En philosophie, nous employons le mot moderne pour toutes les philosophies qui veulent EFFACER L'HOMME et le monde "anciens" pour en créer de "nouveaux."
Moderne est un mot fourre-tout qui se veut une valorisation de la raison et de l'homme contre la religion chrétienne, donc in fine contre Dieu. Les philosophes modernes font "table rase" de Dieu et du christianisme.
La philosophie moderne se dit nouvelle, cependant est rétrograde ... parce que les philosophes prônent en réalité un retour à un état antérieur, prébiblique et préchrétien. C'est l'"état de nature", qui est une pure fiction et à l'origine de l'échec moderne.
Le Christ a révélé la Vérité et la tradition chrétienne a traduit l'Intelligence du christianisme en Philosophie rationnelle et réaliste.
... Le rationalisme scolastique a offert la Raison à l'Humanité parce qu'il était fondé sur le dualisme métaphysique propre à la tradition chrétienne. ...distinction entre l'Être Créateur et l'Être créé. Dans cette métaphysique, Dieu est source de la Raison ... révélée par le Fils.
Le "rationalisme" cartésien est le résultat du Cogito, le "sujet pensant". Il ne part plus de la Révélation, mais de l'Homme. C'est UNE INVERSION qui est la conséquence de la substitution de l'Homme à Dieu par la "Renaissance". ... Sa méthode n'est pas rationnelle car elle n'est pas objective, mais subjective. Son critère est l'évidence, qui n'est pas un critère objectif.
Les philosophes du XVIIe siècle que l'ont dit "modernes" n'ont rien inventé, donc leurs successeurs du XVIIIe siècle non plus. Les uns et les autres font simplement revenir des doctrines gnostiques qui avaient été condamnées par l'Église dès le IIe siècle (Cf. S. Irénée, "Contre les hérésies"), avaient transitées par l'islam (et quelques monastères...), s'étaient muées en Kabbale au XIIe ... avant que Descartes ne les maquille de fausse raison.
Descartes n'a rien apporté de neuf, il a simplement rendu crédibles aux ignorants en scolastique des doctrines anciennes, et irrationnelles, celles-là même que... Jacob Boehme avait réactualisées avant lui. Car c'est Boehme et non Descartes le véritable fondateur de la première philosophie moderne, l'idéalisme (en philosophie, pose le primat de la pensée sur son objet, c'est-à-dire le primat de la pensée sur le Réel. Philosophie des "Lumières", puis dansHegel... Ndlr). Ce que tous les étudiants en philosophie ne peuvent que savoir...
Son idéalisme est spiritualiste comme celui de Boehme. Son Dieu ... est ... l'Esprit cosmique des Initiés. Sa métaphysique est donc moniste et non pas dualiste.
Spinoza, Newton et Leibniz ... disciples de Descartes, se sont inscrits dans la suite de Boehme.
Au XVIIIe siècle, ... quand les faux mystiques seront unis aux faux rationalistes, les ténèbres seront complètes. Alors la parenthèse tragique des Temps modernes obscurantistes pourra s'ouvrir.
L’Église apparaît souvent aujourd'hui comme une vieille dame ridée ou un mercenaire blessé. Pourtant les apparences sont trompeuses car le Corps du Christ ne peut subir les outrages du temps ni celui des hommes. Par le péché et l’imperfection de ses membres, elle est souffrante mais pas diminuée. Encore faut-il, pour le saisir, ne pas la regarder d’abord comme une institution humaine soumise aux fluctuations politiques et aux changements sociaux. Même plongée dans l’Histoire, elle la dépasse. (Cf. Aleteia)
Sans projet, sans culture, sans art, sans lettres, sans mémoire, sans histoire, sans raison, le vide nihiliste et le néant: voici l'hérésie moderne, la "civilisation" moderne et ses États destructeurs.
On trouve la description de cette incroyable hérésie dans l'ouvrage de l'écrivain britannique Hilaire Belloc (1870-1953), "Les Grandes hérésies" (1938), ouvrage qui nous a inspiré pour la rédaction de cet article.
Rappelons-nous tout d'abord l’émouvante rencontre entre le prophète Élie et la pauvre veuve de Sarepta (1R, 17, 10-16). En temps de famine, cette femme ne possède plus qu’une poignée de farine pour se nourrir avec son fils, c’est-à-dire ce qui tient dans le creux de la main, ce qui peut être gratté au fond du pot, et un peu d’huile, ainsi que deux morceaux de bois. Chaque détail est revêtu de charge allégorique. Cette veuve est l’Église, qui, certes Corps du Christ, a dû laisser repartir le Sauveur vers le Père ; le Seigneur lui a laissé un présent insigne : les sacrements, c’est-à-dire ce qui a pu être conservé du Maître, attrapé au vol, soigneusement récolté comme le peu de farine et d’huile. C’est ce que nous pouvons "toucher" de Notre Seigneur, selon la belle formule de saint Jean : "Ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché, concernant la parole de vie" (1 Jn 1, 1). Cette farine et cette huile permettent de cuire le "pain dans la détresse", dont parle Isaïe (30, 20), ce pain qui devient Corps du Christ sur l’autel, tandis que l’huile sainte, le Christ Lui-même, consacre les prêtres et les baptisés. Quant aux deux morceaux de bois (1 R 17,12), ils furent lus comme la Croix par les Pères. L’Église, même dans son veuvage, est ainsi armée par l’Époux.
La crise actuelle n’a pas surgi du néant. Hilaire Belloc a décortiqué les hérésies qui ont traversé l’Église, et les schismes qui l’ont affectée.
Son analyse est extraordinairement pertinente, surtout au regard de la date de la rédaction de son ouvrage the Great Heresies (''Les Grandes Hérésies'') en 1938, alors que l’Église, en constante expansion, semble être si rayonnante et si solide. Or la veuve est plus que jamais exposée à la disette. Elle ne mourra point, pas plus que son fils guéri par le prophète Élie, car le Maître veille, plus efficace et puissant que tous les prophètes de la Révélation.
Étant assurés de cette fidélité et de cette protection, nous pouvons résonner avec Belloc qui note ceci :
"L’attaque moderne contre la Foi — la dernière et la plus redoutable de toutes — a fait de tels progrès que nous pouvons d’ores et déjà soulever un point crucial : elle aura des répercussions aussi colossales que définitives sur le monde tel que nous le connaissons.
"En effet, soit l’Église catholique (en passe de devenir le dernier lieu où les traditions de notre culture sont encore comprises et défendues) sera réduite à l’impuissance politique, à l’insignifiance numérique et au silence public ; soit elle arrivera, comme à maintes reprises par le passé, à trouver les ressources nécessaires pour réagir et venir à bout de ses adversaires."
L'auteur décrit ainsi l'hérésie moderne :
"Nous lirons dans les pages suivantes quelques précisions sur ce que qu'ai décider de nommer 'l'hérésie moderne' - car il faut bien nommer une chose avant de prétendre l'étudier ; cependant, cette vague qui risque de nous submerger est si trouble, et diffuse que chacun peut l'appeler comme il l'entend : il n'existe pas encore de terme commun pour la désigner.
"Peut-être s'accordera-t-on à son sujet dans un temps plus ou moins proche; mais sans doute pas avant que l'affrontement entre cet esprit moderne anti-chrétien et la tradition permanente de la Foi ne débouche sur la grande tribulation annoncée et l'intensification des persécutions. Alors peut-être, et alors seulement, reconnaîtra-t-on l'œuvre de l'Antéchrist." (Hilaire BELLOC, Les Grandes hérésies, L'Église dans la tourmente, Artège, Paris 2022, p. 55-56.)
Page 247, Hilaire Belloc le répète : "Donnez-lui le nom qui vous plaira, que vous l'appeliez comme je le fais ici 'l'attaque moderne' ou 'l'avènement de l'Antéchrist' - ... je pense que l'on viendra bientôt à le désigner ainsi."
Si dernièrement l'évêque de Tyler (Texas) démis de ses fonctions, Mgr Strickland a défendu le dépôt de la foi, à première vue, nous nous trouvons plutôt dans la première situation où peu nombreuses au sein de l’Église sont les voix qui s’opposent avec force aux agressions des ennemis pendant que les voix des débauchés hérétiques, ou amenant à l'hérésie, sont, elles, promues.
Le découragement face à cette inertie ou à cette lâcheté saisit du coup bien des fidèles soucieux de conserver le trésor et de le faire fructifier.
L’époque religieuse est plus à la léthargie qu’à la croisade, fût-elle uniquement spirituelle.
Sommes-nous donc condamnés à devenir un petit reste à la marge et méprisé ? Comme la veuve, nous devons au contraire mobiliser les forces qui subsistent, et nous rallier autour de cette farine et de cette huile, de ce bois, symboles d’unité et de victoire.
Les hérésies et les schismes des siècles passés et de l’époque contemporaine ont créé des strates au travers desquels la Vérité a du mal à se faufiler.
La foi faiblit lorsque la science théologique et l’apologétique disparaissent ou bien sont méconnues par ceux qui devraient les utiliser, les faire fructifier.
La foi disparaît essentiellement par des petites permissions, "indult" offrant la la possibilité de communier debout et dans la main (brèche par laquelle l'exception est devenue la règle), la permission de communier selon les cas pour les divorcés et remariés vivant comme des époux, d'être témoins de mariage, parrains ou marraines (alors qu'il faut remplir certaines conditions indispensables pour cela : être catholique pratiquant et être en situation régulière) et pour les personnes s'identifiant comme transgenres d'être baptisées "même s'il existe des doutes sur la situation morale objective d'une personne" (sic).
S’engouffrent par ces brèches tous les ennemis du nom chrétien, selon la formule si parlante, c’est-à-dire tous les héritiers des hérésies passées et aussi de nouveaux adversaires armés jusqu’aux dents et fiers de leur succès, beaucoup plus dangereux que ne le furent Dioclétien ou les Vikings !
Ces conquérants trouvent le terrain libre devant leurs pas et il est logique qu’ils poussent toujours plus loin leurs incursions.
Le basculement religieux est essentiellement dû au mutisme et à la passivité des catholiques qui assistent sans ouvrir la bouche à la destruction de leur tradition. Le troupeau ne peut pas se défendre si le berger l’expose au loup.
“Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien.” (Edmund Burke / Attribution)
L'hérésie moderne n'est qu'une mauvaise redite de pratiques antiques matérialistes. Méprisant la raison, négligeant le sens moral, elle protège le fort, écrase le faible; elle ampute l'homme de sa part spirituelle.
"L'attaque moderne, dans sa charge antichrétienne, a abandonné la raison. Son but est de détruire l'Eglise catholique et la civilisation qui en procède. Ses contradictions internes ne la perturbent pas, pourvu que ses éléments portent leurs coups et convergent tous vers la même fin. Il s'agit d'un assaut matérialiste dans la mesure où toute sa philosophie se cantonne aux seules causes matérielles.
"... (Ce matérialisme) professe un athéisme singulier, remarquable dans sa propension à répudier la raison humaine.
"... L'attaque moderne - qui est plus qu'une hérésie - professe une royale indifférence envers ses propres incohérences. Elle ne fait qu'asséner des affirmations, avançant à cet égard tel un animal, une bête confiante dans sa seule force brute. Remarquons en passant que cet aspect pourrait un jour entraîner sa perte : car jusqu'ici, la raison a toujours prévalu sur ses adversaires, et l'homme domine la bête par l'usage qu'il fait de sa raison." (Hilaire BELLOC, Les Grandes hérésies, L'Église dans la tourmente, Artège, Paris 2022, p. 244-246.)
Alain PASCAL résume le problème ainsi : "la philosophie est 'le monde à l'envers' (Hegel l'a dit), ce pourquoi son vocabulaire est UNE INVERSION du vocabulaire traditionnel, particulièrement du chrétien. Par exemple : le rationalisme et le réalisme modernes sont le contraire du rationalisme et du réalisme de la scolastique chrétienne (Cf. Sources Occultes de la Philosophie moderne, et Le Siècle des Rose-Croix, in Le Siècle des Ténèbres, Vers la Révolution maçonnique en France, La Conspiration des philosophes, 3e tome, éd. Cimes, Paris 2019, p. 10.)
Lire : Pourquoi sombrons-nous dans la folie et la barbarie ?
"Quoi qu'il en soit, ainsi se présente l'attaque moderne : essentiellement matérialiste et athée: et étant athée, elle est nécessairement indifférente au vrai. Car Dieu est la Vérité.
"Il existe néanmoins une indissoluble trinité de la Vérité, de la Beauté et de la Bonté (comme les plus anciens des anciens Grecs le découvrirent). Si bien qu'on ne peut s'en prendre à l'un des pôles sans attenter simultanément à tous les autres. C'est pourquoi chaque nouveau progrès de cet adversaire acharné de la Foi et de la civilisation qui en est issue se traduira par une flambée correspondante, non seulement de mépris, mais de haine pour la beauté, et d'un mépris et d'une haine analogues pour toute vertu." (Hilaire BELLOC, Les Grandes hérésies, ibid., p. 246.)
Quelques manifestations de l'hérésie moderne dans nos sociétés
Dans "l’homme cet inconnu" (édition américaine présentée à New York avant la Guerre), Alexis Carrel écrit lui aussi :
"En somme, la société moderne, cette société engendrée par la science et la technologie, commet la même faute que toutes les civilisations de l’Antiquité. Elle crée des conditions de vie où la vie de l’individu et celle de la race deviennent impossibles. Elle justifie la boutade du doyen Inge : Civilization is a disease which is almost invariably fatal [La civilisation est une maladie presque toujours mortelle]. Bien que la signification réelle des événements qui se passent en Europe et aux États-Unis échappe encore au public, elle devient de plus en plus claire à la minorité qui a le temps et le goût de penser. Toute la civilisation occidentale est en danger. Et ce danger menace à la fois la race, les nations, et les individus. Chacun de nous sera atteint par les bouleversements causés par une guerre européenne [au XXe siècle. Ndlr.]. Chacun souffre déjà du désordre de la vie et des institutions, de l’affaiblissement général du sens moral, de l’insécurité économique, des charges imposées par les défectifs et les criminels.
"La crise vient de la structure même de la civilisation. Elle est une crise de l’homme. [Une crise de l'homme de la Bible - image de Dieu - et non l'homme fantasmé libre et égal de l'"Etat de nature", cette fiction des "Lumières". Ndlr.]
"L’homme ne peut pas s’adapter au monde sorti de son cerveau et de ses mains. Il n’a pas d’autre alternative que de refaire ce monde d’après les lois de la vie. Il doit adapter son milieu à la nature de ses activités organiques aussi bien que mentales, et rénover ses habitudes individuelles et sociales.
"Sinon, la société moderne rejoindra bientôt dans le néant la Grèce et l’Empire de Rome.
"Et la base de cette rénovation, nous ne pouvons la trouver que dans la connaissance de notre corps et de notre âme.
"Aucune civilisation durable ne sera jamais fondée sur des idéologies philosophiques et sociales.
"L’idéologie démocratique elle-même, à moins de se reconstruire sur une base scientifique, n’a pas plus de chance de survivre que l’idéologie marxiste. Car, ni l’un ni l’autre de ces systèmes n’embrasse l’homme dans sa réalité totale."
Alexis Carrel plaint justement ''le sacrifice par la civilisation moderne de l’esprit à la matière'', ce qui est 'une erreur'', écrit fort lucidement Nicolas Bonnal sur "Nouveau Monde".
''Une erreur d’autant plus dangereuse qu’elle ne provoque aucun sentiment de révolte, qu’elle est acceptée aussi facilement par tous que la vie malsaine des grandes villes, et l’emprisonnement dans les usines.
Cependant, les hommes qui éprouvent un plaisir esthétique même rudimentaire dans leur travail sont plus heureux que ceux qui produisent uniquement afin de pouvoir consommer.
Il est certain que l’industrie, dans sa forme actuelle, a enlevé à l’ouvrier toute originalité et toute joie.''
Le grand savant met les points sur les I :
"La stupidité et la tristesse de la civilisation présente sont dues, au moins en partie, à la suppression des formes élémentaires de la jouissance esthétique dans la vie quotidienne."
Ensuite le docteur Carrel aggrave son cas. Il célèbre la beauté artisanale...
Appréciez au passage ses grandes qualités littéraires qui nous changent des stylistes de science et vie ; et des alphabètes actuels sélectionnés au QCM :
"La beauté est une source inépuisable de joie pour celui qui sait la découvrir. Car elle se rencontre partout. Elle sort des mains qui modèlent, ou qui peignent la faïence grossière, qui coupent le bois et en font un meuble, qui tissent la soie, qui taillent le marbre, qui tranchent et réparent la chair humaine. Elle est dans l’art sanglant des grands chirurgiens comme dans celui des peintres, des musiciens, et des poètes. Elle est aussi dans les calculs de Galilée, dans les visions de Dante, dans les expériences de Pasteur, dans le lever du soleil sur l’océan, dans les tourmentes de l’hiver sur les hautes montagnes. Elle devient plus poignante encore dans l’immensité du monde sidéral et de celui des atomes, dans l’inexprimable harmonie du cerveau humain, dans l’âme de l’homme qui obscurément se sacrifie pour le salut des autres. Et dans chacune de ses formes, elle demeure l’hôte inconnu de la substance cérébrale, créatrice du visage de l’Univers…"
Au XIIIe siècle Saint Bonaventure voit et découvre Dieu grâce à ses créatures, par co-intuition. À partir du monde sensible, le saint trouve en Dieu la raison de son être, puisque Dieu est le fondement de tout être et de la connaissance elle-même.
"Toutes choses ensemble constituent une échelle qui monte jusqu'à Dieu. [...] La contemplation de toutes les créatures nous conduit au Dieu éternel." (Itinéraire)
Alexis Carrel écrit :
"Le sens de la beauté ne se développe pas de façon spontanée. Il n’existe dans notre conscience qu’à l’état potentiel. À certaines époques, dans certaines circonstances, il reste virtuel. Il peut même disparaître chez les peuples qui autrefois le possédaient à un haut degré. C’est ainsi que la France détruit ses beautés naturelles et méprise les souvenirs de son passé." L’atrophie esthétique donc morale peut survenir.
L’atrophie morale et intellectuelle nous rend inaptes à recréer de la beauté et nous accoutume à une laideur épouvantable (souvenez-vous du Muriel de Resnais où la ville bombardée renaît de ses cendres, mais en béton et grands ensembles) :
"Les descendants des hommes qui ont conçu et exécuté le monastère du Mont Saint-Michel ne comprennent plus sa splendeur. Ils acceptent avec joie l’indescriptible laideur des maisons modernes de la Bretagne et de la Normandie, et surtout des environs de Paris. De même que le Mont Saint-Michel, Paris lui-même et la plupart des villes et villages de France ont été déshonorés par un hideux commercialisme."
Il nous semble également que la laideur de nos environnements urbains pourrait être volontaire, ou à tout le moins inconsciente, le reflet d'âmes sans esthétique et sans morale qui façonnent nos sociétés et paysages, quoi qu'il en coûte.
"La culture ? Tout le monde consomme la série US ou le Da Vinci code ; un copain kiosquier me disait jadis qu’il vendait jusqu’à 300 revues de bagnole…"
Alexis Carrel :
"Le goût de la lecture est plus grand. On achète beaucoup plus de revues et de livres qu’autrefois. Le nombre de gens qui s’intéressent à la science, à la littérature, à l’art, a augmenté. Mais ce sont les formes les plus basses de la littérature et les contrefaçons de la science et de l’art qui, en général, attirent le public. Il ne paraît pas que les excellentes conditions hygiéniques dans lesquelles on élève les enfants, et les soins dont ils sont l’objet dans les écoles, aient réussi à élever leur niveau intellectuel et moral. On peut même se demander s’il n’y a pas souvent une sorte d’antagonisme entre leur développement physique et leur développement mental. Après tout, nous ne savons pas si l’augmentation de la stature dans une race donnée n’est pas une dégénérescence, au lieu d’un progrès, ainsi que nous le croyons aujourd’hui. »
L’individu d’aujourd’hui ? Avant l’obésité (42 % d’enfants obèses où je vis), avant l’abrutissement techno et média, avant l’effondrement du QI, Carrel écrit :
"Dans la civilisation moderne, l’individu se caractérise surtout par une activité assez grande et tournée entièrement vers le côté pratique de la vie, par beaucoup d’ignorance, par une certaine ruse, et par un état de faiblesse mentale qui lui fait subir de façon profonde l’influence de milieu où il lui arrive de se trouver. Il semble qu’en l’absence d’armature morale l’intelligence elle-même s’affaisse. C’est peut-être pour cette raison que cette faculté, jadis si caractéristique de la France, a baissé de façon aussi manifeste dans ce pays. Aux États-Unis, le niveau intellectuel reste inférieur, malgré la multiplication des écoles et des universités."
... Notre penseur écrit sur l’apocalypse touristique dont la mission est essentiellement profanatrice, ensuite consumériste (il faut traîner, faire du hanging around) :
"L’attitude des touristes qui profanent les cathédrales d’Europe montre à quel point la vie moderne a oblitéré le sens religieux. L’activité mystique a été bannie de la plupart des religions. Sa signification même a été oubliée. À cet oubli est liée probablement la décadence des églises."
Pour observer d'autres manifestations de l'hérésie moderne dans nos sociétés, vous pouvez lire aussi : "La société de l'injonction au bonheur ou du bonheur obligatoire : penser l'impasse des "droits de l'homme".
Contre le vide nihiliste de la "civilisation moderne"- règne de la folie et de la barbarie - : quelques solutions
(1) Aux défauts de l'hérésie moderne, Jean-Paul II comme Benoît XVI ont opposé le développement humain intégral.
"La tentation est aujourd’hui de réduire le christianisme à une simple sagesse humaine, une pseudo-science du bien-être. Dans notre monde fortement sécularisé, une 'sécularisation progressive du salut' s'est produite, de sorte que les gens luttent pour le bien de l'homme, mais un homme tronqué, réduit à sa simple dimension horizontale. Nous savons cependant que Jésus est venu apporter un salut intégral, qui embrasse toute la personne et toute l’humanité, et ouvre la merveilleuse perspective de la filiation divine.
"C'est pourquoi ... [i]ls devraient toujours garder à l'esprit qu' 'ils ne doivent pas leur statut distingué à leurs propres mérites mais à la grâce spéciale du Christ ; et s'ils ne répondent pas à cette grâce en pensée, en parole et en action, non seulement ils ne seront pas sauvés, mais ils seront jugé plus sévèrement.'" — Pape Saint Jean-Paul II
(2) L’arme des sacrements et de la Résurrection
Comme la veuve de l’Évangile soumise à la famine, les catholiques possèdent l’arme des sacrements et de la Résurrection. Face aux attaques modernes contre la foi, l’heure n’est ni au découragement ni à la passivité.
Il faut réagir contre cette conception aberrante de l’évolution de l’Église, y compris lorsque certains membres de la hiérarchie préparent plutôt le dépôt de bilan que l’émergence d’une vitalité renouvelée.
L’Église n’a pas besoin de gestionnaires de la famine mais d’hommes qui nourrissent les affamés spirituels, comme Élie rassurant et soutenant la veuve et son fils.
Si l’Église n’était qu’emportée par le flot de l’Histoire, comme le sont les civilisations, les régimes politiques, alors il y aurait vraiment de quoi se démobiliser et demeurer les bras ballants en attendant la fin des temps.
Hilaire Belloc nous encourage :
"Il y aura toujours une résistance, une forme de réaction catholique se distinguant par une certaine vitalité, une certaine manière de jaillir avec une force inattendue par l’intermédiaire de nouveaux hommes et de nouvelles organisations.
"[L’Église] paraît douée d’une vie organique plutôt inhabituelle : elle a un mode d’être unique, des capacités de rebond insoupçonnées, et une affinité certaine avec la résurrection." Voilà le secret : l’affinité avec la Résurrection.
Face à la mort, face au vide nihiliste, opposer la vie et la Résurrection en Jésus-Christ
Ce sursaut est derrière nous, mais d’autres forces se lèvent, notamment parmi la jeunesse éprise de beauté et de vérité, d’où des conversions fulgurantes.
Belloc vécut à une époque de renouveau catholique parmi les grands esprits qui se convertissaient en masse, saisis par la beauté de la liturgie et la richesse de la Tradition. Ce sursaut est derrière nous, mais d’autres forces se lèvent, notamment parmi la jeunesse éprise de beauté et de vérité, d’où des conversions fulgurantes.
Notre auteur écrit : "Le futur n’est pas décidé par un vote à bulletin secret ; il est déterminé par l’évolution des idées. Lorsque les quelques hommes doués des meilleures aptitudes pour penser, sentir et s’exprimer commencent à s’intéresser à telle ou telle chose, il y a fort à parier qu’elle prévaudra à l’avenir."
Il est possible que le clergé ne soit pas toujours attentif à cette évolution des idées, décourageant ainsi ceux qui, enflammés et zélés, trouvent leur attache notamment dans la solidité de la doctrine et la splendeur liturgique. Cela importe peu. Aucun obstacle ne peut et ne doit arrêter ce qui remue la paresse et l’incrédulité du monde, la timidité ou l’hostilité de certains clercs.
Hilaire Belloc a raison d’affirmer avec force et conviction, pour contrer les esprits chagrins : "Même si la force sociale du catholicisme semble décliner partout dans le monde, en nombre mais aussi dans la plupart des autres facteurs, les lignes de fractures entre le catholicisme et cette toute nouvelle dévotion païenne (destruction de toute tradition et rupture avec notre héritage) sont clairement marquées."
Se retrouvent face à face, pour l’éternel combat tant que ce monde durera, les deux armées dont parle saint Ignace de Loyola dans les Exercices spirituels, celle du Sauveur et celle du Tentateur, non point deux forces égales puisque le mal n’est que privation du bien, mais affrontement entre ce qui crée et ce qui n’est pas capable de créer.
(3) La défense du dépôt de la foi et de la tradition
L'erreur est d'envisager la modernité comme fille légitime du christianisme, alors qu’elle en est une fille illégitime.
Dans "Le recours à la Tradition. La modernité, des idées chrétiennes devenues folles" (L'Harmattan), Le sociologue catholique Michel Michel, maître de conférences à l’Université des Sciences Sociales de Grenoble, a réuni un ensemble de réflexions formant une critique "théologico-politique" de la modernité : si celle-ci est bien issue du christianisme, c’est sous la forme d’une hérésie, à laquelle l’Église catholique doit répondre en reconnaissant son fond traditionnel commun aux autres religions.
Comme l’indique expressément le sous-titre du livre de Michel Michel, le diagnostic que l’auteur propose de la société moderne constitue une exégèse d’une célèbre citation de G. K. Chesterton en 1908 : "Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles."
Michel étend le point de vue adopté par Chesterton dans ses Hérétiques pour résoudre ce sérieux problème de généalogie, dont l’irrésolution en a entraîné plus d’un dans les errances du modernisme ou dans celles du néo-paganisme : comment se peut-il que la modernité présente, sous les rapports de la pensée et de l’action, une franche opposition à l’Église catholique, tout en utilisant les idées du christianisme de manière sécularisée ? La notion qui, en fait, permet de rendre compte de ce double caractère de trahison et d’héritage du christianisme dans la modernité est celle d’hérésie.
Si "l’Église est si faible devant les idéologies modernes", c’est parce qu’"elle se reconnaît dans l’attente d’un Monde Nouveau". L’eschatologie chrétienne se reconnaît en partie dans la croyance moderne au Progrès historique.
Au point de vue traditionnel, la rédemption du monde doit se réaliser au-delà de l’Histoire, puisque l’Histoire n’est que le récit de l’éloignement de l’Homme à l’égard de son Principe. Nier le caractère négatif du devenir historique reviendrait à nier la Chute dont il est l’effet exclusif. En effet, comme l’explique philosophiquement Michel à partir des analyses littéraires de Vladimir Propp sur les contes, "il n’y a pas d’histoire possible sans accident, sans rupture de la norme. Toute histoire est d’abord l’histoire d’un malheur. […] La chute est la condition même de l’histoire. […] Le cardinal Daniélou le remarquait : à partir du chapitre 3 de la Genèse, l’histoire, c’est l’histoire du progrès du mal dans ce monde, et ce fut semble-t-il la conception dominante des chrétiens jusqu’à la fin du Moyen Âge."
À l’inverse, l’idéologie moderne du Progrès consiste à penser que l’histoire est une chance, qu’elle suit une tendance immanente d’amélioration progressive des conditions de la vie matérielle, morale et spirituelle de l’Homme. De cette théorie résultent les idées contradictoires d’une fin de l’histoire dans l’histoire, d’un affranchissement de la misère humaine par les conditions mêmes de la vie matérielle. Là-dedans, le moderniste chrétien hésite, car il hérite de la version du millénarisme proposée par Joachim de Flore (1135-1202), "ce moine calabrais qui imagina trois âges dans l’histoire du monde : l’âge du Père, l’âge du Fils et l’âge de l’Esprit Saint. Il est le modèle de toutes ces hérésies post-chrétiennes que sont les philosophies progressistes de l’histoire à trois temps, qui dominent l’imaginaire occidental depuis la grand rupture de la fin du Moyen Âge."
Dans ces conditions, la composition de l’Église avec le monde moderne n’est pas une nouvelle forme de relation avec des "païens" d’un genre nouveau, mais une composition de l’Église "avec sa propre hérésie". Cela est bien différent, car l’hérésie moderne sépare le christianisme des autres religions en fondant sa supériorité et son originalité sur ce qui ferait du christianisme la "religion de la sortie de la religion", en raison de son caractère supposément laïque et révolutionnaire. Or en adhérant à la mentalité moderne, des représentants de l’Église catholique ont, malgré leurs récentes prétentions favorables aux dialogue interreligieux, engendré une perte générale du sens du sacré. Ce sens du sacré, c’est-à-dire la (re)connaissance des hiérarchies naturelles, de l’ordre surnaturel et de la fidélité rituelle à celui-ci, constitue pourtant le ciment commun des religions, la condition sine qua non d’un fructueux dialogue entre elles. Au contraire, l’abandon de la connaissance sacrée est la cause d’une désaffection du sacerdoce et d’une incompréhension massive des symboles et des sacrements chrétiens, à tel point que, par exemple, "deux tiers des catholiques américains ne croient plus en la présence réelle [du Christ dans les espèces du pain et du vin eucharistiques] : c’est ce qui ressort d’une étude publiée par le Pew Research Center, le 5 août 2019."
C’est pourquoi, quels que soient les reproches que l’Église peut adresser aux autres religions traditionnelles, il faut bien constater qu’elles reconnaissent, comme elle, "la supériorité et l’autorité de principes transcendants, toutes se soumettent – ou du moins l’affirment – à une “loi non écrite” d’origine supra-humaine, toutes savent que l’homme n’est ni sa propre origine, ni sa propre fin."
Michel s’indigne que les initiatives œcuméniques ne concentrent pas, dès lors, toute leur attention sur cette unité transcendantale des religions. Il déplore qu’"en pratique, l’œcuménisme consiste […] à rapprocher l’aile moderniste du catholicisme avec l’aile progressiste du protestantisme" et à mêler, dans un dialogue relativiste par défaut de critère métaphysique défini, les croyances religieuses et irréligieuses dans un but très insuffisant et vague d’amitié sociale. Au lieu de cela, un œcuménisme bien compris, c’est-à-dire un œcuménisme traditionnel procédant "par le haut" et non un œcuménisme moderniste procédant "par le bas", devrait plutôt "retrouver les traditions communes des Églises apostoliques" et, à plus forte raison, "montrer les admirables correspondances du catholicisme avec les croyances et les rites des autres religions, comme le faisaient les théologiens de la Renaissance ou les traditionalistes du début du XIXe siècle, au lieu de s’ingénier comme les mauvais apologistes “modernes” naïvement ethnocentristes à inventer des différences ou des supériorités."
Le recours à la Tradition
Le problème, faute d’une méthode œcuménique adaptée aux conditions d’une véritable anthropologie religieuse, est que "les théologiens catholiques se sont détournés de ces perspectives ; si bien qu’on est obligé de chercher hors de l’Église ces conceptions qui pourtant sont aussi les siennes.
... les interprètes du christianisme affectés par le point de vue moderne (l’auteur cite René Girard) n’ont pas su reconnaître, avec Joseph de Maistre au XIXe siècle et René Guénon au XXe siècle, que "l’universalité d’une croyance ou d’un rite – les sacrifices, par exemple – attestait de la vérité des pratiques de l’Église catholique." Pourtant, la connaissance d’un sens universel et unique sous-jacent au contenu doctrinal et rituel des religions entraîne a minima la confirmation du caractère sacré des Écritures, de la symbolique et de la ritualité chrétiennes, contre les entreprises démystifiantes et matérialistes de la modernité.
Chesterton, comme son grand ami Belloc, a aussi prédit des âges sombres et crucifiants, mais ni l’un ni l’autre ne furent défaitistes, ce qui serait la victoire du Malin.
Belloc termine son ouvrage sur les hérésies par cet avertissement :
Nous voici au rendez-vous, devant la plus cruciale des questions qui furent jamais posées à l’esprit humain. Nous voici à la croisée des chemins : du choix que nous ferons dépend l’avenir de notre race.
Puissions-nous poursuivre le pèlerinage de nos aïeux dans la foi en ne baissant pas la garde, même si notre troupe est réduite.
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Sources :
(1) Hilaire BELLOC, Les Grandes hérésies, L'Église dans la tourmente, Artège, Paris 2022
(2) Aleteia, Les fruits de l'hérésie moderne https://fr.aleteia.org/2022/11/02/les-fruits-de-lheresie-moderne/
(3) Nicolas Bonnal, "Alexis Carrel et notre civilisation destructrice" https://nouveau-monde.ca/alexis-carrel-et-notre-civilisation-destructrice/
(4) La modernité, une hérésie chrétienne https://philitt.fr/2021/09/06/la-modernite-une-heresie-chretienne/