Irénée écrivait : "Je n'étais encore qu'un enfant, mais je me souviens des choses d'alors, mieux que de ce qui est arrivé depuis. Je pourrais dire l'endroit où le bienheureux Polycarpe s'asseyait pour parler, sa démarche, sa façon de vivre, sa physionomie. Je pourrais répéter les discours qu'il adressait au peuple, comment il racontait sa familiarité avec saint Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur, comment il évoquait leurs paroles; les détails sur le Seigneur, sur ses miracles, sur sa doctrine, qu'il avait appris de ceux qui avaient vu le Verbe de vie, comme il les rappelait, comme tout cela s'accordait avec les Ecritures !
É
É Église, en raison de son origine plus excellente, que doit nécessairement s'accorder toute Église, c'est-à-dire les fidèles de partout, elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres."
Il donne la liste de succession épiscopale des évêques de Rome, liste qui est un document unique et fondamental pour le siège de Rome, comme attestation de son "excellence".
La "tradition apostolique" se transmet par la "succession apostolique", qui est pour Irénée, la "preuve" de l'identité et de la "vérité" de la foi de l'Église. C'est pourquoi, écrit Irénée, c'est en l'Église que se trouve la vérité et la vie: "Il faut aimer avec un zèle extrême ce qui est de l'Église", tout Irénée est là; son amour de l'Église est aussi notre raison d'aimer Irénée et le trait le plus caractéristique de sa sainteté.
"C'est pourquoi, écrit-il, il faut obéir aux prêtres qui sont dans l'Église - ceux qui, comme je l'ai montré, possèdent la succession des apôtres, ceux qui, avec la succession de l'épiscopat, ont reçu le don certain de la vérité, selon le bon plaisir du Père.
Mais [il faut aussi] tenir en suspicion ceux qui s'écartent de la succession primitive et s'assemblent en quelque lieu que ce soit, soit comme des hérétiques à l'esprit pervers, soit comme des schismatiques enflés et satisfaits d'eux-mêmes, soit encore comme des hypocrites qui agissent ainsi pour l'amour de l'argent et de la vaine gloire.
Tous, en effet, se sont éloignés de la vérité.
Les hérétiques, en effet, qui apportent un feu étranger sur l'autel de Dieu - c'est-à-dire des doctrines étrangères - seront brûlés par le feu du ciel, comme Nadab et Abihu [Lev. 10:1-2].
Mais ceux qui s'élèvent contre la vérité, et qui exhortent les autres contre l'Église de Dieu, [resteront] parmi ceux qui sont en enfer, et seront engloutis par un tremblement de terre, comme ceux qui étaient avec Koré, Dathan et Abiram [Nombres 16:33].
Mais ceux qui divisent et séparent l'unité de l'Église [recevront] de Dieu le même châtiment que Jéroboam [1 Rois 14:10]". (Contre les hérésies, Livre 4, chapitre 26, §2)
Vous trouverez ce genre d'avertissements contre l'hérésie, le schisme et la séparation d'avec les successeurs des apôtres dans tous les anciens Pères de l'Église.
Saint Paul lui-même en écrit dans 2 Thessaloniciens 2,15 : "Frères, tenez bon, et gardez ferme les traditions que nous vous avons enseignées, soit de VIVE VOIX (tradition orale), soit par lettre."
Thomas TANASE, Histoire de la papauté d'Occident, Gallimard, Folio Inédit Histoire 2019, p. 38.
En grec, "le pacifique", évêque de Lyon (177), Père de l'Église et théologien catholique anti-gnostique, saint Irénée eut le bonheur insigne d'être, jeune encore, disciple de l'admirable évêque de Smyrne, Polycarpe, qui fut lui-même le disciple de Jean l'Evangéliste.
Irénée était l'enfant chéri de Polycarpe; mais il était aussi l'espoir et la joie de toute la chrétienté. Jamais diacre ne s'acquitta de toutes ses fonctions avec tant de zèle.
Polycarpe fit, au jour de la séparation, un grand sacrifice; mais il fit aussi une oeuvre féconde. Le bonheur du vénérable évêque des Gaules dépassa toutes ses espérances, quand il reconnut tout le mérite de son jeune auxiliaire. Avec Irénée, l'avenir de l'Église occidentale était sauvé.
Une terrible persécution fit disparaître saint Pothin avec grand nombre de fidèles. Les païens avaient cru noyer l'Église lyonnaise dans le sang de ses enfants, mais Irénée restait encore, et, par l'ordre du Pape Éleuthère (175-189), il monta bientôt sur le siège épiscopal de Lyon (178). Ses prières, ses prédications, ses exhortations, ses réprimandes, eurent bientôt reconstitué cette Église dévastée. La paix toutefois n'était que précaire, et la persécution fit couler de nouveau le sang des martyrs. Le temps d'Irénée n'était pas encore venu, son oeuvre n'était que commencée, et Dieu voulait lui donner le temps de l'accomplir.
"C'est l'orthodoxie qui crée l'hétérodoxie et non pas l'inverse : c'est en se considérant orthodoxes que ceux qui ne le sont pas sont rejetés comme hétérodoxes.
"[...] Dans l'Antiquité, le terme d'hérésie renvoie à un schème idéologique emprunté principalement à la culture hellénophone. Dans la tradition grecque, le terme désigne un courant de pensée, rattaché de manière assez lâche aux écoles philosophiques, [...] telles l'Académie de Platon ou le Lycée d'Aristote - dans un sens positif. Dans la tradition judéenne, [...] le terme a été adopté pour l'appliquer aux courants internes du judaïsme, celui des pharisiens, des esséniens ou de sadducéens par exemple - dans un sens neutre, même si le caractère péjoratif de la désignation comme hérésie pointe souvent dans les textes. Dans la tradition chrétienne, le terme a encore cette valeur dans les Actes des Apôtres. Cependant Paul l'emploie déjà pour réprouver la formation de 'partis' dans les communautés chrétiennes. [...] Il faut attendre le milieu du IIe siècle pour qu'apparaisse un modèle plus ou moins commun destiné à justifier l'exclusion, sous le nom d'hérésies, de doctrines considérés comme perverses. [...] L'intervention de Justin de Néapolis, dans les années 150 environ, semble avoir été déterminante en la matière. [...] L'attitude du mouvement pharisien ou rabbinique, après les échecs des révoltes judéennes contre Rome entre 70 et 135, [...] a eu probablement sur ce point, comme sur d'autres d'ailleurs, une certaine influence.
"[...] James F. McCue, par exemple, a fait remarquer que le développement de la pensée valentinienne, loin de prouver que l'hétérodoxie serait majoritaire et autonome, suppose, au contraire, l'existence de l'orthodoxie. (J.F. McCue, Orthodoxy and Heresy: Walter Bauer and the Valentinians, dans Vigiliae christianae 33, 1979, p. 118-130.) (Simon Claude MIMOUNI, Le Judaïsme ancien et les origines du christianisme, Bayard, Italie 2018, p. 296-297; 303)
"L'entité christianisme a toujours été, dès la première attestation du terme (dans les lettres d'Ignace d'Antioche aux chrétiens de Magnésie et Philadelphie vers 115), une construction conceptuelle, servant notamment à tracer des frontières entre pratiques et croyances différentes, et à connoter positivement ou négativement, les ensembles de phénomènes ainsi délimités.
"[...] L'hébraïsme du temps présent, [...] devenait désormais l'héritier de l'opposition à Dieu toujours active en Israël, et donc une branche morte, abandonnée de Dieu et de sa bienveillance ou, plutôt, s'étant elle-même obstinément, coupablement, détachée de Lui." (Enrico NORELLI, La Naissance du Christianisme, Comment tout a commencé, traduit de l'italien par Vivian Dutaut, édition Gallimard, Folio Histoire, 2019, p. 12 et 22.)
Les sectes gnostiques, auxquelles est affronté Irénée, s'accrochent comme autant de plantes parasites, au tronc de la grande Église. Cet ésotérisme de la gnose ne contribue pas peu à sa séduction qu'elle exerce sur bon nombre de contemporains d'Irénée. Aussi, la méthode d'Irénée, est-elle d'exposer l'hérésie, de produire au grand jour les doctrines soigneusement tenues secrètes jusque-là par les gnostiques (livre I). Non sans peine, il a mis la main sur les écrits secrets que les gnostiques font circuler sous le manteau. Et, ensuite, il montre la fausseté des doctrines démasquées: ce sera la réfutation (livre II). Celle-ci se déploie en reprenant les points essentiels des doctrines exposées dans le livre I, Irénée les passe au crible d'une critique sévère, qui met en lumière leurs innombrables contradictions, extravagances et incohérences, bref, en relevant tout ce qui, en elles-mêmes, et indépendamment de toute règle de vérité, suffirait à les rendre inacceptables aux yeux d'un homme qui réfléchit. Irénée achève sa réfutation en l'élargissant et en la couronnant par une "démonstration", qui fera la matière des trois derniers livres : l'enseignement des apôtres (livre III); les paroles du Christ (Livre IV); les épitres pauliniennes et quelques faits précis particulièrement significatifs de la vie du Christ (livre V.)
La démonstration réalisée sur le double clavier des Écritures fait surgir pour ainsi dire à chaque instant, de façon simultanée, à l'avant-plan des textes du Nouveau Testament, mais en les projetant sur l'arrière-plan des textes de l'Ancien, faisant ressortir l'accord profond des uns et des autres et reconstituant inlassablement l'unité des Testaments brisée par les Valentiniens et les Marcionites.
Irénée dressa la liste de succession des évêques (papes) de Rome.
Évoquant l'évangélisation des Gentils, S. Irénée explique :
"Celui qui reçut l'apostolat à destination des gentils peina plus que ceux qui prêchèrent le Fils de Dieu parmi les circoncis. Ceux-ci étaient secondés par les Écritures, que le Seigneur avait confirmées et accomplies en venant tel qu'il avait été annoncé. Là, en revanche, c'était un enseignement étranger, une doctrine nouvelle : non seulement les dieux des gentils ne sont pas des dieux, mais ils ne sont qu'idoles de démons ; il n'y a qu'un seul Dieu, qui est 'au-dessus de toute Principauté, Puissance et Seigneurie et de tout nom qui se nomme' ; son Verbe, invisible par nature, s'est fait palpable et visible parmi les hommes et est descendu 'jusqu'à la mort et la mort de la croix' ; ceux qui croient en lui deviendront incorruptibles et impassibles et auront part au royaume des cieux. Tout cela était prêché aux gentils par la simple parole, sans Écriture aucune : c'est pourquoi ceux qui prêchèrent aux gentils peinèrent davantage." (Contre les hérésies, Livre 4, Deuxième partie, 2.)
Cette évangélisation historique des gentils par la simple parole sans Écriture aucune, montre qu'il existe deux sources à la vérité : la tradition orale reçue des apôtres et les écrits évangéliques.
Irénée, premier défenseur des quatre évangiles et d'un premier canon biblique
Irénée est, en 170, une figure importante de la défense de seulement quatre évangiles. Et seuls quatre évangiles seront ultérieurement inscrits au canon du Nouveau Testament (canon de Muratori, IIIe siècle) : les évangiles selon Matthieu, selon Luc, selon Marc, et selon Jean. (Contre les hérésies, III, 11, 7-8). Ainsi Irénée est-il le premier écrivain chrétien connu à avoir fait la liste des quatre évangiles canoniques.
"Il connaît et reçoit les Actes des Apôtres, 13 épîtres de Paul, 1 Pierre, 1 et peut-être 2 Jean, l'Apocalypse de Jean." (Pierre MARAVAL, Simon Claude MIMOUNI, Le Christianisme, des Origines à Constantin, Nouvelle Clio, l'Histoire et ses problèmes, PUF, Clamecy 2018, p. 389.)
Notons qu'aujourd'hui, les protestants qui contestent la tradition de l'Église catholique (ne craignant pas de se contredire) le font en se référant pour leur exégèse à un canon biblique fixé exclusivement par un évêque catholique au IIe siècle (S. Irénée de Lyon) qui spécifia l'accord nécessaire avec cette "Église de Rome" en raison de son origine plus excellente, et par l'Église catholique, elle-même, à la fin du même siècle (Canon de Muratori).
Jean-Christian PETITFILS, dans son ouvrage "Jésus, Le Jésus de l'Histoire" (Fayard, 2011, p. 25), citant des recherches récentes, date en effet le Canon de Muratori de la fin du IIe siècle : "Un document capital, le canon de Muratori, datant du IIe siècle après J.-C., comme semblent bien le montrer les dernières recherches."
Dans les notes p. 583, note 24, il précise : "Ce document daterait en réalité du IIe siècle. [...] Voir E. FERGUSON, 'Canon Muratori. Date and Provenance', Studia Patrisca, vol. 17,2, Oxford, 1982, p. 677-683; Philippe HENNE, 'La Datation du Canon de Muratori', Revue biblique, janv. 1993, p. 54-75 ; J. VERHEYDEN, 'The Canon Muratori. A Matter of Dispute', in J.M. AUWERS, J.J. DEJONGE, ed., The Biblical Canons, BETL, CLXIII, Leuven, 2003, p. 485-556."
Et "lorsque les groupes rejetés s'appuient sur les mêmes textes que ceux qui sont acceptés dans la 'Grande Église', Irénée ne juge légitimes que les interprétations fondées sur certains principes de base - par exemple la création du monde matériel par Dieu, Père de Jésus. Il déclare que c'est la succession des évêques (Ac 1,20, 2 Tm 2,2) qui est dépositaire et gardienne de ces principes. Car la succession des évêques [...] a reçu directement des apôtres, la 'règle de vérité'. Le message de Jésus n'est donc plus confié à la transmission orale, [...] mais à un nombre précis d'écrits dont l'interprétation est placée sous le contrôle des évêques.
"[...] À la fin du IIe siècle, le christianisme a donc désormais opéré une série de choix d'une immense portée, plus décisifs que ceux qu'il opéra lors des siècles suivants, et il s'est doté d'institutions capables de l'aider à surmonter les nombreuses difficultés qui l'attendent." (Enrico NORELLI, La Naissance du Christianisme, Comment tout a commencé, traduit de l'italien par Vivian Dutaut, édition Gallimard, Folio Histoire, 2019, p. 25-26.)
Irénée, premier des Pères de l'Église à présenter la Vierge Marie comme la Nouvelle Ève
"Irénée, disciple de Polycarpe qui fut lui-même familier de Jean, est le premier des Pères de l'Église d'Orient et d'Occident à nous présenter la Vierge Marie comme celle qui, par son obéissance est devenue la Nouvelle Ève, avocate de l'ancienne et mère des nouveaux vivants." (Cardinal Decourtray, Préface dans Saint Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, Sagesses chrétiennes, Cerf, Paris 2007, p. 6.)
Voici comment vous reconnaîtrez l’Esprit de Dieu : tout esprit qui proclame que Jésus Christ est venu dans la chair, celui-là est de Dieu.
Tout esprit qui refuse de proclamer Jésus, celui-là n’est pas de Dieu : c’est l’esprit de l’anti-Christ.