Extraits de trois sources différentes :
Lundi 16 avril 2012, Benoît XVI aura 85 ans, et la réconciliation, orchestrée par ses soins, avec les disciples de Mgr Lefebvre, est presque un miracle.
Benoît XVI pourrait laisser l'image du pape de la réconciliation des catholiques dans l'histoire de l'église et de Rome.
En effet, Rome et Écône sont sur le point de sceller un accord, qui se traduira par la réintégration de tous les catholiques traditionalistes au sein de l'église romaine.
Pour Mgr Bernard Fellay (Ndlr. Supérieur de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X), joint par téléphone, "la signature d'un document fixant les relations entre le Saint-Siège et les disciples de Mgr Lefebvre est une question de jours....." (1)
Le Vatican attend la réponse de Mgr Bernard Fellay, le chef de fil des lefebvristes. Sitôt reçue à Rome - «c'est une affaire de jours et non plus de semaines», indique-t-on au Vatican -, elle sera «aussitôt» analysée. Si elle est conforme aux attentes, le Saint-Siège annoncera très vite un accord historique avec cette branche de fidèles, connus sous le nom d'«intégristes».
Les uns derrières les autres, Benoît XVI a abattu, de toute son autorité de pape, les obstacles qui empêchaient une pleine réconciliation avec les disciples de Mgr Marcel Lefebvre.
Et si un accord final est annoncé dans les jours qui viennent, l'essentiel du travail a déjà été fourni par ce pape.
- Rétablissement en 2007 - comme rite «extraordinaire» dans l'Église catholique - de la messe dite en latin, c'est-à-dire, selon le missel de Jean XXIII en vigueur avant le concile Vatican II.
- Levée des excommunications, en 2009, qui frappaient les quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre.
- Lancement des discussions doctrinales entre le Saint-Siège et la fraternité Saint Pie X, la même année, à propos du concile Vatican II.
L'échec apparent de ces dernières, il y a un an, avait donné l'impression d'un échec total de la négociation. (2)
En Australie, le théologien John Lamont montre qu'une réconciliation est possible. La partie en cours entre le Saint-Siège et la communauté fondée par l'archevêque Marcel Lefebvre a atteint son point culminant lorsque la congrégation pour la doctrine de la foi a remis aux lefebvristes, le 14 septembre 2011, un "préambule doctrinal" constituant la "base fondamentale pour parvenir à la pleine réconciliation". Et elle s’est poursuivie par l'acceptation en partie seulement de ce préambule par les lefebvristes, acceptation que Rome considère comme "pas suffisante" pour réparer la "fracture".
Le coup de sifflet final a été donné le 16 mars dernier, sous la forme d’un communiqué émis par le Saint-Siège. Mais, le même jour, les prolongations ont commencé et elles pourraient durer encore longtemps. Dans ce même communiqué du 16 mars, Rome a offert aux lefebvristes la possibilité d’une nouvelle réponse. Celle que l’on attend d’un jour à l’autre.
Mais quelle est exactement la cause doctrinale de la division ? Et comment se fait-il qu’il y ait une fracture entre Rome et les lefebvristes en raison de leur refus de quelques doctrines du concile Vatican II alors que, dans le même temps, d’autres courants catholiques de signe opposé continuent à vivre au sein de l’Église sans qu’on les dérange, bien qu’ils rejettent, eux aussi, des enseignements capitaux de ce même concile ?
Ce sont ces deux questions qui constituent le point de départ de la note de John R.T. Lamont que l’on pourra lire ci-dessous.
L'auteur, qui a obtenu une licence en philosophie à Oxford et une en théologie à Ottawa avec le grand théologien dominicain Jean-Marie Tillard, vit en Australie et enseigne à Sydney à l'Institut Catholique et à l'Université Notre-Dame, avec mandat canonique du diocèse pour l’enseignement de la théologie.
Il a publié plusieurs livres et essais, y compris dans des publications non spécialisées comme la revue américaine "First Things".
Un article de lui, paru ces jours-ci dans le dernier numéro de la revue internationale "Divinitas" dirigée par Mgr Brunero Gherardini, traite de la manière d’interpréter l'enseignement du concile en matière de liberté religieuse : "Pour une lecture pieuse de Vatican II au sujet de la liberté religieuse", Divinitas vol. 55, 2012/1, pp. 70-92.
La note qui suit (Ndlr. Extraits) a été écrite par John R.T. Lamont spécialement pour www.chiesa.
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LES QUESTIONS D’UN THÉOLOGIEN
par John R.T. Lamont
... Les sujets de la discussion concernent non pas les détails pratiques du règlement d’une situation canonique – qui aurait bien évidemment bénéficié de la confidentialité – mais des matières de foi et de doctrine, qui concernent non seulement les parties impliquées mais aussi tous les fidèles catholiques. Cependant, assez de choses ont été dites en public à propos de la position de la FSSPX pour qu’il soit possible d’évaluer la situation. Deux éléments doivent être pris en considération ici : d’une part la fracture entre le Saint-Siège et la FSSPX qui a été produite par les problèmes doctrinaux en discussion et d’autre part la nature de ces mêmes problèmes doctrinaux.
Dans une réponse à une étude de Fernando Ocáriz qui portait sur l'autorité doctrinale du concile Vatican II, l’abbé Jean-Michel Gleize de la FSSPX a établi une liste des éléments de ce concile qui sont considérés comme inacceptables par la FSSPX :
"Sur quatre points au moins, les enseignements du concile Vatican II sont tellement en contradiction logique avec les déclarations du magistère traditionnel antérieur qu’il est impossible de les interpréter dans la ligne des autres enseignements déjà contenus dans les documents antérieurs du magistère de l’Église. Vatican II a donc rompu l’unité du magistère, dans la mesure où il a rompu avec l'unité de son objet.
"Ces quatre points sont les suivants.
"La doctrine de la liberté religieuse, telle qu’elle exprimée au n. 2 de la déclaration 'Dignitatis humanæ', contredit les enseignements de Grégoire XVI dans 'Mirari vos' et ceux de Pie IX dans 'Quanta cura', ainsi que ceux de Léon XIII dans 'Immortale Dei' et ceux de Pie XI dans 'Quas primas'.
"La doctrine de l’Église, telle qu’elle est exprimée au n. 8 de la constitution 'Lumen gentium', contredit les enseignements de Pie XII dans 'Mystici corporis' et dans 'Humani generis'.
"La doctrine relative à l'œcuménisme, telle qu’elle est exprimée au n. 8 de 'Lumen gentium' et au n. 3 du décret 'Unitatis redintegratio', contredit les enseignements de Pie IX dans les propositions 16 et 17 du 'Syllabus', ceux de Léon XIII dans 'Satis cognitum' et ceux de Pie XI dans 'Mortalium animos'.
"La doctrine de la collégialité, telle qu’elle est exprimée au n. 22 de la constitution 'Lumen gentium', y compris le n. 3 de la 'Nota prævia', contredit les enseignements du concile Vatican I sur l'unicité du sujet du pouvoir suprême dans l’Église et la constitution 'Pater æternus'".
L’abbé Gleize a participé à la discussion doctrinale entre la FSSPX et les autorités romaines et c’est également le cas d’Ocáriz. On peut raisonnablement considérer les affirmations citées comme une description des points doctrinaux sur lesquels la FSSPX n’entend pas transiger et qui ont été considérés par le Saint-Siège comme l’inévitable origine de la fracture.
Vatican II comme motif de la fracture ?
La première question qui se présente à un théologien à propos de la position de la FSSPX concerne le problème de l'autorité du concile Vatican II. L'article d’Ocáriz auquel a répondu l’abbé Gleize avait été publié dans le numéro de "L'Osservatore Romano" en date du 2 décembre 2011. Cet article semble soutenir que la base de la fracture relevée par le Saint-Siège est un rejet de l'autorité de Vatican II. Mais cette thèse est difficile à comprendre pour tous ceux qui connaissent à la fois la position théologique de la FSSPX et le climat de l'opinion théologique au sein de l’Église catholique. L’abbé Gleize mentionne seulement quatre points du volumineux enseignement de Vatican II. La FSSPX ne rejette pas Vatican II dans son intégralité : bien au contraire, l’évêque Fellay a affirmé que 95 % des enseignements de celui-ci sont acceptés par la Fraternité. Ce qui veut dire que la FSSPX est plus fidèle aux enseignements de Vatican II qu’une bonne partie du clergé et de la hiérarchie de l’Église catholique.
Examinons les affirmations suivantes de ce Concile :
"Dei Verbum" 11 :
"Notre sainte Mère l’Église, de par la foi apostolique, tient pour sacrés et canoniques tous les livres tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties, puisque, rédigés sous l’inspiration de l’Esprit Saint (cf. Jn 20, 31 ; 2 Tm 3, 16 ; 2 P 1, 19-21 ; 3, 15-16), ils ont Dieu pour auteur et qu’ils ont été transmis comme tels à l’Église elle-même. Pour composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il a eu recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement".
"Dei Verbum" 19 :
"Les quatre Évangiles, dont l'Église affirme sans hésiter l’historicité, transmettent fidèlement ce que Jésus, le Fils de Dieu, durant sa vie parmi les hommes, a réellement fait et enseigné pour leur salut éternel, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel (cf. Ac 1, 1- 2)".
"Lumen gentium" 3 :
"Toutes les fois que le sacrifice de la croix par lequel le Christ notre pâque a été immolé se célèbre sur l’autel, l’œuvre de notre Rédemption s’opère".
"Lumen gentium" 8 :
"Cette société organisée hiérarchiquement d’une part et le corps mystique d’autre part, l’ensemble discernable aux yeux et la communauté spirituelle, l’Église terrestre et l’Église enrichie des biens célestes ne doivent pas être considérées comme deux choses, elles constituent au contraire une seule réalité complexe, faite d’un double élément humain et divin".
"Lumen gentium" 10 :
"Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, qui ont entre eux une différence essentielle et non seulement de degré, sont cependant ordonnés l’un à l’autre : l’un et l’autre, en effet, chacun selon son mode propre, participent de l’unique sacerdoce du Christ. Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel jouit d’un pouvoir sacré pour former et conduire le peuple sacerdotal, pour faire, dans le rôle du Christ, le sacrifice eucharistique et l’offrir à Dieu au nom du peuple tout entier ; les fidèles eux, de par le sacerdoce royal qui est le leur, concourent à l’offrande de l’Eucharistie et exercent leur sacerdoce par la réception des sacrements, la prière et l’action de grâces, le témoignage d’une vie sainte, leur renoncement et leur charité effective".
"Lumen gentium" 14 :
"Appuyé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition, le Concile enseigne que cette Église en marche sur la terre est nécessaire au salut. Seul, en effet, le Christ est médiateur et voie de salut : or, il nous devient présent en son Corps qui est l’Église ; et en nous enseignant expressément la nécessité de la foi et du baptême (cf. Mc 16, 16 ; Jn 3, 5), c’est la nécessité de l’Église elle-même, dans laquelle les hommes entrent par la porte du baptême, qu’il nous a confirmée en même temps".
"Gaudium et spes" 48 :
"C’est par sa nature même que l’institution du mariage et l’amour conjugal sont ordonnés à la procréation et à l’éducation qui, tel un sommet, en constituent le couronnement".
"Gaudium et spes" 51 :
"La vie doit être sauvegardée avec un soin extrême dès la conception : l’avortement et l’infanticide sont des crimes abominables".
La grande majorité des théologiens des institutions catholiques d’Europe, d’Amérique du nord, d’Asie et d’Australie tend à rejeter la totalité ou la majeure partie de ces enseignements. Ces théologiens sont suivis par la majorité des ordres religieux et par une partie significative des évêques de ces régions. Il serait difficile, par exemple, de trouver un jésuite enseignant la théologie dans n’importe quelle institution jésuite qui accepte ne serait-ce qu’un seul de ces enseignements. Les textes cités ne sont qu’une sélection des enseignements de Vatican II qui sont rejetés par ces groupes ; et l’on pourrait en augmenter beaucoup le nombre.
Et bien, ces enseignements font justement partie de ces 95 % de Vatican II que la FSSPX accepte. Et, à la différence des 5 % de ce concile qui sont rejetés par la FSSPX, les enseignements cités ci-dessus sont centraux pour la foi et pour la morale catholiques et ils incluent certains des enseignements fondamentaux du Christ lui-même.
La première question que le communiqué du Saint-Siège pose à un théologien est donc : pourquoi le rejet d’une petite partie des enseignements de Vatican II par la FSSPX donne-t-il lieu à une fracture entre la Fraternité et le Saint-Siège, alors que le rejet d’enseignements de Vatican II beaucoup plus nombreux et plus importants par d’autres groupes au sein de l’Église n’empêche pas ces groupes de garder tranquillement leur place et de rester en possession d’une pleine situation canonique ? Le rejet de l'autorité de Vatican II par la FSSPX ne peut pas être la réponse à cette question. En réalité la FSSPX montre davantage de respect pour l'autorité de Vatican II que la plupart des ordres religieux qui existent dans l’Église.
Il est intéressant de noter que les textes de Vatican II qui sont rejetés par la FSSPX sont acceptés par ces groupes qui, au sein de l’Église, rejettent d’autres enseignements de ce concile. On pourrait donc supposer que ce sont précisément ces textes spécifiques – concernant la liberté religieuse, l’Église, l'œcuménisme, la collégialité – qui posent un problème. La fracture entre le Saint-Siège et la FSSPX naît parce que la Fraternité rejette ces éléments particuliers de Vatican II, pas parce que le Saint-Siège entend défendre Vatican II en bloc. En revanche il n’y a pas de fracture avec des groupes n’appartenant pas à la Fraternité qui rejettent une part beaucoup plus grande de Vatican II parce que ces groupes acceptent ces éléments particuliers. Mais, si c’est le cas, la première question se pose simplement, de nouveau, avec plus de force. (3)
Sources:
(1) http://www.suite101.fr/news/catholiques--la-reconciliation-des-disciples-decone-et-de-rome-a34247#ixzz1rziXlASg
(2) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/04/13/01016-20120413ARTFIG00626-rome-et-econe-sur-le-point-de-sceller-un-accord.php
(3) http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350219?fr=y