Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien.
En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié.
Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris.
Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous.
Le Vendredi saint est le jour de la célébration liturgique du mystère de la Passion, de la mort sur la Croix et de la mise du Christ au tombeau.
D’après les Évangiles synoptiques, sur la route du Golgotha, les soldats obligent un passant, Simon de Cyrène, à porter la croix de Jésus. Luc ajoute que les femmes disciples suivaient Jésus et pleuraient sur son destin (Sainte Véronique, Sainte Marie-Madeleine, et la Vierge Marie).
Liturgie :
Le vendredi saint est le seul jour de l'année où on ne célèbre pas d'Eucharistie. La communion est distribuée aux fidèles au cours d'une célébration qui dégage une ambiance particulière : l'église est sombre, les autels sont dépouillés de leurs nappes, les statues et images sont voilées. Il n'y a pas de sonnerie de cloche, de jeu d'orgues, et les chants sont absents, ou très peu nombreux. La célébration commence et finit en silence. On lit l'évangile de la Passion. Il n'y a pas de prière eucharistique mais une grande prière universelle.
C'est le jour de la célébration de la Croix : la croix est amenée en procession puis proposée à la vénération des fidèles. Dans certains pays, comme l'Espagne, il y a d'importantes processions dans les rues des villes.
La dernière messe célébrée était celle du soir du Jeudi saint, correspondant à son institution au Cénacle, et la prochaine sera celle de la Vigile pascale, le soir du Samedi saint. (2)
Historicité
Selon le Digeste, code de droit romain, "le crime commis contre le peuple romain ou contre sa sécurité est un crime de lèse-majesté (maiestatis crimen)". Jésus, provincial juif condamné pour sédition, tombe ainsi sous le coup de la Lex Iulia maiestatis (it) qui établit pour ce crime de rébellion envers l'autorité impériale, la crucifixion. [Pierre Maraval, Simon Claude Mimouni, Le christianisme des origines à Constantin, Presses Universitaires de France, 2006, p. 87.]
L'historicité de la crucifixion ne fait plus aucun doute pour la majorité des chercheurs, qui y voient des critères d'authenticité (critère d'embarras ecclésiastique, d'attestation multiple, de cohérence) [Jacques Giri, Les nouvelles hypothèses sur les origines du christianisme, éditions Karthala, 2011, p. 182; John Paul Meier, How do we decide what comes from Jesus, in The Historical Jesus in Recent Research, James D. G. Dunn et Scot McKnight, 2006, p. 126–136 ]
L'évangéliste Jean évoque le cloutage des mains au moment de la crucifixion en rapportant la remarque de S. Thomas "si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas !" (Jn 20:25). Les autres évangélistes ne mentionne pas le procédé de la crucifixion chez les Romains. Mais la recherche contemporaine qui s'appuie sur les sources documentaires relatant les crucifiements à l'époque romaine, sur le contexte historique (les crucifiements en masse privilégiaient les cordes mais il n'était pas rare pour des exécutions singulières d'utiliser des clous) et les découvertes archéologiques confirment la pratique de la crucifixion chez les Romains. En 1938, des recherches archéologiques près de Jérusalem, à Giv’at mivtar, ont démontré que les crucifiés contemporains du Christ étaient exécutés sur une croix. (Les Dossiers de l'Archéologie n°10 page 107. Article du professeur N. Haas de l'Université Hébraïque de Jérusalem.) Les crucifiés avaient les bras étendus à l’horizontale.
Les documents latins de l'époque romaine emploient le mot "crux", et évoquent la poutre transversale sur les épaules attachée aux bras sous le terme de patibulum (partie transversale de la croix destinée au crucifiement).
Le poteau vertical était appelé stipes. Il était généralement fixé de manière permanente dans la terre à l’emplacement de l’exécution.
Saint Irénée, évêque de Lyon et Martyr (120-202 ap.J.-C.) dans Contre les hérésies, cote II, 24,4, daté d'entre 175 et 189 ap. J.-C., explique que la croix a cinq extrémités ; sur la cinquième se repose le crucifié : "La structure de la croix présente cinq extrémités, deux en longueur, deux en largeur, une cinquième sur laquelle s’appuie le crucifié." (Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, Sagesses chrétiennes, Cerf, Paris 2007, p. 225.)
Iconographie :
La Crucifixion de Jésus a donné lieu à différentes représentations à travers les âges :
La plus ancienne représentation de la Crucifixion et de Croix chrétienne est le graffiti d'Alexamenos, dessin injurieux réalisé entre le IIe et le IIIe siècle sur un mur de Rome (colline Palatin), au moment des persécutions. Ce dessin injurieux représente le Christ avec une tête d'âne. À cette époque, et en encore jusqu'au Ve siècle, un chrétien ne représentait jamais Jésus en croix, la croix était une réalité trop affreuse, trop diffamante (elle représentait encore un instrument de supplice et les persécutions n'étaient pas terminées). Ce n'est qu'à partir du IVe siècle, à la fin des persécutions, après l'édit de Milan (313) de Constantin Ier, qui donnait la liberté de culte aux chrétiens, que se diffusera l'image du Christ en croix.
Graffito d'Alexamenos. La légende signifie "d'Alexamenos rend un culte à son Dieu". Alexamos est représenté à gauche, levant les bras en signe de prière, de louange, selon l'habitude des premiers chrétiens. L'homme crucifié avec une tête d'âne représente le Christ. L'auteur du graphiti trouve donc complètement ridicule qu'Alexamenos puisse reconnaître comme sauveur un homme crucifié. Michael Gough, dans La Grèce et Rome (éd. Imprimerie des arts et manufactures, 1974, direction Marcel Brion, p. 364), suppose que Alexamenos était sans doute un esclave, que ses compagnons raillaient parce qu'il était chrétien. Daniel-Rops explique qu'Alexamenos fut un "page impérial" caricaturé par ses camarades. Le jeune chrétien d'alors n'avait guère à attendre que l'ironie et l'outrage. (DANIEL-ROPS, Histoire de l'Eglise du Christ, tome II Les Apôtres et les Martyrs, Librairie Arthème Fayard, Paris 1965, p. 175)
S'inspirant de la tradition et des écrits patristique, les peintres médiévaux et de la Renaissance ont représenté le Christ portant la croix latine et entière.
Des recherches archéologiques, dans les localités de Farj et d’Er-Ramthaniyye au Golan par l'"Expédition Byzantine" (1978-1988) ont démontré que les communautés de judéo-chrétiens elles-mêmes (judaïsants non catholiques, communautés qui disparaîtront au IIIe siècle et se mêleront aux hérésies gnostiques) retrouvées "en Gaulanitide (plateau du Golan), de la fin du IIe siècle au début du Ve", possédaient des linteaux de portes et de fenêtres ainsi que des pierres équarries gravés de "signes" judéo-chrétiens dans ces antiques bourgades juives, dont des "croix".
"Le répertoire iconographique comprend un « signe » purement juif : la menorah ; deux signes uniquement chrétiens : la croix et l’ancre ; des signes appartenant aux deux religions : la palme (lulab), le poisson, le navire, la grappe de raisin et la coupe ; enfin, des signes particuliers au judéo-christianisme analysés dans l’ouvrage fondamental du Père E. Testa, ofm, Il Simbolismo dei Giudeo-cristiani (1962), le waw – sixième lettre de l’alphabet hébraïque censée représenter le Christ -, la croix des vents, la croix-mat de navire, la hache et la charrue. Aucune inégalité dans la profondeur de la gravure ne permet de supposer le remplacement d’un « signe » d’une religion par celui d’une autre. Tous les « signes » gravés sur une même pierre sont contemporains entre eux. Quelques-uns de ces « signes » fournissent des repères chronologiques. Les menorot évasées sur un trépied triangulaire parfois flanquées d’un lulab sont caractéristiques de la fin du IIe siècle au milieu du IVe siècle ap. J.-C. Elles furent remplacées entre la seconde moitié du IVe siècle et la première moitié du Ve siècle par des menorot aux branches arrondies soutenant un plateau figuré par une ligne droite. D’autres menorot reposent sur des trépieds arrondis dénués de pattes.
"L’ancre cruciforme fut employée à Rome comme symbole de l’espoir mis dans le Christ dès le milieu du IIe siècle ap. J.-C. Elle en disparut au début du IVe siècle. Un faisceau d’indices situe donc les fragments gravés de « signes » judéo-chrétiens à Farj entre la fin du IIe siècle et le début du Ve siècle. Recensant 80 hérésies en 376 dans son Panarion, Épiphane, natif d’Eleutheropolis en Palestine Seconde et évêque de Salamine de Chypre, localisait des Nazaréens et des Ébionites en Décapole autour de Pella et en Basanitide dans la région de Kokba au sud-ouest de Damas (Adv. Haeres. I.2 – Haeres. XXIX, 7-8 ; PG 41, cols 401-404 ; XXX, 2, PG 41, col. 408). Or, Farj se trouve précisément sur le bord occidental du Bashan, en Gaulanitide, où les « migrants de Pella » avaient essaimé, se trouvant alors en contact avec des dissidents du judaïsme canonique de Jérusalem – esséniens, baptistes, hellénistes – qui avaient fait de la Pérée outre-Jourdain leur terre d’élection. Moins d’un demi-siècle après Épiphane, St Jérôme mentionnait les Nazaréens et les Ébionites dans sa Lettre 112 adressée en 404 à St Augustin, comme étant ses contemporains. Décrivant les pratiques des Ébionites « esséniens », Épiphane avait précisé : « Ils appellent synagogue, et non pas église, leur lieu de réunion » (Adv. Haeres. I. 2 – Haeres. XXX, 18 : 2 : PG 41, col. 436). La concentration de « signes » gravés judéo-chrétiens en Q.III, 21-22 à Farj, la position encore d’origine du linteau de porte de la face extérieure du mur nord de Q.III, 21, un linteau monumental gravé de croix et de lulabim remployé dans le plafond de la salle 21, ainsi que la stratigraphie architecturale de ces deux salles permettent de suggérer que le bâtiment comprenant les salles 21 et 22 renferme des vestiges de synagogue judéo-chrétienne.
"À 7,5 km à vol d’oiseau au nord/nord-ouest de Farj, le mamelon volcanique sur lequel s’élève le village circassien d’Er-Ramthaniyye, désert depuis la Guerre des Six Jours (1967) et désormais dans une zone de manœuvres de l’armée israélienne, domine les gras pâturages du Golan oriental
"Se serrant au sommet, sur les pentes et au pied du monticule, les maisons établies sur les ruines d’une localité antique, en incorporent les vestiges. L’examen minutieux de tous les bâtiments nous a permis de déceler majoritairement dans la zone sud-ouest de la localité (là où était également situé le village juif aux Ier-IIe siècles), juxtaposés sur un linteau de porte de basalte des symboles juifs (menorah, lulab) et chrétiens (poissons, croix), et sur des pierres équarries trois variations de la « croix des vents » ou « croix cosmique » , ainsi qu’une croix-taw hébraïque – chi grec dite crux decussata surmontant une croix à sérifs ou deux cornes évasées et concaves, qui est aussi peut-être une croix ancrée. Une menorah à sept branches stylisée à l’extrême et amalgamée à une coupe, ainsi qu’une croix chrétienne, étaient superposés sur un linteau. Enfin, sur deux linteaux étaient associées la croix avec deux palmes la flanquant de part et d’autre, ces dernières évoquant une combinaison conceptuelle de la menorah, du lulab et de l’Arbre de Vie." [Où se trouvaient les judéo-chrétiens ?, Le Monde de la Bible, Claudine DAUPHIN, Chercheur du CNRS à l’UMR 8167, « Orient et Méditerranée – Monde byzantin », Paris].
Plus récemment, des croix gravées plus tardives, "en contexte daté de 470" ont été trouvées en 2014 au cœur du désert saoudien, en Arabie Saoudite : "[D]es inscriptions du Ve siècle ornées de nombreuses croix ont été découvertes et attestent une présence chrétienne en Arabie du Sud dans la région du désert de Jabal Kawkab. Cette découverte a été présentée par Frédéric Imbert, spécialiste d’épigraphie arabe et islamique, professeur à l’université d’Aix et membre de la mission franco-saoudienne de prospection dans l’émirat de Najrân, au cours d’une conférence à l’Université américaine de Beyrouth et rapportée dans un article de l’Orient-Le jour. Les croix ont été découvertes en janvier 2014 sur la Montagne de l’Astre (Jabal Kawkab). [...]. Des milliers de représentations humaines et animales, des versets, des croix, des vers de poésie et des textes en arabe, en sudarabique, en thamoudéen ou en nabatéen ont été mis à jour. Frédéric Imbert a déjà évoqué ce lieu comme étant le « plus vieux livre des Arabes, un livre écrit sur les pierres du désert par des hommes qui vécurent à l’époque où une certaine forme de monothéisme se met en place dans la douleur et l’opposition, les massacres et les guerres ». Les croix ne sont visibles que sur une petite partie du mur. [...]. Le site est situé sur une ancienne voie qui reliait le Yémen à Najran pour éviter le désert. Il était vraisemblablement une « halte majeure pour l’approvisionnement en eau ». C’est à proximité d’un puits que F. Imbert a retrouvé les gravures chrétiennes. « Elles ne sont pas les seules croix connues en Arabie du Sud et de l’Est, mais il s’agit sans doute des plus vieilles croix chrétiennes en contexte daté de 470 de notre ère », souligne le spécialiste. D’après F. Imbert, le christianisme s’est répandu en Arabie dès le IVe siècle, mais c’est au VIe qu’il prend tout son essor grâce en grande partie à l’activité missionnaire de chrétiens monophysites (qui ne croient qu’en la nature divine de Jésus) de Perse (Irak actuelle) et de Syrie qui ont en commun de rejeter le concile de Chalcédoine de 451." [Des Croix gravées au coeur du déset saoudien, Pierre Loup de Raucourt, Patriarcat latin de Jérusalem]
Au VIe siècle, les Évangiles de Rabula, ouvrage conservé à la Biblioteca Medicea Laurenziana de Florence (cod. Plut. I, 560), formant un manuscrit enluminé rédigé en syriaque des Évangiles et datant du VIe siècle (il a été achevé en 586 au monastère de Saint-Jean-de-Zagba, situé en Syrie, et signé par son scribe, Rabula) représente le Christ en croix :
Giovanni Previtali, historien de l'art, crédite Giotto de l'innovation du Christ en croix avec trois clous et le suppedaneum, la planchette de bois chevillée sur laquelle les crucifiés pouvaient appuyer leurs pieds.
Sources: (1) Vie des Saints pour tous les jours de l'année avec une pratique de piété pour chaque jour et des instructions sur les fêtes mobiles, Alfred Mame et Fils éditeurs, Tours 1867, p. XVI. (2) L'Evangile au quotidien (3) Vendredi Saint (4) Crucifixion