Les ravages du capitalisme financier remettent au goût du jour « l’économie sociale ». L’idée de créer des sociétés coopératives, où l’actionnaire ne prédomine plus, se répand de nouveau parmi les salariés. Les associations rassemblant consommateurs et producteurs se multiplient pour contourner les grands groupes. Les banques éthiques suscitent un regain d’intérêt…
D’où vient cette « économie sociale » ? Peut-elle constituer une alternative au système économique actuel ? Entretien avec Jean-Philippe Milesy, délégué général de la coopérative Rencontres sociales.
Source: http://www.bastamag.net/article2086.html
Jean-Philippe Milesy (Délégué général de la coopérative Rencontres sociales) : Historiquement, l’économie sociale se constitue en réaction au libéralisme économique de la Révolution française et des régimes suivants. La loi Le Chapelier (promulguée en juin 1791) interdit tout groupement de citoyens, d’ouvriers ou de paysans.
... L’économie sociale est alors portée par des militants, partisans du fouriérisme (de Charles Fourier et de son idée de phalanstère, ndlr), de Proudhon (qui incarne l’un des courants de l’anarchisme, ndlr), des socialistes utopistes, des chrétiens sociaux issus du mouvement ouvrier, et même des bourgeois, voire des petits aristocrates, en rébellion contre le capitalisme manufacturier et le libéralisme financier.
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Les deux courants majeurs du mouvement ouvrier – marxiste et anarchiste – (Ndlr. L'auteur oublie curieusement les monarchistes qui furent les premiers à prendre la défense des ouvriers... et à faire voter les premières lois sociales... dont la liberté syndicale en 1884, liberté qui avait été supprimée par la Loi le Chapelier de 1791) adoptent des attitudes ambiguës envers l’économie sociale. Ils reconnaissent l’intérêt du mouvement mais portent des jugements très sévères sur la perte d’énergie qu’induirait, selon eux, l’économie sociale : le temps que les ouvriers passent à monter ces structures est autant de temps qui n’est pas consacré à la lutte contre le capital. En parallèle, l’État, dès Napoléon III, tente de capter ces structures, de les institutionnaliser. Certains courants du mouvement ouvrier, autour du socialiste Jules Guesde, par exemple, considèrent que seul l’État peut assurer la régulation, la laïcité… La conquête de l’État devient donc la priorité. Et c’est un débat qui perdure encore aujourd’hui. Le soutien à de nouvelles formes d’économie sociale n’est pas vu comme un levier principal du changement par la gauche.
Il existe une économie sociale de transformation et une économie sociale conservatrice à l’abri de ses statuts, comme certaines coopératives agricoles ou les coopératives de la grande distribution, tel le groupe Leclerc (une coopérative de commerçants) : des regroupements de patrons qui peuvent adopter le même comportement prédateur que certaines multinationales. L’oligarchie financière ne veut pas de l’économie sociale. Laisser se développer des entreprises fondées sur autre chose que la recherche du profit maximum des actionnaires n’est pas envisageable. En Allemagne, le tissu de PME subsiste pour l’instant grâce aux règles anciennes du compromis social. Si l’économie sociale se développait trop, le modèle du management unique – où le travail est la plaie et où tout retour sur investissement à moins de deux chiffres est jugé minable – serait remis en cause. Et le système des financiers serait vicié. Pour le patronat comme pour certains politiques, l’idée d’un pluralisme économique est donc intolérable. L’économie sociale est donc acceptée seulement comme une économie subsidiaire. Elle montre que l’alternative est possible, mais n’est pas en son état actuel l’alternative elle-même.
Au sein du Crédit agricole, on assiste à une certaine tension entre les hypercapitalistes de Crédit agricole SA (société anonyme) face aux élus et aux équipes qui viennent de la Fédération nationale du Crédit agricole (l’instance de réflexion, d’expression et de représentation des Caisses régionales, ndlr). Idem au Crédit mutuel ou au sein du groupe Caisse d’Épargne-Banque populaire, où l’arrivée de François Pérol il y a deux ans a tendu la situation. Le Crédit mutuel et les banques populaires se sont mis à communiquer sur leur statut d’économie sociale. Ils ont donc conscience que s’en revendiquer favorise leur implantation et la fidélité de leurs clients. Ils ne peuvent pas affirmer que leurs sociétaires occupent une place dominante sans leur donner un peu de pouvoir. Quand la Maif choisit le slogan « assureur militant », cela change la donne et infléchit nécessairement, et dans le bon sens, les pratiques. Ils ne peuvent pas rester dans la schizophrénie. Et si revendiquer les principes de l’économie sociale peut être un avantage compétitif, pourquoi s’en priver ?
... Quelles que soient les arrière-pensées politiques, la reconnaissance de l’économie sociale progresse. À gauche, les équipes de chaque candidat qui travaillent sur le sujet se sont renforcées. La vision que l’État devait tout régler est en train d’évoluer, y compris au Front de gauche. Même l’UMP compte un délégué à l’économie sociale, ce qui n’était pas le cas auparavant. De leur côté, les collectivités locales ont tendance à regarder plus attentivement ceux qui travaillent sur le lien social, face au démembrement des services publics. Cela les force à interroger le modèle étatique.
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