des Vandales, des Alains et des Burgondes, qui ne se retirèrent plus, peut être considéré comme la chute de l'Empire romain dans les pays-audelà des Alpes ; et, dès ce moment, les barrières qui avaient séparé si longtemps les peuples sauvages des nations civilisées furent anéanties pour toujours." (Gibbon, Histoire du Déclin et de la Chute de l'Empire romain, Rome de 96 à 582, Robert Laffont, Malesherbes 1984, p. 888-889.)
En 407, d'autres Barbares venus de Germanie détruisirent la Gaule. Sur les bords du Rhin, Mayence fut surprise et détruite. "Des milliers de chrétiens furent inhumainement égorgés dans l'église", écrit Gibbon. "Worms succomba après un siège long et opiniâtre; Strasbourg, Spire, Reims, Tournai, Arras, Amiens subirent, en gémissant, le joug des cruels Germains; et le feu dévorant de la guerre s'étendit dans la plus grande partie des 17 provinces de la Gaule. Les Barbares se répandirent dans cette vaste et opulente contrée jusqu'à l'Océan, aux Alpes et aux Pyrénées, chassant devant eux la multitude confuse des évêques, des sénateurs, des femmes, des filles, tous chargés des dépouilles de leurs maisons et de leurs autels. ... En moins de deux ans, les bandes séparées des sauvages de la mer Baltique, pénétrèrent sans combattre jusqu'au pied des Pyrénées." (Gibbon, Histoire du Déclin et de la Chute de l'Empire romain, ibidi., p. 889)
Révolte de l'armée bretonne: Marcus "empereur de la Bretagne et de l'Occident" (407-411)
Lorsque quelque légionnaire breton obtenait la liberté de revenir de l'expédition d'Italie, ce qu'il racontait de la cour et du caractère d'Honorius devait naturellement affaiblir le sentiment du respect et de la soumission, et enflammer le caractère séditieux de l'armée bretonne.
Devant le déferlement des Barbares, comme dans une sorte de résurrection du second empire gaulois de Postume, Marcus fut le premier que l'armée de Bretagne plaça sur le trône comme légitime "empereur de la Bretagne et de l'Occident" (407). Celui-ci ne régna que quelques jours. Les soldats violèrent bientôt le serment de fidélité qu'ils avaient prononcé, en lui donnant la mort. Gratien fut le second qu'ils décorèrent de la pourpre et du diadème; quatre mois après, celui-ci éprouva le même sort que son prédécesseur.
C'est dans ce conteste d'invasions germaniques, que l'armée de Bretagne éleva ensuite leur troisième empereur, Constantin III qui régna un peu plus longtemps (407-411).
Revêtu de la pourpre par les légions bretonnes, Constantin III quitta la Bretagne avec toutes ses troupes, laissant celle-ci sans défense, pour aller défendre la Gaule envahie par les Barbares. Fin 409, il ne put arrêter l’invasion des Vandales, des Alains et des Suèves, qui s’installèrent en Espagne. En 410, il se rendit en Italie pour secourir Rome des invasions barbares ou pour y asseoir son autorité, accompagné de son fils Constant, qu’il fit César dès 408. Sa puissance était reconnue depuis le mur d'Antonin aux colonnes d'Hercule.
En 411, il fut capturé par l’armée d'Honorius, dirigée par le général Constance (futur Constance III). Livré à Honorius, celui-ci le fait exécuter en novembre 411. Pour marquer les esprits, l'empereur d'Orient Théodose II (408-450) ordonna un châtiment cruel pour le sort de Constantin III : il fut trainé par un char dans les rues d'Arles. Crucifié pendant 15 jours à l'entrée de la ville, son son corps fut ensuite jeté dans le Rhône. Le message était terrible, il dissuadera l'émergence d'autres usurpateurs bretons.
Révolte de la Bretagne et de l'Armorique (409)
Tandis que les Goths ravageaient l'Italie et que de faibles usurpateurs bretons défendaient la Gaule, l'ïle de la Bretagne abandonnée sans défense aux pirates Saxons, la Bretagne cessa de compter sur les secours inexistants d'une monarchie expirante. La Bretagne secoua le joug du gouverneur romain. 349 ans après la révolte de Boudicca, les Bretons prirent les armes une nouvelle fois... Et ils repoussèrent les Barbares. C'est Zozime (Ve siècle), historien païen grec qui raconte, en peu de mots, la révolte de la Bretagne et de l'Armorique. Le même courage anima l'Armorique (provinces maritimes de la Gaule entre la Seine et la Loire). Les habitants chassèrent eux-mêmes les magistrats romains qui commandaient sous l'autorité de l'usurpateur Constantin III et établirent un gouvernement libre "chez un peuple qui obéissait depuis si longtemps au despotisme d'un maître" (Gibbon, Histoire du Déclin et de la Chute de l'Empire romain, ibid., p. 949.)
L'empereur d'Occident Honorius (395-423) confirmera bientôt l'indépendance de la Bretagne et de l'Armorique. Les lettres que le fils de Théodose écrivit à ses nouveaux états, et dans lesquelles il les abandonnait à leur propre défense, peuvent être considérées comme une renonciation formelle aux droits et à l'exercice de la souveraineté." (Gibbon, Histoire du Déclin et de la Chute de l'Empire romain, ibid., p. 949.)
Ainsi se vérifie ce qu'a pu écrire Frantz Funck-Brentano :
"On répète que Rome a sauvé la Gaule des invasions germaniques,
Ce n'est point vrai. Tant que les proconsuls du Sénat ne se sont point présentés au delà des Alpes pour affaiblir et diviser les peuples, la Gaule d'Ambigat et de Bituit n'eut rien à craindre des Barbares d'Outre-Rhin. C'est Rome, à la fin, qui nous a livrés à eux, par la sottise criminelle de ses discordes, par la puérilité de ses rêves pacifiques, l'impéritie de son service aux frontières..." ( 119.)
Le moine lettré anglo-saxon Bède le Vénérable a lui-même convenu (Hist. gent. anglic., I, 12) que les Romains abandonnèrent tout à fait la Bretagne sous le règne d'Honorius. (Gibbon, Histoire du Déclin et de la Chute de l'Empire romain, ibid., p. 949, note 6.)
Pendant 40 ans, la Bretagne se gouverna, jusqu'à la Descente des Saxons (449), sous l'autorité du clergé, des nobles et des villes municipales. (Gibbon, Histoire du Déclin et de la Chute de l'Empire romain, ibid., p. 950.)
"Environ quarante ans après la dissolution du gouvernement romain, Vortigern (en gallois moderne Gwrtheyrn) roi légendaire de la matière de Bretagne (on le retrouve associé à la légende arthurienne), paraît avoir obtenu le commandement suprême, mais précaire, des princes et des villes de la Bretagne. (Gibbon, Histoire du Déclin et de la Chute de l'Empire romain, ibid., p. 1142.)
Selon les sources, Vortigern est souverain de toute l’île, vers 425, roi des Brittons-romains du Kent (le Cantium antique), vers 450. Le nom Vortigern est indiscutablement brittonique : composé de Uor-, gwr-, grand, superieur et tigern, traduit prince, son nom signifie donc "Grand Souverain".
Hengist, originaire du Jutland (Danemark) put espérer d'achever la conquête de la Bretagne, mais durant un règne de 35 ans, tout le succès de ses entreprises se borna à la possession du royaume de Kent, et la nombreuse colonie qu'il avait placée dans le nord fut exterminée par la valeur des Bretons.
Vortigern s'était laissé convaincre par le rusé Barbare Hengist qu'il lui serait avantageux d'établir une colonie d'alliés fidèles dans le voisinage des Pictes. Cette alliance avec des envahisseurs germaniques lui conféra une réputation de traître dans le monde celtique. Les Bretons regrettèrent des récompenses dont la libéralité n'avait pu satisfaire l'avarice de ces orgueilleux mercenaires.
Vortigern aurait été destitué par son peuple au profit de son fils Vortimer (en gallois Gwerthefyr), et se serait réfugié au Pays de Galles, où, selon la légende, il aurait rencontré Merlin l'Enchanteur. Il aurait ensuite assassiné son fils afin de récupérer le trône.
"Les colonies, qui, dans l'espace d'un siècle, sortirent successivement de l'embouchure de l'Elbe, du Weser et du Rhin, pour s'établir dans la Bretagne, étaient principalement composées des trois plus vaillantes tribus de Germanie.
Les Jutes, qui suivaient particulièrement le drapeau d'Hengist, s'attribuèrent l'honneur d'avoir conduit leurs compatriotes à la gloire de Kent, le premier royaume indépendant.
Les Saxons primitifs eurent toute la gloire de l'entreprise; et l'on donna aux lois et au langage des conquérants le nom du peuple qui produisit au bout de quatre siècles les premiers souverains de la Bretagne méridionale.
Les Angles, eurent l'honneur de donner leur nom au pays dont ils occupaient la plus vaste partie.
L'Europe centrale au Ve siècle. Les Saxons sont localisés sur les deux zones ocre jaune : au Nord de l'Allemagne et sud de l'Angleterre.
... La Bretagne, seule et sans recours, soutint longtemps avec vigueur une guerre dans laquelle il fallut à la fin céder. Les villes avaient été fortifiées avec intelligence et se défendirent avec résolution. Et les défaites des Saxons se trouvent attestées d'une manière peu douteuse par le silence prudent de leurs annalistes." (Gibbon, Histoire du Déclin et de la Chute de l'Empire romain, ibid., p. 1145.)
La tombe de Vortimer, fils de Vortigern, fut élevée sur les bords de la mer comme une borne formidable aux Saxons, qu'il avait vaincu trois fois dans les plaines de Kent. Mais l'illustre Arthur, prince des Silures, au sud de la province de Galles, et roi élu par la nation, efface les noms les plus célèbres de la Bretagne. Au rapport des écrivains les plus modérés, celui-ci vainquit les Angles du nord et les Saxons de l'Occident, dans douze batailles successives. Durant l'espace de 500 ans, la tradition de ses exploits fut transmise d'âge en âge et grossièrement embellie par les fictions obscures des bardes du pays de Galles et de l'Armorique. Au reste, l'orgueil et la curiosité des conquérants normands leur firent examiner l'ancienne histoire de la Bretagne. Ils adoptèrent avidement le conte d'Arthur, et prodiguèrent des louanges au mérite d'un prince qui avait triomphé des Saxons, leurs ennemis communs.
Un savant et ingénieux antiquaire prétend que les chefs des tribus bretonnes continuèrent toujours de régner, quoique avec un pouvoir subordonné, depuis le règne de Claude jusqu'à celui d'Honorius. (Cf. Histoire de Manchester, par Whitaker, vol. 1, p. 247-257.)
L'Assemblée des Gaules au Ve siècle
Ces assemblées ont duré jusque dans les derniers temps de l'empire, et il ne semble pas que leur autorité ait diminué. Au milieu du IVe siècle, elles cessèrent d'être des corps religieux; mais elles subsistèrent comme conseils politiques.
La révolte de la Bretagne et de l'Armorique en 409 a eu une conséquence en Gaule avec la convocation annuelle par l'empereur Honorius (395-423) d'une "Assemblée des sept provinces de la Gaule" (418).
En pleine invasion, Honorius réunissait à Arles les représentants de toutes les villes du Midi et donnait à cette réunion les plus grands pouvoirs. (Camille JULLIAN, Gallia, Tableau sommaire de la Gaule sous la domination romaine, ibid., p. 69.)
Cette assemblée, réunie à Arles, durant 28 jours, depuis le 15 août jusqu'au 13 septembre, était composée du préfet du prétoire des Gaules, de sept gouverneurs de provinces, un consulaire et six présidents, des magistrats et peut-être des évêques d'environ soixante villes, et d'un nombre suffisant, mais indéterminé, des plus considérables et des plus opulents propriétaires des terres, qu'on pouvait regarder comme les représentants de leur nation. Ils étaient autorisés à interpréter et communiquer les lois du souverain, à exposer les griefs et les demandes de leurs constituants, à modérer ou à répartir également les impôts, et à délibérer sur tous les sujets d'intérêt local ou national qui pouvaient tendre à maintenir la paix et la prospérité des sept provinces.
L'empereur Honorius s'étonna de la répugnance avec laquelle les provinces acceptaient un privilège qu'elles auraient dû solliciter; il fut obligé d'imposer une amende de trois et même cinq livres pesant d'or aux représentants qui s'absenteraient de l'Assemblée, et il paraît qu'il regardèrent ce présent imaginaire d'une constitution libre, comme la dernière et la plus cruelle insulte de leurs oppresseurs !" (Gibbon, Histoire du Déclin et de la Chute de l'Empire romain, ibid., p. 951-952.)
Au milieu du Ve siècle, ces assemblées en arrivèrent à jouer un rôle dans la politique générale: c'est un Conseil de notables gaulois qui en 455 donna la pourpre à l'empereur Avitus, un noble arverne qui sera empereur d'Occident en 455-456.
La Francia dans la "Table de Peutinger", oeuvre médiévale du XIIIe siècle, copie d'une ancienne carte romaine, faisant partie du patrimoine mondial de l'UNESCO, où figurent les routes et les villes principales de l'Empire romain. L'original est actuellement conservé à la Bibliothèque nationale autrichienne à Vienne. Source image: Christian GOUDINEAU, Par Toutatis ! Que reste-t-il de la Gaule, L'Avenir du Passé, Seuil, Lonrai 2002, p. 60-61.
Les Francs en Gaule sous les rois mérovingiens (420-451)
Vers 450, la monarchie franque était encore renfermée dans les environs du Bas-Rhin. On élevait les princes sur un bouclier, symbole du commandement militaire.
Leurs longs cheveux étaient la marque de leur naissance et de leur dignité royale.
Ces belliqueux Barbares apprenaient dès l'enfance à courir, à sauter, à nager, à lancer avec une justesse surprenante le javelot ou la hâche d'armes.
Mérovée, fils de Clodion fut reçu par Valentinien III (425-455) comme son allié et le fils adoptif du patrice Aetius.
Sainte Geneviève sauve Lutèce (Paris) et repousse les Huns
Geneviève est la fille d'un officier franc, Severus, converti au christianisme nicéen (catholicisme), qui a servi dans l'armée romaine en Gaule et d'une gauloise, Gerontia, fille de Gerontius, maître de cavalerie et ami personnel de Constantin III, qui tentait de préserver une partie de la Gaule de l'installation des Germains. Ils possédaient des terres cultivables du côté de Melun et de Meaux où poussait le blé.
En 451, une grande peur s'empara de Lutèce (Parisà la nouvelle de l'arrivée imminente des Huns, menés par Attila, dont l'armée est grossie des Gépides, menés par Ardaric, des Ostrogoths de Valamer, des Rugues, des Skires, des Hérules, des Quades (Souabes), des Thuringiens, de dissidents burgondes, et de Francs ripuaires. Geneviève qui siège au conseil de Lutèce, apprend l'annonce du conflit imminent avec les Huns. Ces Barbares passent pour être sans foi ni loi à côté desquels les Wisigoths et les Vandales paraissent de paisibles concitoyens. L'armée d'Attila a pénétré en Moravie et en Bohême, puis en Hess, dans le Würtemberg, en remontant le Danube. Elle fonce vers le Rhin, le franchit à Mayence, après avoir bousculé les contingents gallo-romains et francs fédérés. Elle passe par Trèves et s'empare de Metz le samedi saint 7 avril 451, puis parvient à Tongres sur la Meuse, et se répand jusqu'à Tournai sur l'Escaut, dans le but d'aider un des fils de Clodion, roi des Francs ripuaires, à s'établir à nouveau au nord de la Gaule. Attila descend les rives de l'Aisne et passe non loin de Soissons, à une centaine de kilomètres de Lutèce.
Les personnes âgées, celles qui ont dépassé la cinquantaine et ont vu déferler en 406 la grande invasion gothique, puis ont assisté aux massacres perpétrés par les Barbares sur les populations désarmées de la rive gauche de la Seine, rendent pour ainsi dire des oracles affolant la population. Comme toujours au temps des grandes peurs, des femmes vaticinent et prédisent des périodes de sang et de mort. Les pratiques superstitieuses ressurgissent. On en voit plus d'un se livrer à des actes de dévotion envers les anciens dieux de la Gaule, comme Teutatès, Esus ou Epona.
Les bruits les plus fous, les descriptions les plus affreuses au sujet des Huns se nourrissent de témoignages vrais ou imaginaires.
Le Conseil municipal se réunit pour débattre de l'évacuation de la ville. Geneviève s'y oppose. Des gens insultent la jeune femme.Elle ne parvient pas à se faire entendre:
"Ayez confiance, priez et Dieu vous écoutera"
Mais on ne l'écoute pas. Les prêtres eux-mêmes se détournent d'elle et commencent à entasser les trésors de l'église S. Etienne sur des barques que les nautes ont amarrées au port et où magistrats, marchands, artisans, commerçants commencent à s'installer avec leurs biens. Les hommes pressent leurs épouses et leurs enfants de partir avec eux. Sur des chariots sont amassés des meubles, de l'argent, des vivres, des troupeaux, des animaux domestiques. Tout le monde veut s'échapper de Lutèce, fuir par le fleuve, par les routes et les sentiers. On part, on quitte Lutèce, on abandonne les toits. Geneviève court alors d'un endroit à un autre de l'Île, et même traverse à plusieurs reprises le pont pour tenter d'arrêter le flot des exilés. Elle ose sur le port s'adresser aux hommes et elle les exhorte à ne pas abandonner leur ville. Comme ils profèrent des injures et finissent par la bousculer, elle fait appel à leur patriotisme gaulois. Elle évoque l'antique cité lorsqu'elle était habitée par des hommes farouches et libres avant l'occupation romaine... et la défaite de Camulogène devant Labienus, lieutenant de César. Elle parle de ces précédentes invasions auxquelles toute la population de la cité a su résister en s'enfermant dans l'Île, en fortifiant les plus vastes de ses monuments. Elle s'étonnent que soudain ils abdiquent, alors que leurs pères et leurs aïeux leur ont donné tant d'exemples de courage et d'abnégation.
Geneviève se réfugie dans le baptistère S. Jean-en-Rond et là, au cours de la journée, bon nombre d'épouses, de mères ou de jeunes filles viennent la rejoindre pour soutenir son action. Elles finissent par se retrouver nombreuses dans le baptistère et par s'y enfermer à l'abri des imprécations de leurs époux qui n'osent quitter la ville sans elles. Elles s'agenouillent avec Geneviève et commencent des prières, des suppliques, pour demander à Dieu d'écarter Attila du chemin de Lutèce. Après avoir pris Orléans, Attila décide de lever le siège d'Orléans et de rebrousser chemin en direction de Troyes. L'affrontement des armées eu lieu aux Champs Catalauniques (451). Attila défait, Geneviève est rassurée en apprenant qu'il franchit les Alpes et s'apprête à entreprendre la conquête de l'Italie: ne l'avait-t-elle pas prédit ? Elle ne doute pas que le Hun se perdra dans cette nouvelle aventure après la défaite qu'il venait d'essuyer. [22]
Une sorte de royauté rétablie en Gaule par les Romains Aegidius et Syagrius, le Regnum francorum et la symbiose gallo-franque
Aegidius se rendit indépendant du pouvoir impérial en Gaule. Sous ses ordres, les Francs avaient longtemps combattu (Grégoire de Tours II, 27). Il (456-464) avait été nommé Magister militum des Gaules en 457 par le wisigoth Ricimer , lui-même Magister militum (456), avec le soutien de Majorien qui devait devenir peu après "empereur d'Occident" (457-461).
En 455, suite au second sac de Rome par Genséric, roi des Vandales (le premier sac avait été réalisé par Alaric en 410), et la mort de Maxime Pétrone, le roi wisigoth Theodoric II, roi des Wisigoths, s'arroge le droit de nommer l'"empereur d'Occident", Flavius Avitus (455-456), un gaulois natif de Clermont, issu d'une famille aristocratique d'administrateurs gaulois, qui a servi sous Aetius lors de l'invasion d'Attila (451), dans le Norique et en Gaule dans les années 430.
Avitus a laissé Aegidius surveiller la frontière rhénane. Il a fortifié le littoral de la mer du Nord et mis un terme aux raids des pirates saxons.
Depuis 455, les empereurs d'Occident seront désignés par des chefs barbares... Ricimer (456-472), général d'origine wisigothe et suève, Patrice des Romains, sera lui-même le "faiseur de rois", une sorte d'"empereur bis" ou de régent. Il installera les empereurs sur le trône, n’hésitant pas à renverser et assassiner ceux qui, comme Avitus (456) Majorien (461) ou Anthémius (472), firent preuve d’indépendance.
En Gaule, le chroniqueur Grégoire de Tours qualifia Aegidius de "roi des Romains" (Jean de Sismondi, Histoire des Français, volume 1, 1821, p. 179. ) Il était par sa mère, le petit-fis du wisigoth troisième successeur d'Alaric, Wallia. Ses pairs, les rois des Francs, rois des Burgondes, faisaient eux-mêmes référence à lui comme le "roi des Romains"... Son fils, Syagrius, lui succédera en 464.
Les Romains rétablirent ainsi eux-mêmes une sorte de royauté de fait en Gaule, au profit d'eux-mêmes, avec le titre héréditaire de "maître des milices" en Gaule (Magister militum).
Childéric, père de Clovis, aidera Aegidius et les Bretons d'Armorique à vaincre les wisigoths de Frédéric, frère du roi Théodoric II, près d'Orléans en 463. En contrepartie, Aegidius reconnaît au roi des Francs Saliens les pouvoirs civils et militaires dans la Belgique seconde, avec Tournai pour capitale.
Le royaume romain de Syagrius (471-486). Au nord se trouve le royaume franc, au sud-est le royaume burgonde et au sud-ouest le royaume wisigothique
La bataille de Soissons, fin du dernier vestige du pouvoir romain en Gaule (486)
En 486, le réduit romain qui n'était plus défendu depuis longtemps que par les Gaulois et les Francs eux-mêmes (Francs du Comitatus de l'armée romaine en Gaule) fut renversé par d'autres Francs (bataille de Soissons), conduits par Clovis, fils de Childéric, auxquels depuis 481 s'étaient ralliés les Gaulois.
Cette bataille de Soissons inaugure la symbiose gallo-franque qui marqua la naissance de la nation française.
Bataille de Soissons (486) - Siège de Soissons. Maître de la Cité des dames. Grandes Chroniques de France (1410-1412)
Le ralliement des Gaulois catholiques au roi franc devint encore plus manifeste après le mariage de Clovis avec la nièce catholique de Gondebaud, magister militum en Gaule et roi des Burgondes (470-516), Clotilde (493).
Clovis fut considéré par Grégoire de Tours comme le fondateur d'un ordre nouveau, alors que le Regnum francorum ne faisait que ressusciter une Gaule unifiée que l'on n'avait pas vu depuis 538 ans, et dont le souvenir de l'unité et de l'indépendance n'avait pas disparu. Ce royaume gallo-franc durera jusqu'en 1792, moment où la "république" dite "française", opérera en divisant les Français, tel César en Gaule.
Lorsque Charlemagne lui-même restaurera l'Empire d'Occident, ce ne sera pas sous sa forme d'un Etat centralisé.
Et lorsque la royauté capétienne aura érigé une autorité, ce ne sera jamais que celle du premier entre ses pairs (adage qui définissait la relation entre le roi et les nobles d'épée jusqu'à la fin du XVIIIe siècle) d'un seigneur possédant comme les autres son domaine propre et chargé entre tous les autres de faire respecter les coutumes existantes.
Le Regnum Francorum englobait l'ensemble des territoires sous le contrôle du premier entre ses pairs, signifiait encore que chaque entité géographique était désignée par son intégration dans un regnum poirtant le nom de celui qui présidait à sa destinée. Unité du royaume et égalité des différents reges francorum.
Conclusion
"La romanisation de la Gaule [...] ne fut pas toujours un succès, devint même un mythe, lié à celui de la paix romaine, et [...] elle se heurta assez souvent à des refus gaulois, qui au cours des siècles, prirent la forme de révoltes larvées, de rébellions organisées, de soulèvements paysans et même de sécessions." [23]
"Si les Augustes romains, fils ou héritiers de Théodose, avaient compris ces sentiments humains, ces leçons de l'histoire, ces lois de la nature, s'ils avaient laissé grandir la patrie gauloise à l'ombre de l'Empire, ils auraient peut-être procuré à cet Empire de nouveaux siècles de durée. Ils ne l'ont point fait, ils ont méconnu l'existence ou la vitalité de la nation, ils ont refusé de s'appuyer sur elle; et ils ont ainsi rapproché le jour de la chute suprême. Mais la Gaule échappera à la ruine du monde impérial, elle trouvera son salut dans les Francs de sa frontière, et c'est à eux que reviendra la tâche de reprendre et de continuer son unité nationale. Quand les empereurs de Rome n'écouteront plus les voix de la Gaule, un roi des Francs sera près d'elle pour répondre à son appel."[24]
Sources
[1] Joël SCHMIDT, Les Gaulois contre les Romains, Perrin Collection Tempus, Millau 2017, p. 286 -291
[2] Frantz FUNCK-BENTANO, Les Origines, Librairie Hachette, 1925, p. 96; 100; 118
[3] Camille JULLIAN, La Gaule dans l'Empire romain, Editions du Trident, Paris 2013, p. 15-16
[4] Joël SCHMIDT, Les Gaulois contre les Romains, ibid., p. 292
[5] Paul PETIT, Histoire générale de l'Empire romain I. Le Haut-Empire (27 av. J.-C. - 161 ap. J.-C.), Points Histoire, Editions du Seuil, 1974, p. 187188; 197-198
[6] Jean-Louis BRUNAUX, La Gaule, une Redécouverte, Histoire Documentation photographique, La Documentation française, mai - juin 2015, p. 07, 11
[7] Camille JULLIAN, Gallia, Tableau sommaire de la Gaule sous la domination romaine, Librairie Hachette, Paris 1902, p. 55
[8] Jean-Louis BRUNAUX, La Gaule, une Redécouverte, ibid., p. 58
[9] Paul PETIT, Histoire générale de l'Empire romain I. Le Haut-Empire, ibid., p. 260-261
[10] Frantz FUNCK-BENTANO, Les Origines, ibid., p. 131
[11] Régine PERNOUD, Les Gaulois, 1957, Seuil, Collection Le Temps qui court, rééd. Editions du Seuil, Paris 1980, p. 45
[12] Camille JULLIAN, Gallia, Tableau sommaire de la Gaule sous la domination romaine, ibid., p. 44
[13] Joël SCHMIDT, Les Gaulois contre les Romains, ibid., p. 344
[14] Camille JULLIAN, La Gaule dans l'Empire romain, ibid., p. 33
[14] Paul PETIT, Histoire générale de l'Empire romain I. Le Haut-Empire (27 av. J.-C. - 161 ap. J.-C.), ibid., p. 93
[15] GIBBON, Histoire du Déclin et de la Chute de l'Empire romain, Rome de 96 à 582, Robert Laffont, Malesherbes 1984, p. 191
[16] Odile WATTEL, Petit Atlas historique de l'Antiquité romaine, Armand Collin, Paris 1998, p. 142
[17] Camille JULLIAN, La Gaule dans l'Empire romain, ibid., p. 81
[18] Marcel LE GLAY, Rome, tome II. Grandeur et chute de l'Empire, Tempus, La Flèche 2005, p. 405-406
[19] Camille JULLIAN, Gallia, Tableau sommaire de la Gaule sous la domination romaine, ibid., p. 49-50
[20] Frantz FUNCK-BRENTANO, Les Origines, ibid., p. 121
[21] Joël SCHMIDT, Les Gaulois contre les Romains, ibid., p. 390-392
[22] Joël SCHMIDT, Sainte Geneviève, La Fin de la Gaule romaine, Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 1997
[23] Joël SCHMIDT, Les Gaulois contre les Romains, ibid., p. 285
[24] Camille JULLIAN, La Gaule dans l'Empire romain, ibid., p. 326