Extrait:
"Pendant près de deux siècles, les guerres de Vendée furent l'objet d'un consensus qui justifie tout à fait la sentence terrible de Joseph de Maistre : 'l'histoire est une conspiration permanente contre la vérité'. endant deux siècles, l'historiographie officielle qui avait chaire à la Sorbonne - les Aulard, les Mathiez, les Soboul, les Lefebvre -, ont cherché une deuxième fois à ensevelir les Vendéens dans un sépulcre d'occultation, de négation, un sépulcre du non-dit et du déni : il fallait à tout prix exonérer le mythe fondateur de la République, son moment inaugural de ce que Pierre Chaunu, le grand historien, a appelé la 'messe de sang' qui l'a accompagné, faire oublier que la devise initiale des révolutionnaires ('la liberté ou la mort'), portait en elle-même toutes les virtualités idéologiques du plan d'extermination qui allait suivre.
La négation du martyre vendéen a d'abord été une nécessité politique pour un régime qui s'est longtemps senti faible, à tel point que le révision constitutionnelle de 1884 (presque un siècle après les évènements) a cru devoir introduire un article qui interdisait de remettre en cause la forme républicaine du régime. Cet article figure toujours dans la constitution de la 5ème république, dans notre constitution. (NdCR. article anti-démocratique que l'on retrouve à l'article 89 de la constitution de 1958... toujours d'actualité et toujours pas abrogé...[1]). Cet article renforce le particularisme français. Par exemple, à la différence de la constitution espagnole qui n'interdit nullement de remettre en cause la forme monarchique des institutions, en France c'est la forme qui est sacralisée. Pas le fond. La 'république' en France est une religion, une religion séculière, certes, mais une religion quand même. On peut tout faire : le fond importe peu, la forme de la république est intouchable !
Or, contre toute attente, le temps est en train de sceller la victoire des vaincus de 1793. Longtemps il y a eu cette excuse absolutoire des circonstances de 'salut public', la 'Patrie en danger'... Par quoi, on a prétendu justifier la Terreur. ("la fin sanctifie les moyens"... La théorisation de la violence révolutionnaire en 1789. NdCR.) Elle ne rencontre - même dans l'historiographie jacobine - plus beaucoup de soutien. L'exécution du plan d'extermination voulu par la Convention intervient sans aucune relation avec les nécessités militaires ni avec les impératifs de la défense nationale. L'holocauste vendéen commence après que les armées catholiques et royales aient été écrasées dans les bois de Savenay en décembre 1793, au terme de la Virée de Galerne, alors que les armées de la république sont victorieuses aux frontières. Si bien que l'argument de la conjonction des périls (intérieurs et extérieurs) ne tient pas. Il s'agit d'une politique dictée pour des raisons strictement idéologiques.
Il n'y a plus grand monde aujourd'hui pour contester que la Vendée ait été victime de crimes de masses. L'estimation la plus sérieuse - celle de l'historien démographe Jacques Hussenet - à partir d'une étude au niveau de chaque canton, oscille entre 150 000 et 190 000 victimes.
Pour faire image, le grand historien Pierre Chaunu que je citais tout à l'heure, le maître de l'histoire statistique disait que ces évènements de la Terreur et de la Vendée avait fait plus de victimes au total, un volume de victimes supérieur à tous les mouvements, toutes les jacqueries sous l'Ancien Régime.[2]
Au reste, l'histoire jacobine a dû en rabattre ces dernières années, elle a dû passer d'un négationnisme partial à un négationnisme partiel : elle ne nie plus les massacres. Ce qu'elle nie c'est l'intention génocidaire de la Convention. Crimes de masses, oui, crimes de guerre, oui, et on s'arrête là. Or la réalité du génocide (en Vendée), aujourd'hui n'est plus contestable, notamment du point de vue juridique.
[...] Ce sont les ultra-royalistes dur reste, qui se firent, dès la Restauration, les partisans du suffrage universel. Il faut bien avoir cela présent à l'esprit. Les républicains n'ont toujours été favorables qu'à une forme de démocratie censitaire.
Carl Schmitt disait "le mythe de la représentation supprime le peuple comme le mythe de l'individualisme supprime l'individu". Et bien nous y sommes. Car c'est bien ce à quoi nous assistons sous la 5ème république, avec la combinaison de deux choses : la scrutin majoritaire, adopté depuis 1958, et l'explosion de l'abstention qui aboutit à un rétablissement de facto du suffrage censitaire, sans qu'il ait été nécessaire de l'inscrire dans la loi ! Faute d'un mode de scrutin qui permettrait aux catégories populaires d'être représentées dans les élections intermédiaires, seuls votent les inclus qui se reconnaissent dans l'offre électorale (PS, Républicains, La République en marche). En clair, les bobos, les retraités, les fonctionnaires, les catégories qui participent du système. Aux dernières Législatives, par exemple, selon les enquêtes d'opinion, l'abstention des bas revenus a été de plus de 70%. Les pauvres savent que le mode de scrutin ne permet pas de représenter les partis populistes : ils n'ont pas voté. Rappelons les chiffres des élections présidentielles. Avec 15% des inscrits aux premier tour, LREM rafle la majorité des sièges à l'Assemblée nationale ! Je dis 'des inscrits' car vous savez qu'il y a près de quatre millions des français qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales, c'est-à-dire que le pourcentage est encore plus bas. Mélenchon, Le Pen et Dupont-Aignan totalisent à eux trois 45% des suffrages à la présidentielle, là où tout le monde va voter. Un mois et demi après, aux législatives, ils ne vont obtenir que 26 députés, c'est-à-dire à eux trois 4% de la représentation nationale. Regardez: 45% à l'élection présidentielle donne 4% de députés !... Et on appelle cela une démocratie représentative ! Mais vous voyez bien la filiation depuis 1789 ! Je le disais tout à l'heure, la Convention nationale (1792) a été élue par moins de 10% du corps électoral. Notre démocratie ne consacre pas la loi du nombre, elle consacre la loi du petit nombre ! Notre démocratie est un décor, c'est une démocratie Potemkime. Elle n'est plus qu'un rituel, un rituel dont la classe dirigeante a besoin pour assoir son pouvoir et lui donner une apparence légale.
Cette dénaturation de la démocratie correspond parfaitement à la définition qu'en donnait le poète Paul Valéry : 'La démocratie, c'est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde.'
N'importe quel autre mode de désignation, y compris le tirage au sort, c'est-à-dire le retour à la démocratie athénienne, permettrait de redonner au peuple le sentiment qu'il participe, ou est associé pour le moins au gouvernement de la cité.
On comprend désormais que l'usage abusif qui fait aujourd'hui du mot démocratie recouvre très précisément une réalité contraire à ce qu'il énonce. Il s'agit d'une anti-phrase qui désigne la privatisation des instruments de gouvernement par une minorité résolue à imposer sa loi au plus grand nombre, et à exclure le peuple du processus de décisions.
C'est la privatisation du pouvoir au bénéfice d'un système. Napoléon disait à Fouché 'Supprimez tous les journaux, mais en tête du décret, mettez six pages de considérations libérales sur les principes'. Telle était la méthode de Napoléon. On supprime, on interdit, mais on proclame la 'Liberté'. C'est exactement la post-démocratie: on affirme des principes, on les proclame d'autant plus sacrés qu'on a la ferme résolution de ne pas les mettre en oeuvre.
L'antique principe élaboré au temps de la cité grecque, qui voulait que la politique soit déterminée par l'accord de la majorité est aujourd'hui répudié en pratique. La majorité n'est plus une réalité arithmétique mais un concept politique, résultant d'une application truquée et tronquée du principe majoritaire.
[...]
Et bien il se trouve qu'il y a de moins en moins de français pour voter. C'est-à-dire de moins en moins de français pour croire au miracle.
[...] Dire que la république n'a pas accouché de la démocratie, mais qu'elle l'a détournée et empêchée ne relève donc pas de la polémique mais d'un simple constat que nous impose l'histoire.
Et la réflexion qui vient au terme de cette réflexion est Qu'est-ce que la république aujourd'hui ? Depuis les attentats terroristes, il est de bon ton d'exalter les 'valeurs républicaines', des valeurs que l'on ne situe pas vraiment, des valeurs aussi ronflantes que creuses. Il est d'usage commun de les présenter comme l'antithèse et l'antidote absolu du fanatisme islamiste [3], comme si les promoteurs de la guillotine, comme si les promoteurs du rasoir national en 1793, comme si les organisateurs de la Terreur révolutionnaire avaient obéi à des motivations radicalement différentes de celles des sectateurs de Daech, et autres adeptes de la décollation. Comme si l'implacable terrorisme d'état qui s'est mis en place en France en 1793, n'avait pas de servi de matrice et de modèle à toutes les entreprises totalitaires de siècles suivants (nazisme et communisme compris). Comme s'il eut fallu l'été 2016 en France pour que les prêtres fussent égorgés derrière des autels ! Il a fallu vraiment que le sectarisme le discute à l'ignorance à un niveau rarement atteint pour que celui qui nous a tenu lieu de président de la république pendant cinq ans dans un mélange de bassesse et de médiocrité qui a fait honte à toute la France - je veux dire François Hollande - se croit autorisé à dire après l'égorgement du Père Hamel : 'Attaquer l'Eglise, tuer un prêtre, c'est profaner la république !'. Dans ce cas, Monsieur Hollande, la république, durant les trois premières années d'existence n'a cessé de s'auto-profaner en expulsant, en déportant, en guillotinant les prêtres par milliers pour tenter d'assoir son pouvoir sur les esprits.
[...]
Avec la crise de la représentation que nous subissons aujourd'hui de plein fouet se pose aujourd'hui la question de la légitimité. [...] Hier la légitimité procédait du sacre, et donc de la religion. En démocratie la légitimité résulte du contrat social, ou de l'expression de la Volonté générale. Or ce mode de légitimation - on vient de le voir à l'instant - ne fonctionne plus (crise de le représentation, mode de scrutin). Une grande partie de nos concitoyens ont l'impression d'être exclus du jeu démocratique.
Quand le pouvoir s'avère impuissant à garantir le Bien commun, c'est-à-dire à assurer et garantir les protections et sécurités vitales, protections sociales, protections culturelles (notre identité), protections physiques (le terrorisme) s'amorce dès lors un processus de délégitimation. Emmanuel MACRON semble avoir pris conscience de cette crise de la légitimité puisqu'il dit vouloir inventer une nouvelle forme d'autorité démocratique. Si l'objectif est de réintégrer le peuple dans le jeu démocratique en lui assurant les protections vitales évoquées à l'instant, alors la politique de l'oxymore qui est celle Emmanuel MACRON, qui consister à associer des termes et des objectifs absolument contradictoires, ne va pas faciliter les choses : on ne peut en même temps vouloir libérer le travail et protéger les Français (les salariés), déclarer la guerre à l'islamisme et vanter les mérites du multiculturalisme qui en constitue le terreau, déclarer vouloir retrouver le sens du récit historique et promouvoir un projet post-national où la France n'est plus une communauté, mais l'absence de communautés, la nation de la sortie des nations !
En fait, pour restaurer le Bien commun, il faudrait pour cela rompre avec l'individualisme libéral, avec la dérive moderne fondée sur la négation de l'axiome aristotélicien selon lequel l'homme est un animal politique, un être naturellement social. Le Bien commun n'est toujours plus vivable que celui de l'individu disait S. Thomas d'Aquin. Or, il ne peut y avoir de Bien commun quand le politique est réduit au champ d'affrontements des intérêts privés, c'est-à-dire à l'économie, à l'économisme.
La crise de la légitimité ouverte en 1793, et mon point de départ n'était pas innocent, n'a jamais été résolue.
Alors peut-être faut-il rendre grâce d'une certaine manière à notre nouveau président de la république d'avoir reconnu - on n'a jamais entendu ces propos dans ses prédécesseurs - que la crise de la légitimité ouverte en 1793, dans une interview un an avant son élection, 'l'incomplétude de notre démocratie', - je reprends ses mots -, 'le vide émotionnel que la disparition de la figure du roi a laissé dans l'inconscient politique français'.
[...] En France, pays de traditions chrétiennes, le pouvoir ne se délègue pas par délégation (c'est pour cela que l'on a un peu de mal avec le régime représentatif) mais pas incarnation. C'est selon la formule magistrale de Marcel Gauchet un concentré de religion à visage politique. oui, il faut savoir gré à Macron de l'avoir compris, jusqu'à faire durant les premiers mors (Cour du Louvres, Versailles) de la démonstration in vivo que la république ne peut se survivre qu'en cherchant à reproduire la monarchie et en lui reconnaissant au fond une sorte de supériorité ontologique et existentielle.
Si l'on veut que le politique retrouve une légitimité, il faut le restaurer en tant que service, en tant que sacerdoce au service de la communauté.
Si l'on veut, il faut retrouver l'autorité comme fonctionnalité, il faut la rétablir comme transcendance.
[...]
Je n'ai pas traité des trois piliers fondateurs de la république, de leur république,. Le progrès, aujourd'hui, c'est très simple, au début du siècle dernier tous les cafés s'appelaient Cafés du progrès ou Cafés de l'avenir. Aujourd'hui, quand vous interrogez les Français, près de 80% pensent que les générations qui viennent derrière auront une vie moins facile. L'idée du progrès est morte. La religion du progrès est morte comme notre pratique de la démocratie et de la république arrive à bout de souffle. Et c'est la grande leçon d'espérance. Même si l'on met ni nom ni étiquette sur ce qui va venir, les mythes fondateurs de nos adversaires, les trois piliers, progrès, république, démocratie (ou ce qu'ils appellent 'démocratie'), sont en pleine décomposition. C'est un fait politique essentiel. Et je pense que nous pouvons dire sans faire montre d'un optimisme excessif que le jour approche où nous pourrons reprendre à notre compte la formule de - ce n'est pas un de mes auteurs favoris - René Viviani [4], président du Conseil en 1914, laïque, un des hommes de la loi de 1905 -, qui a dit : "Nous avons éteint des étoiles au Ciel de France. Personne ne les rallumera plus jamais."
Lire: Le record d'abstention aux Législatives sous la Cinquième république n'a été battu que lors de la Révolution dite "française"
Notes
[1] "La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision". Article 89 cité in "Les Constitutions de la France depuis 1789", édition mise à jour au 1er septembre 1995, GF Flammarion, p. 450. Article que l'on trouve en ligne sur le site de l'Assemblée nationale.
[2] "La révolution française a fait plus de morts en un mois au nom de l'athéisme que l'Inquisition au nom de Dieu pendant tout le Moyen Age et dans toute l'Europe..." (Pierre CHAUNU, Eglise, culture et société, SEDES 1981.)
[3] Pierre CHAUNU disait par exemple à propos de la laïcité, qu'elle "revêt un sens qui l'oppose à la laïcité telle qu'elle est comprise en Europe et en Amérique et plus particulièrement dans les pays de tradition protestante. Il suffit pour s'en convaincre de tenir en main un dollar ou d'entendre l'hymne britannique qui résonne comme un cantique : "God save our noble Queen" Notre acharnement laïcard choque nos voisins et nous ridiculise... Aujourd'hui, on peut mesure l'échec d'un enseignement incapable de transmettre une morale sociale sans fondement ontologique !" (P. CHAUNU, Préface du livre de Jean DUMONT, L'Eglise au risque de l'histoire, Editions de Paris, Ulis 2002, p. 17-18.)
[4] Socialiste anticlérical fanatique sous la IIIe république, René Viviani (1863-1925) participa, en 1904 avec Jaurès, à la création du journal l’Humanité... Il fonda le parti républicain socialiste.
La citation complète de Viviani est la suivante : "La IIIe république a appelé autour d'elle les enfants des paysans, les enfants des ouvriers et, dans ces cerveaux obscurs, dans ces consciences enténébrées, elle a versé, peu à peu, le germe révolutionnaire de l'instruction. Cela n'a pas suffi. Tous ensemble, nous nous sommes attachés, dans le passé, à une oeuvre d'anticléricalisme, à une oeuvre d'irreligion. Nous avons arraché les consciences à la croyance. Lorsqu'un misérable, fatigué du poids du jour, ployait le genou, nous l'avons relevé, nous lui avons dit que, derrière les nuages, il n'y avait que des chimères. Ensemble et d'un geste magnifique, nous avons éteint, dans le ciel, des étoiles qu'on ne rallumera plus. Voilà notre oeuvre, notre oeuvre révolutionnaire." (J. d'Arnoux, L'Heure des Héros, p. 42, cité in Jean Ousset, Pour qu'Il règne, DMM, Niort 1998, p. 138.)