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Christ Roi

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Horloge

19 octobre 2018 5 19 /10 /octobre /2018 06:52

En 1789, la tactique des révolutionnaires millénaristes a consisté à séparer la personne du roi du peuple, pour y substituer à la foi chrétienne la religion civile de l'Être suprême... Aujourd'hui, le processus s'achève dans la farce bouffonne d'un Jean-Luc Mélenchon qui fait éclater son mépris élitiste et gnostique des profanes en se prenant pour "la république" et en déclarant sa "personne sacrée" ! On n'est pas loin de l'auto-déification... C'est que Mélenchon croit qu'il fait partie d'une humanité différente; lui, il n'est pas un égal. La franc-maçonnerie lui a apparemment monté à la tête !

Même s'il est à peu près certain que le machiavélique Macron a orchestré le piège dans lequel Mélenchon, le révolutionnaire, est tombé tête baissée, Mélenchon n'est pas sacré, et sa république non plus. L'épisode est un chef d'oeuvre du genre ridiculisant l'égalité républicaine.

Jean-Luc Mélenchon déclare : "Dans une démocratie, la personne d'un parlementaire est intouchable." Peut-être dans une démocratie dite représentative, mais certainement pas dans une démocratie directe ou dans un système politique où "un peuple est libre lorsqu'il dispose des moyens qui lui permettront d'approuver ou de sanctionner régulièrement l'usage fait par les gouvernants des pouvoirs qu'il leur avait confiés. La démocratie ne se définit pas seulement par le droit d'élire; elle réside aussi dans ce qu'on nommait au XVIIIe siècle la "censure" (où les mandats étaient impératifs et où le député ne pouvait pas faire ce qu'il voulait mais devait appliquer directement le mandat que le peuple lui avait confié sans rien ajouter. NdCR.), c'est-à-dire le pouvoir de révoquer ou, au contraire, de renouveler la confiance précédemment accordée." (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 210.) Mais c'est précisément cela que les Jacobins de 1789 (Sieyès) et leurs héritiers - comme Mélenchon - ne voulaient pas : ils ont donc inventé la soit-disant démocratie "représentative", qui les place au-dessus comme des demi-dieux intouchables. Mélenchon le dit-lui-même: il est "intouchable". 

Tatiana Ventôse démonte Mélenchon :

 

« C'est un discours qui va à l'encontre de ce qu'il (Mélenchon) passe son temps à dire, qu'il est profondément républicain (en fait son discours est authentiquement républicain au sens d'un Robespierre ! NdCR.), qu'il est pour l'ordre ("Ce sera peut-être lui et le chaos ou bien nous et l'ordre"); qu'il est pour que les politique soient des citoyens comme les autres, [...] et en même temps il va aller dire à ses militants de résister, de s'accrocher aux meubles littéralement, au siège de la "France insoumise" et du "parti de gauche" qui était aussi perquisitionnés. [...] Et là, dans ses videos, c'est Jean-Luc Mélenchon qui se met en scène et va illustrer tout seul ces contradictions ! D'un côté il déclare être du peuple et de l'autre il va se cacher derrière sa petite écharpe bleu blanc rouge de député. [...] Et le fait de dire que c'est un procès politique qui lui est fait c'est exactement ce qu'il reproche régulièrement à des François Fillon, à des Jérôme Cahuzac, à des Marine Le Pen. Et dans une certaine mesure c'est vrai, chez les politiques en général, on constate cette tendance-là, à chaque fois qu'ils sont inculpés de quelque chose, de dire "on veut me faire tomber", "c'est un complot"... Les mots qu'il emploie pour se défendre sont exactement les mêmes que ceux qu'a employé Macron dans l'affaire Benalla, les mots qu'a employé Marine Le Pen dans l'affaire des assistants parlementaires; ce sont exactement les mêmes qu'a employé Cahuzac lorsqu'il état accusé de fraude fiscale; les mots qu'a employé Dsk,... »

 

Entre les élites (maçonniques), c'est-à-dire dans le jargon de la religion maçonnique, ceux qui savent (ceux qui ont la connaissance) ne doivent pas être mis sur un pied d'égalité avec les "profanes, les gens du peuple. Le discours de Mélenchon est authentiquement républicain au sens jacobin, maçonnique et élitiste, car il porte cette prétention des professionnels des Lumières à représenter les citoyens plongés dans l'obscurantisme ; ils croient être les seuls qui ont les Lumières; ils croient vraiment qu'ils vont faire régner sur la terre le paradis terrestre; eux seuls ont le droit de s'exprimer et de décider pour les autres; les autres sont dans les Ténèbres et il faut leur imposer les Lumières s'ils n'en veulent pas ! C'est l'autoritarisme de la Révolution française où un Robespierre prétend avoir les Lumières et les impose aux autres.

 

La tendance des professionnels de la politique à dénoncer un complot est ancienne. En 1789, du temps des ancêtres de Mélenchon ,« Le fantasme du "complot aristocratique" envahit très vite l'espace du discours révolutionnaire. [...] [I]l suffit de considérer le flot ininterrompu des dénonciations qui sont adressées au Comité des recherches de l'Assemblée constituante (Pierre Caillet, Comité des recherches de l'Assemblée nationale 1789-1791, Inventaire analytique de la sous-série D XXIX bis, Paris, Archives nationales, 1993.) [...]. Il convient de préciser que cette frénésie dénonciatrice témoigne autant de l'irruption de l'esprit révolutionnaire que de la persistance de cette mentalité traditionnelle déjà évoquée et accoutumée à incriminer des conspirateurs. (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 64.)

  

Voyez en 1792 la république du soupçon des "Argus, Surveillants, Dénonciateurs, Sentinelles et Aveugles clairvoyants" (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 70) repose tout entière et seulement dans l'exercice du soupçon ! « L'idéologie révolutionnaire est à la recherche d'auteurs, de responsables, d'un ou plusieurs "individus" à désigner. » (Lucien Jaume, Le Discours jacobin et la démocratie, Fayard, Saint-Amand-Montrond 1989, note 65, p. 170.) « La recherche et la dénonciation nominale des ennemis de la Nation ou du Peuple n'a pas été le propre des Jacobins; il s'agit d'une conduite généralisée dès le début de la Révolution... » (Lucien Jaume, Le Discours jacobin, ibid., p. 192.) 

 

« L'imaginaire du complot remplit une autre fonction encore. La crainte du "complot aristocratique" est en effet le vecteur par lequel la nation se constitue. [...] La nation [révolutionnaire. NdCR.] se définit par ce qu'elle rejette; elle prend forme forme matérielle, consistance et réalité, à travers la mobilisation qu'entraînent les rumeurs sur les complots qui le menacent. » (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 65.) Dans ce discours républicain, en fait, dès le début la république se constitue contre, il n'y a rien de positif.

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11 octobre 2018 4 11 /10 /octobre /2018 07:11
"La crise de la démocratie n'est pas liée à nos institutions. Ça va mal dans toutes les sociétés occidentales !" (Henri Guaino)

Devant le désastre de nos sociétés modernes détruites, tout un débat est en train de s'ouvrir. certains professionnels de la politique font semblant de se réveiller. Invité jeudi 11 octobre de la nouvelle émission de Frédéric Taddeï "Interdit d'interdire, enfin de vrais débats", "du lundi au jeudi à 19h, sur RT, Henri Guaino était interrogé sur le thème "soixante après, que reste-t-il de la Ve république ?". L'ex conseiller de Nicolas Sarkozy, responsable de la destruction de la Libye et de l'instauration de la démocratie dans ce pays, a tenu ce propos iconoclaste : 

"La crise de la politique ou la crise de la démocratie n'est pas liée directement à nos institutions. Parce que si c'était le cas cela irait très bien ailleurs, et pas du tout bien chez nous. Or cela va mal dans toutes les sociétés occidentales ! Et quand je dis mal, c'est très mal. Et elles ont toutes des institutions très différentes; Il faut donc s'interroger sur ses causes et arrêter toujours de penser que la réponse est une réponse constitutionnelle."

La réponse serait-elle structurelle et plus profonde que les constitutions écrites des démocraties modernes? Les causes de cette crise ne seraient-elles pas à rechercher dans la soit-disant philosophie des "Lumières" par exemple et leur religion des droits de l'homme ?

"La crise de la démocratie n'est pas liée à nos institutions. Ça va mal dans toutes les sociétés occidentales !" (Henri Guaino)

Source: Video RT

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30 septembre 2018 7 30 /09 /septembre /2018 12:10

Mise à jour en orange dans le texte le 26/12/2021.

Un débat a été organisé par France Inter autour de la parution du dernier livre d'Éric Zemmour, « Destins français ». Après une joute sur les Croisades qu'Eric Zemmour réhabilite pour avoir préservé l'Europe d'une invasion islamique dès le XIe siècle et permis l'éclosion de la Renaissance et de la civilisation européenne (Zemmour cite le grand orientaliste René Grousset à ce sujet), Raphaël Glücksman donne les vraies raisons de la détestation médiatique : la réhabilitation de Pétain, et l'attaque des "Lumières" que furent Voltaire et Victor Hugo :  

En réponse à Raphaël Glucksman, Eric Zemmour cite Suarès 

 

« Je vais vous répondre tout d'abord par une phrase d'André Suarès et vous allez comprendre exactement mon point de vue qui est aux antipodes du vôtre. Vous avez tout à fait raison. André Suarès est un auteur des années 30, oublié malheureusement alors que c'est un très grand écrivain et qui avait écrit des livres terribles pour passer à la guerre contre Hitler, fils de juif italien et patriote français, et surtout grand écrivain, fou de Pascal et qui avait fini presque par écrire aussi bien que Pascal. Et qui disait - et vous allez voir que c'est la réponse à notre querelle : "Que le peuple français aille ou non à l'Église, il a l'Évangile dans le sang. Et ses plus grandes fautes sont quand il met du sentiment dans la politique."

 

« [...] (Victor) Hugo, en politique, s'est trompé sur tout. Il est l'incarnation de ce que je viens de dire, le sentiment dans la politique. (Charles) Péguy lui-même dit (de Victor Hugo): "il aime les assassins." Et c'est une part de sa naïveté. Il nous a introduit dans cette victimisation.

 

« Voltaire, le chantre de "la liberté" était le plus sectaire du monde. Relisez Augustin Cochin. »

 

En réponse, Raphaël Glucksman déclare: « Quand vous citez l'Évangile, moi je ne nie absolument pas le fait que la France ait une histoire chrétienne et que dans ses veines coulent les Évangiles. Simplement ce que vous, vous écrivez dans votre livre - parce que même nos conceptions du christianisme diffèrent totalement, on est à l'opposé absolument - , vous écrivez dans votre livre, vous dites clairement : "Je suis pour l'Église et contre le Christ." Quand vous dites cela, vous ne comprenez rien à la Révolution française, vous ne comprenez rien à tout ce qui fait l'histoire des révoltes françaises pour la liberté puisque, eux, épousent le Christ contre l'imposition verticale. »

 

Eric Zemmour fait une réponse curieuse qui mériterait une explication en profondeur : « Mais biensûr, vous êtes pour le christianisme et moi pour le catholicisme. »

 

Sur ce point, Eric Zemmour exagère et déforme sans aucun doute le vrai christianisme. Le terme « christianisme » englobe les hérésies protestantes, le catholicisme ne rejette pas ce qu'il y a de chrétien (catholique) dans ces hérésies (raison pour laquelle par exemple le Concile de Trente reconnaît les baptêmes protestants valides si faits au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et en raison de faire ce qu'a toujours fait l'Église). Zemmour tombe dans le piège des hérétiques gnostiques des premiers siècles comme des protestants aujourd'hui, en sous-entendant que le catholicisme serait opposé au christianisme : ceci est faux bien évidemment. [Le catholicisme, tronc d'origine du premier christianisme, n'est pas une ''secte du christianisme'' comme on l'entend dire dans certains cercles (comme les ''Témoins de Jéhovah'' par exemple). Le terme grec, kajolik´ov, catholicos qui avait déjà chez les auteurs grecs (Aristote, Zénon, Polybe) le sens d’universel, de total, de général, est employé depuis le début du IIe siècle, presque exclusivement par les auteurs chrétiens, et pour la première fois par Ignace d’Antioche en 112 ap. J.-C., dans sa Lettre aux chrétiens de Smyrne (VIII,2), pour désigner l’Église de Jésus-Christ. Dès ce moment, le mot a un double sens: il désigne la foi catholique commune à toute l'Église déjà répandue dans de nombreux pays, par opposition aux communautés ayant assez tôt dévié de la foi apostolique (nicolaïtes, gnostiques de toutes obédiences, et hérétiques tels que définis par saint Irénée de Lyon). "C'est l'orthodoxie qui crée l'hétérodoxie et non pas l'inverse : c'est en se considérant orthodoxes que ceux qui ne le sont pas sont rejetés comme hétérodoxe." (Simon Claude MIMOUNI, Le judaïsme ancien et les origines du christianisme, Bayard, Italie 2018, p. 296-297)]. Sur ce point, aussi bien Glücksman qui assimile l'Église catholique à une « imposition verticale » que les révolutionnaires de 1789 auraient voulu rejeter (ce qui ferait d'eux en quelque sorte les vrais chrétiens, avant d'imposer leur propre religion celle des droits de l'homme !...), que Zemmour avec son "Je suis pour l'Église et contre le Christ", sont dans l'erreur. Ne lisons-nous pas dans l'Évangile de ce dimanche 30 septembre, qui tombe à point :

 

Evangile de Jésus-Christ selon saint Marc 9:38-48: En ce temps-là, Jean, l’un des Douze, disait à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. » Jésus répondit : « Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous. » (Fin de citation de l'Evangile) 

Jésus explique ici la vraie tolérance qui vient de Dieu et nous explique que les hérétiques n'étant pas contre nous sont pour nous. Et ceci a toujours été la position de l'Église catholique qui a toujours cherché à ramener les hérétiques à la pleine communion.

 

Décrivant son activité messianique, Jésus a dit de Lui-même qu'il était venu porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu'ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés. (Luc 4:18). Les Évangiles nous montrent ceux qui sont contre Jésus : les pharisiens viennent Le voir, et devant les guérisons que fait Jésus, ces faux docteurs veulent troubler l'activité messianique de Jésus en faisant passer le bien pour le mal, jusqu'à faire passer le Christ pour un auxiliaire de Satan : Il chasserait les démons par le prince des démons. Et l'on comprend que Jésus ait alors dit d'eux : « Tout royaume divisé contre lui-même devient un désert ; toute ville ou maison divisée contre elle-même sera incapable de tenir. Si Satan expulse Satan, c’est donc qu’il est divisé contre lui-même ; comment son royaume tiendra-t-il ? Et si c’est par Béelzéboul que moi, j’expulse les démons, vos disciples, par qui les expulsent-ils ? C’est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. Mais, si c’est par l’Esprit de Dieu que moi, j’expulse les démons, c’est donc que le règne de Dieu est venu jusqu’à vous. Ou encore, comment quelqu’un peut-il entrer dans la maison de l’homme fort et piller ses biens, sans avoir d’abord ligoté cet homme fort ? Alors seulement il pillera sa maison. Celui qui n'est pas avec moi est contre moi; celui qui ne rassemble pas avec moi disperse. » (Matthieu 12:30)

 

À bien analyser aussi bien le discours de Raphaël Glucksman que celui de Zemmour, aucun des deux ne semblent consister précisément à être contre Jésus, même si pour le coup, la position de Zemmour qui déclare être pour l'Église et contre le Christ (en pensant certainement être contre les hérésies protestantes qui se disent chrétiennes) est maladroite, inexacte, contre-productive, pour le moins ambigüe. Les deux expressions pourraient bien être aussi éloignées l'une que l'autre du Christ en produisant pour l'une la religion des droits de l'homme, pour l'autre en privant le catholicisme de son amour du prochain, une simple doctrine autoritaire et intolérante.

 

Être "contre" le Christ c'est choisir volontairement l'enfer.

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24 septembre 2018 1 24 /09 /septembre /2018 18:34

Giovanni Fighera

 

La Nuova Bussola Quotidiana

 

CULTURE 23/09/2018

 

Lucrezio, la ricerca impossibile di una felicità

L'épidémie de peste à Athènes

L'épidémie de peste à Athènes

(Traduction)

 

Dans le troisième livre de De rerum natura, Lucrèce (poète philosophe latin du Ier siècle av. J.-C., disciple d'Épicure, dont les idées ont imprégné la culture moderne, les "Lumières" et le darwinisme. NdCR.) présente la condition existentielle de l'homme qui perçoit au fond de l'âme, une nuisance qui le tourmente, définit le taedium vitae (la fatigue de la vie), comme un aiguillon, un poids, une insatisfaction qui le conduit à se déplacer d'un endroit à l'autre, à la recherche de la sérénité ou, mieux, du bonheur :

 

 

Si les hommes, comme ils semblent sentir sur leur cœur le poids qui les accable, pouvaient aussi connaître l'origine de leur mal et d'où vient leur lourd fardeau de misère, ils ne vivraient pas comme ils vivent trop souvent, ignorant ce qu'ils veulent, cherchant toujours une place nouvelle comme pour s'y libérer de leur charge.

 

L'un se précipite hors de sa riche demeure, parce qu'il s'ennuie d'y vivre, et un moment après il y rentre, car ailleurs il ne s'est pas trouvé mieux. Il court à toute bride vers sa maison de campagne comme s'il fallait porter secours à des bâtiments en flamme ; mais, dès le seuil, il baille ; il se réfugie dans le sommeil pour y chercher l'oubli ou même il se hâte de regagner la ville. Voilà comme chacun cherche à se fuir, mais, on le sait, l'homme est à soi-même un compagnon inséparable et auquel il reste attaché tout en le détestant ; l'homme est un malade qui ne sait pas la cause de son mal. S'il la pouvait trouver, il s'appliquerait avant tout, laissant là tout le reste, à étudier la nature ; car c'est d'éternité qu'il est question, non pas d'une seule heure ; il s'agit de connaître ce qui attend les mortels dans cette durée sans fin qui s'étend au delà de la mort. Enfin pourquoi trembler si fort dans les alarmes ?

 

Lucrèce nous représente un homme qui se fuit de lui-même, de ce silence qui le conduirait à prendre conscience de lui-même, de ses questions et du vide qu'il ressent au fond de son âme.

 

Giacomo Leopardi

Leopardi, qui connaît bien Lucrèce, montre une grande harmonie avec cette vision de l'être humain : «La vie continuellement occupée est la plus heureuse, même lorsqu'elle n'est pas occupée et ressentie avec diverses sensations. L'âme occupée est distraite par ce désir inné qui ne la laissera pas en paix et l'assignera à ces petits objectifs quotidiens (terminer un travail, subvenir à ses besoins ordinaires, etc.), puisqu'elle les considère alors comme des plaisirs (plaire à tout ce que l'âme désire) et en atteignant l'un, il passe à un autre, de sorte qu'il est distrait par de plus grands désirs et qu'il n'a pas de champ pour affaiblir la vanité et le vide des choses et l'espoir de ces petites fins [...] suffisent à le remplir et à le retenir au moment de son repos ».

 

Leopardi, cependant, est bien conscient de la tromperie de l’occupation amusante et continue de sa journée par un millier d’activités. En fait, écrit-il dans le Zibaldone : « Ni l’occupation, ni l’amusement, ne donnent de bonheur aux hommes. Néanmoins, il est de toute façon certain que l'homme occupé ou diverti est moins malheureux que la personne au chômage, à la vie uniforme sans distraction. [...]. Occupée ou amusée (la vie implicite), elle se ressent et se passe apparemment mieux, et donc seulement les hommes occupés ou qui s'amusent, ont plus de plaisir que les autres, et les chômeurs et les malchanceux sont plus malheureux, non pas parce qu’ils ont moins de biens, mais pour la majorité du manque, c’est-à-dire du grand sentiment d'une vie apparemment plus grande. »

 

La vie frénétique d'aujourd'hui semble être la représentation paradigmatique d'une réponse que la société contemporaine a donnée à la question du bonheur, une réponse induite par le pouvoir qui induit de faux besoins et les place comme des besoins fondamentaux de l'ego. Remplir le vide, faire taire l'horreur du vide, qui provoque un sentiment de vertige, c'est le mot d'ordre actuel. La plupart, dans leur oubli, ne réalisent même pas qu'ils ne sont pas libres dans cette façon d'agir, ils supposent qu'ils vont bien simplement parce qu'ils n'entendent plus la question. Paradoxalement, une montagne de plaisirs submerge le véritable désir.

 

Dans les Pensées de Pascal, cette attitude humaine de distraction est définie par le terme de divertissement. L'expression dans son sens étymologique (du latin divertere qui «tourner ici et là, loin de la route principale, du sillon ») désigne bien la tentative, consciente ou non, de nous arracher à notre question originelle, siège des questions les plus authentiques sur le sens et la fin des choses, à travers des distractions, des palliatifs, des plaisirs substitutifs du bonheur qui ont pour conséquence de nous aliéner, de nous éloigner de nous-mêmes, de nous trouver toujours en dehors de nous, inhabité. »

 

Lucrèce ne peut pas expliquer pourquoi l'homme est animé de cet ennui existentiel, du taedium vitae. Il ne peut même pas offrir de réponse satisfaisante à la recherche du bonheur qui anime l'âme humaine.

 

En accord avec sa philosophie, en insérant les hommes (mortels) dans une vision du monde matérialiste, Lucrèce tente de leur enlever les peurs qui les assaillent, en particulier la peur de la mort et de l’au-delà. Rien n'est créé et rien n'est détruit, mais tout revient à faire partie de l'univers. La personne, après la mort, n'existe plus. En fait, l'homme est constitué d'âme et de corps, tous deux mortels. Lucrèce suit ici ce qu'Épicure a écrit dans l'épître à Meneceo : « Le courrier le plus horrible, la mort, n'est donc rien pour nous, car, quand nous sommes, la mort n'est pas là, et quand la mort est là nous ne sommes plus. »

 

Pour cette raison, l'homme n'a selon Lucrèce, aucune raison de craindre la mort ou la vie après la mort, car les dieux ne se soucient pas des punitions ou des prix des hommes, qui disparaissent avec la mort même. Vaines sont toutes les croyances qui peuplent le monde: Sisyphe, Cerbère, Furies et autres créatures fruit de l'imagination humaine et de la superstition stupide.

 

Évidemment, l'argument emprunté au philosophe Épicure n'est certainement pas en mesure d'éliminer la peur de la mort de l'esprit et du cœur de l'homme. Un raisonnement, encore plus dépourvu de tout statut scientifique, mais simplement cohérent à la logique du système philosophique construit, ne peut certainement pas chasser la peur ancestrale de l'homme de laisser à jamais ce monde et combien plus cher. L'homme ne ressent pas en lui la crainte des punitions imposées dans les « temples acherontei », mais aspire à l'éternité, il a dans son cœur un désir d'absolu et de totalité que Lucrèce semble oublier. L'homme a toujours été religieux.

 

Ainsi, dans la conclusion du De rerum natura, Lucrèce explique les causes de l'épidémie dévastatrice qui a frappé la ville d'Athènes en 430 av. C. par des causes physiques très spécifiques. Avec des images effrayantes et horribles, le poète décrit la souffrance humaine tragique:

 

Tous alors en foule étaient livrés à la maladie et à la mort. Ils commençaient par sentir leur tête en feu, une rouge lueur troublait leurs yeux. Leur gorge toute noire était baignée d'une sueur de sang et des ulcères leur obstruaient le canal de la voix ; l'interprète de la pensée, la langue, dégouttait de sang, affaiblie par le mal, alourdie, rude au toucher.

 

 

Loin d'éloigner la peur de la mort, la conclusion du poème l’accentue certainement.

 

Pourquoi alors une œuvre visant à conjurer les fausses craintes des mortels (y compris celles de la mort et des dieux) se termine-t-elle par des images de désespoir? Peut-être Lucrèce veut-il créditer davantage la thèse du VIe et dernier livre du poème selon lequel tout se passe selon des causes naturelles, non selon des châtiments et des interventions divines. Mais l'hypothèse selon laquelle le De rerum natura n'était pas complètement achevé est encore plus probable.

 

Deux mille ans plus tard, la sécurité avec laquelle Épicure retrace certaines causes de l’épidémie (en réalité erronées) nous fait sourire. Il est surprenant aussi de voir l'arrogance avec laquelle Lucrèce affirme qu'après la victoire d'Épicure contre la religion, l'homme est l'égal des dieux. Sur le piédestal, à la place des dieux, se trouve maintenant l'homme avec ses certitudes et ses vérités atteintes.

 

Dans ce cas, Épicure et Lucrèce anticipèrent l'attitude prométhéenne d'un certain siècle des Lumières, du positivisme, du néo-positivisme et de tous les courants qui deviennent les porte-parole d'une vie meilleure possible grâce aux efforts de la raison humaine pour se libérer du Mystère [Lire: Les fondements philosophiques de la démocratie moderne (Maxence Hecquard) - La nature totalitaire de la démocratie moderneNdCR.]. L'impression qui donne lieu à la lecture du travail est que l'objectif n'a pas été atteint. La sérénité et la joie dans le poème ne dominent pas. Le sens de l'absurde et de l'irrationnel semble finir par triompher dans les dernières scènes tragiques.

 

Giovanni Fighera

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20 septembre 2018 4 20 /09 /septembre /2018 06:05

Nouvel éclairage sur Voltaire et les soit-disant "Lumières" encensées par la république:

Voltaire : cet être méprisant, ami des despotes étrangers, flagorneur, anglomane, raciste, hypocrite et pingre, que l'on porte aux nues

Du site "Pour une école libre au Québec" :

 

Voltaire : méprisant, ami des despotes étrangers, flagorneur, anglomane, raciste, hypocrite et pingre mais adulé aujourd'hui

 

Extraits du Destin français d'Eric Zemmour, on comprend que les gardiens du temple enragent dans les médias...

 

La flatterie des grandeurs

 

 

Voltaire (F.-M. Arouet)Il tempête. Il éructe. Il tonne. Il menace. Il vocifère. Il agonit les faibles d’injures, mais courbe l’échine devant les puissants. Il reçoit avec faste dans sa demeure de Ferney les riches et les gens titrés, il en chasse les pauvres et les manants. Il se plaint, gémit, se lamente, souffre mille morts, sempiternel moribond hypocondriaque, Volpone de comédie toujours entre la vie et la mort, pour mieux apitoyer et circonvenir.

 

On se croit avec Louis de Funès, mais on est avec Voltaire. On croit entendre de Funès : « Les pauvres sont faits pour être très pauvres et les riches très riches » ; mais c’est Voltaire qui dit : « Il faut absolument qu’il y ait des pauvres. Plus il y aura d’hommes qui n’auront que leurs bras pour toute fortune, plus les terres seront en valeur. »

 

On se croit avec de Funès frappant ses domestiques : « Vous êtes trop grand, baissez-vous, un valet ne doit pas être si grand ! », mais c’est Voltaire qui dit : « Il faut un châtiment qui fasse impression sur ces têtes de buffles… Laissons le peuple recevoir le bât des bâtiers qui le bâtent, mais ne soyons pas bâtés. »

 

Voltaire ou de Funès ? « Il eut toujours l’air d’être en colère contre ces gens, criant à tue-tête avec une telle force, qu’involontairement j’en ai plusieurs fois tressailli. La salle à manger était très sonore et sa voix de tonnerre y retentissait de la manière la plus effrayante1. »

 

Voltaire ou de Funès ? « J’ai honte de l’abrutissement et de la soumission basse et servile où j’ai vécu trois ans auprès d’un philosophe, le plus dur et le plus fier des hommes2. » Voltaire ou de Funès ? « En général le respect pour les grands avilit le fait qu’on admire ce qui est bien loin d’être admirable. On loue des actions et des discours qu’on mépriserait dans un particulier3. »

 

Voltaire est un de Funès lettré, un de Funès en majesté ; un de Funès en robe de chambre et perruque coiffée d’un bonnet de patriarche. De Funès pouvait tout jouer, industriel ou commerçant, flic ou mafieux, restaurateur ou grand d’Espagne ; Voltaire pouvait tout écrire, poésie, tragédie, roman, conte, essai politique, récit historique ou épopée. Le personnage incarné par Louis de Funès, avec un génie comique incomparable, traduisait l’avènement, dans la France pompidolienne du milieu du XXe siècle, d’une nouvelle bourgeoisie, avide et brutale, amorale et cynique, pressée de faire fortune et de parvenir. Voltaire incarne, avec un génie littéraire incomparable, l’avènement, dans la France de Louis XV du milieu du XVIIIe siècle, d’une nouvelle bourgeoisie, avide et brutale, amorale et cynique, pressée de faire fortune et de parvenir. La même soif de reconnaissance. Le même arrivisme. Le même mépris de classe. Le même darwinisme libéral. La même cruauté sociale. Le même règne de l’argent.

 

Un confident de Voltaire évoque ses « 150 000 livres de rentes dont une grande partie gagnée sur les vaisseaux ». La traite des Noirs « n’est pas sans doute un vrai bien », reconnaît Voltaire dans une formule alambiquée, avant d’écrire à son homme d’affaires : « J’attends avec toute l’impatience d’un mangeur de compote votre énorme cargaison bordelaise. » En octobre 1760, Voltaire sable le champagne avec quelques amis pour fêter la défaite au Québec des Français dans une guerre « pour quelques arpents de neige ». L’humiliation patriotique et le déclassement géostratégique lui paraissent de peu d’importance eu égard à l’enjeu commercial : sauvegarder en échange les possessions françaises aux Antilles et leurs exploitations sucrières, très abondantes et très rémunératrices, même si elles utilisent une main-d’œuvre d’esclaves alimentée par la traite des Noirs.

 

Notre humaniste détourne le regard. Business is business. Le travail est le souverain bien. Surtout le travail des pauvres. « Forcez les gens au travail, vous les rendrez honnêtes gens. » Il vante les déportations en Sibérie comme les forçats dans les colonies anglaises condamnés « à un travail continuel ». Il pense comme Quesnay, le chef de file des économistes physiocrates, « qu’il est important que le petit peuple soit pressé par le besoin de gagner » ; et n’a aucune compassion pour les « deux cent mille fainéants qui gueusent d’un bout du pays à l’autre, et qui soutiennent leur détestable vie aux dépens des riches ».…

 

Le grand importateur des « idées anglaises »

 

Notre grand homme habille son insensibilité sociale et sa cupidité insatiable des oripeaux savants de la liberté. Il a rapporté d’Angleterre ce mariage de libéralisme économique et de libéralisme politique et philosophique. Il est le grand importateur de ces « idées anglaises » que nos armées vont bientôt répandre dans toute l’Europe, après avoir bouleversé la France, pour le meilleur, mais aussi pour le pire : « Les Français ne furent que les singes et les comédiens de ces idées, leurs meilleurs soldats aussi, en même temps, malheureusement, que leurs premières et plus complètes victimes, car la pernicieuse anglomanie des “idées modernes” par étioler si bien l’âme française qu’on ne se rappelle plus, aujourd’hui, qu’avec une surprise presque incrédule son XVIeet son XVIIe siècle, sa force profonde et passionnée de jadis, son pouvoir créateur, sa noblesse… La noblesse européenne — noblesse du sentiment, du goût, des mœurs, bref, la noblesse de tous les sens élevés du mot — est l’œuvre et l’invention de la France ; la vulgarité européenne, la bassesse plébéienne des idées modernes est l’œuvre de l’Angleterre4. »

 

L’attrait était trop grand. Le goût du changement. La fascination des grands mots et des grands principes. La liberté de penser, d’écrire, de parler ; la liberté de commercer aussi. La liberté de croire ou de ne pas croire. Les droits de l’homme. La tolérance qu’il défend urbi et orbi, pour la réhabilitation de Calas ou du chevalier de La Barre, et qu’il pratique si peu : « La tolérance ? Prêchez-la d’exemple », lui lance Madame du Deffand. Ses proches seuls ont deviné que la tolérance voltairienne reposait non tant sur le respect de chacun que sur le mépris de tous.

 

Même mépris de la « populace » catholique qui a persécuté les Calas et de ces « imbéciles » de Calas. « Nous ne valons pas grand-chose, mais les huguenots sont pires que nous. » Mépris des Juifs : ces « ennemis du genre humain » ; cette « horde vagabonde des Arabes appelés Juifs ».

 

Mépris des pauvres : « Il me paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants… Le vulgaire ne mérite pas qu’on pense à l’éclairer… Les frères de la doctrine chrétienne sont survenus pour achever de tout perdre: ils apprennent à lire et à écrire à des gens qui n’eussent dû apprendre qu’à dessiner et à manier le rabot et la lime, mais qui ne veulent plus le faire. »

 

Mépris du peuple : « C’est une très grande question de savoir jusqu’à quel degré le peuple, c’est-à-dire neuf parts du genre humain sur dix, doit être traité comme des singes. »

 

Mépris des Français : « La chiasse du genre humain… les premiers singes de l’univers… une race de singes dans laquelle il y a eu quelques hommes… Au-dessous des Juifs et des Hottentots. »

 

Mépris de l’humanité : « Regardons le reste des hommes comme les loups, les renards, et les cerfs qui habitent nos forêts. »

 

C’est à ce point d’intersection que se rejoignent le tempérament et l’idéologie. Son humanisme est perverti par son sentiment de supériorité. Voltaire s’approprie le mot célèbre de Terence : « Je suis homme ; rien de ce qui est humain ne m’est étranger » ; mais il décide qui est homme et qui ne l’est pas. Il y a les « honnêtes gens » et la « canaille ». Pour cette « canaille », un Dieu est indispensable pour les « empêcher de me voler ». Voltaire animalise à tour de bras ses ennemis : « Il est juste d’écarter à coups de fouet les chiens qui aboient sur notre passage », autant que la populace, les « sauvages », les Noirs, les Hottentots, les Juifs : « animaux calculants », les « bêtes puantes de jésuites ».

 

C’est le cœur de son désaccord avec Rousseau : « Il n’y a que lui qui soit assez fou pour dire que tous les hommes sont égaux. » C’est surtout le cœur de son conflit avec l’Église catholique. Dans son combat inexpiable contre le catholicisme, on ne sait qui est la poule et qui est l’œuf ; on ne sait si Voltaire récuse l’égale dignité de tous les hommes parce que c’est un credo catholique ou s’il vomit le catholicisme parce qu’il défend l’égale dignité de tous les fils d’Adam : « Notre aumônier prétend que les Hottentots, les nègres et les Portugais descendent du même père. Cette idée est bien ridicule... voilà bien une plaisante image de l’être éternel qu’un nez noir épaté avec pas ou point d’intelligence. »

 

Dans son livre Naissance du sous-homme au cœur des Lumières, Xavier Martin montre comment la remise en cause par Voltaire du message universaliste chrétien le conduit irrémédiablement à une hiérarchisation entre les hommes, mère de toutes les dérives ; comment sa haine du christianisme l’amène naturellement à celle du peuple qui l’a inspiré. Jésus : « Un Juif de la populace, né dans un village juif, d’une race de voleurs et de prostituées… un ignorant de la lie du peuple, prêchant surtout l’égalité qui flatte tant la canaille… » Saint Paul : « menteur et méchante bête », qui « parviendrait à ruiner l’Empire romain en faisant triompher le principe d’égalité de tous les hommes devant un seul Dieu ». Sans oublier la Genèse, ce « roman asiatique », un texte alourdi de « toutes les dégoûtantes rêveries dont la grossièreté juive a farci cette fable ».

 

Notre historien iconoclaste note que Drumont dans La France juive comme Fourier ou Proudhon, dans leurs diatribes antisémites, citent copieusement Voltaire. Chamberlain, célèbre antisémite anglais du XIXe siècle, fonde lui aussi « sa récusation de l’unité de l’espèce humaine sous l’autorité des Lumières ». Le coup de grâce est donné par le plus grand historien de l’antisémitisme en Europe, Léon Poliakov : « L’écrasement de l’infâme préludera (à travers autant de médiations qu’on voudra) à des égorgements autrement vastes. » Le peuple vendéen sera le premier à subir dans sa chair ce déni d’humanité. D’autres ne tarderont pas à être qualifiés de « sous-hommes » et d’animaux. « Le christianisme avait fait prévaloir l’unité du genre humain. Le règne de la raison va paradoxalement battre en brèche cette conception adamique de l’humanité en minant l’idée même de l’unité de l’espèce », souligne Georges Bensoussan, historien de la Shoah.

 

La division de l’humanité en races distinctes, et bientôt inégalitaires, sortira au XIXe siècle de cette remise en cause voltairienne de l’unité chrétienne de l’espèce humaine. Les Chamberlain, Gobineau, Rosenberg ne sont pas les produits odieux des anti-Lumières, mais les fils des Lumières. Pas les rebelles contre Voltaire, mais ses enfants dégénérés. Les bâtards de Voltaire !

 

L’auteur de Candide a de la chance : la postérité progressiste et humaniste refuse cette leçon pourtant implacable. Et se bouche les oreilles lorsque Poliakov retourne l’ironie voltairienne contre le maître : « On continuera donc à combattre le racisme au nom de ces apôtres des Lumières qui en furent les inventeurs de fait. »

 

Voltaire est encore plus grand mort que vivant

 

Ces efforts démythificateurs sont vains. Voltaire est encore plus grand mort que vivant. Son talent littéraire souverain intimide jusqu’aux plus hostiles. Même Joseph de Maistre prend des précautions avant d’abattre l’idole : « Il ne faut louer Voltaire qu’avec une certaine retenue, j’ai presque dit à contrecœur. L’admiration effrénée dont trop de gens l’entourent est le signe infaillible d’une âme corrompue. »

 

Pourtant de Maistre voit juste avec deux siècles d’avance. La postérité n’a pas conservé grand-chose de son œuvre protéiforme : quelques contes où sa légèreté ironique fait merveille, comme Candide ; mais rien de ses tragédies, encore moins de ses poésies ou épopées (La Henriade !) ne subsiste dans les mémoires. Ses textes politiques n’ont pas la profondeur de ceux de Montesquieu ou de Rousseau. Il est un pamphlétaire de talent, un activiste de génie. La profondeur allemande du XIXe siècle fait de Voltaire un usurpateur de la « philosophie ».

 

En dépit de tout, François-Marie Arouet, dit Voltaire, incarne, à nos yeux qui refusent de se dessiller, la liberté et la modernité, la fin de l’obscurantisme religieux et de la superstition, l’ère de la raison souveraine et de l’individu qui s’émancipe des corsets holistes de la société traditionnelle. « Voltaire, c’est la fin du Moyen Âge », s’inclinera encore Lamartine. Mais pourquoi lui ? Ses thuriféraires évoquent les persécutions qu’il aurait subies, ses séjours à la Bastille, les bastonnades des grands pour son irrévérence, son mot célèbre et insolemment prophétique : « Votre nom finit où le mien commence. » En 1717, il a 23 ans ; il est emprisonné pour avoir écrit des vers injurieux contre le Régent ; mais il sort de la Bastille onze mois plus tard après avoir envoyé un poème au Régent… qui lui verse une pension. En 1726, après la volée que lui inflige le chevalier de Rohan-Chabot, tout Paris se presse pour le visiter. L’appartement qui lui sert de prison s’avère trop petit pour recevoir la foule qui se bouscule ; il faut le libérer.

 

On a connu persécutions plus cruelles. Celles que connaissent notamment les Polonais envahis en 1768 par Catherine II. Voltaire la défend pourtant : « L’impératrice de Russie non seulement établit la tolérance universelle dans ses vastes États, mais elle envoie une armée en Pologne, la première de cette espèce depuis que la terre existe, une armée de paix qui ne sert qu’à protéger les droits des citoyens et à faire trembler ses persécuteurs. »

 

Voltaire invente à cette occasion la guerre humanitaire, la guerre pour la paix, la guerre pour la liberté des peuples qu’on occupe. Il est prêt à tout pour protéger ses amis souverains. Il qualifiera même le meurtre de son mari par l’impératrice de « bagatelle ».

 

En revanche, il ne passe rien au roi de France, ce « despote ». Louis XV a un irrémédiable défaut : il ne le reçoit pas, ne dîne pas avec lui en tête à tête, n’entretient pas de conversation épistolaire. Ne lui demande pas son avis sur la politique à mener ; ne recherche pas son aval avant de déclarer la guerre. En dépit des pressions, des supplications de la Pompadour, Louis XV ne goûte pas la compagnie de Voltaire, le trouve pédant, fat. Louis XV est de l’ancienne roche, il a un confesseur de l’Église catholique. Ces Capétiens sont désuets ; ils n’ont pas compris les temps nouveaux : ils ne traitent pas Voltaire (et les autres philosophes) en directeur de conscience : « Aucun prince ne commencera la guerre, disait Frédéric II, avant d’en avoir obtenu l’indulgence plénière des philosophes. Désormais ces messieurs vont gouverner l’Europe comme les papes l’assujettissaient autrefois. » L’impératrice russe Catherine II ne dira pas autre chose à propos de son long compagnonnage avec Diderot : « Tout au long de ces années, j’ai fait semblant d’être l’élève et lui le maître sévère. »

 

 

Une nouvelle race d’écrivains

 

Voltaire est libéral, mais pas démocrate : « J’aime mieux obéir à un seul tyran qu’à trois cents rats de mon espèce. » Son régime idéal est le despotisme éclairé. Le despotisme éclairé par la philosophie. Il est une réinvention du roi-philosophe de Platon. Il se rêve despote du despote. D’où ses démêlés tumultueux avec Frédéric II, qui supporte mal sa tutelle. Il inaugure une nouvelle race d’écrivains, qu’on appellera un siècle plus tard « intellectuels », qui ont pour caractéristique commune d’aduler les despotes (on dira bientôt « tyran » ou « dictateur »), mais seulement quand ils sont étrangers : allemands, italiens, russes, algériens, égyptiens, africains, vietnamiens et même chinois. Déjà, à l’époque de Voltaire, Quesnay faisait l’éloge du Despotisme de la Chine (1767) ! Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Ces despotes sont tous éclairés, progressistes, humanistes. Ils sont l’avenir du monde. L’horizon indépassable. Encore plus loués, louangés et flattés lorsqu’ils sont les ennemis de la France. Cette xénophilie militante s’étend à leurs peuples. Ceux-ci sont fiers, dignes, et ont les vertus viriles qu’on reproche au peuple français d’avoir perdues ; ou qu’on lui interdit de posséder. Ils se battent toujours pour la liberté. Eux aussi sont encore plus dignes d’éloges quand ils se révoltent contre la France.

 

Voltaire est le père de tous ces futurs « intellectuels ». Leur maître. Leur modèle indépassable. Le père de générations successives de destructeurs, « déconstructeurs », nihilistes, amoureux insatiables de la table rase. Dans Les Origines de la France contemporaine, Taine a bien saisi la place éminente que tient Voltaire dans la généalogie de l’esprit français qui conduit à la grande saturnale de la Révolution française. Au XVIIe siècle, les classiques utilisent un langage épuré, abstrait, qui par sa clarté devient universel. Avec La Rochefoucauld, La Bruyère, Racine, Descartes, Boileau, l’honnête homme est déjà de nulle part et de partout. Il est français parce qu’il est universel ; universel parce que français. Mais le dogme monarchique et religieux est à l’époque encore intact.

 

Enfin vint Voltaire. Ou plutôt l’esprit scientifique du monde revisité par Voltaire. Descartes et Newton apportés, transcendés, simplifiés, épurés par Voltaire. La raison, sacralisée par la science, corrode tout, mine tout, détruit tout. La tradition est balayée. Le dogme religieux ne s’en remettra pas. La monarchie suivra. Il suffira qu’au pessimisme du XVIIe siècle succède l’optimisme du XVIIIe, pour que toutes les digues soient emportées. L’homme est partout le même, il a donc les mêmes droits partout. Dans les livres des philosophes, les Persans, les Chinois, les Grecs, les Byzantins, les Turcs, les Arabes, les ouvriers, les bourgeois, les chevaliers du Moyen Âge parlent et pensent tous comme un Parisien du XVIIe siècle qui fréquente les salons de Madame du Deffand. Personne ne s’en étonne.

 

Le premier témoin du déclin de la France

 

Voltaire est le premier à avoir connu, subi, souffert sans doute, le déclin de la France à la fin du siècle de Louis XIV. Les défaites de la guerre de Succession d’Espagne, la montée en puissance de l’Angleterre, les concessions du traité d’Utrecht, les ouvertures de la Régence vers les puissances protestantes, autant de signes d’un détestable affaiblissement. Voltaire sera le premier théoricien du « déclinisme » français avec son « siècle de Louis XIV », conçu comme un monumental reproche à son successeur. Voltaire sera également le premier intellectuel — d’une interminable lignée — qui ira chercher à l’étranger – Angleterre, mais aussi Prusse, voire Russie – un modèle et un maître, voire un protecteur contre la « canaille » française.

 

Seul Rousseau, une fois encore, a compris ce qui se trame ; seul Rousseau a dénoncé l’entourloupe : « Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux ; tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins. » Voltaire ne peut déchoir dans la mémoire collective, car, tel un roi, il est porté par les générations successives des écrivains et intellectuels qui se glorifient à travers lui. Le voltairien est le soutien solide de la République radicale ; l’ancêtre de Ferney est la figure tutélaire des « couches nouvelles » de Gambetta, de cette élite bourgeoise qui a compris qu’il est des Républiques douces à l’argent. Encore un siècle et on retrouve notre Voltaire en aïeul des libéraux-libertaires qui ne sont sortis de leurs chimères révolutionnaires de Mai 68 que pour mieux endosser les habits de la cossue bourgeoisie mondialisée. Toujours au nom de la liberté, du progrès, du cosmopolitisme. Un joyeux agnosticisme tonitruant les anime qui n’épargne que les monothéismes juif et musulman ; au nom des crimes du passé de l’odieuse Église catholique : toujours et encore « écraser l’infâme », même lorsque l’infâme est à terre.

 

Cette alliance entre la « philosophie » et l’« argent », entre les intellectuels de la liberté et les capitalistes libéraux, donnera ses fruits politiques les plus éclatants lors de la Révolution, comme l’a si bien analysé Edmund Burke : « C’est pourquoi l’alliance des auteurs en question avec les capitalistes n’a pas peu contribué à affaiblir dans le peuple les sentiments de haine et d’envie que lui inspirait cette forme de richesse […] ils attiraient, à force d’exagération, les haines les plus fortes sur les fautes de la cour, de la noblesse et des prêtres. Devenus une espèce de démagogues, ils servirent de chaînon pour unir, au service d’une même entreprise, l’opulence et la misère, le faste odieux des uns et la turbulence affamée des autres […] l’alliance des gens d’argent et des gens de lettres explique la furie universelle avec laquelle on a attaqué l’ensemble du patrimoine foncier de l’Église et des communautés religieuses tout en protégeant avec un soin extrême, contrairement aux principes mêmes qui sont invoqués, des intérêts d’argent qui tirent leur origine de la seule autorité de la Couronne5. »

 

Cette alliance a déjà vaincu avant la Révolution. Voltaire a connu de son vivant la déchristianisation de la société française. Une déchristianisation profonde, inéluctable, qui commença par les hautes sphères de la société pour s’étendre jusqu’au peuple. Ses amis en plaisantaient : « Vous voyez la Terre promise et vous n’y entrerez pas », lui écrit Madame du Deffand. Lui-même en riait : « Cela est pourtant fâcheux ; de quoi nous moquerons-nous ? »

 

Voltaire « écrasa l’infâme ». Ce n’est ni la Révolution, ni la Terreur, ni Robespierre, mais Louis XV lui-même, pourtant profondément catholique, qui donnera les premiers et décisifs coups de ciseaux dans la millénaire robe sans coutures de l’Église, en expulsant la congrégation des Jésuites en 1764, à l’exultation des philosophes, pour la plupart anciens élèves ingrats de ces mêmes jésuites.

 

Voltaire et Diderot n’avaient pas été les seuls à sortir des collèges jésuites. Toutes les élites, pendant des siècles, avaient été éduquées par les émules d’Ignace de Loyola. Avec l’expulsion des Jésuites, le rapport de force bascule. L’école ne cessera plus d’être un enjeu majeur de la guerre idéologique. Qui éduque les enfants tient les cerveaux de l’élite. Qui tient les cerveaux de l’élite domine les esprits du pays. Les élèves rebelles deviennent les maîtres. Les persécutés, les persécuteurs. Les vaincus, les vainqueurs. C’est la Révolution avant la Révolution. La Révolution sous l’Ancien Régime. La Révolution avec la bénédiction de l’Ancien Régime.

 

Cette victoire idéologique et culturelle n’est pas le fruit du hasard ni du seul talent littéraire de Voltaire. Elle est le produit d’une organisation de fer, quasi militaire, d’une lutte inexpiable menée contre les adversaires de la « philosophie ». Une guerre imaginée, orchestrée, conduite par Voltaire lui-même. « Je voudrais que les philosophes puissent faire un corps d’initiés et je mourrais content », écrit-il à d’Alembert ; « Ameutez-vous et vous serez les maîtres : je vous parle en républicain, mais aussi il s’agit de la République des lettres oh ! la pauvre République. »

 

Il donne l’exemple. Il poursuit de sa vindicte tous ceux qui osent le contredire, le contester, l’affronter. La postérité a conservé le souvenir de ses altercations avec Jean-Jacques Rousseau. Son mépris, sa morgue contre celui qui « donnait envie de se mettre à quatre pattes ». On sait moins que la lutte intellectuelle se doublait d’une chasse à l’homme judiciaire et policière. Il n’hésite pas à susciter des lettres de cachet contre ses ennemis ; il fait tout pour qu’on enferme Fréron à la prison de Bicêtre ; s’en réjouit quand ses souhaits sont exaucés : « Vous avez enterré Fréron, vous étoufferez les autres insectes dans leur naissance. » Il écrit au duc de Richelieu : « Nous avions besoin autrefois qu’on encourageât la littérature et aujourd’hui il faut avouer que nous avons besoin qu’on la réprime. »

 

Il revient à l’historien Augustin Cochin le grand mérite d’avoir exhumé la face noire de ce qu’il appelait la « secte philosophique. » Elle prend forme et force pendant les années 1770. La « République des lettres » chère à Voltaire intimide jusqu’à la cour. L’Encyclopédie de Diderot impose ses thèmes et ses lois ; deux ou trois salons parisiens, dirigés par des amies ou des alliées de Voltaire, animent un débat intellectuel biaisé d’où les adversaires de la « philosophie » sont ostracisés ou ridiculisés ; l’Académie française a été conquise de haute lutte avec l’entrée de Duclos, et surtout de d’Alembert. En province se multiplient les académies dans les grandes villes et les sociétés littéraires dans les bourgades, sur le modèle parisien. La correspondance au sein de ce petit monde est incessante ; elle unifie et rassemble l’armée des philosophes, petits et grands, au sein des « foyers de Lumières ». La meute se ligue et se lève à volonté contre le clergé ou la cour, contre tel ou tel qui a cru s’attaquer à une coterie locale et se retrouve déchiqueté de toutes parts.

 

 

« De 1765 à 1780, le monde littéraire et politique subit une Terreur sèche, dont l’Encyclopédie est le Comité de salut public et d’Alembert le Robespierre. Sa guillotine est la diffamation, l’“infamie”, comme on dit alors, mot lancé par Voltaire, qui s’emploie dès 1775 dans les sociétés de province : “Noter d’infamie est une opération bien définie, qui comporte toute une procédure, enquête, discussion, jugement, exécution enfin, c’est-à-dire condamnation publique au mépris, encore un de ces termes de droit philosophique dont nous n’apprécions plus la portée. Et les têtes tombent en grand nombre : Fréron, Pompignan, Palissot, Gilbert, Linguet, l’abbé de Voisenon, l’abbé Barhélemy, Chabanon, Dorat, Sedaine, le président de Brosses, Rousseau lui-même, pour ne parler que des gens de lettres, car le massacre fut bien plus grand dans le monde politique6…” »

 

La révolution intellectuelle a précédé la révolution politique selon un cheminement qui sera théorisé plus tard par le communiste italien Gramsci. C’est l’Ancien Régime qui a élevé, protégé et choyé en son sein le serpent philosophique qui le tuera. Des années après la Révolution, le comte de Ségur évoquera dans ses Mémoires le climat qui régnait dans les hautes sphères de la société : « La gravité des anciennes doctrines nous pesait. La riante philosophie de Voltaire nous entraînait en nous amusant […] La liberté, quel que fût son langage, nous plaisait par son langage ; l’égalité, par sa commodité […] Si l’inégalité durait encore dans la distribution des places et des charges, l’égalité commençait à régner dans les sociétés. En beaucoup d’occasions, les titres littéraires avaient la préférence sur les titres de noblesse […] Les institutions restaient monarchiques, mais les mœurs devenaient républicaines […]. Nous préférions un mot d’éloge de d’Alembert, de Diderot, à la faveur la plus signalée d’un prince… »

 

Un climat de guerre civile froide

 

Voltaire a forgé ce climat de guerre civile froide propre à la vie intellectuelle française. Les Jacobins traiteront leurs adversaires en criminels à exécuter ; les communistes, en ennemis de classe à ostraciser. Le sectarisme des progressistes perdure jusqu’à aujourd’hui ; leur propension à judiciariser, psychiatriser, animaliser les conflits politiques ; à refuser à leurs adversaires leur liberté, leur raison, jusqu’à leur statut d’être humain parfois. Leur faculté sidérante à se poser en victimes alors qu’ils sont bourreaux. Leur réécriture fallacieuse de l’Histoire. Tout est dans Voltaire, à la fois père tutélaire et matrice expérimentale.

 

Les « philosophes » ont reproché aux pères de l’Église d’avoir asservi la raison à la théologie ; mais ils ont, eux, asservi Dieu à la raison. Au moins, la raison a-t-elle pu se rebeller et s’émanciper de la théologie. Tous les pays occidentaux ont connu une sécularisation de l’espace public comparable à celle de la France ; mais seul notre pays voltairien a poussé la déchristianisation aussi loin et avec une telle hargne vengeresse, provoquant désert spirituel, anomie sociale et contrôle quasi totalitaire des esprits par une élite sectaire et intolérante.

 

Sans doute les deux phénomènes sont-ils intimement liés : parce qu’ils voulaient détruire l’Église et la religion catholique, et non pas seulement desserrer son étau parfois étouffant, Voltaire et les siens ont dû la remplacer. Pour la remplacer, l’imiter. Les adversaires de l’Église ont fondé une contre-Église ; les ennemis des prêtres ont prêché ; pour mieux dénoncer les persécutions et les excommunications, ils ont persécuté et excommunié.

 

Voltaire était drôle mais méchant ; talentueux mais arrogant ; esprit supérieur qui use de sa liberté pour balayer ceux qui ne sont pas à son niveau. Ses défauts de caractère altèrent son génie. Son sourire est toujours ironie ; sa tolérance toujours mépris ; ses moqueries toujours sarcasmes. Il blasphème ou insulte. Il a pour l’éternité ce masque de vieillard amer et revêche dont l’a affublé le sculpteur Houdon ; et arbore à jamais cet « hideux sourire » qu’évoque Musset. « Le rire qu’[il] excite n’est pas légitime : c’est une grimace […]. Un rictus épouvantable, notait déjà Joseph de Maistre.

 

D’autres cyniques étonnèrent la vertu, Voltaire étonne le vice. Sodome l’eût banni7. »

 

Son talent souverain a corrodé pour toujours l’esprit français de cette aigreur hautaine et grimaçante. L’Église n’avait pas tort de refuser les honneurs du génie à celui qui abuse de ses dons.

 

Voltaire le notait lui-même : « Un esprit corrompu ne fut jamais sublime. »

 

 

 

Notes

 

1. Madame de Genlis décrivant l’ambiance à Ferney.

2. Collini, un secrétaire de Voltaire.

3. Voltaire parlant sans doute d’expérience.

4. Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, 1886.

5. Edmund Burke, Réflexions sur la Révolution de France, 1790.

6. Augustin Cochin, Les Sociétés de pensée et la démocratie moderne, 1921.

7. Joseph de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg, 1821.

 

Source: BelgiCatho

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Le racisme des "Lumières"

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15 septembre 2018 6 15 /09 /septembre /2018 17:37

Extraits de la conférence de Jean-Louis Harouel pour le Cercle de l'Aéropage :

 

« On ne peut pas fonder une société sur les droits de l'homme, pour une bonne raison que les droits de l'homme sont un dissolvant social.

 

« En effet, dès le départ, dans les droits de l'homme, il n'y a que deux entités qui soient légitimes, l'individu et l'humanité entière. L'idée de l'homme indépendant de toute attache particulière, cette idée de droits universels s'adressant à chaque individu, elle est complètement négatrice de toutes les appartenances particulières (famille, province, régions, patrie, civilisation, etc.) Et dès le départ, il y a eu dans ce concept des droits de l'homme, il y a eu une idée de religion de substitution.

 

« Pendant un siècle et demi, les marxistes ont dit le plus grand mal des droits de l'homme, qui étaient pour eux une idéologie bourgeoise, des pseudo-droits, etc. Or, étonnement les droits de l"homme ont pris la place du communisme comme promesse d'une rédemption terrestre, comme promesse d'une émancipation de l'Humanité. Le premier à l'avoir remarqué, c'est François Furet, au début des années 1990. Il avait constaté à ce moment-là que l'Urss explosait, que le communisme s'affaissait et que les droits de l'homme avaient repris la place du communisme qui paraissait en voie d'extinction, comme projet, comme promesse du paradis sur la terre...  Et c'est une utopie. Il y a un historien américain qui s'appelle Samuel Moyn, qui appelle cela The Last Utopia (La Dernière utopie), qui a pris la place des totalitarismes affaissés les uns après les autres... 

 

« [...] Au départ, la nation, l'état-nation, c'est tout simplement une création de la Chrétienté médiévale au milieu du XIIIe siècle, où pour S. Thomas d'Aquin, il est évident qu'il y a la cité (la cité et l'empire, il reprend Aristote), mais le véritable cadre de vie, c'est le royaume national, c'est l'état-nation, l'état monarchique royal. C'est-à-dire (pour nous) l'état de Saint-Louis. Et dans le cadre de l'état-nation, dans le cadre la souveraineté nationale, il y a une dimension de propriété. Une nation, un peuple, c'est un groupe qui est propriétaire de lui-même, de son sol, qui est maître de son contenu humain, qui est propriétaire de son passé, qui doit avoir la maîtrise de son avenir, et qui est chez lui sur un sol. Combien de fois entendons-nous "on n'est plus chez soi !" Et si on n'est plus chez soi, cela montre que l'on devrait normalement être chez soi. Et quand on est chez soi quelque part, cela montre que l'on est dans sa propriété. Il y a une dimension de propriété collective dans l'état-nation. Dans un pays comme le nôtre, le peuple qui le compose est propriétaire de lui-même, propriétaire de son passé, propriétaire de son patrimoine, et devrait être normalement propriétaire de son avenir, ou de la manière de déterminer son avenir. Or tout cela, le droit de l'hommisme, la religion séculière des droits de l'homme le détruit. Elle casse de la propriété. C'est la même chose que le communisme. Simplement cela marche à un autre niveau. Le communisme cassait de la propriété individuelle, le droit de l'hommisme casse de la propriété collective... Mais finalement la mécanique est la même, le droit de l'hommisme est d'essence collectiviste. Et les nouveaux droits de l'homme, avec notamment cette dimension immigrationniste, sont indubitablement avec quelque chose de communiste en eux..

 

« Les droits de l'homme sont un dissolvant social dans n'importe quel contexte, à n'importe quelle époque, dans n'importe quelle situation, parce que les droits de l'homme c'est un faisceau de droit subjectifs, qui détruit le droit objectif. Et on ne construit pas une société sur des droits subjectifs parce que les droits subjectifs détruisent les droits objectifs et donc les fondements d'une société.

 

[...] Et à chaque fois qu'il y a eu comme cela une éruption révolutionnaire millénariste, à chaque fois le paradis annoncé s'est révélé être un enfer... »

 

A la fin de sa conférence, Jean-Louis Harouel évoque son livre "Droite -gauche, ce n'est pas fini" (Desclée de Brouwer, Paris 2017) : 

 

« Et c'est ce que je montre dans ce livre, que la gauche a pour racines les hérésies chrétiennes et que la droite - la vraie droite - a pour racine le christianisme et la Chrétienté. Mais je dirais la vraie droite parce que vous savez que René Rémond disait qu'il y avait trois droites, la légitimiste, l'orléaniste, et la bonapartiste. Mais la seule vraie, c'est la légitimiste. Parce que dans l'orléanisme, il y a un peu de droite, mais il y a beaucoup de gauche, et le bonapartisme c'est pareil, il y a un peu de droite mais il y a beaucoup de gauche.

 

Alors le "ni droite ni gauche", c'est une fumisterie. En réalité, il y a la droite et la gauche, comme corps d'idées. Et puis il y a des gens qui mettent dans leurs paniers quelques fois un peu de droite et beaucoup de gauche. Mais il faut bien reconnaître que dans l'ordre politique, dans l'offre (pour employer une terminologie économiste et marchande - ce qui n'est pas tout à fait dans mes habitudes mais est une réalité -) qui nous est faite, il n'y a quasiment pas de droite, et il y a surtout de la gauche. »

 

Extraits du livre de Jean-Louis Harouel, "Les Droits de l'Homme contre le peuple (Desclée de Brouwer, Paris 2016, p. 11; 51-52; 65-71; 81-82; 88-89; 91; 94-97; 103; 124; 135-137), "un ouvrage écrit en quinze jours et quinze nuits après les attentats du 13 novembre (2015):

 

« Aujourd'hui transformés en une religion séculière de nature millénariste obsédée par la non-discrimination, les droits de l'homme exposent chaque peuple européen à voir des membres d'un autre peuple s'installer massivement chez lui et mettre à profit ces droits pour travailler à le détruire, pour faire prévaloir leur mode de vie et leurs valeurs, au détriment de ceux du pays d'accueil. Les droits de l'homme permettent à un groupe identitaire installé au sein d'une nation, étranger à elle par les origines et  les sentiments, de la combattre de l'intérieur et de chercher à s'emparer de son sol, de son être, à se substituer à elle.

« [...] Le millénarisme et la gnose ont pour point commun très important, qui est le refus de considérer que le mal peut résider en l'homme, ainsi que l'enseignent le judaïsme et le christianisme. Pour les gnostiques, le mal résulte exclusivement de l'enfermement de parcelles de l'esprit divin dans la matière et dans le temps. [...] Le responsable du mal est le démiurge Yahvé, créateur d'un monde terrestre calamiteux. [...] L'homme n'est qu'une victime. Il est innocent du mal qu'il peut faire. Saint Augustin rapporte qu'ils (les manichéens) enseignaient que "le péché n'est pas notre fait, mais l'oeuvre en nous de je ne sais qu'elle substance étrangère." Si bien que l'individu peut tout se permettre, tout en se trouvant "hors de faute". Il n'est pas responsable puisqu'il est agi par une force qui le domine. Situation infiniment confortable, quand on a fait quelque chose de mal", que de ne pas avoir à se dire qu'on en est l'auteur. (S. Augustin, Les Confessions, V.) [...] On trouve la même idée d'extériorité du mal par rapport à l'homme dans le millénarisme révolutionnaire. Celui-ci véhiculait les dogmes annonciateurs du socialisme : l'inégalité comme origine du mal, le communisme comme remède. [...] [L]e millénarisme médiéval et moderne reposait sur la certitude que l'origine du mal se trouvait non pas dans l'homme comme l'enseignait la religion chrétienne, mais dans la mauvaise organisation de la société. [...] [L]a source du mal résidait dans l'inégalité, dans l'exploitation, dans la domination. Tout cela supprimé, le mal allait disparaître...

«  [...] Le millénarisme des droits de l'homme prend le relais du millénarisme communiste, à ce changement près que la promesse de perfection sociale ne réclame plus la suppression de toute propriété, mais la négation de toute différence entre les humains. [...] D'évidence, les peuples d'Europe occidentale sont les victimes désignées de la mécanique historiciste de la religion des droits de l'homme. La disparition de ces peuples [...] constitue pour le millénarisme humanitaire l'équivalent de ce que fut pour le millénarisme communiste son obsession de détruire la bourgeoisie.

« [...] Naguère condamnée par le millénarisme communiste parce que réputée bourgeoise et oppressive du prolérariat, la civilisation de l'Europe occidentale est aujourd'hui condamnée par le millénarisme des droits de l'homme parce que sa population est blanche et qu'est perçu comme une injustice son niveau de vie envié par l'Afrique et le Moyen-Orient. L'îlot de différence jalousée qu'est l'Europe occidentale se trouve mortellement menacé par la religion des droits de l'homme, car son existence contrevient au dogme qui sous-tend cette religion : le mêmisme. 

« [...] Le mêmisme [...] exige que l'on proclame - contre l'évidence - la parfaite identité de tous les hommes. Le mêmisme, c'est le dogme de l'interchangeabilité de tous les humains. [...] [T]ous les hommes étant parfaitement interchangeables, des Maliens ou des Turcs en nombre illimité peuvent indifféremment replace au pied levé des Français indigènes pour faire fonctionner correctement la France. Il est bien évident que c'est faux, mais c'est un article de foi, un dogme religieux.

« C'est au nom de ce dogme que les Européens se voient aujourd'hui sommés par le gnostico-millénarisme de la religion des droits de l'homme de disparaître en tant que civilisation en en tant que nations pour se fonde dans le grand tout d'une humanité mondialisée...

« [...] Pierre Manent déclarait en 2010 : "Je suis très surpris de la léthargie des Européens qui semblent consentir à leur propre disparition. Pis, ils interprètent cette disparition comme la preuve de leur supériorité morale." (Pierre Manent, Valeurs Actuelles, 25 novembre 2010). Le même constat a été effectué par Malika Sorel-Sutter: "On ne peut pas dire à un peuple : 'Vous êtes destinés à disparaître et vous devez l'accepter.' Or, c'est précisément ce qui est en train de se passer. [...] On demande aux peuples européens de disparaître: c'est une entreprise terrifiante." (Malika Sorel-Sutter, Le Figaro Magazine, 6 mai 2011; Valeurs actuelles, 21 avril 2011) 

« [...] Tout comme le millénarisme communiste, le millénarisme humanitaire est capable de broyer des millions d'humains, physiquement et psychologiquement. Aussi bien que le projet du paradis communiste, le projet du paradis humanitaire peut avoir son cortège de victimes. Dans les deux cas, au nom de l'amour.

« [...] C'est ici que la haine de soi, la culpabilisation, la repentance ont leur utilité. C'est un moyen psychologique de faire légitimement passer l'autre avant soi. Le masochisme européen est l'outil obligé de la religion humanitaire.

 

Un amour obligatoire

 

« [...] [U]n devoir d'amour de l'autre. Cette dimension d'amour des droits de l'homme est longtemps restée strictement dans le registre de la morale individuelle. Elle ne relevait que de la conscience de chacun, qui était absolument libre de s'y conformer ou non. [...] Ce devoir restait purement éthique: il n'entraînait pas d'obligation juridique et donc pas de sanction judiciaire. L'autre ne disposait pas du droit de s'adresser aux tribunaux pour exiger l'accomplissement du devoir d'amour qui lui était moralement dû. Cette fraternité pouvait être fervente et sans limite, mais elle était librement consentie.

« Or tout a changé dans le seconde moitié du XXe siècle après l'entrée en vigueur de la Convention européenne des droits de l'homme de 1950. [...] Il en est résulté une nouvelle version de la morale des droits de l'homme, centrée sur l'obsession de la non-discrimination. L'État s'est approprié cette "morale renouvelée". [...] Dès 1972, la loi Pleven a introduit la sanction pénale de tout propos jugé susceptible d'encourager à une quelconque discrimination. [...] Le nouveau code pénal de 1994 sanctionne comme des délits pénaux "une série de pratiques discriminatoires". [...] Du code civil ainsi que de diverses autres lois, il en résulte une obligation juridique de non-discrimination : celui qui "propose au public quelque avantage" ne doit en exclure personne pour cause de sexe, de race, de religion, etc. Désormais, si quelqu'un estime avoir fait l'objet d'une discrimination de la part d'un autre individu, d'une entreprise ou d'un organisme quelconque, cette personne ou une association désireuse d'agir pour elle peut déclencher un procès pénal.

« [...] L'amour qui est au coeur de la religion séculière des droits de l'homme n'est pas l'amour chrétien, même s'il présente des ressemblances avec lui. C'est une version profondément déformée de l'amour évangélique.

« [...] (L'amour dans) [L]e christianisme évangélique, [...] c'est une démarche purement personnelle, intérieur et libre. La religion séculière des droits de l'homme transforme radicalement cette démarche en lui fixant pour objet non plus Dieu, mais l'homme-Dieu de la gnose, en la rendant collective et en lui donnant un caractère obligatoire. [...] [I]l s'agit comme on l'a vu d'obtenir le paradis sur la terre en instaurant hic et nunc un amour de l'autre jusqu'au mépris de soi au nom de l'humanité divinisée. C'est au nom de cet amour que l'on est requis de voir l'autre comme le même, fût-ce contre l'évidence. 

« [...] Avatar actuel de la religion de l'humanité, la religion séculière des droits de l'home est un système politico-religieux réglementariste, coercitif et répressif dont l'État est en même temps l'Église.

« [...] Il y a une véritable trahison du peuple par l'État. Car si tout État a des devoirs envers l'humanité, il a des devoirs prioritaires envers le pays dont il constitue le visage institutionnel. Il doit veiller prioritairement à ses intérêts, sa prospérité, son inscription dans la durée. Mais en Europe occidentale - et en France moins qu'ailleurs -, l'État n'a presque aucun souci des intérêts concrets du peuple. Son avenir importe peu. L'État veille seulement à sa sainteté, à sa vertu, par le respect obligatoire des dogmes du millénarisme de l'amour de l'autre jusqu'au mépris de soi. Les manifestations d'opinions non conformes à ces dogmes sont les nouveaux crimes religieux, sanctionnés par un nouveau droit pénal religieux...

« [...] [D]ès 1965 [...] Léo Strauss [...] expose que le libéralisme repose essentiellement "sur la reconnaissance d'une sphère privée, protégée par la loi, mais où la loi ne peut pénétrer." Or une interdiction légale de toute discrimination signifie une inquisition policière et judiciaire constante au sein de la vie privée, et donc "l'abolition de la sphère privée, la négation de la différence entre l'État et la société, la destruction de l'État libéral." (Leo Strauss, cité par Pierre Manent, La raison des nations, p. 82-83) Bref, un système totalitaire. Il est fou et suicidaire de faire de l'amour absolu de l'autre la norme juridique suprême sanctionnée par le juge.

« [...] Or, une fois laïcisées et transformées en religion séculière d'État dont les violations sont sanctionnées par le droit, les valeurs évangéliques sont socialement catastrophiques. Il y a un côté impraticable de l'Évangile pour la vie normale. Aimer son ennemi, tendre l'autre joue : ce sont des chemins de sanctification individuelle, pas des règles de droit que l'on peut imposer à toute une population. [...] Le Christ conseille de pardonner sans fin et de tendre l'autre joue quand on est frappé. Mais cela concerne la morale individuelle et non la justice publique. 

 

Effets sociaux mortifères de la religion des droits de l'homme

 

« Dans la dénaturation des idées chrétiennes par le millénarisme humanitaire, la gnose joue un rôle décisif.

« Détestée par la gnose, la famille est une grande victime de ce rejet du legs biblique. Sa destruction se fait au nom des valeurs d'origine chrétienne (l'égalité, la liberté), mais coupées de la religion chrétienne et utilisées par des groupes d'influence d'inspiration gnostique, à commencer par la franc-maçonnerie. 

« Des règles nées de valeurs individualistes (comme la libéralisation du divorce, le droit à l'avortement) et égalitaires (comme l'égalité successorale de l'enfant naturel et de l'enfant légitime, ou encore le mariage homosexuel) ont investi le droit, pour le plus grand agrément des bénéficiaires et au grand détriment de la solidité de l'institution familiale.

« La liberté souveraine de l'individu absolutisé rejoint elle aussi le vieux mépris gnostique d'un ordre naturel conforme à la tradition biblique. La Genèse dit que furent créés l'homme et la femme - "Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femmes il les créa" (Gn 1:27) -; et point n'est besoin d'être croyant pour savoir que les humains sont sexués. Mais, dans une logique gnostique, l'individu souverain affranchi du respect de toute règle, et même de la prise en compte du réel, peut bien se réclamer du sexe qui lui plaît. Le Décalogue dit que l'on doit honorer son père et sa mère. Pourtant, la même conception gnostique qui autorise l'individu à faire tout ce qu'il veut, engendre, quand elle est consacrée par le droit, des pseudo-familles bi-paternelles ou bi-maternelles. Les criminels ont toute la sympathie de la religion séculière des droits de l'homme, qui, dans une logique gnostique d'indifférence au bien et au mal, réprouve la sévérité à leur égard de la tradition biblique. La prédilection de Marcion pour le criminel et pour l'ennemi est aujourd'hui largement reprise par une justice dmnée par la religion des droits de l'homme. Nous sommes en plein marcionisme judiciaire. La prohibition du meurtre a perdu beaucoup de son autorité morale. Le "tu ne tueras pas" n'est vraiment pris au sérieux que pour préserver les assassins de la peine capitale. Parallèlement, la désinvolture gnostique envers le Décalogue conduit l'idéologie des droits de l'homme à revendiquer diverses possibilités de tuer (suicide assisté, euthanasie, etc.) Quand à la phobie gnostique de la procréation, elle se retrouve dans l'usage généralisé de la contraception et plus encore dans le banalisation de l'avortement. On est ici au coeur de la gnose.

« [...] Les fanatiques de l'immigration prétendent mener en faveur des étrangers un combat citoyen. Mais c'est une contre-vérité. Au nom de l'immigration érigée en droit de l'homme, ils mènent en réalité un combat pour la destruction des nations européennes au moyen des flux migratoires. Leur combat est un combat mondialiste, un combat contre la cité et la citoyenneté. Bref, un combat anti-citoyen.

 

Discriminer pour bloquer les flux migratoires

 

« [...] Sur son territoire, chaque peuple a droit à ce que soit respectée son "identité propre" (Malika Sorel-Sutter, Migration - intégration, Paris, Mille et une nuits, 1011, p. 254). Il faut revenir à l'amour prioritaire de soi. La France doit modifier son droit pour mettre fin à l'immigration de colonisation. [...] Pour cela, il faut que la France cesse de se comporter comme le bureau d'aide sociale et médicale de l'univers. Il faut changer la législation pour qu'il n'existe plus d'avantage matériel (prestations, allocations, logement, soins médicaux gratuits) à pénétrer ou rester de manière illégale sur le territoire français. [...] Bref, il est indispensable de discriminer. Comme l'observait le grand politologue italien Norberto Bobbio, la justice veut que les égaux soient traités de façon égale et les inégaux de façon inégale. Une discrimination ne sera injuste qu'à cause de "l'inexistence de raisons valables pour un traitement inégal", si bien qu'il peut y avoir des discriminations justes (Norberto Bobbio, Droite et gauche, Paris, éd. du Seuil, 1998, p. 1088-109). Dans la logique de la cité, la discrimination juste par excellence est celle que l'on fait entre le citoyen et le non-citoyen, les nationaux et les étrangers.

 

Conclusion

 

« [...] Très grand nom du droit international privé, Henri Battifol observait qu'un faisceau de droits subjectifs ne résout aucunement le problème premier de toute société qui est celui de la vie en commun et que l'erreur du libéralisme individualiste a été de croire que la protection de l'individu suffirait à organiser la vie en commun. (cité par Yves Lequette, De la Proximité au fait accompli, Mélanges en l"honneur du Professeur Pierre Mayer, Paris, LeGDJ, 2015 , p. 514-515).

« [...] Avec la religion des droits de l'homme, s'estompe l'idée de citoyenneté. l'idée d'une appartenance commune rassemblant les citoyens d'un même pays fait place à une juxtaposition d'individus ne se définissant plus que par leur "droit à avoir des droits", selon la célèbre formule de Hannah Arendt. (Hannah Harendt, Les origines du totalitarisme, 1951, Paris, éd. Gallimard, 2002)

[...] On dit toujours qu'un peuple ne doit pas s'enfermer dans son passé, or c'est ce que nous faisons avec notre culte béat de la religion des droits de l'homme. La France ne peut espérer survivre qu'en rompant avec son culte de non-discrimination. Elle doit tout particulièrement maintenir et surtout restaurer la nécessaire discrimination entre nationaux et étrangers, qui est le fondement de la cité. Là est le véritable combat citoyen. »

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11 septembre 2018 2 11 /09 /septembre /2018 19:52

La chaine youtube "Nous voulons vivre" aborde quelques-uns des grands thèmes qui ont fait la nation française, notamment l'importance du spirituel :

"D'abord la France est née d'un baptême, celui de Clovis. [...] C'est-à-dire que sans le baptême, il n'y aurait pas de nation (française). Par la suite, vous avez des nations qui ont été le fruit de volontés politiques. Mais la première nation au monde, la France, elle naît d'un baptême. C'est ce qui dès le départ lui donne sa vocation spirituelle. La France a une vocation spirituelle, parce qu'elle en est le fruit. [..] Cela, c'est un petit message pour les gens qui se disent nationalistes mais antichrétiens ou païens. C'est un contresens. Vous ne pouvez pas être nationaliste français sans être chrétien. Alors je ne vous dis pas d'être d'accord avec le pape actuel, mais je vous dis qu'il n'y aurait pas de nation française sans baptême, sans chrétienté.

 

Note de Christ-Roi. Notons ici que les Gaulois  formaient déjà une nation spirituelle. Ils ne vivaient pas sous une république "laïque", ils vivaient sous des monarchies électives, parfois héréditaires, où le clergé druidique était constitué en une "fédération de dignitaires" hiérarchisée (Camille Jullian), et où les druides représentaient pour les Gaulois ce qu'étaient pour le peuple romain pontifes et augures. (Camille JULLIAN, Vercingétorix, Editions mise à jour et préfacée par Paul-Marie Duval, Marabout Université, 1979, p. 31)

 

"Il faut garder en mémoire cette phrase de César : 'Tous les peuples gaulois sont adonnés aux choses de la religion.'" (Jean-Louis BRUNAUX, Les Religions gauloises, Ve- Ier siècles av. J.-C., Biblis Cnrs Editions, Paris 2016, p. 205)

 

Et en effet le sens mystique des Gaulois paraît avoir été chez eux extrêmement développé.

 

Les prêtres en étaient les druides qui formaient une sorte de classe à part dans le peuple, bien que mêlés à toutes les activités de la vie courante. Ces druides subissaient une très longue formation qui s'étendait parfois sur vingt années d'études et, trait caractéristique, ils n'ont pas laissé d'écrit. ... Leur tradition se transmettait oralement.

 

La religion gauloise était spécifique. Dans les religions préhistoriques européennes en effet, la religiosité reposait essentiellement sur la croyance en des forces naturelles et associait l'environnement à la divinité dans une forme de panthéisme. L'arbre y avait par exemple une place spéciale. Or, dans la religion gauloise, cette religiosité primitive a disparu peu à peu de nos contrées pour laisser place à des religiosités plus élaborées. Ainsi, à la fin du IVe siècle avant .-C., les ensembles architecturaux ont succédé aux lieux remarquables (montagnes, grottes, sources, arbres, etc.), même si ces derniers peuplaient encore les poèmes et les chants qui envahissaient encore la mémoire des Gaulois :

 

"Les arbres et les cultes purement naturistes ont disparu à l'époque de La Tène (450-25 av. J.-C.). Seuls des noms divins associés aux rivières et aux montagnes ont survécu. Les arbres ne sont plus chez les Gaulois un objet de culte comme ils le sont encore à la même époque chez les Germains." (Jean-Louis BRUNAUX, Les Religions gauloises (Ve- Ier siècles av. J.-C.), Biblis Cnrs Editions, Paris 2016, p. 92-93.)

 

"Les pratiques religieuses mais également politiques s'abreuvaient d'une philosophie morale et d'une connaissance mythologique totalement contrôlées par la classe sacerdotale et les druides en particulier. Le caractère oral de ce savoir préservait évidemment un pouvoir qui était de nature aristocratique.... Les ministres du culte étaient de véritables fonctionnaires du sacré, pris en charge par la collectivité." (Jean-Louis BRUNAUX, Les Religions gauloises (Ve- Ier siècles av. J.-C.), ibid., p. 38; 69) 

 

Bon nombre de nos belles légendes remontent jusqu'à ce vieux fonds celte de même qu'une bonne part de notre folklore : pèlerinages plus ou moins christianisés à des sources ou des pierres 'miraculeuses', fêtes équinoxiales ou solsticiales telles que feux de la Sait-Jean." (Claude STERCKX, La mythologie du Monde celtique, Poche Marabout, Allemagne 2014, p. 9-11.)

 

"Et donc oui, le Français, depuis le départ, c'est un peuple spirituel, c'est un peuple qui rêve, c'est un peuple de créateur, c'est un peuple de conquérants, c'est un peuple de guerriers. En réalité, le Français c'est l'équilibre entre l'esprit germain, et l'esprit romain. La France conjugue le côté allemand, c'est-à-dire le côté travailleur - malgré son côté resquilleur, le français est quand même très productif et c'est un peuple (de bâtisseurs. NdCR.), qui a un nombre d'ingénieurs, de mathématiciens, absolument faramineux, et c'est cet équilibre avec l'esprit romain qui est le côté créateur, artiste, conquérant. Et c'est cet équilibre qui fait de la France une nation et un très grand pays. 

 

 

Note de Christ-Roi. Les Gaulois conquérants le furent sous leurs grands rois. 

 

"Frantz Funck-Brentano évoque la figure du roi myhtique Ambigat, "monarque patriarcal", "roi des Bituriges" "qui paraissent avoir été le peuple dominant". "On l'a nommé le Charlemagne des Celtes." Aux Bituriges serait due l'invention de l'étamage. (Frantz FUNCK-BENTANO, Les Origines, Librairie Hachette, 1925, p. 57)



"Les poètes gaulois racontaient que les deux conquérants de l'Europe avait été Bellovèse et Ségovèse, neveux du roi Ambigat (Ve siècle av. J.-C.) : ils s'étaient mis en route, l'un pour franchir les Alpes, l'autre pour traverser le Rhin, mais le roi Ambigat était resté en sa résidence du Berry pour gouverner les Celtes. [...] Ces courses triomphales n'étaient point inutiles au maintien de l'entente celtique. Elles contribuaient à former un esprit national. L'écho des victoires du Danube ou du Tibre revenait en Gaule, mêlé de rumeurs de miracles.



On racontait les hauts faits d'un Brennos, vainqueur de Rome (390 av. J.-C. Ndlr.) d'un autre Brennos, adversaire de l'Apollon de Grèce (279 av. J.-C.). Des hymnes et des poèmes naissaient sous les pas des conquérants.

 

Nous connaissons par l'histoire quelques-uns des rois de la Gaule qui régnèrent après lui (Ambigat), Luern et Bituit (au IIe siècle av. J.-C.,), dont l'autorité, dit-on, s'étendit au-dessus des Belges et des Celtes, jusqu'aux Pyrénées et jusqu'au Rhin. Ceux-ci étaient l'un le père, l'autre le fils: ce qui permit de supposer que les gaulois acceptèrent un instant une royauté héréditaire. Tous deux étaient des Arvernes, rois des Puys et de la Limagne en même temps que dictateurs militaires de la Gaule.[...] Luern et Bituit sont, je le répète, des figures d'histoire. Des voyageurs grecs ou italiens les ont vus, ont été reçus à leur cour. Ils nous ont montré Luerne paradant à travers les routes en un cortège de fête, debout sur un char plaqué d'argent, lançant des pièces d'or, et près de lui un poète chantant sa gloire, pareille à celle d'un laboureur divin qui fait lever la richesse sous le soc de sa charrue. Et ils nous ont aussi montré Bituit, marchant contre les Romains à la tête de cent cinquante mille hommes et de ses meutes de chiens de guerre. Si folle et si vaniteuse qu'elle ait pu être, je ne trouve pas que cette royauté d ela gaule soit moins grandiose que celle d'un Cyrus ou d'un Alexandre. [...] Luern et Bituit, ... sont moins les maîtres d'un Empire que les symboles vivants et directeurs d'une unité nationale. Leur pouvoir ne sort pas des frontières de la Gaule, et ils l'exercent du centre même de cette Gaule, à l'ombre de ses plus hautes montagnes et sous l'appui de ses plus grands dieux." (Camille Jullian, De la Gaule à la France, Nos Origines historiques, Librairie Hachette, Paris 1922, p. 130) Mais les Eduens, pour faire pièce aux Arvernes, se rapprochèrent des Romains. Les Eduens avait, comme les Romains, un gouvernement aristocratique sous forme républicaine ; tandis que chez les Arvernes, sous la direction de leur roi, le célèbre Bituit, prédominait l'élément populaire, le 'commun', comme dira le Moyen Âge. Les Allobroges, alliés des Arvernes, accueillirent avec honneur les Salyens (Provençaux) fugitifs qui avaient été vaincus par les Romains dans une première campagne en 125 av. J.-C. par le consul Caius Sextius, vendit la plus grande partie de la population à l'encan, et fonda sur le territoire une colonie, 'les eaux de Sextius', Aquae Sextiae, Aix. Comme les Eduens se déclaraient pour Rome, Bituit, alliés des Allobroges, ravagea leur territoire. En 122 av. J.-C., le consul Cnéius Domitius Ahénobarbus se mit en route avec une armée puissante où se trouvaient des éléphants. Il s'agissait d'épouvanter les Gaulois qui n'en avaient jamais vu. L'entrevue entre l'ambassadeur de Bituit et l'Ahénobarbus est demeurée céléèbre. Bituit fit les offres les plus conciliantes, mais l'Ahénobarbus ne voulut rien entendre. La bataille s'engagea au confluent de l'Isère et du Rhône. La tactique des Romains, la supériorité de leurs armement et leurs gros éléphants remportèrent la victoire (121 av. J.-C.) ; encore les historiens latins, 120 000 Gaulois auraient péri contre 15 (sic) Romains. Le noble chef arverne fut traîné à Rome et promené comme un bœuf gras dans le cortège triomphal. La plèbe romaine poussait des cris d'enthousiasme à la vue du prince gaulois en son armure resplendissante. Pour se donner la crertitude que la tentative de Bituit ne serait pas reprise, le sénat de Rome se fit livrer son fils Congentiat, par l'aristocratie arverne, et se crut désormais tranquille de ce côté.



Rome vainquit Bituit, ... et après cette défaite, elle coupa la Gaule en deux : comme territoire en annexant les terres du midi, Provence, Languedoc et Dauphiné; comme nation, en supprimant l'hégémonie arverne et en soutenant, à l'aide de son alliance, les prétentions des Eduens.



[…] Un demi siècle plus tard, Celtill, chez les mêmes Arvernes, tenta à nouveau l'aventure. Il rétablit momentanément la suprématie de son peuple sur les peuples voisins. Le succès durable de son entreprise aurait pu amener l'unité de la Gaule et, par l'union, l'indépendance : Celtill fut renversé par la faction rivale, par les chefs des familles patriciennes. […] Il périt sur le bûcher ; mais sur les traces laissées par l'oeuvre du père marchera le fils, l'un des plus grands parmi les hommes : Vercingétorix. (Frantz FUNCK-BENTANO, Les Origines, Librairie Hachette, 1925, p. 78-83)

Au pied de la statue élevée à Vercingétorix sur les hauteurs d'Alise-Sainte-Reine, on a gravé ces paroles de César : "Unie la Gaule défierait le monde."

Frantz FUNCK-BENTANO, Les Origines, Librairie Hachette, 1925, p. 82

Et c'est là où je voulais en venir, c'est que la France, elle est toujours là. Le Français, il est toujours là, dévoyé, totalement dévoyé, mais il est toujours là dans son essence. Depuis le baptême, le Français n'a pas changé. Il est resté cette vocation spirituelle. Il est resté ce peuple. Il est resté cette civilisation, forgée par le christianisme, forgé par l'esprit celte aussi, et c'est cet équilibre de l'esprit européen. Le Français est la quintessence de cet esprit européen. Il prend les qualités des plus grands peuples européens et de la grande histoire de l'Europe. Quant aux Anglais, pour moi, ce sont des Français ratés. Mais ils nous ressemblent beaucoup sur certains points.

 

Donc sur la question : est-ce que les Français sont restés royalistes ? Oui, ils le sont. Ils le sont toujours et ils ont raison parce que c'est cela la France.

Alors le sont-ils trop ? Mais pas du tout.

Justement, ils ne le sont pas assez, royalistes !, dans ce sens qu'ils n'en ont pas conscience, endormis qu'ils sont par le nihilisme, le consumérisme, (voir le libéralisme pour les nuls), en fait le matérialisme. C'est cela l'ennemi : le matérialisme qu'il soit libéral ou égalitariste, c'est le matérialisme qui pousse nos compatriotes à ne plus se percevoir comme héritiers. C'est le matérialisme qui pousse au délestage des attaches symboliques, tel que l'héritage, la tradition, les liens du sang. C'est le matérialisme qui permet à l'islam de prendre pied en France, puisque nous n'avons rien à lui opposer que notre narcissisme (la neutralité laïciste laisse un vide que l'islam se charge de combler. NdCR.) 

 

Comment voulez-vous que des hommes aillent mourir au combat si leur but dans la vie c'est de jouir en permanence ? [...] Ils ne pourront plus jouir, aller en boîte, fumer un joint ou je ne sais quoi. C'est cela le coeur atomique du problème. C'est d'avoir fait passé l'avoir avant l'être. Derrière, c'est l'idée de progrès et en fait la destruction de la France.

 

Puisque justement, le peuple français, ce pays, par essence n'est pas matérialiste. Il est vertical. Il n'est pas horizontal. La France, son histoire, c'est une histoire monarchiste, c'est une histoire de verticalité. Ce n'est pas une histoire d'horizontalité, ce n'est pas une histoire de lutte des classes. Ce n'est pas une histoire de savoir 'est-ce que je vais pouvoir avoir une deuxième voiture parce que l'Etat va être plus riche ?' Ce n'est pas cela la question. Par contre c'est cela le problème. C'est d'avoir dévoyer cette vocation (spirituelle), c'est d'avoir dévoyer l'esprit français qui demeure.

Note de Christ-Roi. Illustrant cette verticalité de leur culture spirituelle, les Gaulois n'avaient peur de rien - hormis que le ciel ne leur tombe sur la tête -, pas même de la mort :  "la croyance en l'immortalité de l'âme était, dans la pensée des Gaulois, d'une intensité particulière. Elle était si vive que les Grecs et les Romains, qui cependant la partageaient, en étaient frappés. Ils lui attribuaient ce mépris de la mort qui faisait marcher les Gaulois la poitrine découverte contre des ennemis casqués et cuirassés. Déjà aurait-on pu dire d'eux ce que les Italiens diront des gentilshommes français au temps de Louis XIII : 'Ils vont au combat comme s'ils devaient ressusciter le lendemain.' (Frantz FUNCK-BENTANO, Les Origines, Librairie Hachette, 1925, p. 40)

Aujourd'hui, sur ce point de la verticalité, sous la présidence Emmanuel Macron, comme l'explique Louis de Lauban dans un article pour Vexilla-Galliae : 

 

"le royaliste légitimiste devrait a priori se réjouir du renforcement du pouvoir exécutif au détriment du parlementarisme. Or, il n’en est rien, au contraire, le royaliste condamne absolument l’attitude de l’exécutif, comme celle des parlementaires et de leurs défenseurs. Cette position pourrait paraître paradoxale, mais nous allons l’expliquer en précisant notre positionnement d’une part sur la politique de renforcement de l’exécutif et d’abaissement du parlement suivie par le Président de la République et son gouvernement, et d’autre part sur les opinions des parlementaires et de leurs défenseurs.

 

"Le royaliste souhaite un chef de l’Etat au pouvoir fort, on trouvera donc paradoxal la critique de la politique macronienne lorsqu’elle semble s’accorder avec ce désir. Cependant, c’est oublier que le royaliste veut avant tout un pouvoir légitime, fondé sur une légitimité issue des Lois Fondamentales et sur une légitimité historique qui sont les deux piliers de la légitimité nationale du roi de France. Cette légitimité est hors du jeu des partis, hors des contingences, des fausses promesses et des compromissions des élections. Elle ne saurait en aucun cas être comparée à la « légitimité » du Président de la République, élu d’a peine la moitié des de la part des citoyens qui se sont déplacés pour urner. Rappelons que la voix du sage comme celle de l’imbécile ont la même valeur dans ce système, que ni l’honnêteté véritable, ni les services rendus à la patrie, ni l’abnégation à servir la France n’ont de poids réel dans cette grande entreprise de communication, de compromission et de tromperie qu’est l’élection démocratique moderne.

 

"La légalité du pouvoir du Président de la République existe, mais sa légitimité est douteuse. Fondée sur l’élection par un peu plus de la moitié des deux tiers ou trois quarts des citoyens qui daignent se déplacer pour déposer leur bulletin de vote. Elle est constamment contestée par des groupes de pression en tous genre dès qu’une décision est prise ou un projet révélé. Ceci est facteur de division et de dissensions entre Français et d’abaissement de la fonction de chef de l’Etat et, de ce fait de la France elle-même. Que le Président de la République abuse de ses pouvoirs pour diminuer ceux de l’opposition est légal, rien ne s’y oppose puisque la Constitution elle même peut-être modifiée par de multiples moyens et sans réelle contraintes.

 

"A la vérité, le Président de la République est une forme moderne du tyran démagogue. Parvenu au pouvoir par la violence symbolique et verbale de la joute électorale, son manque de fidélité aux principes démocratique est souvent consternant et démontre leur vacuité essentielle. On ne peut pas dire qu’il représente les qualités attribuées à la démocratie par les philosophes classiques : austérité, vertu, … au contraire, en France il se comporte comme un substitut de Roi, mais un substitut qui ne s’astreint à aucune des obligations et des qualités royales. C’est donc un roi illégitime et parvenu, qui divise et n’a pas de limites traditionnelles telles que les Lois Fondamentales. Un faux roi soumis à la versatilité de ses soutiens et qui ne dispose pas du temps nécessaire pour agir dans la durée, ni de la force que donne l’indifférence à la trompeuse popularité médiatique issue des sondages. Même avec la meilleure bonne volonté et l’honnêteté de sa démarche, il ne peut réunir tous les Français et ne peut donc réussir à relever la France.

 

"Un faux roi qui se vend à l’étranger parfois avant même d’arriver au pouvoir, que ce soit par des diamants africains, de l’argent libyen, des prêts russes ou par la soumissions aux pouvoirs cosmopolite de l’argent.

 

"Macron souhaite réformer la constitution de la Ve République car il sait que le système politique actuel se meurt. De Gaulle avait donné de grands pouvoirs à la fonction présidentielle, sa stature historique lui permettait d’en imposer à tous, une certaine droite s’était démonétisée du fait de sa compromission avec l’ennemi pendant la guerre, tandis que l’âge d’expansion économique auquel sa présidence a correspondu pouvait faire taire les critiques de gauche dont les groupes les plus radicaux étaient compromis par leur soumission à l’URSS. Aucun de ceux qui lui ont succédé n’a pu se prévaloir d’une telle stature, ni, mis à part Pompidou, d’une telle expansion économique conjuguée à un abaissement politique et moral des oppositions. Aucun d’eux n’a été le président de tous les Français autrement que sur le papier, ils n’ont jamais eu le cœur de nos compatriotes. Cette situation s’est aggravé du fait de l’abaissement de la fonction présidentielles sous les mandats de Chirac, Sarkozy et Hollande où se son succédés.

 

"A l’évidence, ce système est mauvais pour la France car il la divise, la fatigue par des combats incessants dictés par la seule ambition de parvenir à la présidence, et l’humilie par le spectacles d’hommes politiques menteurs, voleurs et manipulateurs qui ne vivent que pour tromper les Français et profiter d’avantages indus. Mais une autre évidence est que nous sommes dans un système bâtard qui n’est plus la république telle qu’elle a été pensée au XIXe siècle, mais qui se complet à se présenter comme l’héritière directe de cette époque tout en étant autre chose. En effet, au commencement les régimes politiques issus de la modernité, et la république française en particulier, ont cherché à affaiblir les pouvoirs du gouvernement et du chef de l’Etat en prétextant de l’arbitraire monarchique. Or aujourd’hui, la république Française est totalement présidentialisée, même si elle ne s’affirme pas comme telle, et l’essentiel du pouvoir est concentré entre les mains de son chef suprême qui n’est plus considéré comme un obstacle à la démocratie mais comme le principal vecteur de l’expression du peuple." (Louis de Lauban)

"On dit : 'la France, elle est morte'. Non, pas du tout. Même le gauchiste, il est toujours là. Le problème c'est qu'il est manipulé. C'est la raison et le coeur malade de notre contemporain. C'est l'orgueil qui les pousse à détruire leur propre cité et à ne penser qu'à eux-mêmes, à leurs conforts, à leur argent, alors que nous sommes des héritiers. Nous dépendons des autres, en l'occurrence de nos ancêtres, tant au temporel qu'au spirituel. Et dans le fond, ceux qui refusent cela, ils refusent l'amour. Et c'est pourquoi dans le fond c'est une entreprise diabolique. Comment Satan est devenu Satan ? Satan (qui au départ était un ange fait de feu) est devenu Satan parce qu'il a refusé Dieu. Et ce faisant, il a refusé l'Amour, et c'est comme cela qu'il est descendu en enfer. C'est parce qu'il a refusé l'autre par orgueil. C'est ici un symbole, mais à partir du moment où l'on ne pense qu'à soi on refuse l'autre.

 

Oui en France est resté un fond royaliste. Le peuple français est toujours là (même si les populicides hériters de 1789 tentent toujours de le tuer pour créer leur "homme nouveau". NdCR). Mais il faut qu'il en ait conscience, qu'il ait conscience de sa nature. Oui la France a une vocation spirituelle, la France est née du spirituel. C'est le spirituel qui a créé la France. La France est la première nation du monde.

 

La flamme est toujours là. Il suffira d'un vent soufflant dans la bonne direction - et c'est le sens que le vent est en train de prendre - pour que le brasier prenne. 

 

L'âme de notre peuple, elle reviendra à sa place originelle. Que Dieu vous bénisse. Et d'ici là, restez solides."

« Tout au long de l’histoire de la monarchie française, cette constitution (de l'Ancienne France) bornera la volonté du prince — conformément aux commandements de Dieu d’abord, ensuite au respect des lois naturelles — et tout acte qui y portera atteinte sera frappé de nullité. » Ainsi « la royauté, loin d’être une prérogative avantageuse, est devenue un officium, un ministerium, c’est-à-dire une fonction dévolue par Dieu et engendrant pour son titulaire devoirs et responsabilités dans l’intérêt commun. Le royaume n’appartient pas au roi comme un fief à son seigneur. »

Frédéric Bluche, Jean Barbey, Stéphane Rials, La constitution de la France monarchique, Lois de succession du Royaume de France (1984)

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11 septembre 2018 2 11 /09 /septembre /2018 07:11

Démocasserie, liberté et progrès

Source: Vexilla-Galliae 

 

Poussin, Le Déluge

Dans sa Correspondance, se trouve cette formule lapidaire de Georges Bernanos : « Grattez un démocrate, vous trouverez un théologien. » Le tonitruant écrivain, - qui n'est alors âgé que de dix-huit ans, s'adressant à son « cher professeur », le Père Lagrange, vise principalement Marc Sangnier et son Sillon. Il vise juste, giflant à la fois la démocratie et la théologie moderniste. Qu'est-ce donc en effet que la démocratie révolutionnaire sinon une nouvelle religion prétendant incarner l'idée de progrès ? Sur le continent sud-américain, l’écrivain argentin Leonardo Castellani, hélas peu connu en France, batailla lui aussi contre ce nouveau mirage. C’est à lui que nous empruntons le terme « démocasserie », belle traduction de l’espagnol « pseudodemogresca ».

Dans un article daté de 1962 et intitulé en français La démocasserie libérale, il écrit avec un ton bloyen : « Tous les systèmes politiques sont corruptibles et il n’en existe aucun d’infaillible. Mais le système actuel de la démocasserie est né corrompu, parce qu’il y a une erreur dans ses fondements.(…) Absolue en théorie, la monarchie chrétienne était dotée de quatre freins qui étaient en même ses colonnes : les corporations, possédant l’argent ; l’université, possédant le savoir (…) ; la magistrature, possédant les lois ; et enfin l’Église, possédant le pouvoir spirituel. (…) Cela poussa et bourgeonna de façon naturelle, par évolution vitale, et non en suivant un script écrit par quelques imposteurs, dans une assemblée baptisée « Constitution ». (…) C’est cette société qui, en dépit de ses péchés et de ses crimes, fit les cathédrales et les épopées, u’elles fussent écrites ou tacites. C’est cette société qui fit les croisades et la Conquête, après avoir fait la Reconquête. En éprouver la nostalgie n’est pas vain. Et ce n’est pas de l’idéalisation non plus. Ses fruits sont parmi nous. » Il précise qu’en politique Dieu semble toujours être en position d’infériorité par rapport au Malin, que ce dernier s’évertue à faire chauffer la marmite, tout en négligeant parfois le couvercle qui risque de lui sauter au visage, et il termine en appelant à l’espérance dans les ténèbres : « Quand tout s’obscurcit, soyez sûr qu’alors viendra l’aube. Et souvenez-vous de la parabole du figuier. » Si nous n’avons pas cette dernière en mémoire, relisons-la pour nous donner du courage : « Du figuier apprenez cette comparaison : Dès que sa ramure devient tendre et que ses feuilles poussent, vous savez que l’été est proche. Ainsi, lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que (l’événement) est proche, aux portes. » (Matthieu XXIV.32-33)

 

La démocratie singe le règne de Dieu en promettant aux hommes un bonheur sans fin, progressif, toujours plus attrayant. L’arbre peut être jugé à ses fruits, ou, plus exactement à sa stérilité. Le seul arbre de vie planté par la démocratie héritée des Lumières est l’arbre de la « liberté » arrosé du sang de tant de victimes et de martyrs, arbre chétif mais qui ne cesse de faire des petits encore plus débiles que le premier rameau, ceci à travers le monde entier où il s’exporte en s’imposant et en écrasant sans vague à l’âme les traditions les plus anciennes et les plus raffinées.Le culte de la déesse Raison n’a pas rencontré le succès escompté. Qu’importe ! Cette idole survit en Marianne dépoitraillée comme une « femen » avant l’heure, gardienne tutélaire franc-maçonne imposée à tous sans discussion. Depuis cet échec relatif, un autre statue a vite été érigée pour éclairer le monde : la Liberté. Les démocraties occidentales, toujours guidées par les mêmes loges et les mêmes « lobbies », lui vouent un culte unique et absolu qui ne souffre aucune discussion et aucune opposition rationnelle.

 

Il suffit de relire L’Histoire de l’Europe au XIX° siècle, du philosophe Benedetto Croce, pour constater que cet éminent esprit se situe tout à fait dans la ligne qui divinise le libéralisme économique et le couronne de la dignité d’une vestale. Pour lui, l’unique vérité intangible, alors qu’il repousse la Vérité du christianisme à cause de sa prétention à être la Vérité-, est la liberté comme caractéristique de l’esprit. Il en résulte la croyance dogmatique qu’il existe un effort indéfini et progressif pour la perfection morale de la personne humaine. L’homme de Rousseau serait ainsi meilleur que l’homme de Socrate, de Platon, d’Aristote. Le progrès indéfini se retaille des oripeaux dans les vêtements de la divine providence définitivement rejetée. Souvenons-nous du petit père des peuples Victor Hugo chantant l’ange Liberté ! Bien évidemment, la liberté humaine est un idéal qui peut être réalisé, à force d’exercice des vertus et du travail de la grâce, mais cela n’implique pas qu’il faille tomber dans l’idolâtrie forgée par deux siècles de déformation de l’intelligence. Notre Seigneur a déclaré : « La vérité vous rendra libre » (Jean VIII.32) et non point : « La liberté vous rendra vrai ». Mettre la liberté partout, à l’origine et à la fin, en haut, et surtout en bas, de tous côtés, procède non pas d’une naïve intention mais d’une très mauvaise intention. Rien de plus liberticide qu’une société démocratique qui se gargarise de « valeurs républicaines » vagues dont le seul fondement serait la Liberté portant à bout de bras la torche de l’illumination de l’initiation gnostique et occultiste. Cette lumière de la Liberté, contrairement à la seule Lumière du Christ, n’éclaire pas tous les peuples mais une petite élite, tandis qu’elle aveugle les autres et les conduit là où elle veut.

 

La Liberté comme cheftaine de la colonne du progrès est un leurre immense. Charles Baudelaire avait bien vu le contenu religieux d’une telle obsession. Il écrit à Narcisse Ancelle, le 18 février 1866 : « Le progrès, c’est ce que j’appelle, moi : le paganisme des imbéciles ». Et encore, dans ses Etudes sur Edgar Poe : « Le progrès, cette grande hérésie de la décrépitude. » Poursuivant dans sa Critique d’art : « Transportée dans l’ordre de l’imagination, l’idée du progrès (…) se dresse avec une absurdité gigantesque, une grotesquerie qui monte jusqu’à l’épouvantable. »

 

[...] Gustave Flaubert, terrifié par la France veule de son époque, écrivait à Madame Roger des Genettes : « O France ! Bien que ce soit notre pays, c’est un triste pays, avouons-le ! Je me sens submergé par le flot de bêtise qui le couvre, par l’inondation de crétinisme sous laquelle peu à peu il disparaît. Et j’éprouve la terreur qu’avaient les contemporains de Noé, quand ils voyaient la mer monter toujours. » 

 

[...] Léon Bloy, dans Au seuil de l’Apocalypse, fait remarquer que « c’est tout de même ahurissant de penser à l’inexplicable autosurvie du régime républicain. » La réponse est surnaturelle : sans doute parce que Dieu nous l’inflige, espérant de notre part une salutaire réaction qui tarde à venir, et aussi, bien sûr, parce que ce régime fait partie de la batterie de casseroles du Malin. Nous assistons aujourd’hui à la lente agonie de ce système politique qui fut, dès le départ en France, un arbre mort et maudit. Le seul fruit qu’il porte ne peut être que celui qui a trahi Notre Seigneur et qui s’y est pendu de désespérance.

 

P. Jean-François Thomas s.j.

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10 septembre 2018 1 10 /09 /septembre /2018 16:34

«  Avec la financiarisattion du capitalisme, la mentalité économique que stigmatise Pasolini, a si bien progressé qu'elle a fini par étendre la logique de la marchandise à la sphère non-marchande des activités humaines. Pour ce faire, elle s'attaque à tout ce qui, peu ou prou, forme un écran entre le désir de l'individu isolé et le marché unifié, qui aspire désormais à organiser la totalité de son existence.

"L'économie transforme le monde", constate Guy Debord, mais le transforme seulement en monde de l'économie. En ce sens le néo-libéralisme est bien une forme économique du totalitarisme, tout comme le nazisme et le communisme en ont été au XXe siècle les formes politiques. Comme eux, il a pour projet l'utopie d'un homme nouveau, qu'il soit le produit d'une manipulation psychologique ou biologique, d'un reformatage médiatico-publicitaire ou d'une expérimentation en laboratoire. Car pour bien fonctionner, l'économie de la cupidité a besoin d'une nouvelle humanité exclusivement mue par le désir du consommateur et la raison du technicien. C'est pourquoi elle s'attache à produire en série cet homo oeconomicus libéré de toute appartenance ou attache symbolique et, demain, émancipé des limites physiologiques qui fixaient jusqu'ici sa condition.

La droite française n'a pas pris le chemin de Pasolini. Aujourd'hui encore, elle veut croire que le libéralisme n'est qu'un mode d'organisation de l'économie, le meilleur et le plus efficace, celui dont on peut attendre croissance, emplois, création et partage de richesses. À aucun moment, elle n'a voulu prendre en compte les conséquences que pouvaient avoir sur les rapports sociaux, tout autant que sur les comportements individuels, le passage du libéralisme restreint au libéralisme généralisé, principale caractéristique du monde contemporain. Pas plus qu'elle n'a voulu voir qu'en changeant de nature, le capitalisme s'emploie à liquider toutes les valeurs altruistes et sacrificielles, qu'elles soient commandées par la foi ou notre vie, et par les finalités profanes, pour laisser place à la tyrannie des désirs instables.

C'est donc un enjeu de civilisation que porte le débat sur le libéralisme et la mondialisation.

Ayant répudié le sacré et consenti à l'abaissement du politique au niveau de la gouvernance économique, la droite vénère un marché, nouvel état de nature, qui détruit les valeurs et les institutions dont elle s'était attribué historiquement la garde. Si pour des raisons de pures opportunités électorales elle peut encore demain s'opposer, au moins momentanément, à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA), de la procréation médicalement assistée (PMA), voire de l'euthanasie, elle est en revanche philosophiquement incapable de réfuter ce qui en à l'origine, c'est-à-dire l'extension du principe marchand à la sphère sociale et privée, incapable d'appréhender cette défaite de l'homme dans l'homme, qu'engendre le libéralisme au nom de la dynamique de nouveaux droits subjectifs, incapable de comprendre qu'avec l'avènement de l'économisme comme réenchantement du monde, quelque chose d'humain est fini, selon le bon mot de Pasolini, incapable de saisir toutes les raisons qu'il y a de refuser de l'accepter.

Tant que la droite continuera d'adhérer à ce présupposé du libéralisme qui fait de la société une collection d'individus n'obéissant qu'aux lois mécaniques de la rationalité et de la poursuite de leur seul intérêt, tant qu'elle ne renouera pas, dans une fidélité inventive, à ses racines, avec l'idée qu'une société ne peut reposer exclusivement sur le contrat, c'est-à-dire sur le calcul, mais sur l'adhésion à un projet qui fait d'elle une communauté, rien ne pourra la repositionner au service du bien commun et lui valoir un retour de confiance du peuple, rien ne lui rendra sa raison d'être au regard des Français, et au regard de l'histoire.»

 

(Patrick Buisson, La Cause du peuple).

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8 septembre 2018 6 08 /09 /septembre /2018 14:33
Légitimité et devoir de Résistance passive et pacifique

La vérité n'est pas toujours en soi. (Dire que la vérité serait toujours en soi serait plutôt une assertion gnostique ou franc-maçonnique du super-homme qui conduit à l'enfer et au désastre actuel). La vérité n'est pas toujours en soi, c'est la raison pour laquelle beaucoup de personnes se trompent et se perdent. Exemple: obéir à une passion ou à une propagande à la mode qu'on prend pour une vérité ou quelque chose de bien alors que cela peut être un mal. Et quand beaucoup de personnes se perdent, c'est toute la société qui se perd, l'intérêt général et l'ordre public qui sont atteints. L'homme qui est matière, âme et esprit n'a pas toujours en lui-même la vérité. Il doit la chercher et la trouver et par la suite y rester fidèle. La vérité nous rend libre (Jn 8:31-36) dès lors qu'une fois trouvée, on y reste fidèle. Et si la vérité n'est pas toujours en nous, elle est toujours en Dieu. Et cette vérité, c'est le Christ, qui a dit qu'il était "le Chemin, la Vérité, la Vie."  (Jn 14:6) Il faut donc chercher le Christ qui a dit: "Cherchez (la vérité) et vous trouverez (la vérité)." (Mt 7:7) Et on trouve la "Vérité - Christ" en appliquant ses commandements, d'amour de Dieu et d'amour du prochain. Et appliquer ces commandements va souvent contre notre nature matérielle déchue (Chute originelle) et donc égoïste. Et c'est en allant contre notre nature souvent égoïste, c'est-à-dire en portant notre croix (par amour du Christ), que l'on trouve le "Christ - Vérité" et son Amour.

 

La vérité est en soi dès lors que notre conscience, notre éthique, est éclairée par la loi naturelle. Dans le cas contraire on ne peut pas dire que vous êtes dans la vérité.

 

Il faut refuser ce qui n'est pas en accord avec son éthique, c'est-à-dire ce qui ne serait pas conforme à la loi naturelle. C'est la raison pour laquelle nous encourageons tous les Résistants à lire et relire l'Ancien Testament où se trouvent les Dix commandements (résumé de la loi naturelle), ainsi que bien évidemment le Nouveau Testament où le Christ (en sa personne) accomplit la Loi de Moïse.

 

St Thomas d'Aquin

"Comme cela ressort, une fois encore, de l'encyclique déjà citée de Jean XXIII: « L'autorité, exigée par l'ordre moral, émane de Dieu. Si donc il arrive aux dirigeants d'édicter des lois ou de prendre des mesures contraires à cet ordre moral et par conséquent, à la volonté divine, ces dispositions ne peuvent obliger les consciences... Bien plus, en pareil cas, l'autorité cesse d'être elle-même et dégénère en oppression ». 95 C'est là l'enseignement lumineux de saint Thomas d'Aquin qui écrit notamment: « La loi humaine a raison de loi en tant qu'elle est conforme à la raison droite; à ce titre, il est manifeste qu'elle découle de la loi éternelle. Mais, dans la mesure où elle s'écarte de la raison, elle est déclarée loi inique et, dès lors, n'a plus raison de loi, elle est plutôt une violence ». (Summa theologiae, I-II, q. 93, a. 3, ad 2.) Et encore: « Toute loi portée par les hommes n'a raison de loi que dans la mesure où elle découle de la loi naturelle. Si elle dévie en quelque point de la loi naturelle, ce n'est alors plus une loi mais une corruption de la loi »." (Saint Thomas d'Aquin, Summa theologiae, I-II, q. 95, a. 2., in S. Jean-Paul II, Encyclique Evangelium Vitae, # 72, 1995 )

 

Source: http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_25031995_evangelium-vitae.html  

 

 

"Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. Cette réponse que faisaient autrefois Pierre et les apôtres aux magistrats qui leur commandaient les choses illicites, il faut, en pareille circonstance, la redire toujours et sans hésiter.   [...] La loi n'est pas autre chose qu'un commandement de la droite raison porté par la puissance légitime, en vue du bien général. Mais il n'y a de vraie et légitime puissance que celle qui émane de Dieu, souverain Seigneur et Maître de toutes choses, lequel seul peut investir l'homme d'une autorité de commandement sur les autres hommes. On ne saurait donner le nom de droite raison à celle qui est en désaccord avec la vérité et avec la raison divine; ni, non plus, appeler bien véritable celui qui est en contradiction avec le bien suprême et immuable, et qui détourne et éloigne de Dieu les volontés humaines.  [...] [s]i les lois de l'Etat sont en contradiction ouverte avec la loi divine, si elles renferment des dispositions préjudiciables à l'Eglise ou des prescriptions contraires aux devoirs imposés par la religion, si elles violent dans le Pontife Suprême l'autorité de Jésus-Christ, dans tous ces cas, il y a obligation de résister et obéir serait un crime dont les conséquences retomberaient sur l'Etat lui-même. Car l'Etat subit le contrecoup de toute offense faite à la religion. On voit ici combien est injuste le reproche de sédition formulé contre les chrétiens. En effet, ils ne refusent, ni au prince, ni aux législateurs, l'obéissance qui leur est due ou, s'ils dénient cette obéissance, c'est uniquement au sujet de préceptes destitués d'autorité parce qu'ils sont portés contre l'honneur dû à Dieu, par conséquent en dehors de la justice, et n'ont rien de commun avec de véritables lois. » (Léon XIII, Lettre Encyclique Sapientiae Christianae, n. 12)  

 

Source: http://w2.vatican.va/content/leo-xiii/fr/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_10011890_sapientiae-christianae.html  

 

Les chrétiens sont donc les vrais défenseurs du Bien commun, de l'intérêt général et de l'ordre public, les protecteurs de l'État, de la loi et de l'ordre. On a vu jeudi dernier, 6 septembre, avec la publication des chiffres des atteintes et des violences aux personnes ("une hausse de 23,1% sur les sept premiers mois" de l'année) qu'il serait temps temps de créer après deux siècles de tyrannie des droits de l'homme sans Dieu, un mécanisme législatif qui permette d'évaluer la pertinence d'un "choix de mode de vie". La loi naturelle est cet outil législatif, le critère d'évaluation qui nous permettrait d'encadrer l'exercice des libertés, dans le respect de l'ordre public. Le philosophe Pierre Manent réhabilite la loi naturelle et l'explique dans son livre "La Loi naturelle et les droits de l'homme" (PUF).

 

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6 septembre 2018 4 06 /09 /septembre /2018 15:38

Les prophéties de Paul VI au sujet de la "société du plaisir égoïste" se sont réalisées. Il y a un "abaissement général de la moralité". Une autre nouvelle aujourd'hui le confirme : la contre société a entraîné une "forte hausse des violences sexuelles en 2018".

 

Nous disons "contre société" car ce qui fait le lien social, c'est-à-dire la bonne moralité entre les personnes a disparu. La machine à corrompre à l'oeuvre depuis des décennies, a créé un enfer. 

Source: http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/09/06/97001-20180906FILWWW00139-forte-hausse-des-violences-sexuelles-en-2018.php

Source: http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/09/06/97001-20180906FILWWW00139-forte-hausse-des-violences-sexuelles-en-2018.php

Le nombre des violences sexuelles enregistrées par les forces de sécurité a bondi depuis le début de l'année, avec une hausse de 23,1% sur les sept premiers mois, a indiqué aujourd'hui Gérard Collomb, évoquant un mouvement de libération de la parole. Les services de police et gendarmerie ont enregistré 27.728 faits de violences sexuelles contre 22.533 au cours des sept premiers mois de 2017.

 

Il y a un demi-siècle, le 25 juillet 1968, l’encyclique Humanæ Vitæ de Paul VI réaffirmait l’enseignement catholique sur la vie, l’amour et la sexualité humaine. Dans ce texte, il dressait la liste des conséquences d’une existence vécue en dehors de l’enseignement catholique. Il prédisait que :

1. La contraception conduirait à l’infidélité conjugale.

2. La pratique contraceptive conduirait à “un abaissement général de la moralité”.

3. La contraception conduirait les hommes à cesser de respecter le femmes dans leur intégralité, et les amènerait à traiter les femmes comme “de simples instruments du plaisir égoïste” plutôt que comme des partenaires chéries.

4. Et, finalement, l’acceptation généralisée de la contraception au sein des couples conduirait à l’imposition massive de la contraception par des gouvernements sans scrupule.

 

En d’autres mots, le pape Paul VI prédisait que la contraception évoluerait d’un “choix de mode de vie” à une arme de destruction massive.

 

Bien que chaque jour la Pyramide parle de "droits des femmes", la considération de la femme dans cette contre-société a profondément régressé.

 

Les progressistes, et autres tenants de la  "libéralisation des moeurs" et de la Pyramide mondiale ont échoué. Après l'enfer communiste au XXe siècle, voici l'enfer nouvel ordre sexualiste du XXIe siècle.

 

Alors que les ténèbres commençaient à tout recouvrir dans les années 1960, l'encyclique Humanæ Vitæ allumait une petite veilleuse rouge. Les ténèbres ont épaissi depuis, mais la veilleuse rouge demeure.

 

Au regard du désastre, n'est-il pas temps de créer un mécanisme qui permette d'évaluer la pertinence d'un "choix de mode de vie" ? La loi naturelle est l'outil législatif, le critère d'évaluation qui nous permettrait d'encadrer l'exercice des libertés, dans le respect de l'ordre public. (Cf. Pierre Manent réhabilite la loi naturelle

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2 août 2018 4 02 /08 /août /2018 00:00
Croisades

Aucune nation, aucune démocratie ne peut écrire sa propre histoire sans reconnaître aux croisades une dette. La civilisation européenne doit tout ce qu'elle est aux croisades.

 

Note du rédacteur. Nous avons voulu résumer ici tout ce qu'il faut savoir sur les Croisades, les évènements et les concepts politiques qui en ont découlé. Cet article pourra être augmenté au fil de la publication d'ouvrages ou d'informations nouvelles sur le sujet. 

Croisades

Deux siècles d'hégémonie européenne au Levant vont en découler, deux siècles durant lesquels l'avance turque reculera non seulement devant la conquête franque en Syrie et en Palestine, mais encore devant la reconquête byzantine en Asie Mineure. [...] La catastrophe de 1453, qui était à la veille de survenir dès 1090, sera reculée de trois siècles et demi. [...] Le cours du destin va être arrêté et brusquement refluera.

René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 18, 35

Les Croisades auront permis l'éclosion de la civilisation européenne. Deux siècles de répit face à l'avancée militaire de l'islam, ont empêché que l'Europe ne devienne islamique dès le XIe siècle. Sans les Croisades, ni la Renaissance, ni l'humanisme, ni les libertés publiques, ni les droits de la femme n'eurent pu éclore. La meilleure preuve est la survie de l'esclavage dans les sociétés musulmanes aujourd'hui en 2018, comme au Qatar. Un esclavage qui avait été aboli chez nous au VIIe siècle, par la reine Bathilde (626-680).

 

En ce sens, on peut dire qu'en dépit de l'échec final apparent des croisades (la perte de la cité terrestre de Jérusalem), les Croisades auront gagné aux européens une autre cité, plus céleste, un autre royaume, plus spirituel : la civilisation européenne. On peut y voir, sans aucun doute, l'oeuvre de la Providence. Cette conclusion est d'ailleurs celle en filigrane du film de Ridley Scott, intitulé "Kingdom of heaven" (2005) : "Le Royaume des Cieux".

En voici l'histoire :

La laïcité est une invention spécifiquement chrétienne. Le christianisme a inventé la distinction du sacré et du profane, du religieux et du politique, du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Cette distinction est la marque spécifique et le fondement même de la civilisation chrétienne. [...] C'est d'elle qu'est née la liberté de l'individu, laquelle est à l'origine non seulement des libertés publiques européennes mais encore de la dynamique occidentale. [...] L'avènement de la science et de la technique moderne est certes un miracle européen, mais plus profondément encore un miracle chrétien.

[...] Frédéric Lenoir écrit que les règles morales que Jésus "instaure [...] ont historiquement débordé le champ du christianisme pour fonder une éthique que nous considérons aujourd'hui en Occident comme universelle et laïque : l'égalité entre tous les êtres humains, la fraternité, la liberté de choix, la promotion de la femme, la justice sociale, la non-violence, la séparation des pouvoir spirituel et temporel...."

[...] L'universitaire américain Rodney Starck a donné pour sous-titre à un de ses livres : "Pourquoi la réussite du modèle occidental est le fruit du christianisme". (R. STARCK, Le triomphe de la Raison, 2007.)

[...] Dans la perspective historique, celle du long terme, c'est le christianisme, dans son ensemble, qui a inventé le progrès technique, économique et social. Le processus de modernisation économique a commencé en Europe occidentale dès avant la fracture de la Réforme, et s'il a connu ensuite une ampleur spectaculaire en terre protestante, il s'est poursuivi aussi dans des pays restés catholiques.

[...] En inventant progressivement la modernité scientifique, technique et économique, la chrétienté occidentale a engendré la civilisation de loin la plus puissante matériellement ayant jamais existé jusque-là dans l'histoire du monde.

[...] Dès le XVIIe siècle et surtout le XVIIIe siècle, il y avait une énorme supériorité scientifique et technique de l'Europe occidentale chrétienne sur le reste du monde. C'est cela qui explique la colonisation. [...] La confrontation en Égypte de Bonaparte et du monde musulman fut un choc traumatique pour celui-ci, tant il s'est brusquement perçu comme déclassé par des chrétiens qu'il avait l'habitude séculaire de mépriser.

[...] Certes, il y a eu ensuite le "miracle japonais". [...] Puis, plus récemment, ont eu lieu d'autres miracles (israélien, coréen, chinois, indien, etc.) Mais on ne saurait oublier que tous sont des greffes du "miracle chrétien".

[...] Dans les vieux âges, la religion et l'État ne faisaient qu'un. [...] La religion commandait alors à l'État, et lui désignait ses chefs par la voie du sort ou par celle des auspices; l'État, à son tour, intervenait dans le domaine de la conscience et punissait toute infraction aux rites et au culte de la cité. Au lieu de cela, Jésus-Christ [...] sépare la religion du gouvernement [...] : "Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu." (Matthieu 22:21) C'est la première fois que l'on distinguait si nettement Dieu de l'État. Car César, à cette époque, était encore le grand pontife, le chef et le principal organe de la religion romaine.

[...] Certes les Grecs sont considérés comme les inventeurs de la liberté politique, et la démocratie athénienne du Ve siècle avant notre ère reste dans ce domaine la grande référence. Mais, faute de séparation du politique et du religieux, la religion déterminait tout, ce qui empêchait une liberté individuelle préfigurant celle des sociétés libérales modernes.

[...] Commentant la pensée de saint Thomas, le grand philosophe du droit Michel Villey souligne que "les origines des libertés individuelles du droit européen moderne" résident dans le fait que "l'individu, pour une part, échappe au contrôle de l'État".

[...] La Chine ancienne n'a pas réellement mis ses découvertes au service de la production et de la vie économique. Les inventions chinoises n'ont pas débouché sur une révolution industrielle, et c'est bel et bien l'Europe chrétienne qui a inventé le progrès technique, économique et social. [...] (En Chine) "La décision d'un despote suffisait à arrêter une innovation". Inversement, "l'Europe n'a jamais eu de despote capable de tout verrouiller". (J. DIAMOND, De l'Inégalité parmi les sociétés, Paris 200, p. 620-625).

[...] On ne le dira jamais assez : le miracle européen que fut l'invention du progrès technique, économique et social a fondamentalement été un miracle chrétien. Celui qui recherche aux évolutions sociales et économiques des clés d'explication en faisant l'impasse sur le facteur religieux se condamne à la cécité.

[...] À la différence du christianisme, l'islam n'a fait que s'inscrire dans la continuité des civilisations anciennes. [...] Faute d'une distinction du sacré et du profane, l'État n'a pas de légitimité propre, il n'existe que pour servir la religion. [...] Les sociétés musulmanes sont holistes, et ne laissent guère de place à l'individu.

[...] Le spectaculaire décollage de l'Occident eut pour conséquence le déclassement de la civilisation musulmane - tout comme d'ailleurs celui d'autres grandes civilisations telles que la Chine et l'Inde.

[...] Bernard Lewis le marque clairement à propos de l'infériorité militaire du monde islamique par rapport à l'Occident à partir de la fin du XVIIe siècle : "Le problème ne résidait pas, comme d'aucuns l'ont prétendu dans le déclin du monde musulman. [...][C]'étaient l'inventivité et le dynamisme déployés par l'Europe qui creusaient l'écart entre les deux camps." [...] L'Empire ottoman [...] était presque entièrement dépendant de l'Occident pour l'équipement de ses armées en matériel moderne. [...] L'énorme canon projetant des boulets de 400 kg qui permit à Mehmet II de prendre Constantinople (en 1453) en anéantissant tout un segment de l'inexpugnable muraille terrestre protégeant la ville avait été fabriqué par un Allemand. C'était un Saxon nommé Urban. Le monde islamique n'a inventé "ni canons, ni arquebuses, ni tactiques originales", mais s'est procuré à prix d'or des "transferts de technologie" effectués par des "transfuges" européens que le sultan "paie généreusement". Cependant, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, apparaît une nette "infériorité" de l'artillerie ottomane "qui ne sera pas surmontée, malgré les appels aux spécialistes et aux techniques d'Occident." (S. YERASIMOS, Pourquoi les Turcs ont pris Constantinople", dans Les Collections de l'Histoire, n° 45, oct.-déc. 2009, p. 17-19; G. VEINSTEIN, "L'Artillerie fait merveille", ibid., p. 18.)

Jean-Louis Harouel, Le Vrai génie du christianisme, Laïcité, Liberté, Développement, éditions Jean-Cyrille Godefroy, , Clamecy 2012, p. 11; 13; 20-21; 36-39; 64; 76-77.

Introduction

 

Sans les croisades, l'Europe aurait été musulmane dès le XIIe siècle. Ni la Renaissance, ni l'humanisme, ni même notre culture moderne libérale occidentale n'aurait pu éclore. Pourtant, "aujourd'hui, dans les manuels d'histoire, le sujet des croisades frôle la repentance. Et chez les humanistes, les croisades sont considérées comme une horrible agression perpétrée par les Occidentaux violents et cupides à l'encontre des musulmans tolérants et raffinés..." [Jean Sévillia, Historiquement correct, Pour en finir avec le passé unique, Perrin, Saint-Amand-Montrond 2003, p. 36-38] C'est au XVIIIe siècle que commence avec les "philosophes" des "Lumières" la légende noire des Croisades, fruit du "fanatisme" et de l'"intolérance" de l'Église. La réalité est pourtant bien loin de ce tableau caricatural. Si l'Europe est ce qu'elle est aujourd'hui, elle le doit au sacrifice des croisés qui arrêtèrent l'expansion de l'islam, le temps suffisant de prendre le dessus techniquement sur le monde islamique et d'empêcher l'invasion de l'Europe.

Dans les manuels de l'école républicaine du début du XXe siècle, les Croisés étaient dépeints en guerriers violents et sanguinaires. Mais les Croisades , elles-mêmes, étaient regardées d'un œil favorable : les laïcistes y voyaient une expédition qui avait fait rayonner la culture française. Les manuels scolaires républicains (Brossolette, cours moyens, p. 23) reconnaissaient "les bons résultats des Croisades sur la civilisation et le commerce"... [in Jean Guiraud, Histoire partiale, Histoire vraie, éditions Beauchesne, 1912, p. 247]

L'image négative des Croisades est étonnante vu que « pendant des siècles, l'Europe a chanté la grandeur de ses expéditions Outre-mer, d'abord dans des chansons de geste, puis dans la Jérusalem délivrée (poème épique) du Tasse, la plus grande épopée du XVIe siècle, et même dans l'opéra, où les amours de Tancrède ont inspiré compositeurs et librettistes, de Monteverdi à Rossini. C'est dans les Croisades que bien des familles ont cherché leurs lettres de noblesse, et les colonisateurs un référent historique. Pourtant au siècle des Lumières, écrit Laurent Vissière, la tendance commence à s'inverser. Voltaire stigmatise l'intolérance et la brutalité des Croisés. Au XXe siècle, dans un contexte de décolonisation et de mauvaise conscience occidentale, prévaut l'image noire des Croisades. On parle alors d'un "grand malheur", d'un "crime", ou, pour reprendre la pittoresque formule d'Amin Maalouf, d'un "viol" que les méchants croisés auraient commis à l'égard des paisibles populations musulmanes... En Orient, [...] avec le réveil politique et religieux du monde arabe, on assiste à la re-construction d'une mémoire mythique, dans laquelle la terre d'Islam est toujours agressée par l'Occident; et de ce fait, Saladin, sorti de l'oubli, sert de modèle aux dictateurs laïques comme aux ayatollahs. Bref, des deux côtés de la Méditerranée, s'impose un schéma parfaitement manichéen de la première croisade, dont on ne parle plus qu'en termes moraux. » [Laurent Vissière, Revue HISTORIA N° 095, Croisade, Mai-Juin 2005, p. 4]

 

L'historien britannique de vulgarisation des croisades, Sir Steven Runciman, termina en 1954 ses trois volumes de magnifique prose avec un jugement lapidaire : les croisades n’étaient « rien de plus qu’un long acte d’intolérance au nom de Dieu, qui est le péché contre le Saint-Esprit» [Sir Steven Runciman, A History of the Crusades: Vol. III, The Kingdom of Acre and the Later Crusades, Cambridge: Cambridge University Press, 1954, 480

 

En 2001, à la suite des attentats islamistes du 11 septembre, l’ancien président américain Bill Clinton prononçait un discours à l’Université de Georgetown dans lequel il discutait de la réponse de l’Occident. Le discours contenait une référence brève mais significative aux croisades. Il faisait remarquer que "lorsque les soldats chrétiens ont pris Jérusalem [en 1099], ils... se sont mis à tuer chaque femme et chaque enfant musulman sur le Mont du Temple". Et il cita "des compte-rendus contemporains de l’événement" décrivant "des soldats qui marchaient sur le Mont du Temple avec le sang coulant jusqu’aux genoux". Cette histoire continuait à être "racontée aujourd’hui au Moyen-Orient et nous continuons à payer pour cela", déclara sur un ton emphatique M. Clinton. Cette vision des croisades n’est pas inhabituelle, elle imprègne les manuels scolaires comme la littérature populaire, a constaté l'universitaire américain Paul F. Crawford, dans un article paru au printemps 2011, dans la Intercollegiate Review, article traduit sur le site Medias-presse.Info. [1] L’auteur prend en compte les arguments des adversaires des Croisades dont il démontre le simplisme et le "politiquement correct". "Les croisades étaient une sorte de début de l’impérialisme". [R. Scott Peoples, Crusade of Kings, Rockville, MD: Wildside, 2009, 7Raccourci pratique mais anachronique et inexact, compte tenu des buts limités de la croisade, que nous évoquerons un peu plus loin. 

 

Le successeur de Bill Clinton, le président néo-conservateur George Bush parla lui-même de "croisade" et de "guerre contre le terrorisme qui va prendre du temps" pour justifier sa néfaste invasion de l'Irak, soldée par un fiasco, comme en Libye, avec des conséquences dévastatrices en terme de déstabilisation de ces régions et de migrations. La comparaison de George Bush était d'autant plus anachronique et intellectuellement risquée que le but n'était pas le même que celui des croisades médiévales. Faisant d'une pierre deux coups, « le président américain G. W. Bush promettait de lancer contre ces fanatiques musulmans une nouvelle "croisade", expression malencontreuse qui confortait du même coups la perception réductrice et même fautive de ses adversaires...", écrit Jean Flori dans Idées reçues sur les croisades. » [Éditions Le Cavalier Bleu, 2e éd., Paris 2018, p. 11]. Il relançait (volontairement ?)  la légende noire des croisades que Voltaire et les philosophes des dites "Lumières" avaient contribué, en France du moins, à répandre.

 

Le verdict semble unanime, les croisades sont dépeintes comme un épisode déplorable de violence dans lequel des soldats violents et cupides d’Occident, sont venus sans aucune provocation, assassiner et piller gratuitement des musulmans raffinés et épris de paix, et fixer des modèles d’oppression qui se seraient répétés tout au long de l’histoire par un Occident diabolique... Dans de nombreuses régions du monde occidental aujourd’hui, cette vue simpliste est trop banale et apparemment trop évidente pour être seulement remise en cause. Mais de la même manière qu'une majorité ne détient pas toujours la vérité, l’unanimité n’est pas une garantie d’exactitude.

La situation respective, territoriale et spirituelle du monde musulman et de la Chrétienté en 1095

 

Un retour sur le passé est "nécessaire pour établir la situation respective, territoriale et juridique, du monde musulman et du monde byzantin à l'arrivée des Croisades", écrivait déjà en 1934 le grand orientaliste René Grousset dans son introduction à sa monumentale Histoire des Croisades (I. 1095-1130, L'anarchie musulmane, Perrin, Collection Tempus, p. 19)

Partage de l'Empire en 395 entre les fils de Théodose, Honorius (Occident) et Arcadius (Orient)

Partage de l'Empire en 395 entre les fils de Théodose, Honorius (Occident) et Arcadius (Orient)

Même si la matière s'est depuis considérablement enrichie d'une bibliographie surabondante et de débats qui se poursuivent sur des points controversés, le travail de René Grousset reste d'autorité. L'objectivité de l'auteur apparaît lorsque lorsque il ne réserve pas sa sympathie aux seuls "Francs" (qu'il juge même parfois sévèrement) : il parle avec la même admiration des paladins musulmans qu'ils combattaient. Notre époque serait peut-être même plus réservée sur le personnage de Saladin, en qui René Grousset voyait - comme les Francs du XIIIe siècle - un héros de roman de chevalerie. De même, a-t-il malmené l'empereur Frédéric II, qui a voulu dénationaliser la Syrie franque, tout en dressant néanmoins un hommage pour le génie de ce même empereur, dans Figures de proue (1949).

Le grand mouvement des croisades se produisit sous le règne de Philippe Ier (1060-1108). Or presque tous les rois qui, à cette date, régnaient en Europe, étaient brouillés avec le Saint-Siège; Philippe Ier, roi de France, Guillaume II, roi d'Angleterre et l'empereur allemand Henri IV étaient excommuniés. La croisade des chevaliers (1096-1099) ne put avoir à sa tête que de grands féodaux. Le roi de France, néanmoins, ne s'en désintéressa pas: il y fut représenté par son frère Hugue, comte de Vermandois, dit le Mainsné (cadet). [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, Avec quatre planches hors-texte tirées en héliogravure, Flammarion, Lagny 1934 , p. 28] Hugues de Vermandois prit la croix avec Godefroy de Bouillon et combattit au siège de Nicée, à Dorylée. Lors de la prise d'Antioche (3 juin 1098), il gagna le surnom de "Grand". Mais les Turcs assiégeant la ville, découragé, il abandonna les croisés et revint en France sans avoir accompli son vœu. La prise de Jérusalem un an plus tard (15 juillet 1099) le couvrit de honte et, pour réparer son manquement, il repartit en croisade ; blessé dans un combat au bord du fleuve Halys, il mourut à Tarse, en Cilicie (1101).

Expansion du christianisme à l'apparition de l'islam

Expansion du christianisme à l'apparition de l'islam

 

Situation territoriale

 

En 632 ap. J.-C., Jérusalem (comme l'ensemble des territoires de l’Égypte, de la Palestine, de la Syrie, de l’Asie Mineure, de l’Afrique du Nord, de l’Espagne, la France, l’Italie et les îles de Sicile, la Sardaigne et la Corse) était chrétienne (carte ci-dessus). Ces territoires faisaient partie de l'Empire romain, qui existait encore en sa partie orientale sous le nom d'"empire romain d'Orient" (ou "empire byzantin"). Cet empire romain dura donc encore mille ans après la chute de sa partie occidentale en 476 suite aux invasions germaniques. Les territoires de l'ex-empire romain avaient pour religion le christianisme, qui, après avoir été persécuté et avoir reçu la liberté de culte avec l'édit de Milan de l'empereur Constantin, fut adopté comme religion de l'Empire avec les édits de 392 de Théodose le Grand et ses successeurs. La mère de Constantin, Ste Hélène fit un pèlerinage à Jérusalem en 326, elle y découvrit  la Vraie Croix au lieu du Calvaire, et  fit détruire le temple de Vénus bâti par l'empereur Hadrien sur le lieu du Temple de Jérusalem (qu'il avait lui-même détruit), et fit ériger la basilique du Saint-Sépulcre sur le lieu de la crucifixion (le Golgotha), à proximité de la grotte où le corps du Christ fut déposé après sa mort. 

En dehors des strictes limites territoriales de l'Empire, il y avait d’autres anciens territoires romains qui comprenaient des communautés chrétiennes, pas nécessairement orthodoxes et catholiques, mais chrétiennes. Par exemple la plus grande partie de la population chrétienne de Perse était des Nestoriens. En dehors de sstrictes limites frontalières de l'Empire romain, il y avait également de nombreuses communautés chrétiennes en Arabie à l'apparition de l'islam en 632. Cependant, à la fin du règne de l'empereur byzantin Héraclius († 641) les Arabes avaient envahi la Syrie, la Palestine et l’Afrique du Nord (l'Égypte sera perdue en 646 sous le règne de son successeur l'empereur Constant II).

En 732, les chrétiens perdirent l’Espagne, la plus grande partie de l’Asie Mineure (la Turquie actuelle), ainsi que le sud de la France, l’Italie et ses îles associées étaient menacées. Les îles devaient tomber sous la domination musulmane au siècle suivant avant d'être reprises par les Normands.

Les communautés chrétiennes d’Arabie furent entièrement détruites en 633, alors que les Juifs et les chrétiens étaient expulsés de la péninsule. [Francesco Gabrieli, The Arabs: A Compact History, trans. Salvator Attanasio, New York: Hawthorn Books, 1963, 47]  

Avancée de l'islam au VIIIe siècle

Avancée de l'islam au VIIIe siècle

Constantinople (ancienne Byzance), la cité fondée par l'empereur romain Constantin en 324, fut attaquée deux fois, sans succès par les Arabes; une première fois en 673-678, où l'empereur Constantin IV repoussa les Arabes grâce au feu grégeois, et une seconde fois en 718 où Léon III l'Isaurien défendit brillamment la Cité.

 

La ville sainte de Jérusalem fut prise par les musulmans en 638 sous le règne du deuxième calife, un certain Omar, parent de Mahomet. "Les chrétiens n'opposèrent aucune résistance : Omar leur garantit, dans un arrêté qu'il établit expressément pour eux, une 'sécurité absolue pour leur vie, leurs biens et leurs églises'. Les Arabes se montrèrent dans un premier temps également tolérants dans les autres territoires soumis." [Michael Hesemann, Les Points Noirs de l'Histoire de l'Église, Pour en finir avec vingt siècles de polémiques, Artège, Paris 2017, p. 175-176] 

 

Cependant les Chrétiens étaient contraints de porter des signes distinctifs. Par leur statut de dhimmi, ils étaient "soumis à des mesures discriminatoires, telle que le port de deux bandes d'étoffes jaunes sur l'épaule, l'interdiction de monter à cheval et de porter les armes, ou encore de construire de nouvelles églises et de nouveaux monastères ainsi que d'exhiber les croix et les bannières." [Revue HISTORIA N° 095, Croisade, Mai-Juin 2005, p. 27] Moyennant le port de signes distinctifs et le paiement d'un impôt spécial, la djizya, ils étaient autorisés à pratiquer leur culte. Mais, il leur était interdit de construire de nouvelles églises (Pacte d'Omar), ce qui à terme, les condamnait. Les pèlerinages européens pouvaient continuer, à condition d'acquitter un tribut, notamment pour accéder au Saint-Sépulcre. "Il ne s'agissait pas seulement de provinces perdues, de terres et de villes, métropoles et berceaux du christianisme, tombés en d'autres mains; ni seulement du souvenir des combats, ni des humiliations comme, en certains lieux, le port de signes distinctifs, regardés comme des signes d'infamie; mais de pouvoir accomplir les dévotions aux Lieux saints en paix, sans tourments ni dépenses excessives", écrit Jacques Heers, dans La Première Croisade. [Jacques Heers, La Première Croisade. Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 26] 

 

« Le jizya était un impôt local, inspiré de la sourate IX:29 ("Combattez-les jusqu'à ce qu'ils payent directement le tribu après s'être humiliés") devait être payé individuellement pendant une cérémonie humiliante qui rappelait aux dhimmis qu'ils étaient inférieurs aux croyants. Pour le commentateur musulman al Zamakhshari (1075-114), le verset IX:29 veut dire que "le jizya leur sera pris en les rabaissant et en les humiliant. (Le dhimmi) viendra en personne, à pied, en marchant. Quand il payera, il se tiendra debout, pendant que le percepteur sera assis. le percepteur le tiendra par la nuque, le secouera et dira : paye le jizya! et, pendant qu'il paye, on le frappera sur la nuque." Autres taxes. Outre qu'ils payaient des taxes commerciales et des droits d'octroi plus élevés que les musulmans, les dhimmis étaient soumis à d'autres formes d'oppression fiscale. [...] Ces taxes représentaient un tel fardeau que les dhimmis abandonnaient leurs villages et se réfugiaient dans les montagnes ou essayaient de se perdre dans l'anonymat des grandes villes pour échapper au percepteur. En Basse Égypte, par exemple, les coptes complètement ruinés par les taxes se révoltèrent en 832. le gouvernement arabe réprima impitoyablement l'insurrection en brûlant les villages, les plantations et les églises. Ceux qui réchappèrent au massacre furent déportés.

 

[...] Les incapacités qui frappent les dhimmis sont résumées dans le Pacte d'Omar qui fut probablement rédigé (au VIIIe siècle) par le calife Omar ben Abd al Aziz (Omar II, v. 717-720) :

 

"Nous ne construirons pas dans nos cités ou dans leurs environs ni monastère, église, ermitage ou cellule de moine. Nous ne réparerons pas, de jour comme de nuit, ce qui est tombé en ruine ou ce qui se trouve dans un quartier musulman.

[...] Nous n'organiserons pas de cérémonie publique. Nous ne ferons pas de prosélytisme. Nous n'empêcherons aucun de nos parents d'embrasser l'islam s'il le désire.  Nous montrerons de la déférence envers les musulmans et nous leur cèderons la place quand ils désireront s'asseoir.  

[...] Nous ne chevaucherons pas sur des selles.   Nous ne porterons pas d'épée ou n'importe quelle autre arme, ni ne les transporterons.  Nous ne vendrons pas de porcs.

[...] Nous ne montrerons pas nos croix ou nos livres dans les rues empruntées par les musulmans ou sur les marchés. Nous ne ferons sonner nos cloches que dans nos églises et très discrètement. Nous n'élèverons pas la voix en récitant nos prières, ni en présence d'un musulman. Nous n'élèverons pas non plus la voix pendant les processions funéraires.  Nous ne construirons pas nos maisons plus haut que les leurs."

 

En Espagne, « les musulmans ont implanté en Al-Andalous un "régime pervers", qui a humilié continuellement" les Juifs et les Chrétiens. » [Déclaration de Rafael Sanchez Saus, à l'occasion de la publication de son livre Al-Andalus et la Croix (2016), EFE / Madrid et Journal ABC, 13/01/2016 cité in Serafin FANJUL, Al-Andalus, L'Invention d'un mythe, La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, L'Artilleur, Condé-sur-Noireau 2017, p. 21]

 

L'auteur du livre Al-Andalous, L'invention d'un mythe (Serafin Fanjul), affirme qu'il s'agissait d'"un régime très semblable à l'apartheid sud-africain" et d'une époque globalement "terrifiante".

 

 

[...] (Après les Croisades) [p]endant au moins trois cents ans, les chrétiens durent subir une humiliation dont il est rarement fait mention, la pratique du devshirme. Il fut instauré par le sultan Orkhan (1326-1359) et consistait à prélever régulièrement un cinquième des fils des familles de l'aristocratie chrétienne qui vivaient dans les territoires conquis. Grecs, Serbes, Bulgares, Arméniens et Albanais, souvent des fils de prêtres. Convertis à l'islam, ces enfants étaient destinés à alimenter les corps des janissaires. Ces enlèvements périodiques devinrent annuels. À dates fixes, tous les pères devaient présenter leur fils sur la place publique. En présence d'un juge musulman, les agents recruteurs choisissaient les enfants les plus vigoureux et les plus beaux. Les pères qui tentaient d'échapper à cette obligation étaient sévèrement punis. [...] Les agents recruteurs prenaient souvent plus d'enfants qu'il n'était nécessaire et revendaient le surplus à leurs parents. Ceux qui étaient incapables de racheter leurs enfants devaient se résoudre à les voir vendus comme esclaves. Cette pratique fut abolie en 1656. Toutefois, un système similaire qui prenait les enfants de six à dix ans pour être formés au service du sérail, continua jusqu'au XVIIIe siècle. Le nombre des enfants ainsi enlevés chaque année fluctuait selon les spécialistes entre huit et douze mille. Le devshirme était une violation évidente des droits des dhimmis.

[...] Tavernier, l'explorateur français du XVIIe siècle, décrit comment en Anatolie (Turquie), "il y a quantité de Grecs qu'on force tous les jours à se faire Turcs." Les Chrétiens arméniens ont, de toute évidence, subi des persécutions rigoureuses de la part des musulmans. En 704-705, le calife Walid Ier rassembla des nobles arméniens dans les églises de Saint Grégoire à Naxcawan et de Xram sur l'Azaxe et les incendia. Les autres furent crucifiés ou  décapités, cependant que leurs femmes et leurs enfants étaient pris comme esclaves. [...] Chaque siècle a eu son compte d'horreurs. Au VIIIe siècle, ce furent les massacres du Sind. Au IXe, celui des chrétiens de Séville. Au Xe, les persécutions organisées par le calife al-Hâkim. » [Fin de citation, Ibn WARRACQ, Pourquoi je ne suis pas musulman, Préfaces de Taslima Nasrin et du général J. G. Salvan, L'Âge d'homme, Mobiles géopolitiques, Clamecy 2002, p. 283-286.]

 

Au VIIIe siècle, les îles de la Méditerranée sont entre les mains des musulmans: Chypre, Crète, mais aussi Sicile, Baléares, Corse, Sardaigne, etc. Leurs razzias viennent ravager les côtes de Provence et d'Italie.

 

« Au milieu du IXe siècle, Rome est plusieurs fois pillée. L'Europe chrétienne ressemble à une forteresse assiégée. [...] Rome, territoire pontifical (est) plusieurs fois pillé par les Sarrasins en 846 et 847. » [Jean Flori, Idées reçues sur les croisades, Éditions Le Cavalier Bleu, 2e éd., Paris 2018, p. 15]

 

En Méditerranée, "les razzias des pirates et des musulmans de Sicile entretenaient un lourd climat d'insécurité". [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., p.22] 

 

"Des brigands et des voleurs infestaient les chemins, surprenaient les pèlerins, en détroussaient un grand nombre et en massacraient beaucoup." [Jacques de Vitry, historien et auteur spirituel du XIIe s., cité dans Régine Pernoud, Les Templiers, Presses Universitaires de France, Que Sais-je ? Vendôme 1996, p. 5

 

Au Xe siècle, les Byzantins ayant reconquis une partie de la Syrie, les Arabes déclarèrent le jihad ; Pour se venger, ils se déchaînèrent contre les Chrétiens de Jérusalem en 966 et incendièrent à cette occasion les toits de l'église de la Résurrection.

 

 

En 979, lors de la prise de Jérusalem par le calife fatimide Ibn Moy, le porche de l'église de la Résurrection fut incendié, les coupoles s'effondrèrent et le patriarche mourut dans les flammes. [Michael HesemannLes Points Noirs de l'Histoire de l'Église, ibid.p. 176-177] 

 

 

"L'occupation d'une bonne part de l'Orient byzantin par les musulmans plaçait les chrétiens dans une situation particulière, et par beaucoup, jugée insupportable.

 

Dans le même temps, en Europe, la reconquête chrétienne, pourtant, commençait à s'organiser dans l'Espagne occupée par les musulmans (Al-Andalous). 

Avancée et reflux de l'islam en Espagne sous l'effet de la Reconquista. Carte tirée de l'ouvrage de Serafin FANJUL, "Al-Andalous, L'invention d'un mythe, La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, éd. L'artilleur, Paris 2017

Avancée et reflux de l'islam en Espagne sous l'effet de la Reconquista. Carte tirée de l'ouvrage de Serafin FANJUL, "Al-Andalous, L'invention d'un mythe, La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, éd. L'artilleur, Paris 2017

[...] Les chrétiens, ceux d'Occident surtout, se trouvaient dépossédés, chassés de leurs principaux sanctuaires; fidèles d'une religion qui, à un moment dont ils gardaient bien sûr la mémoire, avait évangélisé le monde, ils voyaient les lieux où avaient vécu le Christ et les apôtres occupés par d'autres; ils ne pouvaient y prier qu'en étrangers, tolérés, rançonnés, parfois malmenés, en tout cas soumis à toutes sortes d'exactions et d'aléas, dans des pays livrés à de constants désordres, à des conflits dynastiques, aux exigences imprévisibles de chefs mal contrôlés.

 

[...] En Asie, sur les routes de l'Anatolie (Turquie actuelle), [....] [l]es pèlerins se trouvaient là sans protection, en butte généralement aux abus, agressés et rançonnés par les bandes de bédouins, pasteurs et pillards, que les califes ou les émirs des cités contrôlaient très mal." [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., p. 26-27

 

En France, "les guerres répétées contre les Sarrasins d'Espagne avaient pris une grande place dans les préoccupations de la chevalerie française. Nombreuses étaient les expéditions que les seigneurs des bords de la Seine, de la Loire et de la Saône avaient dirigées contre eux. Les sentiments qui en naquirent furent exaltés non seulement parmi la noblesse, mais dans les couches profondes de la population, par nos grands chants épiques qui étaient à cette époque, dans la seconde moitié du XI s., en leur plein épanouissement : ces chants traduisaient, en termes d'une beauté et d'une puissance incomparables, les luttes des Chrétiens et plus particulièrement des Français contre les Sarrasins", écrit Frantz Funck-Brentano, dans son livre "Les Croisades" (Avec quatre planches hors-texte tirées en héliogravure, Flammarion, Lagny 1934).

L'avancée de l'islam sous Charlemagne

L'avancée de l'islam sous Charlemagne

La bataille de Roncevaux (778) fait suite à l'échec de Charlemagne devant Saragosse, occupée par les Arabes. Au retour vers la France, Charlemagne rase Pampelune, mais son arrière-garde est surprise par l'armée basque au col de Cize (Garazi en basque, dans la province de Basse-Navarre, formé par la haute vallée de la Nive, dans le département actuel des Pyrénées-Atlantiques, capitale Saint-Jean-Pied-de-Port)expression "porz de Sizer" que l'on retrouve dans la Chanson de Roland, qui évoque les Sarrasins. « La Chanson de Roland, le plus beau, le plus émouvant de tous les chants épiques, poursuit F. funck-Brentano, date, dans la forme que nous lui connaissons, approximativement de l'année 1080. Elle eut un retentissement que nous n'imaginons plus aujourd'hui. C'est en Chantant de Roland que les soldats de Guillaume le Conquérant combattaient à Hastings. Elle (la Chanson de Roland) fut aussitôt répandue, traduite dans l'Europe entière. La Chanson de Roland est à l'origine de l'épopée nationale des Espagnols; dès le XIe siècle elle était populaire en Italie, en Allemagne. l'image de Roland et celle de son compagnon Olivier furent par toute l'Europe sculptées aux porches des cathédrales, peintes aux parois des églises, enluminées dans l'éclat des vitraux. [...] Nous lisons dans les Annales du règne de Charlemagne, d'une rédaction quasi officielle : "Le souvenir de cette blessure effaça presque entièrement, dans le coeur du roi Charles, la satisfaction des succès qu'il avait obtenus en Espagne". La douleur du roi fut bientôt celle de la nation et elle se transmit traditionnellement aux générations suivantes.

[...] À la Chanson de Roland [...], vient se joindre la Chanson de Guillaume d'Orange, elle aussi de cette seconde moitié du XIe siècle et parlant, elle aussi, en des termes souvent d'une poignante émotion, des combats soutenus par les Chrétiens de France contre les Sarrasins. [...] Ces chants étaient colportés par les jongleurs et les troubadours parmi les masses populaires; ils les chantaient aux pèlerinages qui attiraient des foules nombreuses, aux foires et aux lendits. [...] Notons ceci: dans la pensée des contemporains, ces chants épiques n'étaient pas poésie d'imagination; ils représentaient pour ceux de l'histoire, des faits jaillis de la réalité et fidèlement reproduits. » [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, Avec quatre planches hors-texte tirées en héliogravure, Flammarion, Lagny 1934, p. 3-4]

 

Bataille de Las Navas de Tolosa. Peinture à l’huile du XIXe siècle, de F. P. van Halen, exposée au palais du sénat à Madrid

 

De ce contexte il ressort que l'idée de croisade, la volonté de délivrer le Saint-Sépulcre à Jérusalem, berceau de la chrétienté, le désir lancinant de libérer du joug musulman les territoires européens (Espagne, sud de la France, Sicile, etc.), la volonté de répondre par une "contre-offensive à l'offensive généralisée de l'islam contre la chrétienté" [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid.,, p. 7], ne remontent pas à l'appel lancé par le pape Urbain II en 1095.

 

« La "Reconquête" commence en Espagne dès lors que Charlemagne, malgré son échec de 778 et le désastre de Roncevaux, ajoute dans les premières années du IXe siècle aux principautés demeurées chrétiennes - la Galice, la Cantabrie, les Asturies - une "marche d'Espagne" qui se mue en un comté de Catalogne et un royaume de Navarre. Dès le IXe siècle, la Reconquête donne naissance à l'Ouest au royaume de Leon. Au milieu du Xe siècle, s'ébauchent autour de Burgos un royaume de Castille et au sud de la Navarre un royaume d'Aragon. C'est de ces deux royaumes que partent les principales entreprises en direction du centre de la péninsule qui aboutiront en 1212 à Las Navas de Tolosa, à la défaite des Almohades qui s'effondrent sous les coups portés par les chrétiens enfin réunis. » [Jean Favier, Les Grandes découvertes, d'Alexandre à Magellan, Fayard, Paris 1991, p. 132-133]

Huit moments de la Chanson de Roland (enluminure)

Huit moments de la Chanson de Roland (enluminure)

George Bordonove précise que "la mort de Roland à Roncevaux [...] n'est qu'un épisode de la difficile campagne de Charlemagne contre les Maures d'Espagne (ou Sarrasins). L'empereur put néanmoins établir de solides Marches d'Espagne en Aragon et en Navarre qui furent le point de départ de la Reconquista et mirent la France à l'abri des incursions." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 9]

 

Pour la rédaction de son Décret de 1139, base du droit canonique, le moine bénédictin Gratien s'est servi à deux reprises des compilations juridiques d'Yves de Chartres au sujet de la lutte contre l'Islam. Il lui remprunte d'une part l'exemple en 849, du pape Léon IV qui conduisit en personne les Romains vers l'embouchure du Tibre pour lutter contre des pirates sarrasins (c. 23, q. 8, c. 7). Et en 1064, l'exemple du pape Alexandre II qui rédigea une lettre à l'épiscopat hispanique : "Le cas cas des Juifs et des sarrasins diffère du tout au tout. Il est juste de combattre les seconds qui persécutent les chrétiens et qui les chassent de leurs villes et propriétés" (q. 8, c. 11). Cette épître publiée à l'époque de la prise de la ville aragonaise de Barbastro sur les Maures (1064), lors de la croisade dite de Barbastrofélicitait les évêques languedociens d'avoir protégé les juifs des exactions des guerriers français traversant leurs terres en direction des Pyrénées. Pourtant, la reconquête de la péninsule ibérique n'obéit pas tout à fait à la même logique que la croisade en Orient. Elle se veut avant tout une restauration du royaume wisigothique injustement détruit par les Arabes et les Berbères, qu'il est licite d'expulser des terres qu'ils ont usurpées. Les médiévistes reconnaissent toutefois des similitudes entre la campagne de Barbastro et l'expédition prêchée en 1095, ne serait-ce que par les bienfaits spirituels accordées, dans les deux cas, par le pape aux belligérants chrétiens. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, Le Grand Livre du mois, Librairie Arthème Fayard, Saint-Amand-Montrond 2013, p. 47-48]. 

Avancée de l'islam au XIe siècle. Georges Bordonove, Carte tirée de Georges Bordonove, "Les Croisades et le Royaume de Jérusalem", éd. Pygmalion, Paris 1992

Avancée de l'islam au XIe siècle. Georges Bordonove, Carte tirée de Georges Bordonove, "Les Croisades et le Royaume de Jérusalem", éd. Pygmalion, Paris 1992

Les populations chrétiennes de Perse étaient sous forte pression, les deux tiers de l’ancien monde romain chrétien étaient maintenant gouvernés par les musulmans. Qu’était-il arrivé?

Chacune des régions citées a été prise au contrôle chrétien par la la guerre en l’espace d’une centaine d’années, dans le cadre de campagnes militaires délibérément conçues pour étendre le territoire musulman au détriment des voisins de l’islam. Cela ne mit pas non plus un terme au programme de conquête du mahométisme. Les attaques se poursuivront, ponctuées de temps à autre par des tentatives chrétiennes pour récupérer les territoires perdus et pour refluer l'islam. Charlemagne bloqua l’avance musulmane dans l’extrême ouest de l’Europe vers l’an 800, mais les forces islamiques déplacèrent simplement leur objectif et commencèrent à aller d’île en île de l’Afrique du Nord vers l’Italie et la côte française, attaquant le continent italien vers 837. Une lutte confuse pour le contrôle du sud et du centre de l’Italie a continué durant le reste du IXe siècle et au cours du Xe. Au cours des cent années entre 850 et 950, les moines bénédictins furent chassés des anciens monastères, les États pontificaux furent envahis, et des bases musulmanes pirates s'établiront le long de la côte du nord de l’Italie et du sud de la France, à partir desquelles les musulmans feront des attaques sur l’arrière-pays (les Sarrasins en Provence). Prêts à tout pour protéger les chrétiens victimes, les papes se sont impliqués, au cours du dixième siècle et au début du onzième. 

Après avoir perdu tellement de terrain au cours des VIIe et VIIIe siècles, brutalement amputé par les musulmans, les Byzantins mirent beaucoup de temps pour acquérir la force de se battre à nouveau. Au milieu du IXe siècle, ils montèrent une contre-attaque sur l’Égypte, c’était la première fois depuis 645 qu’ils osaient aller aussi loin au sud. Entre les années 940 et 970, ils firent de grands progrès en recouvrant des territoires perdus. L’empereur Jean Tzimiskes reprit à l'islam une grande partie de la Syrie et une partie de la Palestine, allant jusqu’à Nazareth, mais ses armées furent débordées et il dut mettre fin à ses campagnes en 975 sans parvenir à reprendre Jérusalem elle-même. De vives  contre-attaques musulmanes suivirent. Les Byzantins réussirent tout juste à conserver Alep et Antioche. La lutte se poursuivit sans relâche au siècle suivant.

En 1009, un calife fatimide fou, Abu Ali al-Mansour al-Hâkim, se réclamant d'un islam chiite rigoureux, fit détruire tous les églises du Caire, détruisit la basilique constantinienne de la Résurrection (Saint-Sépulcre) à Jérusalem, mit à bas les autres sanctuaires de la ville, confisqua les biens des religieux, ainsi que les objets du culte et les pièces d'orfèvrerie. Il  ordonna littéralement "d'effacer tous les symboles chrétiens et de faire disparaître toute trace et tout souvenir du christianisme", et organisa de grandes persécutions des chrétiens et des juifs. Les processions publiques furent interdites, les chrétiens évincés de toutes les charges publiques ou contraints de se convertir à l'islam. Sous son règne (996-1021), près de 30 000 églises furent vidées de leurs biens et pillées. « Aux dires de certains auteurs musulmans, écrit Jacques Heers, Hâkim aurait voulu décourager les chrétiens d'Égypte qui se rendaient en pèlerinage à Jérusalem, en particulier au moment des fêtes de Pâques, pour y assister au miracle du "feu sacré". Le Samedi saint, on procédait dans les églises à la cérémonie du "feu nouveau" en allumant le cierge pascal avec un briquet frotté contre une pierre. Cette solennité avait été introduite au IXe siècle, dans l'église du Saint-Sépulcre par des moines latins et, peu après, les chrétiens affirmaient que les lampes suspendues dans le sanctuaire ce jour-là et à la neuvième heure, s'allumaient miraculeusement par un feu descendu du ciel. Hâkim fit crier aux supercheries et accusa les prêtres chrétiens d'user de stratagèmes. Aussitôt connues, la destruction des églises de la Ville sainte et ces attaques violentes contre un miracle attesté depuis longtemps par des témoins insignes (en 1027, Richard, abbé de Saint-Victor de Marseille, en 1037, Odelric évêque d'Orléans) firent grand bruit et forte impression en Occident (M. Canard, La Destruction de l'Eglise de la Résurrection par le calife Hâkim et l'histoire de la légende du feu sacré in Byzantion, 1965, t. XXXV, p.16-43). Le sultan et les "Sarrasins" s'affichaient ennemis résolus du peuple chrétien ». [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., p. 28] Al-âkim fut bientôt déposé. En 1038 les Byzantins négocièrent le droit d’essayer de reconstruire la structure, mais d’autres événements rendaient également la vie difficile pour les chrétiens de la région, en particulier le remplacement des chefs musulmans arabes par la dynastie turque des Seldjoukides, qui à partir de 1055, ont commencé à prendre le contrôle du Moyen-Orient. En 1056, 300 chrétiens de Jérusalem furent expulsés et des pèlerins européens refoulés à l'entrée de l'église du Saint-Sépulcre. Les routes du pèlerinage n'étaient plus sûres, des actes de violence contre les pèlerins pacifiques étaient devenus monnaie courante. En 1076, les Seldjoukides prirent la Syrie, et en 1077 Jérusalem. Bien que leur émir Atziz bin Uwaq promît, lui aussi, d'épargner les habitants de la Cité sainte s'ils se rendaient sans combattre, ses hommes massacrèrent 3000 civils musulmans." [Michael Hesemann, Les Points Noirs de l'Histoire de l'Église, ibid., p. 179] Les pèlerins d’Occident commencèrent alors à se regrouper et à porter des armes pour se protéger alors qu’ils tentaient de se frayer un chemin vers les lieux saints de la chrétienté : des pèlerinages armés célèbres vers Jérusalem eurent lieu en 1064-65 et 1087-91.

En Méditerranée occidentale et centrale, l’équilibre du pouvoir basculait vers les chrétiens au détriment des musulmans. En 1034, les Pisans délogèrent une base musulmane en Afrique du Nord, étendant leurs contre-attaques à travers la Méditerranée. Ils montèrent également des contre-attaques en Sicile en 1062-1063. En 1087, une alliance italienne à grande échelle fit tomber Mahdia, en Tunisie actuelle, dans une campagne parrainée conjointement par le pape Victor III et la comtesse de Toscane. Il est clair que les chrétiens italiens prenaient le dessus.
Mais alors que le pouvoir chrétien, en Méditerranée occidentale et centrale se renforçait, il était en difficulté à l’Est. La montée des Turcs musulmans avait déplacé le poids de la puissance militaire contre les Byzantins, qui perdirent à nouveau beaucoup de terrain dans les années 1060. Une tentative des Byzantins de lancer de nouvelles incursions dans l’extrême-est de l’Asie Mineure en 1071, s’acheva sur une défaite dévastatrice contre les Turcs à la bataille de Manzikert (en turc : Malazgirt). À la suite de cette bataille, les chrétiens avaient perdu le contrôle de la quasi-totalité de l’Asie Mineure, et de la Syrie, avec ses ressources agricoles et sa base de recrutement militaire. Un sultan musulman installa une capitale à Nicée, le site de la création du Credo de Nicée en l’an 325, à moins de 125 miles de Constantinople...

George Bordonove résume : "Le 19 août 1071 est une date capitale. Elle marque l'échec définitif des 'croisades' byzantines."  [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 12] 

Les croisades devraient être comprises comme le moyen le plus sûr de vaincre la religion du "faux prophète" et de stopper son expansion. Et ce jusqu'au XVIIIème siècle où Chateaubriand affirmait dans ses Mémoires d'outre-tombe :

"les croisades ne furent des folies, comme on affectait de les appeler, ni dans leur principe, ni dans leur résultat. [...] Les croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes au centre même de l'Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes..."

René Grousset, qui a su utiliser toutes les sources possibles tant du côté musulman que du côté chrétien, et qui reste la référence pour connaître et comprendre les Croisades, écrit : 

 

"De Nicée où l'islam avait pris pied, il pouvait à tout instant surprendre Constantinople. La catastrophe de 1453 pouvait se produire dès les dernières années du XIe siècle." [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 13] 

[...] Vers 1090, l'islam turc, ayant presque entièrement chassé les Byzantins de l'Asie, s'apprêtait à passer en Europe. Dix ans plus tard, non seulement Constantinople sera dégagée, non seulement la moitié de l'Asie mineure sera rendue à l'hellénisme, mais la Syrie maritime et la Palestine seront devenues colonies franques. La catastrophe de 1453, qui était à la veille de survenir dès 1090, sera reculée de trois siècles et demi. [...] Le cours du destin va être arrêté et brusquement refluera."

Entretemps, René Grousset ajoute : "deux siècles d'hégémonie européenne au Levant vont en découler, deux siècles durant lesquels l'avance turque reculera non seulement devant la conquête franque en Syrie et en Palestine, mais encore devant la reconquête byzantine en Asie Mineure." [René Grousset, L'Épopée des Croisades, ibid., p. 18, 35]

Selon Jacques Heers Le mot croisade « n'est pas apparu avant les années 1500. Urbain II prêchant à Clermont et les quatre chroniqueurs, témoins des combats et de la prise de Jérusalem [...] n'ont jamais employé ce mot. Pour tous, les hommes qui abandonnaient leurs familles et leurs biens pour se mettre au service du Christ et délivrer le Saint-Sépulcre étaient des "pèlerins", non des "croisés". Il en fut ainsi pendant des siècles. Si Joinville parle, en un seul moment, d'un "doux croisement", c'est pour évoquer la prise de la croix de son roi, non l'expédition armée en terre d'outre-mer. Le mot n'est pas "croisade" et le sens est différent.

[...] "[C]roisade" ne figure pas dans les bulles pontificales et pas davantage dans les quelques vingt serments retranscrits par Olivier de la Marche parmi ceux prêtés par les seigneurs bourguignons lors du banquet du voeu de faisan, à Lille, le 17 février 1454. Le Littré ne cite que deux exemples d'un mot approchant et certainement peu courant : Monstrelet dit que le pape a ordonné une "croisade" contre les Pragois et Mathieu de Coucy (Histoire de Charles VII) parle d'une "croisée" contre les Turcs. Ce mot que nous employons tous et qui paraît aller de soi n'est pas apparu avant les années 1500, sous la plume d'auteurs qui parlaient d'un passé bien révolu. Jérusalem et les Lieux saints n'étaient plus de saison. C'est donc bien une invention non des contemporains, engagés dans l'évènement, mais d'écrivains appliqués à décrire et à interpréter, inévitablement à donner une couleur particulière. Mot "historique", trouvé longtemps après coup, forcément suspect ». [Jacques Heers, L'Histoire assassinée, Éditions de Paris, 2006, p. 190]   

"On disait antérieurement: le Passage, le Grand Passage, le Voyage de Jérusalem ou le Pèlerinage de la Croix".  [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 17]  

Pour Michel Balard, on commence à parler de 'passage' puis de 'voyage d'outre-mer' au XIIIe siècle, lorsque les itinéraires terrestres vers la Palestine sont abandonnés au profit de la voie maritime. Après 1250, apparaît le mot de croisade pour désigner l'expédition vers Jérusalem des soldats du Christ, marqués du signe de la croix (crucesignati). C'est en ce sens que l'on emploie habituellement le mot. [Michel Balard, Les Croisades, éd. MA, Paris 1988, p. 9]   

Au cours du septième siècle, trois des cinq sièges épiscopaux primaires du christianisme (Jérusalem, Antioche, Alexandrie) furent attaqués. Les deux autres (Rome et Constantinople) le seront dans les siècles précédents les Croisades. Le dernier devait être pris en 1453, ne laissant qu’un seul des cinq (Rome) aux chrétiens en 1500. Loin d’être sans raison (c'est-à-dire sans agression), les Croisades représentaient la première grande contre-attaque chrétienne occidentale contre des invasions armées continues de musulmans, depuis l'apparition de l'islam en 632 jusqu’au XIe siècle. Rome sera de nouveau menacé au XVIe siècle. Ceci n’est pas absence de provocation : il s’agit d’une menace mortelle et persistante, à laquelle il fallait répondre par la force si la Chrétienté voulait survivre et s'épanouir. Pour mettre la question en perspective, il suffit de considérer combien de fois les forces chrétiennes ont attaqué La Mecque ou Médine ? La réponse, bien sûr, est: jamais.[2]

 

Pierre Chaunu résume ainsi la situation : « La chrétienté, c'est l'espace des chrétiens, l'ensemble des lieux que peuplent et contrôlent les chrétiens. Cette notion a pris corps dans l'Empire romain à la fin du IVe siècle - l'empire théodosien plus et mieux que constantinien - elle l'emporte au VIII-IXe siècle dans la lutte armée contre le sarrazin et le saxon, au moment de l'invasion normande. La chrétienté est évidente au XIe siècle, quand [...] se prépare la première coisade. La chrétienté est née de l'Islam, de la perte de la moitié sud de l'espace que l'église chrétienne pensait s'être acquis» [Pierre Chaunu, Église, Culture et Société, Essais sur Réforme et Contre-Réforme 1517-1620, S.E.D.E.S, Paris 1981, p. 42.]

 

Régine Pernoud relate le massacre des pèlerins de l'évêque Günther de Bamberg à Ramla au printemps 1065 : « Gunther, évêque de Bamberg, ayant décidé de faire un pèlerinage en Terre sainte, il se trouva pour le suivre plus de douze mille fidèles de son diocèse et des diocèses voisins, "des barons et des princes, des riches et des pauvres". Cette énorme foule chemina sans trop de difficultés, et, au printemps de l'année 1065, se trouvait en Palestine; à mesure qu'ils avançaient vers Jérusalem, l'idée de célébrer la fête de Pâques, qui était proche, dans la Cité sainte, faisait oublier aux pèlerins leur fatigue. Le Vendredi saint, ils n'étaient plus qu'à deux jours de marche à peine de leur but, entre Césarée et Ramla. C'est alors que surgit une troupe de Bédouins. Une grêle de flèches s'abattit sur la foule exténuée, dont le seul recours fut la protection dérisoire que pouvaient offrir les chariots transportant malades, femmes et enfants, hâtivement disposés en barricades. La plupart avaient voyagé sans armes. [...] Le massacre n'en dura pas moins du Vendredi saint à Pâques, et ne s'arrêta vraisemblablement que parce que les pillards étaient à court de flèches, ou fatigués de tuer, ou parce que le butin n'en valait plus la peine.» « [...] succomber à une attaque de pillards représentait d'ailleurs un sort à peine plus cruel que celui qui consistait à alimenter les marchés d'esclaves de Syrie ou d'Égypte », ajoute Régine Pernoud. [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 17-18]

 

Dans son ouvrage consacré à Richard Coeur de Lion, Régine Pernoud précise que « l'hécatombe qui en avait résulté [...] avait eu quelque influence sur la réponse faite par Urbain II lorsque celui-ci, trente ans plus tard, au Concile de Clermont, était venu appeler à la défense des pèlerins de Terre sainte. Aujourd'hui, le nom de Ramla qui s'inscrit sur les plaques de signalisation de l'autoroute éveille toujours, pour ceux qui connaissent l'histoire médiévale, une vive émotion.» [Régine Pernoud, Richard Coeur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 177

 

Le Moyen-Âge croit en Dieu

 

Au Moyen Age, [...] L'Europe est chrétienne, et cette foi lui confère une communauté de civilisation, dans un temps où les nations ne sont pas constituées. Cette foi médiévale rend ténue, même si la tradition chrétienne distingue le domaine de Dieu et le domaine de César, la frontière entre le temporel et le spirituel. L'homme de 1003, lui, adore Dieu et craint le diable. Il y a pour lui beaucoup plus important que la vie terrestre : la vie au Ciel, qui n'est pas gagnée d'avance puisqu'il faut, pour la mériter, faire son salut afin d'échapper à l'enfer. L'Église, qui enseigne la parole divine, est gardienne du dogme : le Moyen Age est dogmatique sans complexe. Et puisque la vérité ne se divise pas, la liberté religieuse, à l'époque est au même degré inenvisageable. Si l'on oublie ces données, on ne peut pas comprendre les motivations des Croisés.

Imaginons un voyage à pied ou à cheval, au XIe siècle, depuis la Touraine jusqu'à la Palestine ! Des milliers de kilomètres sur un itinéraire incertain (ni panneaux ni cartes), en traversant des contrées hostiles (pas de téléphone en cas de problème), en affrontant la faim et la soif (l'intendance n'était pas prévue), et tout cela pour se diriger vers un pays dont les pèlerins ne savaient rien. Pour les gens du peuple, c'était la folie absolue. Pour les seigneurs aussi, avec en prime un risque financier, car ils devaient entretenir sur leur cassette leurs soldats et les pauvres qui les accompagnaient : la croisade a ruiné de nombreux seigneurs qui ont dû emprunter ou vendre des biens fonciers afin d'équiper leurs compagnies. Est-ce l'appât des terres qui les a attirés ? Même pas : l'historien Jacques Heers montre que de larges étendues étaient encore en friche en Occident, bien plus accessibles. Il n'y a pas de doute : ce qui a poussé les premiers Croisés à partir, c'est la foi. "Dieu le veut", s'exclamaient-ils.

Statue d'Urbain II, à Châtillon-sur-Marne

En Orient, « Alexis Comnène (1081-1118) tente d'obtenir de l'Occident chrétien le renfort de valeureux guerriers, en particulier des chevaliers "francs", réputés pour leur vaillance et la puissance irrésistible de leur charge collective. Lors d'un concile tenu à Plaisance en mars 1095, ses ambassadeurs obtiennent du pape la promesse d'un appui militaire. » [Jean Flori, Idées reçues sur les croisades, Éditions Le Cavalier Bleu, 2e éd., Paris 2018, p. 16]

 

C'est alors que « dans son prêche du 27 novembre 1095 (10e jour du Concile de Clermont), le pape Urbain II lança un appel à la pitié, pour ces chrétiens et ces pèlerins agressés, humiliés, incapabales de prier Dieu sans s'exposer à tant de dangers: les Arabes, les Sarrazins, les Persans et les Turcs avaient pris de grandes cités: Antioche, Nicée, Jérusalem. "Ils détruisaient les églises, ils immolaient les Chrétiens comme des agneaux". » [Orderic Vital, Histoire ecclésiastique 31, p. 408-413, cité in Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107ibid., p. 71]

 

Il faut arracher aux musulmans les lieux saints profanés, en particulier le tombeau du Christ, qui attire chaque années des milliers de chrétiens. Nous avons là dès le départ un but bien délimité, de ce qu'on appellera plus tard la "croisade". 

 

« La première croisade n'est donc pas une guerre à l'islam en tant que religion. C'est une guerre de reconquête et de "libération de la Palestine". Ce n'est pas une guerre missionnaire : la conversion des musulmans n'est pas envisagée en tant que telle. [...] La conversion des musulmans n'a été envisagée que plus tard, à partir du XIIe siècle, lorsque la connaissance de l'islam s'est améliorée grâce à des traductions du Coran et des écrits arabes. » [Jean Flori, Idées reçues sur les croisades, Éditions Le Cavalier Bleu, 2e éd., Paris 2018, p. 29]

 

"Le 15 juillet 1099, les Croisés s'emparaient de Jérusalem, trois ans après leur départ d'Occident. La grande presse et ce qu'il est convenu d'appeler les médias, les causeurs du grand cirque, n'en diront que peu de choses..., écrit Jacques Heers. [...] Guerre de conquête? Non pas. Il est vraiment curieux de continuer à parler de cette croisade comme si les chrétiens étaient partis chasser ces peuples installés là depuis toujours. C'est oublier que ces terres de Palestine et de Syrie, berceau du christianisme, ont été pendant des siècles, sous l'autorité des empereurs de Constantinople, de remarquables foyers de civilisation chrétienne. Jérusalem, Antioche et Alexandrie furent les sièges des patriarches de l'Eglise du Christ... C'est oublier, de plus, que ces empereurs de Constantinople avaient, plus de cent ans avant les croisés, conduit leurs armées à la reconquête de ces pays: Alep fut repris en 962, Antioche en 969 et Jean Tsimiscès (empereur de 969 à 975) ne s'arrêta, après avoir repris Beyrouth, que devant Tripoli. Les Turcs, venus de fort loin, chassèrent les garnisons impériales, mais rappelons tout de même que lorsque les Francs, le 20 octobre 1097, se présentèrent devant Antioche, ces Turcs n'étaient maîtres de la ville que depuis quatorze ans. Pour l'Espagne, nous disons bien Reconquista, mais, pour l'Orient, nous acceptons que nous soient imposés le mot et l'idée d'une simple 'conquête', accaparement de terres où d'autres se trouvaient là de plein droit..." [Jacques Heers, Fideliter, Mai-Juin 1999, n° 129, La Croisade aujourd'hui, ni oubli ni repentance, p. 40-41] 

En entrant dans la ville le 15 juillet 1099, "les barons chrétiens ont tué et pillé, c'est certain. La légende noire y voit la preuve de leur injustifiable violence. C'est oublier que les Croisés se sont conduits comme tous les guerriers de l'époque...", remarque justement Jean Sévillia. [Croisades : la grande épopée, 05 juillet 2003]  

 

Voici quelques exemples qui le démontrent : 

 

« En 966, explique René Grousset, Musulmans et Juifs avaient mis le feu aux portes de la basilique du Saint-Sépulcre, fait effondrer la coupole, envahi et pillé le sanctuaire, puis dévasté de même l'église de Sion. (Récit de Yahyâ d'Antioche, in VINCENT et ABEL, Jérusalem, II, 243). 

 

[...] En 1009, le calife fatimide al-Hâkim avait fait détruire l'église de la Résurrection à Jérusalem, mais c'était surtout la conquête seljoukide qui aggrava la situation des Lieux Saints: ce sont les Turcs et leur barbarie, que d'après les chroniqueurs, incrimine Urbain II. La conquête de Jérusalem par les Turcs sur les Fatimides en 1071 allait provoquer cinq ans plus tard de nouvelles catastrophes. Jérusalem s'étant révoltée contre le général seldkoukide Atziz, celui-ci la reprit de force et se vengea par un terrible massacre "auquel échappèrent seuls ceux qui se réfugièrent dans la Mosquée d'Omar (la Qubbel al-Sakhra), tandis que ceux qui se réfugiaient dans la Mosquée al-Aqsâ étaient exterminés" (1076-1077) (Ibn al-Athîr, X, 46, 61, 68). [...] Jamais la ville sainte n'avait été aussi malheureuse que depuis qu'elle était devenue l'enjeu sans cesse pris et repris de la guerre entre Arabes Fatimides et Turcs Seljoukides», écrit René Grousset. [Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130 L'anarchie musulmane, Perrin, Collection Tempus, Millau 2017, p. 81 et 75] 

 

"En 1059, [...] les Turcs s'avançèrent jusqu'à Sébaste (Sîwâs) qu'ils surprirent et où ils massacrèrent une partie de la population (juillet 1059)." [R. Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130 L'anarchie musulmane, ibid., p. 41]

 

Les Turcs avaient massacré la population de Jérusalem en 1077. "En 1077, lorsque les Turcs s'emparèrent de Jérusalem, ils massacrèrent de la même manière toute la population musulmane qui s'était réfugiée dans la mosquée al-Aqsa. Pourtant, de cela les medias n'en parlent pas. Il faut surtout insister sur les exactions des chrétiens, occulter celles des musulmans." [Laurent Vissière, Revue Historia Croisade, mai-juin 2005, N°095]

 

Le 10 août 1096, 12 000 "pauvres gens" de la croisade populaire seront massacrés par les Turcs.

 

Le 4 juin 1098, devant Antioche, les Turcs et les Arabes passeront au fil de l'épée la garnison chrétienne de la forteresse du Pont de Fer. Le 26 août 1098, les Égyptiens arracheront Jérusalem aux Turcs et anéantiront les défenseurs de la ville, des musulmans liquidant d'autres musulmans... [Croisades : la grande épopée, Par Jean Sévillia]

 

C'est le chroniqueur et chapelain de Raymond de St Gilles, Raymond d'Aguilers, qui a raconté que "l'on devait se frayer un chemin sur les cadavres d'hommes et de chevaux dans le temple de Salomon et les galeries royales, les soldats avançaient avec du sang jusqu'aux genoux et aux mors". Michael Hesemann a fait litière de ce cliché : "Du point de vue ne serait-ce que de la vraisemblance, la description d'une marée de sang montant à hauteur des genoux est rigoureusement imaginaire. De même, en ce qui concerne le nombre de victimes, qui a été démesurément exagéré, en particulier par les sources arabes. Il ne pouvait s'agir de 72 000 (d'après Ibn al-Jawzi et encore moins de 100 000 morts (selon Ibn Taghribirdi) quand on sait, comme aujourd'hui qu'à l'époque de la croisade, Jérusalem comptait au maximum 10 000 habitants. Et alors que les sources prétendent que tous les juifs seraient morts dans l'incendie d'une synagogue, les archives de la synagogue du Caire mentionnent les noms de nombreux juifs qui émigrèrent en Égypte après la conquête de Jérusalem. En réalité, les assiégeants ont permis à des milliers de chrétiens, de juifs et de musulmans de quitter la ville avant la tempête. Seuls ceux qui voulurent s'y maintenir et opposer consciemment une résistance, y demeurèrent". [Michael Hesemann, Les Points Noirs de l'Histoire de l'Église, ibid., p. 189-190]

 

"Le chevalier, protecteur de la veuve et de l'orphelin, naturellement respectueux des clercs et de leurs biens, le chevalier qui refusait la guerre privée, cause de tant de violences et de désordres qui offensaient Dieu, était prêt à combattre en son nom, sous la bannière de la foi. C'est en ce sens que la croisade est une 'guerre sainte' : non une entreprise pour exterminer ni même convertir les autres, mais une campagne contre les ennemis, une reconquête des terres perdues, sous le regard et avec l'aide de Dieu." [Jacques Heers, Les Croisades, les dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 42-47].

 

Situation spirituelle: la Chrétienté a été divisée

 

C'est donc dans ce contexte plus large d'invasions musulmanes et de "contre-offensive" (G. Bordonove) qu'il faut replacer l'appel à la Chrétienté du pape Urbain II le 27 novembre 1095 à Clermont« En Terre sainte, expliquait-il, beaucoup de chrétiens avaient été "réduits en esclavage", les Turcs détruisant leurs églises.

Au départ, la croisade a un objectif limité : défendre ou libérer les chrétiens opprimés, libérer l'accès aux Lieux Saints.

 

On peut noter ici immédiatement la différence entre le concept limité de la croisade, dans le christianisme, et celui, universel, de djihad dans l'islam. Lorsque Jésus dit : "Rentre ton épée, car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée. Crois-tu que je ne puisse pas faire appel à mon Père ? Il mettrait aussitôt à ma disposition plus de douze légions d’anges'" (Mt 26: 51-53), il ne résulte aucunement de ces paroles, que Jésus ne veuille pas régner socialement sur les nations (La Royauté sociale de N.S. Jésus-Christ, d'après le Cardinal Pie), ni que les nations ne puissent légitimement se défendre lorsqu'elles sont injustement attaquées (Cf. Concept de la guerre juste); cela signifie simplement que son Règne ne s'impose pas par la force.

 

Si l'objectif de la croisade est limité, il n'en va pas de même dans l'islam. "Le djihad, au contraire, a un objectif universel qui s'impose à tous les fidèles de Mahomet: combattre les non-musulmans jusqu'à ce que toute la terre soit soumise à Allah." [Sourate VIII Le Butin, 40/39 Appel aux armes. NdCR.[Michel Balard, Les Croisades, éd. MA, Paris 1988, p. 124]

 

"Au niveau des doctrines, la situation était inverse : la guerre sainte catholique ne peut être que défense et libération des chrétiens opprimés et de la Terre sainte lorsqu'il s'agit de la croisade, même si ces motifs servent à justifier des conquêtes; le djihad, en revanche, est une guerre offensive destinée à soumettre les infidèles jusqu'à ce qu'ils reconnaissent la loi de l'Islam." [Cécile Morrison, Les Croisades, Presses Universitaires de France, Que Sais-je, Paris 1969, p. 116]

 

Cependant dès le XIIe siècle, l'idéal de croisade, pèlerinage en armes, est incompréhensible aux Grecs : ceux-si s'indignent de voir la papauté déclencher la guerre qui, à Byzance, est toujours considérée comme le fait du prince. Michel Balard explique qu'"à aucune moment, un front commun des Grecs et des Latins n'a été possible sur le plan religieux. Les premiers jugent la croisade dangereuse pour l'existence même de l'empire ; les seconds sont indignés de la défiance du basileus, auquel ils attribuent la responsabilité de leurs échecs. [...] La prise de Constantinople par les Latins en 1204 est l'aboutissement de cette incompréhension réciproque." [Michel Balard, Les Croisades, éd. MA, Paris 1988, p. 73, 76]

 

Plus amples encore seront les critiques nées des échecs de la croisade, qui conduiront à s'interroger sur l'opportunité de telles expéditions. Avec l'échec de la deuxième croisade (1145-1148), on commence à douter que la croisade est une oeuvre pie, puisque Dieu abandonne ceux qui combattent pour lui. Toutes ces critiques nouvelles affaiblissent l'idée de croisade. On accuse le prédicateur et l'organisateur de l'expédition, saint Bernard, qui devient le bouc émissaire du fiasco. Très humblement, Bernard fait face à la critique en relevant les maux dont souffre l'Église du temps. Il entend à l'imitation du Christ, assumer les reproches et les critiques qui s'abattent sur lui. Sa tirade rappelle à un moine devenu pape, mais aussi à tous ses lecteurs à venir, que la poursuite d'une gloriole mondaine nuit au sens du devoir. Elle suit une longue tradition biblique et patristique selon laquelle l'homme de Dieu récolte toujours du mépris. Il n'empêche qu'elle atteste un courant d'opinion, largement généralisé, d'hostilité à la croisade qu'ont provoqué les défaites récentes. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 69]

 

Les nombreuses chroniques de la première croisade insistent sur la justice immanente qui récompense ou punit, déjà sur terre, les actes humains. Dès l'appel de Clermont, Urbain II attribue au péché l'occupation musulmane de la Terre sainte. Au cours de l'expédition, la confession, le jeûne ou la procession pénitentielle permettent aux croisés de se tirer de situations désespérées, comme au siège d'Antioche. À suivre les chroniques, la repentance entraîne presque toujours la victoire jusqu'à la conquête de Jérusalem. A contrario, à partir de 1101, les premières défaites sont "exigées par nos péchés." (Elizabeth Siberry, Criticism of crusading, 1095-1274, New-York-Oxford, 1985, p. 70-77). L'explication devient prépondérante au lendemain du siège avorté de Damas (1148). On ne retiendra qu'un seul passage, extrait de la Continuation de Gembloux : "J'ignore à la suite de quel jugement secret de Dieu cette catastrophe arriva. Il est, toutefois, vrai que les croisés perpétrèrent beaucoup de crimes, transgression à la loi et infamies. C'est pourquoi le courroux divin se déchaîna sur eux. Dès lors, toutes leurs tentatives furent vaines". [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 73]

 

L'évêque de Freising en Bavière, le cistercien Otton († 1158), un des grands théoriciens de l'histoire de l'époque médiévale, ne veut guère s'arrêter sur la croisade, "une tragédie dont le dénouement a été exigé par nos péchés." (Gestes, I, 47) L'orgueil et la luxure, vices évoqués par Otton, reviennent souvent sur la liste des péchés qui ont exigé la défaite. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 65-66; 77]Un autre cistercien, Jean, abbé de Casamari, un monastère du Latium directement affilié à Clairvaux en 1140 écrit à Bernard pour le consoler, dit-il, de l'insuccès de la croisade et, sans doute aussi, des critiques qui s'ensuivent. Il lui fait remarquer que, par la défaite, Dieu a purifié ses participants de leurs multiples péchés (ep. 376). Il a entendu les rescapés parler des moribonds qui se disaient heureux de quitter le monde, où ils seraient retomber dans leurs anciens vices. Il raconte à Bernard avoir joui d'une apparition des saints Jean et Paul qui, à ses questions sur la croisade, ont répondu que "les guerriers tués avaient repris au ciel les sièges laissés vides par les anges déchus.

 

La Continuation à Sigebert du bénédictin d'Anchin, près de Douai; ne dit rien d'autre: "Si on n'entendit jamais parler d'un tel malheur corporel pour une armée chrétienne, l'âme de tous ceux, nombreux, qui furent tués par les sarrasins ou qui moururent de faim fut sauvée." Aussi marqué que sous la plume d'Otton de Freising, le contraste entre le "corporel" et le "spirituel" transforme la défaite terrestre en une victoire au paradis." [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 66] 

À mesure que l'objectif initial de la croisade se perdait, ou s'élargissait (Cf. concept de déviation), l'idée de croisade perdit de sa force. Ainsi, dès la deuxième croisade (1145-1148), tandis que la croisade était déviée dans le nord de l'Allemagne avec une expédition contre les Wendes menée par le duc de Saxe, que le pape étendait en 1147 les privilèges de la croisade aux Espagnols qui prirent Almeria, une expédition contre Lisbonne était conduite par une flotte anglo-flamande. Au XIIIe siècle, les privilèges de croisade seront étendus à toutes sortes d'expéditions dirigées contre les "ennemis de la foi" en général et ceux de la papauté, fussent-ils chrétiens. En 1204, si on ne peut imputer directement la prise de Constantinople au pape Innocent III, son rôle dans la déviation de la croisade est incontestable. "Dès 1199, il menace de lancer une croisade contre un partisan de l'Empire. Surtout, à partir de 1207-1208, il fait prêcher en France la croisade contre les hérétiques albigeois (les cathares). [...] Innocent III a ouvert la voie à ses successeurs et forgé l'instrument des 'croisades politiques' ultérieures. [...] Les papes du XIIIe siècle utilisent la croisade à une fin politique essentielle: assurer l'indépendance de la papauté en empêchant l'Empire de contrôler l'Italie du Sud et la Sicile. [...] En 1239, la guerre qui reprend entre le pape et l'empereur est une véritable croisade: on offre aux soldats les mêmes privilèges que s'ils partaient en Terre sainte. [...] La lutte (entre la papauté et l'Empire) est à son apogée au moment même où Louis IX est en Égypte et en Syrie: les forces françaises sont seules à lutter pour la Terre sainte, tandis qu'Innocent IV appelle Allemands et Italiens à la croisade contre l'empereur." [Cécile Morrison, Les Croisades, Presses Universitaires de France, Que Sais-je, Paris 1969, ibid., p. 57-58]. Les poètes accuseront le pape d'avoir sacrifié la croisade de Louis IX à ses entreprises contre l'empereur.

 

La papauté n'est pas complètement responsable de cette situation. Des théoriciens politiques contestant en effet sa puissance temporelle, militaient pour une absorption de l'Église dans l'État qui prendrait lui-même la direction de la croisade. On ne peut dans ces conditions reprocher à l'Église de chercher à défendre son indépendance.

 

Cependant, les échecs répétés entraîneront le scepticisme quant au but et aux objectifs de la croisade. La croisade était-elle utile, puisque Dieu lui-même ne la favorisait pas ?

 

L'un des premiers à porter un regard critique sur la croisade sans en remettre nullement en cause le bien-fondé fut Albert d'Aix (1060-1120), chroniqueur allemand de langue latin, qui exigeait des croisés une droiture morale sans faille. Le guerrier chrétien devait raison garder. Il ne devait pas se laisser aller à la haine sanguinaire ni à la soif de vengeance. C'est un message éthique qu'il entendit transmettre entre les lignes de son récit. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 27] 

 

La théorie catholique de la "guerre juste" , codifiée dans la Cause 23 du Décret du moine bénédictin Gratien (1139), fonde la légitimité d'un usage de la force afin de rétablir la paix et la justice (aujourd'hui on parle d'usage légitime de la force en vue de la défense du Bien commun et de l'ordre public...), et y ajoute la nécessité d'une intention droite, bannissant la haine, la vengeance ou la violence. La Cause 23 du Décret de Gratien eut une application immédiate pour soutenir le combat des Francs en Terre sainte. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 42-43; 48-49] 

 

Sans les Croisades, ni la Renaissance, ni l'humanisme, ni les libertés publiques, ni les droits de la femme n'eurent pu éclore, écrivions-nous en introduction. Sans les croisades, sans l'Église, pas de civilisation !

 

La théorie de la guerre juste prend sa racine dans le droit romain classique. Elle est cependant christianisée sur plusieurs points, comme la prise en compte des dispositions intérieures des combattants. À l'époque où le christianisme devient la religion officielle de l'Empire romain, cette doctrine est mise en forme par Saint Augustin (354-430), qui ajoute que l'autorité épiscopale peut demander à l'autorité civile d'user de la force pour réprimer l'hérésie, et rétablir l'ordre moral.

 

Les chrétiens médiévaux ont considéré les Maccabées, Juifs qui ont rétabli le temple de Jérusalem au culte juif, et fondé la dynastie royale des Hasmonéens, comme prototypes des croisés chrétiens qui se sont battus pour reprendre la ville sainte.

 

 

Anselme de Cantorbéry

Anselme de Cantorbéry (1033-1109), moine bénédictin, ne s'oppose pas à l'expédition prêchée par Urbain II, il admet la croisade, il l'interdit cependant pour les moines. Elle présuppose esprit religieux et pureté d'intentions. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 38]  

 

À propos des violences déclenchées par des chrétiens, S. Bernard, se fondant sur l'histoire sainte, l'exégèse biblique, la patristique et le droit canonique, développe la théorie de la guerre juste, proche du concept actuel sécularisé de légitime défense, pour leur interdire toute première agression, même contre des païens. Il cite le vieux principe du droit romain Vim vi repellere, "Repousser la violence par la violence". La croisade n'est, à ses yeux, qu'une riposte légitime aux envahisseurs de la Terre sainte. En revanche, rien ne justifie qu'on s'en prenne aux Juifs. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 59-62. 347] 

 

Dans le saint empire romain germanique, la faillite de la seconde croisade devant Damas (1149) est sévèrement relevée par l'annaliste de Wurtzbourg et par Gerhoh de Reichersberg qui établissent un lien entre le revers subi par les croisés et les disputes entre papauté et empire. Un tournant est désormais marqué. Les intellectuels qui avaient naguère soutenu à grands cris l'expédition changent d'avis.

 

Les Annales de Würzburg, tenues vraisemblablement par un clerc de l'évêque de cette ville bavaroise, contiennent de nombreuses informations sur la campagne de Conrad III, glanées auprès de ses vétérans, "certains d'entre eux libérés des geôles barbares après avoir été aveuglés ou mutilés d'un bras, d'une main ou d'un pied". Elles ouvrent l'année 1147 par une diatribe sans appel contre "les pseudo-prophètes, fils du démon Bélial et témoins de l'Antéchrist", dont les "paroles illusoires" et les "vaines prédications" ont fomenté la deuxième croisade. Cette tirade vise indirectement Bernard. Suivent quelques remarques sur l'intention peu droite de la plupart des membres de l'armée partie en Terre sainte et sur les pogroms effroyables par lesquels ils s'acharnent à forcer les juifs au baptême. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 57-58]  

 

Près de Cologne, les Annales de Saint-Nicolas de Brauweiler, monastère bénédictin, dressent un portrait plus flatteur de Bernard. Selon leur auteur anonyme, autant - si ce n'est plus que sa parole -, ce sont sa haute sainteté et ses oeuvres admirables qui poussent beaucoup à se croiser. Néanmoins, le bénédictin de Brauweiler semble aborder la prédication du cistercien et ses fruits avec une scepticisme détaché. Il n'est pas sûr, en tout cas, de leurs origines surnaturelles. "Je ne sais pas si Bernard était alors poussé par l'esprit de l'homme ou par l'esprit de dieu", avoue-t-il.

Les Annales de Brauweiler décrivent les croisés "reprenant, affligés, le chemin du retour, sans avoir accompli rien de profitable, laissant derrière eux bien des morts de leur troupe". [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 53;58]  

 

De même, en Thuringe, la Chronique de Saint-Pierre d'Erfurt regrette que, dans cette expédition, "rien d'heureux ni d'honorable ne fût acquis pour la renommée des Allemands ni pour la dignité impériale". La réputation de Conrad III en a pâti et, avec elle, celle de tout son peuple. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 54] 

 

En Flandre, la Continuation de la chronique du moine bénédictin Sigebert de Gembloux († 1112), réalisée dans son propre monastère, confère une dimension catastrophique à l'échec de 1149 : "Il n'est pas facile de trouver dans les livres d'histoire ou dans les annales que, depuis les origines du christianisme, une si grande portion du peuple de dieu ait été anéantie si vite et de façon si misérable." 

 

Une autre Continuation, effectuée cette-fois-ci à Gand, conclut que "la tentative des croisés fut vaine, parce que Dieu n'était pas avec eux. [...] Pourtant, le fiasco ne doit pas leur être imputé en exclusif: la responsabilité est collective. La Chrétienté pécheresse tout entière a subi la pire des punitions. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 54] 

 

Selon le clerc de Würzburg, le pharisaïsme est le lot des criminels qui, mêlés aux croisés plus honnêtes, simulent une piété de façade. Selon les chroniqueurs, les chevaliers de la deuxième croisade se sont contentés d'un culte extérieur sans incidence aucune sur leurs dispositions profondes. Leur foi ne pouvait qu'être défaillante. C'est pourquoi ils se sont trop fiés  à leur propre puissance. Une telle arrogance leur a été fatale. Elle leur a a valu la punition divine, selon les Annales rédigées en Hollande par les moines d'Egmond: "Ils mettaient leur confiance, non pas dans le Seigneur, mais dans leurs propres forces. Vaquant à leurs divertissements et à leurs débauches, ils se vantaient d'anéantir bientôt tous les païens." [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 78]

 

Saint Bernard

En France, alors qu'en avril 1150, encouragé par l'abbé Suger de Saint-Denis, son plus proche conseiller, Louis VII convoque ses fidèles à Laon et à Chartres pour programmer une nouvelle croisade, à laquelle il souhaitait amener saint Bernard de Clervaux en personne. Le célèbre prédicateur ne peut que constater que leur toute proche expérience empêche les chevaliers de prendre la croix : "Le coeur des barons reste insensible. C'est en vain qu'ils portent l'épée, qu'ils ont préféré gainer d'une peau de bête morte et attendre qu'elle rouille. Ils n'oseront pas la tirer, tandis que Jésus souffre", écrit-il alors dans l'une de ses lettres. Dans son esprit, l'Église est le corps mystique du Christ qui pâtit sous la domination musulmane. [R.C. Smail, Latin Syria and the West, 1149-1187, Transactions of the Royal Historical Society, 5e série, 19, 1969, p. 5-7, in Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 53-54]

 

 

Outre-Manche, la conscience du fiasco est la même. Dans son Histoire des Anglais, Henri de Hutingdon († 1154) archidiacre de Lincoln, dédaigne la puissance de "l'armée de l'empereur d'Allemagne et du roi des Francs, qui avançait d'une superbe hautaine sous la conduite de grands chefs, mais qui ne parvint à rien car Dieu la méprisa." [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 79]

 

Même cistercien, Jean, prieur de Forde (1140-1214) n'épargne pas une croisade dont il sait pourtant les promoteurs membres de son propre ordre. Écrite dans les années 1180-1185, sa Vie de saint Wulfric, rapporte comment cet ermite de Aselbury, près d'Exeter, interdit au baron anglo-normand Alfred de Lincoln, de s'engager dans une nouvelle croisade qui ne devrait aboutir, à suivre sa prophétie, qu'à une catastrophe "pour la confusion des orgueilleux" (III, 28). Jean de Forde vilipende "cette célèbre et lamentable expédition contre les sarrasins de Jérusalem, où s'embarquèrent d'innombrables nations sous le pontificat d'Eugène III. Puisse son histoire ne plus être racontée à Gath ni dans les rues d'Ascalon!" (II S 1,20).

 

Guillaume de Newburgh (1136-1198), chanoine augustin du Yorkshire, rédige son Histoire à la fin du XIIe siècle. Il insiste sur les péchés des croisés, qui leur ont ôté la faveur divine. Tandis qu'il commente la répudiation d'Aliénor d'Aquitaine par Louis VII en 1152, il revient sur la luxure des croisés. Il rappelle qu'en 1147 le roi de France "vaincu par la vénusté de sa très jeune épouse, éprouvait une jalousie plus que véhémente pour elle." Cette passion immodérée l'aurait poussé en dépit du bon sens à l'amener avec lui. "Beaucoup de nobles, en suivant son exemple, prirent aussi avec eux leurs épouses qui, incapables de se passer de leurs servantes, introduisirent une multitude de femmes dans les camps chrétiens, qui auraient dû rester chastes." [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 91-92] 

 

La conscience de l'inutilité de la croisade affecte le sommet même de l'Église. Eugène III, principal instigateur de la croisade, quelques mois après la levée du siège de Damas, ne peut que reconnaître que l'aventure dans laquelle il s'est engagé avec Bernard était inutile. Le 25 avril 1150, apprenant la nouvelle agitation de Louis VII, il adresse une lettre à Suger pour qu'il l'en dissuade. Il lui rappelle combien la deuxième croisade a signifié "un grave dommage pour la renommée des chrétiens, subi par l'Église de Dieu". Le coeur n'est plus à la croisade, l'expérience ne sera pas relevée de si tôt.

 

L'ordre cistercien se ressent de l'engagement d'Eugène III. Au lendemain de la croisade, les moines blancs semblent désappointés. À l'instar de leur pape, ils décident de ne plus apporter de soutien à une prochaine expédition.

 

Le décrétiste (glossateur du Décret de Gratien de 1139) Huguccio de Pise (1140-1210), maître à Bologne, s'il croit que les musulmans doivent être expulsés de la Terre sainte, dont le territoire revient en droit à la Chrétienté, n'en admet pas moins qu'il faut les respecter ailleurs s'ils sont pacifiques. Sans rejeter la croisade, le canoniste lui impose un cadre dérivant du jus gentium, les droits minimaux que les Romains reconnaissaient aux peuples étrangers. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 49-50]

 

Le cistercien Isaac, abbé de l'Étoile († 1178), à Poitiers, formule une critique radicale des ordres militaires. Son Policraticus contient à leurs sujets un jugement sans appel, opposant de façon expressive le sacrifice de la messe aux tueries de musulmans : "Les chevaliers du Temple, qui sont censés administrer le sang du Christ aux fidèles, ont profession de verser du sang humain" (VII, 21). Isaac de l'Étoile appartient au même milieu intellectuel que Pierre Abélard et Jean de Salisbury. Il pastiche avec ironie l'Éloge de la nouvelle chevalerie, de Saint Bernard, qu'il respecte. Pour lui, tant les religieux guerriers que les théologiens rationalistes produisent de bons fruits, mais risquent à la longue de se gâter la décadence de l'ordre militaire est inscrite dans sa nature viciée. S'il connaît un certain succès au début, il déclinera inéluctablement en raison de son péché de fondation. Isaac de l'Étoile reste fidèle à l'enseignement pré-grégorien qui interdisait au clergé de se mêler de la guerre. Aussi coupable lui paraît de forcer à la conversion. Hostile à toute violence, Isaac affiche sa fidélité à la règle de Saint Benoît, à laquelle Cîteaux voudrait revenir dans toute sa rigueur. Au nom de cet attachement à la tradition monastique et à la modération bénédictine, il ne peut que rejeter le "monstre nouveau", l'hybride débridé qu'est le religieux combattant. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 98; 100]

 

Raoul le Noir (1140-1200), théologien anglo-normand, élève de Jean de Salisbury, qui fit partie de l'entourage de l'archevêque Thomas Becket, défend étonnamment la liberté et l'égalité. Il critique le roi Henri II qui abolit toute liberté. C'est l'Église qui pâtit le plus de son gouvernement autoritaire. Le roi impose à son gré ses courtisans les plus flagorneurs aux sièges épiscopaux et abbatiaux; les anciens évêques voient leurs possessions confisquées, pour devenir les gardes de son chenil, ils sont contraints de de jurer sa loi perverse. La responsabilité de l'assassinat de Thomas Becket, l'opposant courageux à cette politique lui revient en propre. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 141]

 

Dans son Art militaire, Raoul le Noir remet en cause l'existence même de la croisade pour reprendre Jérusalem, au motif qu'il vaut mieux combattre les hérétiques chez nous en Occident avant de les combattre dans une expédition en orient. L'ennemi intérieur devrait primer sur l'ennemi extérieur: "L'Occident devrait-il envoyer de l'aide à l'Orient alors qu'il souffre de ses propres divisions? Pourquoi libérer la Palestine des sarrasins, tandis que le mal de l'infidélité se diffuse dans notre propre maison? (...) Faut-il combattre l'incroyance dehors, alors que la pureté de la foi est écrasée et moquée dedans?" (III, 66.)" Il sent lui aussi que la croisade est inopportune : "Dieu ne désire pas la vengeance humaine, ni la propagation de la foi par la violence."

 

En 1188, dans un texte intitulé De re militari, alors que se prépare la Troisième croisade, il critique le principe des croisades en se fondant sur la Bible. "C'est Dieu qui a dit: 'Je ne veux pas la mort du pécheur.' (Ez 33,11). "[...] Les hommes doivent en effet plutôt être frappés du glaive de la parole de Dieu pour qu'ils parviennent à la foi volontairement et sans coaction, parce que Dieu déteste les services contraints. Prétendre propager la foi par la violence est outrepasser la discipline de cette même foi. (III, 90)

 

Burchard de Worms

Raoul le Noir évoque la doctrine de l'égalité fondamentale des êtres humains : "Les sarrasins sont des hommes: leur condition naturelle est la nôtre". Il rappelle les prohibitions canoniques contre la conversion forcée : "Prétendre propager la foi par la violence est outrepasser la discipline de cette même foi." (III, 90) Sa position, tenant compte du respect qu'on doit aussi bien à la vie qu'à la religion de chaque personne, est ancienne dans l'Église. En 1010, un canon du décret (Decretum) de l'évêque Burchard de Worms († 1025), auteur d'un recueil de droit canon, la résume, tandis qu'il impose une peine aux homicides involontaires d'un juif ou d'un païen "parce que celui-ci a été créé à l'image de Dieu et que le tueur lui interdit une future conversion" (VI, 33). 

 

Vers 1199, le théologien Alain de Lille (1116-1202) copie intégralement cette loi dans son Pénitentiel, le premier manuel de confession connu (II, 58.)  [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 154; 156-157]Le Decretum de Burchard de Worms sera l'une des sources du Décret de Gratien de 1140.   

La défaite de Saint-Louis à Mansûra (1250) provoque rancoeur et blasphèmes en France; mais Rutebeuf, tout en exprimant en 1267 le point de vue du 'descroizié' n'est pas hostile à la croisade elle-même.

 

Les critiques diffuses sont reprises par les auteurs des trois mémoires sur la croisade soumis au pape Grégoire IX lors de la convocation du second concile de Lyon. Humbert de Romans (1190-1277), maître général des Dominicains, Gilbert de Tournai (1200-1284), moine franciscain, et Bruno d'Olmütz accusent la papauté d'avoir tué l'esprit de croisade, mais n'en défendent pas moins la nécessité de telles expéditions, pour empêcher l'extension de l'islam. [Michel Balard, Les Croisades, éd. MA, Paris 1988, p. 85]

 

La critique radicale vient des clercs eux-mêmes conscients des abus entraînés par l'organisation des croisades, mais surtout préoccupés du tort que l'emploi de la violence fait à la foi chrétienne. Comme le prouve par exemple la Collectio de scandalis ecclesie (Collection de scandales de l'Église), mémoire du franciscain Gilbert de Tournai (1200-1284) adressé à Grégoire IX, avant le concile de Lyon, où le religieux se montre l'adversaire des templiers et des hospitaliers, et suggère de les unifier en une seule institution, fustige la négligence des chrétiens envers la Terre sainte, mais appelle encore à une nouvelle croisade, toutefois purifiée de ses anciens vices.

 

"La guerre ne sert de rien contre eux (les infidèles)... Ce n'est pas ainsi qu'ils seront convertis... leurs fils qui survivront à la guerre seront de plus en plus soulevés contre la foi chrétienne... les conversions deviendront impossibles.. surtout Outre-Mer et en Prusse...", écrit le franciscain Roger Bacon, dans Opus majus (Œuvre majeure, 1267), ouvrage qu'il adressa au pape Clément IV.

 

De même le dominicain Guillaume de Tripoli prône la conversion plutôt que la destruction des Sarrasins, et l'envoi de missionnaires plutôt que de soldats en Terre sainte. Depuis le début du XIIIe siècle, et la tentative de saint François à Damiette de convertir le sultan  al-Kamil, l'esprit de mission pacifique [Cécile Morrison, Les Croisades, Presses Universitaires de France, Que Sais-je, Paris 1969, p. 111]. En 1220, les Franciscains martyrs du Maroc, envoyés par S. François prêcher la bonne nouvelle furent décapités de la main même du Miramolin Yusuf al-Mustansir

 

Dans l'esprit ce ceux qui la proposent, la mission n'est pas antinomique de la croisade: S. François lui-même ne la condamne pas; Raymond de Peñafort désapprouve les conversions forcées, mais prêche cependant la croisade en Espagne sous Grégoire IX et Raymond Lulle, qui rêve de mettre la chrétienté en état de mission permanent, écrit en 1309 un traité De acquisitione terrae sanctae des plus traditionnels. À la même date, les franciscains s'établissent à demeure en Palestine et commencent leur garde aux Lieux saints avec l'autorisation du sultan (1333) : la militia christi peut être accomplie tous les jours dans le renoncement et la pratique de l'Évangile. L'idée de croisade a vécu, écrit Cécile Morrison, dans Les Croisades [Cécile Morrison, ibid., p. 110.] 

 

Pour Raymond Lulle, tertiaire de Saint-François (c'est-à-dire un laïc dans la mouvance franciscaine), dans le débat avec l'islam, la Trinité et l'Incarnation doivent être démontrées de manière rationnelle. D'après le Livre de la Contemplation, la seule démarche possible en Palestine est apostolique : "Seigneur, la Terre sainte ne doit être conquise autrement que de la façon dont vous et vos apôtres l'avez conquise : amour, prières, versement de larmes et effusion de sang."

 

Raymond Lulle dénigre l'utilisation de la force au service de la religion. Nullement violente, cette pastorale s'inscrit dans le droit fil de l'évangélisation par le Christ et par les apôtres, que les missionnaires de la fin du Moyen Âge ne font qu'actualiser.

 

Jean Peckam († 1292), provincial franciscain d'Angleterre et archevêque de Cantorbéry, consulté en 1291 par le pape Nicolas IV sur la reconquête de la Terre sainte, lui écrit une lettre reprenant l'expression chère à Raymond Lulle de "guerriers spirituels". [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 330; 336]

 

Frédéric II, roi de Jérusalem

On peut dire que l'idée de croisade est morte en 1229 lorsque l'empereur Frédéric II, excommunié parce qu'il tarda à se croiser, réussit à obtenir par la tolérance envers les infidèles des résultats que la guerre n'avait pas obtenu (traité de Jaffa : restitution de Jérusalem et accès aux Lieux Saints).

 

Au XIVe siècle encore, les farouches adversaires de la papauté comme John Wyclif et les lollards anglais critiquent l'usage de la croisade contre des chrétiens, mais non le concept même. Roger Bacon, Ramon Lulle (1232-1316) et le poète anglais John Gower (1330-1408), hostiles au sang répandu, ne condamnent pas formellement la croisade.

 

Le dominicain anglais Robert Holcot préconisait encore vers 1340 la christianisation à la pointe de l'épée; cinquante ans plus tard, son compatriote John Gower rejetait totalement la croisade

 

En fait, jusqu'au début du XVe siècle, l'enthousiasme pour la croisade reste grand.

 

La papauté elle-même a tué l'esprit de croisade en faisant de toute guerre sainte, menée sur ordre pontifical, une croisade, quel que soit l'adversaire, et sans maintenir l'objectif originel, le recouvrement de la Terre sainte et du Saint-Sépulcre. [Michel Balard, Les Croisades, ibid., p. 85]

 

Pour l'instant, en 1095, le souverain pontife exhorta les chrétiens à "repousser ce peuple néfaste". À Limoges, Angers, Tours, Poitiers, Saintes, Bordeaux, Toulouse et Carcassonne, Urbain II renouvela son appel.

 

Voilà le point de départ d'une entreprise que l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie n'hésite pas à qualifier de "magnifique aventure". [Croisades : la grande épopée, Par Jean Sévillia [05 juillet 2003]

 

Une historiographie partiale

 

Selon l'idée reçue et propagée par les dites "Lumières", les croisés étaient surtout motivés par l"appât du gain. Ainsi, pour Voltaire, "le butin devait se  partager selon les grades et selon les dépenses des croisés. C'était une grande source de division, mais c'était aussi un grand motif. La religion, l'avarice et l'inquiétude encourageaient également ces émigrations." (Voltaire, Essai sur les Moeurs et l'Esprit des nations, 1785)

 

À l’heure où les manuels scolaires de la IIIe République commençaient à étaler une explication partiale et donc faussée de l’histoire de l’Église et de tout ce qui touche à celle-ci, Jean Guiraud démonta pièce par pièce les faux arguments de l’anticléricalisme. Ces faux arguments firent néanmoins leur chemin dans les esprits, de telle sorte qu’il n’est pas anachronique d’avoir recours à l’argumentation donnée par Jean Guiraud dans son ouvrage "Histoire partiale, Histoire vraie" (éditions Beauchesne, 1912), où il consacre un chapitre à chaque thème ; dans chaque chapitre, il commence par citer les extraits discutables des manuels scolaires avant de livrer la réfutation. Ainsi, apprend-on à propos de Aulard et Debidour, "auteurs d'un livre destiné à de jeunes élèves (Cours moyen)" qui "les accablaient de slogans et d'affreux clichés" (Jacques Heers, L'Histoire assassinée, Éditions de Paris, 2006, p. 148) :

 

"AULARD et DEBIDOUR (Cours supérieur, p. 92) Les croisades firent beaucoup plus de mal que de bien.

(Cours moyen, p. 28). Les croisade d’Orient échouèrent et rendirent plus violente cette haine des musulmans contre les chrétiens, encore aujourd’hui si regrettable. Elles firent tuer des millions d’hommes et amenèrent la destruction de beaucoup de villes même chrétiennes, comme Constantinople, qui fut pillée et brûlée par les croisés... On a dit qu’elles avaient étendu le commerce de l’Europe et fait connaître à l’Occident des cultures, des arts, des inventions qui devaient l’éclairer et l’enrichir ; mais les peuples seraient devenus plus riches et plus éclairés en vivant en paix les uns avec les autres qu’en s’entrégorgeant pour cause de religion.

(Récits familiers, p. 57). (Après la prise de Jérusalem), les croisés massacrèrent toute la population ; 60000 Musulmans périrent. Des monceaux de pieds, de mains, de têtes humaines couvraient les places et les rues de Jérusalem.

(Ibid., p. 64). Les croisades avaient fait couler des flots de sang et causé la destruction de villes admirables. Elle avaient amené les chrétiens et les Musulmans à se connaître mieux, mais aussi à se haïr plus que par le passé. Par suite, elles avaient rendu plus difficile le commerce avec l’Orient. En somme, elles avaient fait plus de mal que de bien.

BROSSOLETTE (Cours moyen, p. 23). Récit sur la prise de Jérusalem : raconte au long, comme Aulard, les massacres de Musulmans ; reconnaît cependant les bons résultats des Croisades sur la civilisation et le commerce.

CALVET (Cours moyen, p. 34). Ne leur attribue que des mobiles intéressés, ne voit l’enthousiasme religieux que chez le peuple. "La papauté voyait dans une guerre sainte en Orient le moyen de montrer sa force et de servir ainsi sa prétention à la domination du monde… Quant aux barons, ils ont vu dans ces entreprises de beaux coups à donner, peut-être des royaumes à acquérir ; du reste ils s’ennuyaient dans leurs châteaux… enfin c’est l’amour des richesses qui a poussé beaucoup de gens…

 

Puis Jean Guiraud poursuit avec la réfutation : 

"[...] Les philosophes du XVIIIe siècle avaient déjà entrepris cette œuvre de calomnie et dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem, Chateaubriand leur avait magnifiquement répondu. Les auteurs des manuels condamnés ont repris leurs assertions tendancieuses."

Le site internet consacré à l'histoire, herodote.net, a cette phrase étonnante (et pourtant si vraie!):

"Les excès et les massacres qu'on leur attribue (aux Croisés) ne sortent pas de l'ordinaire de l'époque et sont plutôt moins choquants que les horreurs du XXe siècle issu des Lumières..."

« Comme toute oeuvre humaine, les croisades présentent des taches ; mais cela ne saurait justifier les jugements partiaux portés contre elles, poursuit Jean Guiraud. [...] Qu’au cours d’expéditions qui se sont succédé pendant cinq siècles, des abus puissent être signalés, rien de plus naturel. Tous les croisés n’étaient pas des saints ; la passion, la fureur de la guerre, le fanatisme religieux ont pu les entraîner à des actes blâmables ; parmi eux, ont pu se glisser des aventuriers cherchant à tirer parti de guerres entreprises au nom de Dieu. Lorsqu’on a souffert, lorsqu’on a vu ses amis tomber sous les coups d’ennemis barbares et sans pitié, on a une tendance naturelle à se venger ; s’en abstenir, et garder au milieu de la victoire le sang-froid et la charité, c’est le signe d’une nature d’élite ; or, tous ceux qui prirent la Croix ne furent pas des natures d’élite parce que dans l’humanité, elles sont des exceptions. Nous ne faisons dès lors aucune difficulté de reconnaître et de flétrir les cruautés qui furent commises au cours de ces expéditions. Après la prise de Jérusalem, les soldats de Godefroy de Bouillon se livrèrent contre les Musulmans à des massacres que MM. Aulard et Debidour, ainsi que M. Brossolette, racontent avec complaisance. Nous n’atténuerons ni n’excuserons l’horreur de ces scènes, que nous rapportent les chroniqueurs contemporains. Mais pour être tout à fait justes, MM. Aulard et Debidour et M. Brossolette auraient dû faire remarquer qu’elles furent l’œuvre d’une foule en délire, exaspérée par les souffrances qu’elle avait endurées, dans sa pénible traversée de l’Asie et par les cruautés inouïes que lui avaient fait subir les Musulmans. Ils auraient dû rappeler que, pendant plusieurs siècles, les pèlerins chrétiens qui étaient venus à Jérusalem avaient été l’objet de la part des Mahométans des pires insultes et des plus indignes traitements ; le récit qu’en avait fait Pierre l’Ermite, au concile de Clermont, avait arraché des larmes et des cris d’indignation à toute l’assistance. Il aurait fallu rappeler aussi que trois chefs de l’armée, Godefroy de Bouillon, Raymond de Saint-Gilles et Baudouin, non seulement ne prirent aucune part à ce carnage, mais s’efforcèrent de l’empêcher. S’ils n’y réussirent pas, ils eurent du moins la joie de sauver un grand nombre de vaincus ; à la différence de la foule, en général aveugle et implacable quand elle est déchaînée, les chefs de l’expédition conservèrent, au milieu de leur victoire, des sentiments chrétiens ! En décrivant longuement les actes de cruauté, en taisant soigneusement les actes d’humanité, nos manuels accusent leur partialité. Ils la trahissent encore plus lorsque, dans tout le mouvement des Croisades, ils ne voient que misères, mesquineries et ruines, laissant de côté les sentiments élevés qui l’ont inspiré et les magnifiques conséquences qui en sont résultées non seulement pour l’Église, mais encore pour l’humanité et la civilisation. [...] MM Aulard et Debidour n'ont pas abordé de front cette question. [...] Ils ont cru plus habile d'examiner les résultats particuliers et secondaires des Croisades et de conclure par cette condamnation sommaire : "elles ont fait beaucoup plus de mal que de bien". Il semble qu'une pareille conclusion aurait dû être précédée d'un bilan, où l'on aurait confronté le bien et le mal sortis des Croisades. MM Aulard et Debidour ont une manière de faire un bilan; ils suppriment le bien et n'énumèrent que les maux. Tout en reconnaissant dans cette phrase que les Croisades ont fait du bien, ils ne mentionnent au celles de leurs conséquences qui leur semblent fâcheuses; encore un procédé qui peut faire mesurer leur partialité! ». (p. 249-250; 257)

 

Les Croisades n’ont pas conquis définitivement le tombeau du Christ à la chrétienté, mais elles ont réussi à en rendre l’accès libre et à le protéger contre toute profanation. [Ce qui est un droit tout à fait légitime].

« Les écrivains du XVIIIe siècle se sont plu à représenter les croisades sous un jour odieux, écrit Chateaubriand. J’ai réclamé un des premiers contre cette ignorance ou cette injustice. Les croisades ne furent des folies, comme on affectait de les appeler, ni dans leur principe ni dans leur résultat. Les chrétiens n’étaient point les agresseurs. Si les sujets d’Omar, partis de Jérusalem, après avoir fait le tour de l’Afrique, fondirent sur la Sicile, sur l’Espagne, sur la France même, où Charles Martel les extermina, pourquoi des sujets de Philippe Ier, sortis de la France, n’auraient-ils pas fait le tour de l’Asie pour se venger des descendants d’Omar jusque dans Jérusalem ? C’est un grand spectacle sans doute que ces deux armées de l’Europe et de l’Asie marchant en sens contraire autour de la Méditerranée et venant, chacune sous la bannière de sa religion, attaquer Mahomet et Jésus-Christ au milieu de leurs adorateurs. N’apercevoir dans les croisades que des pèlerins armés qui courent délivrer un tombeau en Palestine, c’est montrer une vue très bornée en histoire. Il s’agissait non seulement de la délivrance de ce tombeau sacré, mais encore de savoir qui devait l’emporter sur la terre, ou d’un culte ennemi de la civilisation, favorable par système à l’ignorance, au despotisme, à l’esclavage, ou d’un culte qui a fait revivre chez les modernes le génie de la docte antiquité et aboli la servitude. Il suffit de lire le discours du pape Urbain II au concile de Clermont pour se convaincre que les chefs de ces entreprises guerrières n’avaient pas les petites idées qu’on leur suppose, et qu’ils pensaient à sauver le monde d’une inondation de nouveaux barbares. L’esprit du mahométisme est la persécution et la conquête ; l’Evangile, au contraire, ne prêche que la tolérance et la paix.

[...] Où en serions-nous si nos pères n’eussent repoussé la force par la force ? Que l’on contemple la Grèce, et l’on apprendra ce que devient un peuple sous le joug des musulmans. Ceux qui s’applaudissent tant aujourd’hui du progrès des lumières auraient-ils donc voulu voir régner parmi nous une religion qui a brûlé la bibliothèque d’Alexandrie, qui se fait un mérite de fouler aux pieds les hommes et de mépriser souverainement les lettres et les arts ?

Les croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes au centre même de l’Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes. » (Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, éd. Garnier, 1861, p. 334-335).

Loin d’accroître la haine contre les infidèles, elles ont développé la pratique de la tolérance. MM. Aulard et Debidour n’ont pas abordé de front cette grande question dont ils pressentaient la solution contraire à leurs désirs. Ils ont cru plus habile d’examiner les résultats particuliers et secondaires des croisades et de conclure par cette condamnation sommaire : "elles ont fait beaucoup plus de mal que de bien." Il semble qu’une pareille conclusion aurait dû être précédée d’un bilan, où l’on aurait confronté le bien et le mal sortis des croisades. MM. Aulard et Debidour ont une manière à eux de faire un bilan ; ils suppriment le bien et n’énumèrent que les maux. Tout en reconnaissant dans cette phrase que les Croisades ont fait du bien, ils ne mentionnent que celles de leurs conséquences qui leur semblent fâcheuses : encore une procédé qui peut nous faire mesurer leur partialité !

"Ces expéditions, disent-ils, rendirent plus violente cette haine des musulmans contre les chrétiens, encore aujourd’hui si regrettable." On pourrait, avant d’aller plus loin, demander à MM. Aulard et Debidour, pourquoi ils rendent les chrétiens responsables de ces haines. Ont-ils été les agresseurs ? Lorsque le flot musulman, déchaîné par les prédications sectaires de Mahomet et des premiers califes, se répandit en Syrie, en Perse, dans l’Empire grec, dans l’Afrique du Nord tout entière, détruisit, à Xérès, le royaume wisigoth d’Espagne et vint se briser à Poitiers contre les forces franques de Charles Martel, était-ce le monde chrétien qui propageait la haine contre le monde arabe ?

Lorsque les chrétiens venus à Jérusalem étaient soumis aux pires traitements, faut-il incriminer le fanatisme chrétien ou le fanatisme musulman ?

Le manuel Gauthier et Deschamps dit vrai quand il déclare que les croisades avaient été rendues nécessaires par l’intolérance musulmane et que, menacée dans son existence, l’Europe chrétienne devait se défendre et réduire l’Islam à l’impuissance. Est-ce l’agneau que l’on doit rendre responsable de la haine qui existe entre lui et le loup ?

Les historiens d’ailleurs ont fait une constatation qui va à l’encontre des affirmations de MM. Aulard et Debidour et qu’enregistre M. Calvet lui-même. Au lieu de les accroître, les croisades atténuèrent les haines qui existaient entre chrétiens et infidèles. Au cours de la troisième croisade s’établirent, entre l’armée du sultan Saladin et celle de Philippe Auguste et de Richard Coeur de Lion, des relations courtoises qui auraient certainement étonné les premiers croisés. "Chrétiens et musulmans, dit l’historien Henri Martin, n’avaient plus les uns pour les autres cette superstitieuse horreur des temps passés. L’Orient et l’Occident, en se connaissant mieux, se haïssaient moins… Les chevaliers français étaient étonnés et joyeux de retrouver leurs idées et, jusqu’à un certain point, leurs mœurs parmi les valeureux compagnons de Saladin. Dans l’intervalle des combats, on se visitait, on joutait, on trafiquait, on banquetait ensemble ; les troubadours mêlaient leurs cançons aux gazzels des lauréats du Caire, la métropole des lettres orientales" (Henri Martin, Histoire de France, III, 532). Vincent de Beauvais rapporte un fait, qui nous prouve à quel point la tolérance entre les chrétiens et les musulmans avait grandi au XIIIe siècle : des alliances de famille et des mariages mixtes furent négociés parfois entre Turcs et chrétiens. En 1243 (Vincent de Beauvais cité par Lenain de Tillemont. Histoire de saint Louis, chap. 182), le sultan tartare demanda en mariage une nièce de l’Empereur latin de Constantinople Beaudouin, "avec assurance qu’elle et tous ses officiers laïques et ecclésiastiques auraient une entière liberté pour la religion… L’amiral promit même que le sultan ferait bâtir des églises dans toutes les villes et obligerait tous les évêques grecs ibériens et russes, qui étaient en grand nombre dans ses états, à reconnaître le patriarche de Constantinople et la communion romaine ; et il ajouta que si la princesse savait adroitement ménager l’esprit du sultan, elle n’aurait pas de peine à lui faire embrasser la foi catholique."

Qui ne connaît l’histoire rapportée par Joinville (Tillemont, op. cit., ch. 291), des Mamelucks d’É gypte pensant à donner comme successeur au sultan qu’ils venaient de tuer dans leur révolte, saint Louis lui-même, malgré sa qualité de chrétien ?

Catholiques et musulmans ne se considéraient donc plus comme ennemis irréconciliables. Ils avaient appris à se combattre loyalement, et usaient les uns vis-à-vis des autres de procédés chevaleresques. Souvent ils signèrent des traités, des trêves et des alliances qui furent le résultat de négociations courtoises, et amenèrent des relations amicales entre ennemis de la veille. La guerre eut donc pour effet d’établir entre des adversaires qui s’étaient mesurés sur le champ de bataille, en s’admirant mutuellement, une estime réciproque et au point de vue religieux, des sentiments de tolérance. ... Aussi M. Calvet est-il plus juste et plus sincère que MM. Aulard et Debidour, quand il reconnaît que les croisades atténuèrent les haines entre les chrétiens et les infidèles et firent faire de grands progrès à la tolérance.

Magnifiques conséquences directes ou indirectes des croisades M. Calvet et M. Brossolette admettent qu’aux points de vue politique, économique et social, les croisades ont eu les plus heureux résultats. MM. Aulard et Debidour n’osent pas le nier ; mais ils prétendent que les peuples seraient devenus aussi riches et aussi cultivés, en vivant en paix, et n’auraient pas eu besoin pour cela des croisades. Nous nous contenterons de rappeler à ces deux historiens que leur affirmation est une pure hypothèse. Nous savons bien ce qu’a été la civilisation occidentale après les croisades, parce que nous pouvons nous en rendre compte d’après des faits positifs et tangibles ; tandis que, chercher à savoir ce qu’elle aurait été sans les croisades, c’est faire œuvre de pure imagination, c’est-à-dire employer un procédé tout à fait contraire à la science et par là même interdit en histoire.

Au point de vue politique, les croisades eurent un résultat imprévu et indirect, mais bien certain : elles accentuèrent l’ascension du Tiers-Etat vers la liberté. Un grand nombre de seigneurs prirent part à ces expéditions ; leur absence permit parfois aux bourgeois des villes de se constituer en communes et aux habitants des campagnes de proclamer leur liberté. Souvent aussi, les seigneurs, ayant besoin d’argent soit pour s’équiper, soit pour réparer les pertes qu’ils avaient faites dans ces guerres lointaines, vendirent aux riches commerçants des chartes communales, aux serfs qui pouvaient les payer des chartes d’affranchissement. Cet affaiblissement de la féodalité, décimée par des combats meurtriers, profita aussi à la royauté qui exerça sur ses vassaux et ses arrière-vassaux une autorité de plus en plus étroite et incontestée. Or ces progrès de la royauté mirent de l’ordre dans la société jadis morcelée à l’excès et firent faire les plus grands progrès à l’unité nationale.

En même temps qu’elles disciplinaient et libéraient la société occidentale, les croisades élargissaient ses horizons et lui révélaient l’immensité et la variété du monde. Tandis que, avant l’an mil, les peuples chrétiens avaient été en quelque sorte repliés sur eux-mêmes, après la première croisade, ils entrèrent en relations chaque jour plus étroites avec des peuples nouveaux et des civilisations qu’auparavant ils avaient à peine entrevues. Sans doute, dès les temps carolingiens et même mérovingiens, ils avaient connu les Byzantins et même les Arabes; nous en avons pour preuve les rapports de Charlemagne avec l’impératrice de Constantinople, Irène, et le calife de Bagdad, Haroun-al-Raschid. Mais pendant les croisades, ce ne furent pas seulement les princes par l’intermédiaire d’ambassades solennelles, ou de rares pèlerins partis pour des voyages lointains et périlleux, qui entrèrent en contact avec les populations orientales ; ce furent les nombreux croisés s’engageant, presque chaque année, pour la défense de la Terre Sainte, et à leur suite, ce furent les marchands et les négociateurs. Bientôt, les grands ports de la France et de l’Italie créèrent des établissement dans les Échelles du Levant pour faciliter leur commerce, y fondèrent des colonies et des consulats, et généralisèrent, dans toute la Méditerranée orientale, la Mer de Marmara et la mer Noire, ce qu’avaient déjà tenté, avant l’an mil, les marchands de Salerne et d’Amalfi.

Les invasions mongoliques étaient venues, avant l’époque des croisades, disputer aux Arabes la Syrie et l’Asie mineure ; elles furent encore plus nombreuses au XIIe et au XIIIe siècles et les croisés se trouvèrent en rapports non seulement avec les Arabes et les Turcs, mais encore avec les Tartares et les Mongols. Bientôt, on négocia avec eux et des voyageurs intrépides pénétrèrent, au prix de mille difficultés, dans les steppes de l’Aral, dans les plateaux glacés du Karakoroum, dans les déserts de Chine, allant porter aux chefs de la Horde d’Or ou de la Chine, les lettres des rois de France et des Souverains pontifes. A leur suite, marchaient les missionnaires franciscains et dominicains; et ainsi, au XIIIe et au XIVe siècles, l’Asie était parcourue, jusqu’à Pékin et jusqu’à Malacca, par les envoyés de l’Occident. Le vieux monde voyait ses cadres s’élargir et c’était le dernier aboutissement du mouvement d’expansion qu’avaient inauguré les croisades.

Les croisades activèrent surtout le commerce maritime : "Le midi de la France reçut des cargaisons de sucre, de soie, de coton et de substances tinctoriales propres à alimenter divers métiers ; et ces divers produits tirés non seulement de l’Asie mineure et de la Syrie, mais encore de l’Asie tout entière, surtout de l’Inde et de la Chine, eurent pour effet de développer les industries européennes déjà existantes et d’en créer de nouvelles. L’industrie textile de l’Italie, du midi de la France, des Pays-Bas, prit un nouvel essor à la suite des croisades. Devenu plus intense, le commerce dut multiplier et simplifier ses moyens d’action. On créa, dès lors, ces grandes foires internationales de Beaucaire, de Champagne, qui devinrent, pendant des mois entiers, les lieux de rendez-vous des marchands d’Europe et d’Asie. Le Juif Benjamin de Tulède nous dit que de son temps (1173), les Arabes d’Afrique et d’Asie affluaient aux foires de Montpellier. D’autre part, les négociants de Marseille, Gênes, Pise, Narbonne et Venise envoyaient chaque année des flottes en Syrie, pour en exporter les produits de Palestine et recevoir ceux qu’apportaient les caravanes des régions les plus éloignées de l’Asie (Calvet, Cours moyen, p. 34). 

"Voilà le tableau qu’auraient dû esquisser les manuels scolaires pour donner une idée sommaire de l’influence considérable qu’ont exercée les croisades sur les institutions, la civilisation, l’agriculture, le commerce et l’industrie. On peut dire que, directement ou indirectement, soit par elles-mêmes, soit par le mouvement d’idées et d’échange qu’elles ont déterminé, elles ont transformé la face de l’Europe, et élargi pour les Occidentaux les limites du monde. Ce n’est assurément pas ce que cherchaient les pauvres paysans et les chevaliers qui répondaient par le cri de Dieu le veut ! aux prédications touchantes de Pierre l’Ermite : ils ne songeaient qu’à délivrer le tombeau sacré profané par l’Infidèle. Leur dévouement a produit, pour l’histoire de la civilisation, des résultats bienfaisants qu’ils ne soupçonnaient même pas. C’est une application historique de la profonde parole de l’Évangile : "Cherchez d’abord le royaume de Dieu et toutes choses vous seront données par surcroît." On ne peut pas dire, en tout cas, que les multitudes de chrétiens qui sont allés mourir glorieusement dans les montagnes de Judée ou dans les plaines d’Égypte, aient versé inutilement leur sang. Ils ont travaillé héroïquement pour la cause de Dieu et de la civilisation et c’est une raison suffisante pour qu’au lieu de les mépriser, comme le font certains manuels "laïques", on salue en eux des héros de l’Église et du progrès", conclut Jean Guiraud.

"En Syrie, à Rhodes, à Chypre, les Croisés bâtirent des châteaux-forts, des églises, des abbayes, des hôpitaux, des auberges, qui sont des châteaux, des églises, des maisons de chez nous. La domination chrétienne en Palestine et en Syrie se maintint pendant deux siècles (jusqu'en 1291), beaucoup plus longtemps encore dans les îles de Rhodes (jusqu'en 1522) et de Chypre (jusqu'en 1571). Le français fut dans les nouveaux états, la langue officielle et courante. De ce temps date l'influence particulière de notre pays à l'Est de la méditerranée, telle qu'elle s'est fait sentir jusqu'au milieu de ce siècle [1950]. Presque jusqu'à nos jours, tous les Européens y étaient confondus sous le nom de Francs," écrit l'académicien Pierre Gaxotte. [Histoire des Français, 1951, rééd. Flammarion, Saint-Amand 1972, p. 187-188]

Loin d'être une aventure gratuite, les Croisades sont une riposte de l'Occident à l'expansion militaire de l'islam.

Les Croisades: une riposte à l'expansion militaire de l'islam

 

"Il faut un bel aplomb pour accuser les hommes du passé, chrétiens bien entendu, d'intolérance alors que nous vivons, apparemment satisfaits, en un temps où toutes formes d'écrit et de pensée sont soumises à un contrôle de plus en plus sévère. Certes, l'intolérance est hautement proclamée détestable mais seuls en sont accusés les hommes libres qui osent manifester leurs propres convictions et poussent l'insolence jusqu'à se défendre contre d'odieuses attaques. Les "intolérants" sont les dissidents, montrés du doigt, agressés, exclus. Non pas les gardiens stipendiés du temple qui, eux, ne supportent pas la moindre résistance à leurs schémas, pas la moindre critique à leurs discours toujours "conformes" -, d'un conformisme bête à rire. Regardons-nous vivre avant de parler de temps que nous ne voulons pas même tenter de vraiment connaître et de comprendre.

La Croisade de 1095-1099 fut d'abord et avant tout une aventure spirituelle. Pour en rechercher les origines et pour l'analyser, les thèses matérialistes ont fait long feu. Invoquer la soif de conquêtes ou la recherche de nouveaux espaces et la quête des épices, était de bon ton il y a cinquante ans, alors que le matérialisme historique s'imposait sans partage dans nos universités... Ce temps, enfin, n'est plus et nous savons que rien de cela ne tient. De simples réflexions de bon sens mettent tout en l'air. Les paysans de l'an Mil étaient sans doute plus nombreux qu'autrefois. Ils ont souvent divisé leurs héritages et cherché des terres nouvelles à emblaver. Mais aller si loin, l'idée ne s'imposait pas! Ils venaient tout juste de commencer les défrichements des grandes forêts de Germanie, Europe centrale ou dans le Sud-Ouest français même. L'assèchement et la bonification des marais étaient à peine amorcés. Pourquoi affronter de telles fatigues et de tels périls pour courir s'établir sur des terres lointaines que l'on savait, aux dires des pèlerins qui en revenaient..., arides pour la plupart, vouées à une économie pastorale demi-nomade, totalement contraire à leur manière de vivre et de travailler? Négliger les terres proches pour aller là-bas, où tout était à construire ou à reconstruire?

"Nous lisons encore, en tel ou tel manuel d''enseignement', que les grands marchands italiens furent les instigateurs de cette croisade, à seule fin de pouvoir ramener d'Orient des épices à meilleur prix... Mais c'est faux: les Génois, Vénitiens et Pisans n'ont pas participé aux premières expéditions; ils ne sont intervenus qu'en un second temps, comme des guerriers avec leurs chevaux et leurs machines de guerre, non comme marchands. La Terre Sainte ne les intéressait que médiocrement. Déjà établis à Constantinople, où ils bénéficiaient de privilèges fiscaux, et au Caire, où leurs négociants pouvaient loger dans des fondouks, ils se trouvaient au coeur même des grands trafics d'Orient. La Syrie de la côte et la Palestine n'offraient pas, et de très loin, les mêmes ressources; à l'écart des grandes routes caravanières, ces pays n'avaient alors ni belles cultures exotiques (canne à sucre, coton) ni industries de luxe. Pour tout dire, face à Constantinople, à Damas, Bagdad et Le Caire, Jérusalem faisait, sur ce plan, figure de bourgade." [Jacques Heers, Fideliter, Mai-Juin 1999, n° 129, La Croisade aujourd'hui, ni oubli ni repentancep. 41-42]

 

"Il n'y eut en réalité aucune promesse de richesse matérielle. Le décret du concile de Clermont affirma même exactement le contraire, sans aucune équivoque possible : 'Quiconque par seule piété, non pour gagner honneur ou argent, aura pris le chemin de Jérusalem en vue de libérer l'Église de Dieu, que son voyage lui en soit compté pour seule pénitence.' Le départ pour la Terre sainte, l'abandon de tous ses biens, et même de sa famille dans l'incertitude de jamais revoir un jour le pays natal, c'était le sacrifice ultime, compris au sens de ceux qui suivent le Christ sans condition, exactement comme l'a défini S. Pierre : 'nous voici que nous tout quitté, et que nous t'avons suivi; quy aura-t-il donc pour nous?' (Mt 19:27). Les testaments laissés par de nombreux Croisés constituent le témoignage éloquent de leurs attitudes profondément religieuse.

Quant aux princes laïcs de la première Croisade - Godefroy de Bouillon, Robert de Normandie, Bohémond de Tarente, Raymond IV de Toulouse, Baudouin de Boulogne -, ils étaient tous, à l'exception de Baudouin, les fils aînés et les héritiers de duchés et de comtés considérables. Deux d'entre eux hypothéquèrent, voire mirent en vente la totalité de leurs biens et propriétés afin de... financer l'expédition. Lorsqu'on voulut confier à Godefroy de Bouillon la couronne de Jérusalem, il la refusa : il ne voulut pas régner comme roi dans cette ville où Jésus-Christ n'avait porté que la Couronne d'épines. Il préféra plutôt se voir attribuer le titre d''avoué du Saint-Sépulcre'." [Michael Hesemann, Les Points Noirs de l'Histoire de l'Église, ibid., p. 184-185] 

 

« De tous les pèlerinages, il n'en était pas de plus saint que Jérusalem. C'est le rite de la grande pénitence, de la purifaction individuelle. "Il créé une vie neuve, il marque la crise décisive où le vieil homme se dépouille." Il est aussi sacrifice, car il se fait dans un esprit de pauvreté qui exalte la vertu salvatrice du dénuement et il comporte le risque de perdre la vie.» [Pierre Gaxotte, de l'Académie française, Histoire des Français, 19511, ibid., p. 182]

 

« Des historiens partisans. Grands seigneurs pressés de se tailler des principautés sur de vastes territoires et sur des villes de rêve?" Ce sont là des images forgées de toutes pièces, pour illustrer la thèse des historiens partisans, appliqués à médire et du christianisme et de la féodalité. Les chefs croisés, ceux des premières marches et même ceux venus ensuite porter renfort, n'étaient en aucune façon des laissés-pour-compte, cadets ou exclus du clan, à la recherche d'un quelconque établissement, contraints de courir la folle aventure. Godefroy de Bouillon, duc de Basse-Lorraine, possédait de bons fiefs et de bons châteaux, ancrés sur des terres riches. Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, celui qui réunit le plus grand nombre d'hommes et dépensa les plus fortes sommes d'argent, était après le roi (de France), le plus puissant prince du royaume, nullement contesté ou menacé. Son départ l'a privé d'un magnifique héritage et il est mort en Terre Sainte, sans avoir pu mettre la main sur Tripoli », et en refusant de rentrer paisiblement dans son Languedoc, voulant comme il le dit rester croisé jusqu'à la mort « à l'exemple du Christ qui a refusé de descendre de la Croix.»

 

« Les chroniques du temps parlent bien des "Francs" ou des "Chrétiens", mais, toujours, les qualifient de "pèlerins". Les hommes se sont rassemblés et armés parce qu'il n'était plus supportable d'apprendre que les pèlerins allant en Palestine devaient le faire au péril de leur vie, supportant, en tout cas, de dures humiliations et des taxes qui s'alourdissaient d'année en année. Ce pèlerinage fut, dès lors, au centre de toutes les préoccupations et initiatives, et les croisés, pour la plupart, n'avaient d'autres projets que de délivrer la ville sainte, d'y reconnaître le parcours du Christ, de la Vierge et des apôtres, d'y prier et de rentrer chez eux. Ne sont demeurés auprès de Godefroy de Bouillon (après la libération de Jérusalem) qu'une poignée de chevaliers. La construction des places fortes et la défense du royaume latin, face aux attaques des Égyptiens ou des Turcs, ne furent possible que par l'arrivée, chaque année, de nouveaux pèlerins qui participaient aux travaux et aux combats, puis repartaient. » [Jacques Heers, Fideliter, Mai-Juin 1999, ibid., p. 42-43]

 

« Le coût d'un croisé était très lourd pour sa famille, qui devait gravement s'appauvrir par des ventes de terres ou de biens, et s'endetter par des emprunts ou des mises en gage. » [Jean Flori, Idées reçues sur les croisades, Éditions Le Cavalier Bleu, 2e éd., Paris 2018, p. 75]

 

Le Saint-Siège a-t-il voulu se doter d'un deuxième patrimoine de Saint-Pierre ? "Une idée reçue (que l'on trouve dans le néanmoins excellent ouvrage de René Grousset, "L'Histoire des Croisades 1095-1130 L'anarchie musulmane") prétend que le Saint-Siège aurait voulu se doter d'un deuxième patrimoine de Saint-Pierre, d'où les Croisades. En réalité, le pape n'a jamais demandé d'hommage au roi de Jérusalem. C'est-à-dire qu'il n'a jamais songé à établir un lien de dépendance même féodal entre le Saint-Siège et les États latins d'Orient". [Eric Picard, Urbain II, l'éternité en héritage, Magazine Histoire du Christianisme, Dossier les Croisés en Terre sainte 1095-1099, N° 28, juin 2005, p. 39]  

 

Jacques Heers écrit que les chevaliers n'allaient pas en Terre sainte pour s'enrichir, tout au contraire : « ils laissaient derrière eux fiefs et dettes pour se croiser. L'expédition, lointaine, et hasardeuse, exigeait beaucoup. Elle ne pouvait ni s'inscrire dans une tradition ni bénéficier d'expériences. Il fallait tout laisser derrière soi et se confier au destin. Prendre la croix et faire voeu d'aller délivrer le Saint-Sépulcre, c'était rompre avec une vie; c'était s'exclure, pour un temps incertain, de son cadre social et de toutes les communautés. [...] Quant aux chevaliers,... quitter leur leurs terres pour des mois, voire pour des années, allait à l'encontre de leurs intérêts et de leurs habitudes. Ils ne vivaient pas de leurs armes, bien au contraire;... la guerre ordinairement leur coûtait beaucoup; le cheval de combat valait un prix fou et les épées aussi; les perdre (cela arrivait souvent) les pouvait mettre dans l'embarras pour longtemps. » [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 11-12] 

 

L'historiographie matérialiste voit volontiers dans les croisades des facteurs économiques. Si l'appât du gain a pu motiver certains des chefs croisés - l'exemple de Bohémond, fils de Robert Guiscard, le démontre -, "le désir d'acquérir des biens fonciers pouvait plus facilement se satisfaire dans les grandes opérations de défrichement, menées alors en Occident, que dans d'hypothétiques conquêtes de terres bien souvent arides."  [Michel Balard, Les Croisades, ibid., p. 10]

 

"La croisade est une aventure meurtrière, onéreuse et incertaine. On s'y engage avec un faible espoir de retour." [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 12]

 

"Certains historiens comme Claude Cahen, considèrent celles-ci (les croisades) comme une réaction lentement mûrie à l'humiliation ressentie depuis quatre siècles devant la conquête musulmane de la moitié du bassin méditerranéen..." [Henri Platelle, Les Croisades: une étape de la question d'Orient, in Magazine Histoire du Christianisme, Dossier Les Croisés en Terre sainte 1095-1099, N° 28, juin 2005, p. 29]  

 

"Les croisades sont avant tout une réponse à l'invasion de la Terre sainte par les Turcs, qui oppressent les chrétiens autochtones et rendent impossible les pèlerinages jusqu'alors bien acceptés". [Marie-Alix Radisson, Aux sources des croisades, la vogue des pèlerinages, in Magazine Histoire du Christianisme, Dossier Les Croisés en Terre sainte 1095-1099, N° 28, juin 2005, p. 34]

Godefroy de Bouillon et les chefs de la Première croisade

Godefroy de Bouillon et les chefs de la Première croisade

La Première Croisade (1095-1099)

 

Au Concile de Clermont, le 18 novembre 1095, le pape Urbain II appelle à la croisade. En Terre sainte, expliquait-il, beaucoup de chrétiens avaient été "réduits en esclavage", les Turcs Seldjoukides détruisant leurs églises, les pèlerins sont empêchés de faire leurs dévotions à Jérusalem. La Reconquista en Espagne, visant à reprendre aux Musulmans les territoires conquis, elle aussi, avait déjà préparé les esprits à l'idée de croisade.

 

Un appel attendu

 

"L'appel d'Urbain II ne pouvait en aucun cas surprendre: certains historiens disent même qu'il ne faisait que répondre à une attente vivement ressentie par un grand nombre de chevaliers qui, par les récits de leurs proches, étaient parfaitement au courant de la situation en Orient et désiraient payer de leur personne... Les évêques et les abbés convoqués au Concile de Clermont le 18 novembre 1095 devaient s'en tenir à des problèmes discipliaires et, entre autres mesures, envisager l'excommunication de Philippe Ier,accusé d'adultère, de simonie et d'usurpation de biens ecclésiastiques... Ce n'est que le dixième jour du Concile, le 27 novembre, que le pape évoqua la terre sainte et le Saint-Sépulcre, les souffrances qu'y supportaient les pèlerins, exhortant alors les chrétiens à se lever nombreux pour aller défendre le pèlerinage, les armes à la main... Le texte de son discours ne nous est pas connu et les chroniqueurs du temps, témoins ou non, puis les historiens par la suite, l'ont simplement reconstitué à leur manière. Mais tous se rejoignent à peu près. Urbain II parla longuement de la profanation de Jérusalem et des Lieux saints "où le Fils de Dieu habita corporellement"; il rappela que Nicée, Antioche, Jérusalem, villes où avaient vécu les premiers chrétiens, étaient maintenant aux mains des "arabes, des sarrasins, des Persans et des Turcs qui détruisaient les églises et immolaient les chrétiens comme des agneaux..." [Jacques Heers, Le pape et les prédicateurs prêchent la première croisade in Les Croisades 1096-1270, Les Dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 42-44 ]  

 

"L'insécurité dont parle urbain II à Clermont est bien réelle". [Jean Richard, Les Croisades 1096-1270Les dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 157]

 

Il s'agissait de soustraire à la domination des musulmans les Lieux saints de Palestine (aujourd’hui Israël et Palestine), et notamment le tombeau du Christ à Jérusalem aux mains des musulmans depuis 636 sous le califat d'Omar Ier. Un sanctuaire musulman, le dôme du Rocher, fut élevé au-dessus du rocher réputé être le lieu de l'autel du Temple de Salomon. Les chrétiens furent traités avec indulgence, mais lorsque les califes égyptiens fatimides prirent Jérusalem en 969, leur situation devint plus précaire. Les Turcs Seldjoukides qui firent la conquête de Jérusalem en 1078 étaient encore plus intolérants. Le souverain pontife exhorta les chrétiens à "repousser ce peuple néfaste". A Limoges, Angers, Tours, Poitiers, Saintes, Bordeaux, Toulouse et Carcassonne, Urbain II renouvela son appel. Voilà le point de départ d'une entreprise que l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie n'hésite pas à qualifier de magnifique aventure.

 

L'un des motifs des croisades avec le jhihad islamique armé qui chassait les chrétiens de leurs terres fut la destruction de l'église du Saint-Sépulcre. Les croisades, au nombre de huit, se sont achevées en 1270.

 

Une année d'abondances et de bienfaits (1096)

"Urbain II quitta Clermont le 2 décembre suivant. La suite de son itinéraire nous le montrer en diverses villes de la France méridionale, et dès lors la prédication de la croisade se mêle à la dédicace d'une multitude d'églises qui viennent de sortir de terre, car c'est une époque de pleine germination pour le sol de France, qui voit naître notre art roman, en même temps que nos chansons de geste: le 7 décembre, dédicace de l'église de Saint-Flour; consécration ensuite de l'ababtiale Saint-Géraud d'Aurillac; le 29 décembre, consécration solennelle de la cathédrale Saint-Etienne de Limoges, et le lendemain de l'ababtiale Saint-Sauveur dans la même ville. Puis c'est le 10, la consécration du maître-autel dans l'abbaye Saint-Sauveur de Charroux et, le 13 janvier, fête de saint Hilaire, celle d'un autre autel dans le monastère du même nom, à Poitiers. Il en est ainsi un peu partout où il passe, à Angers, à Marmoutiers, à Bordeaux, enfin à Toulouse où, le 28 mai de l'an 1096, on le revoit, avec, à son côté, Raymond de Saint-Gilles, à la consécration solennelle de la collégiale Saint-Sernin. Puis c'est la cathédrale de Maguelonne, celle de Nîmes, et l'autel de la nouvelle basilique de Saint-Gilles du Gard, où il se retrouve le 15 juillet avant de repartir pour Villeneuve-lès-Avignon, Apt, Forqualier et de gagner Milan par les cols des Alpes, au mois d'août 1096. Mais déjà, sur les routes, devançant les rendez-vous assignés par le pape, la croisade avait commencé." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 43]

 

(Suite au Concile de Clermont ) "Et voici que par un miracle qui parut divin, et devait encore exalter les enthousiasmes, à l’affreuse disette et aux fléaux des années passées succéda brusquement une année d’abondances et de bienfaits (1096) ; abondance en blé, en vin, en fruits de toutes sortes, comme si Dieu avait voulu directement favoriser l’œuvre de ceux qui allaient combattre pour Lui." [F. Funck-Brentano, L’ancienne France, le Roi, in Marquis de la Franquerie, La mission divine de la France, ESR, p. 139.]

 

L'expédition de Pierre l'Ermite, la croisade des pauvres (1096)

En 1096, le pape ne se doutait pas de l’enthousiasme et de la ferveur que son appel à la croisade allait susciter parmi les simples citadins et les paysans. En effet, parallèlement à la croisade des barons se forme une croisade des pauvres dont le principal initiateur et prédicateur est Pierre l’Ermite, originaire d’Amiens. Partis les premiers, ces croisés, dirigés par Pierre l’Ermite Avoir traversent l’Europe centrale, commettant nombre d’exactions sur leur passage (notamment en Germanie contre les Juifs). Environ 12 000 d’entre eux atteignent le Proche-Orient mais, mal équipés, ils sont rapidement anéantis par les Turcs à Nicomédie (aujourd’hui Izmit) en octobre 1096.

Le 1er août 1096, l' expédition - la date est incertaine – se trouvait sous les murs de Constantinople. Son expédition avait donc mis un peu plus de trois mois pour franchir la distance des bords du Rhin au Bosphore. Elle était composée d' "une foule incommensurable d'hommes du peuple, avec femmes et enfants, tous les croix rouges sur l'épaule. Leur nombre dépassait celui des grains de sable au bord de la mer, et des étoiles du ciel. Ils s'étaient précipités comme des torrents de tous les pays et avaient envahi l'empire grec en passant par la Dacie… Cela formait une cohue d'hommes et de femmes, comme de mémoire d'homme on n'en avait encore jamais vu". Ainsi s'exprime avec un brin d'exagération mériodonale, la propre fille de l'empereur, Anne Comnène, qui, racontant l'évènement s'est révélée historien de valeur avec toutefois, comme on peut le constater, un penchant pour les effets littéraires. La fille de l'empereur Alexis, Anne, affirme qu'il conseilla à Pierre d'attendre à Constantinople l'arrivée des barons croisés, et que seule l'impatience de celui-ci mena l'expédition à sa perte. D'autres historiens, en particulier l'Anonyme qui a raconté la première croisade, et dont les dires sont généralement exacts, affirme que c'est l'empereur, pressé de s'en débarrasser, qui hâta leur départ, en quoi il avait quelques excuses, car "les Chrétiens se conduisaient bien mal, enlevaient le plomb dont les églises étaient couvertes, si bien que l'empereur irrité donna l'ordre de leur faire traverser le Bosphore…

Le 21 octobre, les malheureux tombaient dans une embuscade tendue par les Turcs, qui en faisaient aussitôt une massacre épouvantable. Après quoi il ne fut que trop facile aux vainqueurs de surprendre le camp de Civitot et d'y tuer au petit bonheur tous ceux qui s'y trouvaient: hommes, femmes, enfants. L'année suivante, Foucher de Chartres, […] contemplait le long du golfe de Nicomédie les tas d'ossements blanchis au soleil, témoins du massacre. On devait en 1101 bâtir de ces ossements, aux dires de la princesse Anne Comnène: "Je ne dis pas un immense tas, ni même un tertre, ni même une colline, mais comme une haute montagne d'une superficie considérable, tant était grand l'amoncellement des ossements." [R. Pernoud, Les hommes de la Croisadeibid., p. 52-54]

 

Des Croisés accueillis en libérateurs (Laurent Vissière)

"L'arrivée victorieuse des Croisés en Terre sainte..., après plusieurs siècles d'oppression musulmane, les populations locales, encore fortement chrétiennes, les accueillent souvent en libérateurs.

Les Byzantins, ... peuvent ainsi se dégager de la terrible menace turque.

Quant aux Arabes, ils maudissent bien sûr "les envahisseurs", mais nombre d'entre eux, notamment les Fatimides, ne voient pas d'un mauvais oeil les successives défaites des Turcs." [Laurent Vissière, in Revue Historia N° 095, Croisade, Mai-Juin 2005, p. 4]

"La croisade populaire n'avait été qu'une agitation anarchique et dangereuse. La Croisade des barons se mettait en mouvement par groupes réguliers.

Divisée en cinq corps principaux, la croisade de la noblesse ne se mit en route que bien après le départ de la croisade des pauvres. Chaque baron levait séparément ses hommes; ceux qu'ils emmènent avec lui ont été équipés à ses frais.

Les routes de la première croisade

Les routes de la première croisade

Le premier corps d'armée qui fut prêt, composé de Lorrains, de Français du Nord, de Wallons, et de Rhénans, était commandé par le duc de Basse-Lotharingie, Godefroi de Bouillon, dont la mère est sainte Ida de Boulogne, grâce aux prières de laquelle on attribue une grande part du succès de cette croisade.

Godefroy de Bouillon - Statue en bronze de Godefroy de Bouillon (Hofkirche Innsbruck)_2006

Godefroy de Bouillon - Statue en bronze de Godefroy de Bouillon (Hofkirche Innsbruck)_2006

"Godefroi de Bouillon était un homme jeune, né dans les environs de Nivelle en Belgique. Il avait les cheveux blonds, les yeux bleus, la voix douce et claire; animé d'une piété profonde et sincère. Il était doué d'une rare énergie, d'un bel esprit de décision. La légende a exalté sa force physique : d'un coup d'épée il vous tranchait un chevalier en deux, de la tête à la selle de son cheval, avec toute sa ferraille. [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, Avec quatre planches hors-texte tirées en héliogravure, Flammarion, Lagny 1934, p. 90]

 

Les chroniqueurs l'appellent "duc de Lorraine" : en réalité, partie importante de l'empire romain germanique, le duché de Basse-Lotharingie, connu peu après sous le nom de duché de Brabant, comprenait sur la rive gauche du Rhin la région ardennaise, le Hainaut, le Brabant, la Hesbaye et le pays de Liège, la Toxandrie (Breda), la région d'Aix-la-Chapelle, plus sur la rive droite du Rhin, la zone en face de Cologne.

Son père était comte de Boulogne et relevait du roi de France. Sa mère, sainte Ida, était soeur de Geoffroy le Barbu, duc de Basse-Lotharingie. Godefroy entra au service de l'empereur Henri IV qui l'investit de la Basse-Lotharingie pour récompenser sa loyauté. Il parlait le français (langue d'oïl) et l'allemand. 

 

Avec Godefroi de Bouillon, partirent pour la Croisade son frère cadet Baudouin de Boulogne (le futur Baudouin Ier de Jérusalem"), vassal du roi de France, leur autre frère Eustache, comte de Boulogne, et leur cousin, Baudouin du Bourg, fils du comte de Rethel (le futur Baudouin II de Jérusalem).

"Godefroy était aussi blond que son frère était brun. Il montrait une simplicité de bon aloi; les chroniqueurs soulignent son extrême piété." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid.,, p. 33]

Dans le même groupe, il faut citer encore Baudouin, comte de Hainaut, Garnier de Grez, le comte Reinard de Toul, Pierre de Stenay, Dudon de Conz-Sarrebrück, Baudouin de Stavelot, Henri et Geoffroi d'Esch. Le gros de l'expédition était fourni par les pays wallons. La dignité dont le duc de Basse-Lotharingie était investi dans le Saint-Empire, mais ses barons étaient de la mouvance comme Godefroi de Bouillon, de l'empire, les autres, comme ses frères Baudouin de Boulogne et Eustache, de la royauté capétienne (plusieurs fieffés dans l'un et l'autre pays). Toutefois, dès qu'ils seront établis en Syrie, la mouvance impériale sera oubliée : la royauté fondée à Jérusalem par la maison de Lotharingie-Boulogne sera un royaume français." [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130 L'anarchie musulmane, Perrin, Collection Tempus, Millau 2017, p. 83]

 

Godefroy engagea une partie de ses biens patrimoniaux: le comté de Verdun, des alleux possédés de temps immémorial par les siens et jusqu'au superbe château de Bouillon qui était le berceau de sa famille. Il s'agissait de ventes à réméré, ce qui montre que Godefroy avait l'intention de revenir, non de se fixer en Terre sainte. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 33]

 

Godefroy fit "crier" dans l'armée que tout pillage serait puni de mort. Tout se passe sans incident.

 

Par l'Allemagne, la Hongrie, la Bulgarie et la Thrace, Godefroy arriva en vue de Constantinople le 23 décembre 1096.

 

Le deuxième groupe, la croisade normande. 

Composé des Normands d'Italie méridionale et de Sicile, ce groupe était conduit par Bohémond de Tarente.

Bohémond Ier, prince d'Antioche, Merry-Joseph Blondel (1843).

Bohémond Ier, prince d'Antioche, Merry-Joseph Blondel (1843).

Bohémond Ier, animé de l'esprit de conquête de ses ancêtres normands (son père Robert Guiscard, fils de Tancrède de Hauteville, petit seigneur normand termina la reconquête de la Sicile musulmane et tenta la conquête de l'empire byzantin), fut sans doute le moins motivé par l'idéal religieux parmi les chefs de la Croisade (Godefroy de Bouillon, Raymond de Saint-Gilles, Adhémar du Puy). Il fondera la principauté d'Antioche où sa famille régna deux cents ans, durant sept générations de 1098 à 1287, c'est-à-dire environ deux siè­cles. Ce territoire est actuellement partagé entre la Turquie et la Syrie. Dans cette principauté, plus que dans tous les autres états francs du Levant, l'implantation normande fut importante. La majorité des barons inféodés par Bohémond viennent de Normandie où des deux-Siciles. Son neveu Tancrède, qui, quelques années auparavant, avait déjà eu en charge l'administration du territoire, lui succéda. Il reculera les frontières de la Principauté et y ajoutant les villes de Misis, Tarse et Lattakié. Ce personnage pragmatique et souple que ses ennemis de la Djihad islamique appelaient : "le satan d'entre les Francs", sut mériter leur admiration pour son habileté et sa compétence. Son corps repose dans la cathédrale d'Antioche. À sa mort, les Hauteville continuèrent à assumer le destin de la Principauté avec Roger de Salerne (1112-1119) qui vassalisa l'État franc d'Alep, puis Bohémond II (1126-1130) qui fut tué en Cilicie et dont la tête embaumée fut envoyée comme présent au Kalife. Nous savons peu de choses des successeurs de Bohémond. Peu de documents survécurent à l'holocauste qui suivit la revanche islamique de la fin du XIIIe siècle. Bohémond IV, Bohémond V, Bohémond VI régneront de 1201 à 1275. Bohémond IV sera considéré comme un des plus grands juristes de son époque. C'est sous son Principat que furent composées "les Assises d'Antioche" (recueil de lois coûtumières). En 1275, la Principauté subira l'assaut du Sultan Mamelouk, Baïkars qui obligera Bohémond VI à se retirer dans le Comté de Tripoli. En 1287, à la mort de Bohémond VII, les bourgeois de la ville proclameront la déchéance de sa dynastie et affirmeront leur volonté de se "gouverner eux-mêmes". Mal leur en prît : l'année suivante 40 000 cavaliers et 100 000 fantassins mamelouks d'Égypte investissaient définitivement la dernière place franque du Levant, dans un massacre épouvantable. Baïbars Ier, al Malik al Zahir, ancien esclave turc devenu Sultan d'Égypte mettait le point final à deux siècles de domination de la Maison Normande des Hauteville, et rayait pour toujours de la carte, l'existence de la Principauté. C'était la revanche impitoyable de l'Islam, aux compromissions des Francs d'Antioche avec les Mongols. Mais depuis ce temps-là, à cause de cette épopée normande, en dépit des tourments et des péripéties politiques, il existe entre les anciens États francs de la Méditerranée Orientale, la Syrie du Nord et la France, une histoire, des souvenirs et des relations particulières qu'aucune idéologie ou puissance n'a pu effacer. Ce fut l'insigne mérite de Bohémond d'avoir au XIe siècle voulu inscrire une page de notre Histoire sur cette terre "explosive" du Moyen Orient, qui fascina nos aïeux. (Patrimoine-normand.com  )

 

À la nouvelle qui lui parvint début de 1096 que, de France, de Lotharingie et d'Allemagne, de grandes armées occidentales se mettaient en marche vers Jérusalem, Bohémond prépara son départ hâtivement. "On se souvient qu'en 1081 il avait débarqué à Avlona avec Robert Guiscard, battu Alexis Comnène à Durazzo et guerroyé jusqu'en 1085, sans atteindre Constantinople. En coopérant avec les croisés, il entendait rentrer dans ses frais: non pas s'emparer de la capitale de l'Empire, mais réussir là où Roussel de Bailleul avait échoué, c'est-à-dire à se tailler une principauté en Asie mineure, principauté qui servirait à tout hasard de base logistique. Ses propres vassaux et ceux de Roger de Sicile adhérèrent de grand coeur à ce projet; tous étaient d'authentiques descendants de Vikings, ils ne l'oubliaent pas." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 35]

 

"Le normand Bohémond de Tarente incarne le croisé tel que l'ont vu quelques historiens et pas mal de romanciers : aventurier  sans scrupules, coureur d'aventures, brutal et rusé tour à tour, ce ne sont pas de toute évidence les motifs pieux qui l'ont déterminé à rejoindre l'expédition", écrit Régine Pernoud.

Il est le fils de ce Robert Guiscard qui, à lui seul, ou presque, a conquis la Sicile et l'on sent encore en lui toute l'ardeur de ces vikings qui avaient fait trembler l'Europe, lorsqu'ils remontaient le cours des fleuves, pillant, rançonnant, dévastant tout sur leur passage, deux siècles auparavant. Capable de tous les subterfuges pour parvenir à son but, d'une endurance incroyable et d'une énorme cruauté, c'est une vraie force de la nature.

 

Il n'en rendra pas moins certains jours, d'éminents services aux autres croisés en se révélant l'homme de la situation, celui qui ne s'embarrasse pas de scrupules et ne connaît pas non plus de faiblesse. C'est à sa ruse comme à sa ténacité qu'ils durent de prendre Antioche.

 

"Bohémond est l'un des personnages de cette époque dont nous avons un portrait ressemblant. Il fut brossé par Anne Comnène, fille de l'empereur, qui l'a vu de près à Constantinople. Bohémond était grand et fort. Ses cheveux blonds étaient coupés court, ce qui n'était déjà plus la mode parmi les chevaliers occidentaux. De même il ne portait pas la barbe." [François Neveux, L'Aventure des Normands, VIIIe – XIIIe siècle, Collection Tempus, Paris 2015, p. 218]

 

Anne Comnène s'attarde à le décrire : "On n'avait jamais vu auparavant sur la terre des Byzantins, homme pareil à celui-ci, barbare ou grec, car sa vue engendrait l'admiration et sa renommée l'effroi. [...] [I]l avait une si haute stature qu'il dépassait presque d'une coudée les plus grands, et il était mince, sans embonpoint. [...] Il avait la peau très blanche. [...] Sa chevelure était blanche et ne lui tombait pas sur les épaules, comme celle des autres barbares; cet homme en effet n'avait pas la manie des longs cheveux, mais il les portait coupés à l'oreille. [...] Ses yeux bleus exprimait à la fois le courage et la dignité. [...] [T]out cet homme, dans toute sa personne, était dur et sauvage, à la fois dans sa stature et dans son regard, et son rire même faisait frémir son entourage." [R. Pernoud, Les Hommes de la Croisade, Tallandier, Paris 1977, p. 69-70]

 

Avec lui se croisèrent son neveu Tancrède, son cousin Richard de Salerne, Robert de Hanse, Hermann de Cannes, Robert de Sourdeval, Boel de Chartres, Aubré de Cagnano, Onfroi de Monte Scabioso, tous chevaliers normands fieffés en Grande Grèce.

Tancrède de Hauteville-Merry-Joseph Blondel, 1840

Tancrède de Hauteville-Merry-Joseph Blondel, 1840

Ils embarquèrent à Brindes sur l'Adriatique, d'où ils passèrent à Durazzo. Par l'Epire et la Thrace, ils atteignirent Constantinople au mois d'avril 1097. 

 

 

La troisième armée, la Croisade provençale arriva presque en même temps que la Croisade normande. Son chef était Raymond IV de Saint-Gilles, comte de Toulouse et marquis de Provence.

 

Elle prit par la Lombardie, la Dalmatie et l'Epire. Ella arriva sous les murs de Constantinople vers la même époque que les chevaliers de Bohémond et Tancrède, c'est-à-dire en avril 1097.

Raymond IV de Saint-Gilles, comte de Toulouse, Merry-Joseph Blondel, 1843

Raymond IV de Saint-Gilles, comte de Toulouse, Merry-Joseph Blondel, 1843

La quatrième armée, formée de contingents de Français du Nord, de flamands et de frisons, sous la direction du comte Robert de Flandre, prit par l'Italie, la Campanie et l'Apulie, et atteignit le port de Bari sur l'Adriatique.

Parmi elle, le chroniqueur Foucher de Chartres. Elle arriva au rendez-vous général sur le Bosphore en avril 1097 également.

 

Un cinquième corps d'armée composé de Français du Centre et de l'Ouest, sous les ordres de Robert Courteheuse, duc de Normandie, fils de Guillaume le Conquérant, et par son beau-frère Étienne, comte de Blois et de Chartres, arrive à Constantinople en mai 1097.

Pour partir en croisade, le duc de Normandie mit son duché en gage pour cinq ans, contre la somme de dix mille marcs d'argent. [François Neveux, L'Aventure des Normands, VIIIe – XIIIe siècle, Collection Tempus, Paris 2015, p. 204] Il allait dès lors apparaître comme l'un des chefs de la croisade, aux côtés de Godefroy, Raymond et Bohémond.

 

Anne Comnène, la fille de l'empereur byzantin Alexis, englobera tous ces peuples qu'elle ne connaît que de la façon la plus imprécise sous le nom de "Celtes". Historienne byzantine, elle écrira d'eux : "la nation des Celtes est très ardente et très fougueuse, une fois qu'elle a pris son élan, on ne peut plus l'arrêter". [Régine PERNOUD, Les Hommes de la Croisade, ibid., p. 67]

"On a calculé que les troupes faisaient dans les vingt-cinq milles (environ trente à trente-deux kilomètres) par jour en moyenne" [Régine PERNOUD, Les Hommes de la Croisadeibid., p. 64) 

 

Français et Byzantins se défiaient les uns les autres; ceux-ci avaient peur d'être pillés et violentés; ceux-là craignaient d'être empoisonnés ou trahis. Les chevaliers occidentaux paraissaient des êtres brutaux et grossiers aux sujets de l'empereur Alexis, qui de leur côté étaient regardés par les Occidentaux comme des fourbes et des couards. Ils se traitaient réciproquement d'hérétiques, les uns obéissant obéissant au pontife romain, les autres aux patriarches grecs.

 

"Alexis Comnène n'avait souhaité l'arrivée des croisés que dans l'espoir de repousser les Turcs qui venaient de lui arracher, avec la Syrie, la grande, la précieuse cité d'Antioche, qu'il considérait comme le boulevard de son empire; tandis que les Français entendaient ne combattre que pour la foi et demeurer possesseurs des territoires conquis. Dans la suite, les croisés accuseront Alexis Comnène de mauvaise foi, de les avoir trahis et dupés; sur ce point les travaux de Ferdinand Chalandon, venant après ceux des historiens grecs, paraissent bien l'avoir justifié." [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, ibid., p. 34; 75] 

Les Occidentaux qualifiaient les Grecs de traitres. Cette réputation remontait aux évènements suite à la déroute de l'armée byzantine à la bataille de Manzikert le 26 août 1071, où Romain Diogène captif, "le parti civil et de la bureaucratie" prit le pouvoir à Constantinople: 

 

"Ce fut alors que l'empereur Michel VII Doukas (1071-1078), pour empêcher les Normands de conquérir l'Anatolie (Turquie actuelle) comme ils avaient conquis la Grande Grèce, fit appel aux Seljûkides. Geste gros de conséquences, car l'établissement définitif de la race turque dans la péninsule date de là", explique René Grousset. [R. Grousset, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, L'anarchie musulmane, Perrin, Collection Tempus, Millau 2017, p. 46]

 

René Grousset raconte l'évènement : "Tandis que Byzance, depuis la mort de Basile II (1025), ne cessait de reculer en Asie, l'Occident latin, dans la personne des Normands, se mettait en marche vers l'Orient. C'est dans le second quart du onzième siècle que des bandes d'aventuriers normands, descendues du duché de Normandie dans l'Italie méridionale, avaient commencé à enlever ce pays aux Byzantins en même temps que la Sicile aux Arabes. En 1042 un de leurs chefs, Guillaume de Hauteville occupait déjà la Pouille occidentale. Mais c'est à Robert Guiscard qu'est dû l'établissement définitif de l'État normand. Proclamé duc de Pouille et de Calabre en 1059, il enlevait aux Byzantins leurs dernières places italiennes, Otrante, Brindisi (1062), Bari enfin leur capitale, le 16 avril 1071 - l'année même de la bataille de Malâzgerd. Dès lors il n'eut plus qu'une ambition: poursuivre ses conquêtes de l'autre côté u canal d'Otrante. Comme il avait enlevé aux Byzantins leurs thèmes italiens, il entendait maintenant leur enlever l'Épire, la Macédoine et Constantionople elle-même, en attendant, sans doute, d'aller sanctifier son oeuvre en continuant en Asie la lutte contre l'Islam si brillamment commencée par l'expulsion des Arabes de Sicile. [...] L'exemple de Roussel de Bailleul, qui, avec une poignée de Francs, avait réussi à tenir en échec les forces de Bzance et celles des Seljûkides et failli transformer l'Anatolie en principauté normande, était de nature à accroître l'ambition de Robert Guiscard. En mai 1081 Robert débarquait à Avlona. Vainqueur de l'empereur Alexis Comnène sous les murs de Durazzo, le 18 octobre 1081, il s'empara, après un long siège, de cette importante place (21 février 1082). De là, s'enfonçant dans les montagnes de la Macédoine, il avait pris Kastoria et marchait sur Constantinople, lorsque les affaires d'Italie l'obligèrent à rentrer dans ses États, en laissant le commandement de l'expédition à son fils Bohémond, le futur héros de la Première Croisade (avril-mari 1082). Bohémond, deux fois vainqueur d'Alexis Comnène, prit Janina et Arta, en Épire, Okhrida, Veria et Moglena en Macédoine et vint assiéger Larissa en Thessalie. L'empire semblait si près de sa chute - 1082 devançant 1204 ! - qu'Alexis Comnène n'hésita pas à faire appel au seljûkide d'Anatolie, Sulaïman Ibn Qutulmish, qui lui envoya 7000 hommes. Enfin un succès d'Alexis sous Trikala dégagea la Thessalie, Bohémond étant allé chercher des renforts en Italie, Alexis reprit Kastoria (novembre 1083). Robert Guiscard et Bohémond revinrent cependant d'Italie avec les renforts nécessaires et défirent devant Cordou la flotte vénitienne, alliée de Byzance, mais la guerre traîna ensite en longueur sur les côtes de l'Épire et de l'Arcanie jusqu'à ce que Robert mourût d'une épidémie à Képhalonie le 17 juillet 1085. Lui disparu, les Normands évacuèrent leurs conquêtes et rentrèrent en Italie. Mais dans leurs pensée ce n'était là qu'un ajournement. Les successeurs de Robert Guiscard - à commencer par son fils Bohémond - ne devaient jamais oublier la route de Constantinople sur laquelle leur chef s'était avancé jusqu'au coeur de la Macédoine. Cette route, la Première Croisade allait leur fournir l'occasion de la prendre à nouveau. Car pour Bohémond la Croisade - jusqu'à Constantonople et jusqu'à Antioche - ne devait pas être autre chose que cela : la reprise de l'expédition de 1081. Sa mainmise sur Antioche devait le prouver." [R. Grousset, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, L'anarchie musulmane, Perrin, Collection Tempus, Millau 2017, p. 71-72]

Suite à la prise d'Antioche le 3 juin 1098, qui "sauva littéralement les Croisés d'un désastre effrayant", [...] "[l]e lendemain même, la grande armée seljûkide de secours, commandée par le gouverneur de Mossoul Kurbuqa, apparaissait sur l'Oronte.

[...] Dans sa marche sur la Syrie, c'était vraiment tout l'espoir du sultanat seljûkide de Perse qui reposait sur lui. [...] Kurbuqa, renonçant à pénétrer dans la ville par la citadelle, résolut de prendre les défenseurs par la famine. [...] L'investissement complet et la famine la plus cruelle commença à se faire sentir parmi les assiégeants de naguère, devenus assiégés à leur tour. [...]

Certains fugitifs, comme Guillaume de Grandmesnil et Etienne de Blois, qui avaient gagné Alexandrette pour se mettre à l'abri, se rendirent de là en Asie mineure auprès de l'empereur Alexis Comnène. [...] Etienne de Blois et Grandmesnil, répandant autour d'eux la terreur dont ils étaient poursuivis et d'ailleurs désireux de justifier leur fuite, affirmèrent à l'empereur qu'à cette heure Kurbuqa avait dû anéantir la Croisade. Rumeur démoralisante, Alexis Comnène, persuadé que sa marche sur la Syrie n'avait désormais plus de but, rebroussa chemin. Seul le prince normand Guy, frère de Bohémond et  qui servait dans l'armée impériale, essaya d'entraîner celle-ci à une marche hardie vers Antioche, pour sauver la Croisade. Ses généreuses exhortations ne trouvèrent pas d'écho. Le basileus, se fiant aux affirmations réitérées d'Etienne de Blois, regagna Constantinople avec son armée, [...] décision qui n'en était pas moins, au point de vue international, grosse de conséquences. Par la lâcheté et le mensonge d'Etienne de Blois, la croisade byzantine rebroussait chemin au moment où son concours eût été le plus précieux à la croisade franque; le plus précieux aussi à la croisade byzantine elle-même, puisque le basileus renonçait à faire acte de présence en Syrie, c'est-à-dire à faire valoir ses droits sur Antioche à l'heure même où le sort de la ville allait se décider.

La carence ... d'Alexis Comnène en ces journées décisives de juin 1098 devait avoir cette conséquence que la Syrie rédimée serait purement franque et non, comme tout portait à le croire jusque-là franco-byzantine. [...] [L]e monarque byzantin avait, faute de hardiesse militaire, laisser passer l'heure favorable pour venir exercer ses droits. Bohémond, qui, à l'été de 1098, eût été forcé de s'incliner devant l'arrivée du basileus accompagné de ses légions, aura naturellement une attitude toute différente lorsqu'un an plus tard Alexis l'invitera par message à rendre la place, et cela contre simple promesse d'une collaboration à la Croisade. Collaboration bien hypothétique, car, à l'heure même où il parlera ainsi de venir aider les Francs à conquérir la Palestine sur les Fâtimides d'Égypte, Alexis Comnène aura conclu une entente secrète avec ces mêmes Fâtimides, comme le révèlera une lettre de lui au vizir al-Afdal, tombée aux mains des Croisés après la bataille d'Ascalon." [R. Grousset, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 162-166; 177-178]

Plus tard, lors du siège de Baudoin Ier contre Tyr (novembre 1111), "si le siège de Tyr avait échoué, on le devait à l'absence d'escadres italiennes et à l'insuffisance de la flotte byzantine, seule présente dans les eaux franques. L'ambassadeur byzantin Boutoumitès était cependant resté auprès de Baudoin. [...] Mais toute l'activité des Byzantins tendait à entraîner le roi de Jérusalem dans une action contre les Normands d'Antioche, nullement à concerter une attaque sérieuse contre les Fâtimides, Baudoin, lassé, rompit les négociations avec Boutoumitès qui regagna Tripoli." [R. Grousset, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 318]

 

De son côté, Bohémond présentait "les Byzantins comme de faux chrétiens, des traîtres envers la Croisade, des complices de l'Islam..." [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 371]. Il faisait "observer que la carence du concours byzantin durant la guerre contre les Turcs rendait nul et non avenu le pacte franco-byzantin de 1097." [R. Grousset, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 443

 

Lors de l'accord d'avril 1097 d'Alexis Comnène avec les croisés, "Bohémond joua les bons offices. La totalité des terres relevant de l'empire avant le désastre de Mantzikert (1071) devait lui être restituée, y compris Antioche et Édesse. En contrepartie l'empereur s'engageait à coopérer avec les croisés, soit en personne, soit en déléguant le commandement de son armée à l'un de ses lieutenants. Finalement, le comte de Toulouse s'engagea à respecter la vie et les biens de l'empereur, formule passablement ambiguë, mais dont Alexis Comnène dut se contenter.

"Comme on le voit, dès le début de la croisade, régnait un certain désaccord entre les chefs et la méfiance envers Alexis Comnène grandissait. [...] Quant aux modestes chevaliers, aux écuyers, aux sergents et aux archers, ils ne pouvaient oublier les injures et les agressions des Grecs. Ils n'avaient que les mots de perfidie, de trahison à la bouche. Ce climat délétère avantageait Bohémond de Tarente. Il se flattait d'en tirer parti." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 37-38]

 

Décrivant en témoin oculaire la progression de l'armée de Louis VII jusqu'à Antioche, le moine Eudes de Deuil († 1162), chapelain du roi au cours de l'expédition et futur abbé de Saint-Denis ne cache pas son acrimonie contre l'empereur de Constantinople, Manuel Comnène, et contre ses sujets. Il les campe sous les traits de l'hypocrisie obséquieuse, de l'égoïsme libidineux et de la traîtrise congénitale. Sous sa plume, la responsabilité des lourdes pertes humaines en Anatolie leur revient largement. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 71]

Régine Pernoud indique que "l'empereur Isaac Ange envoya ses félicitations à Saladin après la chute de la Ville sainte en 1187". [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 167] 

 

Inversement, pour Frantz-Funck-Brentano "on parle beaucoup de la perfidie des Grecs et de l'empereur Alexis vis-à-vis des croisés; une étude précise des faits amène à la conclusion que ce sont les croisés qui ont manqué à leurs engagements vis-à-vis du basileus. Sans les secours implorés et obtenus de l'empereur de Constantinople, jamais les croisés ne seraient parvenus en Asie; après quoi, forts des avantages qu'ils avaient obtenus, les croisés ont osé violer les contrats auxquels ils s'étaient soumis en échange. Les travaux de Ferdinand Chalandon ont éclairé ces faits d'une lumière décisive. 'Ce sont les croisés, dit l'éminent historien, qui ont manqué aux engagements pris avec l'empereur. La possession d'Antioche avait pour le basileus une trop grande importance pour qu'il y pût renoncer'. 'D'ailleurs, dit Chalandon, il n'y eut rupture qu'avec Bohémond établi à Antioche contrairement à toutes les promesses faites et devenu ainsi l'ennemi de l'Empire. Les attaques que le nouveau prince (Bohémond) allait diriger tout aussitôt contre les possessions des Grecs devaient amener presque immédiatement la guerre entre l'Empire (byzantin) et la principauté d'Antioche'." [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, ibid., p. 75]

 

Guibert de Nogent, estime que les croisés réunis comptaient environ 100 000 hommes d'armes, guerriers à cheval. Foucher de Chartres estime lui aussi le nombre des chevaliers à 100 000.

Achille Luchaire compte que de Nicée à Jérusalem les croisés perdirent 600 000 hommes; ce qui pourrait donner un million de pèlerins partis en armes pour la Terre sainte, chiffre qui concorderait également avec les 100 000 chevaliers en heaume et haubert de Foucher de Chartres et de Guibert de Nogent. Quelques relations du temps décrivent l'arrivée des contingents français et flamands en Italie, en Pouille et en Calabre, dans les terres de Bohémond, portant cousue sur leurs vêtements, généralement sur l'épaule, une croix d'étoffe [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, ibid., p. 29-30]

 

Passant en Asie, les barons prennent Nicée puis Antioche. Ils progressent lentement car leurs adversaires sont de redoutables soldats.  

 

Prise de Nicée (26 juin 1097). Et remise de la ville au Byzantins

 

À l'exception du comte de Toulouse et de Tancrède, les chefs croisés avaient prêté serment de fidélité à l'empereur byzantin Alexis Comnène. Ils s'engageaient à lui rendre toutes les anciennes possessions byzantines qu'ils pourraient recouvrer sur les Turcs, de Nicée à Antioche. Ils se reconnaissaient, en terres d'Asie, les vassaux du basileus. En retour, celui-ci s'engageait à les seconder de toutes ses forces, à prendre même la croix, et, s'il ne pourrait les accompagner jusqu'au bout, à adjoindre à leur armée un corps byzantin (ce que fut le corps de Tatikios). Conformément aux termes d'un traité conclu en mai 1097 entre Alexis Comnène et Bohémond, les Croisés entreprirent de chasser les Turcs de Nicée, prise par les Seldjoukides seize ans plus tôt.

 

Bohémond exerçait "les pouvoirs de général en chef, sinon en titre, du moins en fait. Quelle joie pour tous de voir les murs de Nicée inestie de toutes parts ! La plaine était couverte de chevaux luisants, ornés de caparaçons, qui brillaient et sonnaient de la manière la plus agréable. Les raysons du soleil redoublaient d'éclat en se réfléchissant sur les cuirasses; les casques et les boucliers garnis de bronzes doré, jetaient un éclat éblouissant et nos gens, semblables à la tempête, dirigeaient contre les murailles les coups redoublés de leurs béliers. Les Francs opposaient leurs lances aux flèches des ennemis. Du haut des tours de bois on chassait les Turcs de la crête de leurs remparts" [Guibert de Nogent, cité in F. Funck-Brentano, ibid., p. 40-41]. L'empereur Alexis avait fourni les machines de guerre, les hautes tours de bois que les assiégeants poussaient contre les murs, les balistes et les pierriers; les remparts furent minés. Le basileus alla jusqu'à renforcer les effectifs des croisés par un corps de ses propres troupes placé sous les ordres de deux de ses meilleurs capitaines.

"Un poète français du XIIIe siècle peint à cette date l'idéal physique du chevalier français : 'Il semble de son corps une grand' tour carrée'. [Baudouin de Sebour, cité in F. Funck-Brentano, ibid., p. 40] 

 

Bien que l'attaque fût commencée depuis le 14 mai (1097), l'encerclement ne la ville n'était pas complet. Aussi, est-ce du côté de la porte méridionale de l'enceinte que les renforts trucs envoyés par le sultan Arslân comptaient entrer dans la place. Mais ils furent prévenus par le comte de Toulouse et par le légat Adhémar de Monteil qui, arrivés enfin devant Nicée, venaient prendre de côté leur secteur de siège. Quand les renforts turcs se présentèrent, ils se heurtèrent à Raymond de Saint-Gilles qui les mit en fuit. Les têtes des vaincus, lancées parmi les assiégés propagèrent la démoralisation parmi eux: une force supérieure à la force turque venait de surgir, qui pendant un siècle allait faire reculer l'Islam. Une flotte byzantine envoyée par Alexis Comnène ravitaillait les Croisés. 

Alexis accepta la proposition que lui firent les assiégés de capituler entre ses mains. C'est ainsi que, le jour fixé pour l'assaut (19 juin 1097), les Croisés virent subitement flotter sur le haut des remparts, les étendards de l'empire grec.

 

À l'heure où les Croisés se préparaient à escalader les murailes, ils virent flotter sur les tours les étendards impériaux. Après seize ans d'occupation seldjukide, Nicée était redevenue byzantine (26 juin 1097). Le siège avait duré sept semaines, durant lesquelles, malgré les approvisionnements fournis par l'empereur, les souffrances des croisés avaient été cruelles. Nombre d'entre eux étaient morts de faim. Nicée demeura la propriété du basileus.

Sous les murs de Nicée, les Croisés se reposèrent huit jours. Tous les chefs croisés renouvelleront leur serment de fidélité entre les mains de l'empereur Alexis, à l'exception du seul Tancrède qui continuait à s'y refuser.

 

Le 28 juin 1097, l'armée reprit sa marche vers l'Est. Les Croisés firent mouvement sur le plateau de Phrygie, marchèrent sur Dorylée et Iconium, tandis qu'Alexis Comnène devait exploiter la délivrance de Nicée pour reconquérir sur les Turcs les anciennes provinces de Mysie, de Ionie et de Lydie : et cela aussi était une croisade.

Autour de l'ost en marche, les cavaliers turcs, sur leurs agiles montures, apparaissaient subitement, voltigeant comme frelons autour d'une ruche à miel. Ils leur lançaient des dards et combattaient tout en fuyant, tirant des flèches sur ceux qui les poursuivaient.

Une armée importante amenée par le sultan seljoukide Arslan au secours des Turcs assiégés dans Nicée, rencontra les croisés dans la plaine de Dorylée, le matin du 1er juillet 1097.

 

La bataille de Dorylée (1er juillet 1097)

 

Renseignés par leurs espions, l'émir et le sultan connaissaient la route prise par les croisés et convinrent de les intercepter. Ils croyaient les exterminer en un moment, car personne n'avait pu résister jusqu'ici aux attaques tourbillonnantes de la cavalerie turque ! Le matin du 1er juillet, l'armée de Bohémond fut entourée brusquement par une multitude hurlante. Plusieurs des principaux chefs francs, Godefroi de Bouillon, Raymond, Hugues le Grand, comte de Vermandois, frère du roi de France, avaient momentanément quitté le gros de l'armée avec leurs hommes. Bohémond, qui commanda en cette journée, ne perdit pas son sang-froid. Il jugea d'un coup d'oeil la situation, fit mettre ses cavaliers à terre, disposa ses fantassins et, quand il en était encore temps, envoya un messager à Godefroy de Bouillon.

Les Turcs, au jugement de Foucher de Chartres, étaient 360 000, tous à cheval, armés d'arc et de flèches.

Les Turcs commencèrent l'attaque avec des cris furieux, en faisant pleuvoir sur leurs adversaires une grêle de flèches. Bohémond soutenait les siens avec une rare énergie, mais en dépit de ses efforts, les Chrétiens pour lesquels cette guerre était d'un genre nouveau - hormis peut-être pour Bohémond -, s'étaient repliés vers leurs chariots; et concentrés en leur camp, ils opposèrent une résistance acharnée, quand survinrent Godefroi de Bouillon et Hugues le Grand à la tête de leurs contingents. Alertés, ceux-ci accouraient en toute hâte.

Hugues de France, dit Hugues le Grand, Comte de Vermandois

Hugues de France, dit Hugues le Grand, Comte de Vermandois

L'Anonyme de la croisade signale que les femmes exhortaient les combattants à la défense, leur portaient à boire.

La tactique de la légère cavalerie turque était toujours la même: ne pas attendre le corps à corps avec la lourde chevalerie franque, fuir devant elle, tout en la criblant de flèches à la vieille manière parthe, puis quand les chevaux bardés de fer étaient essoufflés avec leurs cavaliers, faire une brusque volte-face, tomber sur les poursuivants dispersés et hors d'haleine et les massacrer sous le nombre. [R. Grousset, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 462

Les cavaliers trucs étaient assez mal protégés. Au contraire, les chevaliers francs portaient une cotte de maille et les fantassins un gilet de cuir souvent renforcés de macles. Pourtant la multitude des assaillants était telle que les croisés devaient nécessairement succomber. Ce désastre eût, sans le moindre doute, paralysé la croisade et changé le cours des évènements. Mais vers deux heures de l'après-midi - on se battait depuis plus de cinq heures - Godefroy et ses Lotharingiens apparurent. Dès qu'il avait été prévenu par le coureur de Bohémond, il avait foncé au grand galop vers Dorylée. Les autres chefs suivaient à quelque distance. Les croisés reprirent courage, tandis que les musulmans faiblissaient. 

Croisé à cheval

Croisé à cheval

Les chrétiens poussèrent leur attaque, rompant les phalanges turques. C'est à ce moment que le légat Adhémar de Monteil, ci-devant chevalier, joua un rôle capital : il suggéra à Raymond de Saint-Gilles d'envelopper les Turcs au lieu de les attaquer de front. Ceux-ci firent alors connaissance avec la lourde cavalerie franque. Leurs escadrons furent broyés. Craignant d'être encerclé, le sultan et l'émir ordonnèrent la retraite. Ce fut en réalité une débandade. Les Turcs fuyaient par monts et par vaux. Les Croisés firent un butin considérable. Ils s'emparèrent même du trésor de guerre d'Arslan.

 

Cette journée de Dorylée gommait la déroute de l'empereur Romain Diogène à Mantzikert. Les Turcs seldjoukides y perdirent leur réputation d'invincibilité. Le chroniqueur de la Gesta francorum écrit : "Ils croyaient effrayer les Francs par la menace de leurs flèches comme ils ont effrayé les Arabes, les Arméniens, les Syriens, les Grecs. Mais s'il plaît à Dieu, il ne prévaudront jamais les nôtres. À la vérité, ils prétendent que nul à part les Francs et eux, n'a le droit de se dire chevalier.[Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 43-44]

Croisés. Image tirée du film de Ridley Scott, "Kingdom of heaven"

Croisés. Image tirée du film de Ridley Scott, "Kingdom of heaven"

Les combats livrés entre Chrétiens et Sarrasins en Terre sainte ne furent généralement que des combats de chevalerie sur terrain plat; l'infanterie ne commencera à jouer un rôle actif dans les combats qu'avec la fin du XIIIe siècle, après les procédés stratégiques nouveaux introduits par les Flamands.

 

Après leur victoire de Dorylée, les croisés continuèrent leur marche, traversant la petite Arménie où tout avait été intentionnellement dévasté par les Turcs. Ils franchirent le Taurus et se dirigèrent sur Antioche. Ils avaient à passer par un fouillis de cimes hérissées que l'auteur des Gestes nomme "la montagne diabolique", les chaînes parallèles de l'Anti-Taurus aux cols élevés. Ils n'étaient pas vêtus pour de pareilles expéditions. Arrivés en Cilicie, ils se trouvèrent en contact avec des populations chrétiennes qui pourvurent à leurs besoins les plus urgents.

 

La foi et la forte discipline féodale soutenaient l'armée. On y parlait des langues les plus diverses, car il y avait là des Français, des Flamands, des Frisons, des Gallois, des Bretons, des Lorrains, des Rhénans, des Normands, des Écossais, des Anglais, des Aquitains, des Italiens, des Ibères, des Daces, des Grecs et des Arméniens. "Mais si nous étions divisés par tant de langues, nous n'en étions pas moins unis dans l'amour de Dieu". [Foucher de Chartres, cité in F. Funck-Brentano, ibid., p. 49] 

 

La victoire de Dorylée avait eu un retentissement considérable dans le monde musulman. Il n'est pas douteux qu'elle fût connue jusqu'aux confins de la Perse et de la Palestine. Mais l'empire seldjoukide était morcelé de telle sorte que chacun de ses états qui le composaient n'avaient en vue que ses intérêts immédiats. On ne prêtait aucune signification particulière au fait que les envahisseurs portaient une croix sur l'épaule. On les assimilait aux Romains', c'est-à-dire aux Byzantins, ou à des mercenaires que le basileus employaient fréquemment. On estimait donc qu'il s'agissait d'une contre-attaque byzantine, par conséquent d'une guerre de type ordinaire

Conformément aux accords d'avril, les croisés remirent les places qu'ils avaient conquises aux représentants d'Alexis. Les étendards impériaux flottaient de nouveau sur Nicée, Héraclée, Césarée et Mar'ash. En quelques mois, l'empereur avait recouvré les trois quarts de l'Anatolie. L'opération se soldait par des gains inespérés.

Cependant, Tancrède et Baudouin de Boulogne avaient quitté la croisade pour libérer la Cilicie. Ils prirent facilement Tarse, Adana, Marmistra, grâce aux Arméniens. C'est ainsi que Baudouin s'empara sans coup férir du comté d'É desse, le premier état franc qui fut fondé.

 

Siège et prise d'Antioche (3 juin 1098) 

Croisades

De Tarse, les croisés reprirent leur marche à travers la Syrie aride. "Nous n'avions guère à manger que les épines (aloès et cactus) que nous arrachions, dit l'auteur des Gestes. Nos chevaux périrent presque tous et nos chevaliers étaient contraints d'aller à pieds, à moins de chevaucher des boeufs."

Le 20 octobre 1097, l'armée atteignit enfin Antioche, sur la rive gauche de l'Oronte. Capitale de la Syrie et troisième ville de l'empire romain du temps du Christ, Antioche était la ville antique fondée par le successeur d'Alexandre le Grand en Syrie, Séleucos Ier, métropole dont la population fut très tôt à majorité chrétienne suite à l'évangélisation de Saint Barnabé et Saint Paul.  

Le siège d'Antioche dura sept mois, du 21 octobre 1097 au 3 juin 1098. "Il est possible,écrit R.Grousset, que cette interminable immobilisation eût pu être évitée si, dès les premiers jours, les Francs avaient profité de l'effet de surprise pour attaquer la ville."

Albert d'Aix décrit complaisamment l'arrivée des croisés à Antioche "couverts de leurs boucliers resplendissants, dorés, verts, rouges et de diverses autres couleurs, déployant leur bannières d'or et de pourpre, enrichies d'un beau travail, montés sur des chevaux excellents pour la guerre, revêtus de leurs cuirasses et de leurs casques éclatants.

Bohémond de Tarente établit son camp en face de la porte Saint-Paul. Hugues de Vermandois, Robert Courteheuse, Robert de Flandre et Etienne de Blois, entre la porte Saint-Paul et la porte du Chien. Raymond de Toulouse et les Méridionaux, au nord-ouest, ainsi que Godefroy de Bouillon et les Lotharingiens qui firent face à la porte du Duc (ou du Jardin). La Porte du Pont, à lOuest, et celle de Saint-Georges, au sud, permettaient à la garnison de communiquer à l'extérieur. Pour Georges Bordonove, "brusquer l'assaut, comme le suggéra, paraît-il, Raymond de Toulouse, n'avait aucun sens. Les Turcs n'étaient nullement saisis de panique.

[...] Les Turcs effectuèrent plusieurs sorties, soit à la pointe soit au déclin du jour. Ils parvinrent jusqu'au camp des croisés, tuèrent ou capturèrent plusieurs hommes, dont un archidiacre auquel ils tranchèrent la tête; ils prirent même une femme qui fut elle aussi décapitée après avoir été abondamment violée." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 53]

Une expédition de ravitaillement ayant échoué, la famine dans le camp des croisés ne fit que croître. Sans l'aide des Arméniens et des chrétiens syriaques, toute l'armée eut risqué de périr. [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 141-144]

Les Etats latins d'Orient in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p. 55

Les Etats latins d'Orient in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p. 55

Antioche sur l'Oronte, construite en étages au flanc du Mont-Cassin, était la capitale de la Syrie entière. Les califes fatimides d'Égypte conquirent la Syrie sur les Chrétiens qui la reprirent en 969, pour la voir tomber entre les mains des Turcs d'Asie (Seldjoukides), mais Antioche même, en ses fortifications défensives, était demeurée aux empereur byzantins jusqu'en 1085, date où s'y installa un prince seldjoukide. D'où l'importance qu'attachait l'empereur Alexis au recouvrement de l'illustre cité grecque.

Les croisés se heurtèrent dans Antioche à une imposante garnison musulmane. La ville était en outre protégée par sa position naturelle, par le cours de l'Oronte et par sa situation à flanc de la montagne; ses murs, renforcés de quatre centre cinquante tours massives, la ceignaient d'un rempart de pierre d'une épaisseur telle qu'un char y pouvait rouler au sommet. 

Cependant, parmi les Francs, la famine devenait de plus en plus affreuse. "Tous les environs, écrit Foucher de Chartres, avaient été épuisés par nos troupes". Les croisés en été réduits à se nourrir d'herbes, d'écorces, de racines; ils mangeaient leurs chevaux, leurs ânes, leurs chameaux, leurs chiens, et jusqu'aux souris et aux rats; ils dévoraient les courroies et les lanières de cuir dont se composaient les harnachements de leurs montures. Pour comble de misère, leurs tentes étaient en loques, pourries, déchirées; nombre d'entre eux n'avaient plus d'autre abri que la voûte étoilée.

Un premier combat, livré le 9 février 1098 sur les bords du lac d'Antioche, entre Turcs et Chrétiens, fut à l'avantage des derniers; de leurs ennemis, ils tuèrent un grand nombre. Ici encore, Bohémond avait su déployer ses belles qualités de vaillant guerrier et d'habile stratège. Il savait qu'entre toutes les places de Syrie que les croisés s'étaient engagés à remettre entre les mains de l'empereur Alexis, Antioche était celle à laquelle celui-ci tenait le plus. Mais Antioche, si belle, si riche, si puissante par ses murailles, constituait un appât irrésistible pour Bohémond; il rêvait d'une principauté indépendante, dont lui, Bohémond, serait le prince et Antioche la capitale. L'exemple de Baudouin de Boulogne prospérant dans sa principauté d'Édesse le hantait. On avait appris qu'à peine veuf il avait épousé une princesse indigène et qu'à la faveur de ce mariage il avait doublé son territoire ! Ayant pris sa décision, Bohémond manoeuvra supérieurement. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 55]

Or, il y avait dans Antioche un émir arménien renégat, mot arabe qui signifie commandant, que les chroniqueurs français de l'époque traduisent par amiral. Il avait la garde de trois tours, des plus importantes pour la défense d'Antioche assiégée. Il se nommait Firouz. Et Bohémond avait trouvé le moyen d'entrer en rapport avec lui. Il lui promit de le faire réintégrer dans la religion chrétienne, puis le combla des plus riches présents. En fait, on verra notre Firouz recevoir à nouveau le baptême, redevenir chrétien, porter le nom même de Boémond, et prendre part à l'expédition des croisés jusqu'à la prise de Jérusalem. Il est vrai que dans la suite il apostasiera une seconde fois, reprendra son nom de Firouz, pour finir sa vie dans le mahométisme, à moins qu'il ne se soit fait chrétien une troisième fois. [F. Funck-Brentano, Les Croisades, ibid., p. 62-63]

"Le conseil de l'armée décida de chasser 'les folles femmes et servantes de mauvaise vie'. On menaça de châtiments sévères les adultères et fornicateurs, les ivrognes, les joueurs impénitents, et bien entendu les déserteurs. Bohémond était l'inspirateur discret de ces mesures. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 55]

Fîrûz entra en correspondance avec Bohémond, lui offrant, moyennant certains avantages, de lui livrer la tour des Deux-Soeurs." [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 159]  

C'est alors que Bohémond insinua à ses pairs, chefs de la croisade, que décidément il ne lui était plus possible de poursuivre la guerre contre les infidèles; les frais en étaient pour lui trop lourds, les dépenses excessives, ses hommes et lui-même étaient épuisés; il se disposait à retourner en Italie. Malice cousue de fil blanc. Elle n'en eut pas moins l'effet attendu. Les chefs de la croisade comprirent que la lutte, en s'éternisant, réduisait de jour en jour toute chance de succès; et ils décidèrent à entrer dans les vues du prince de Tarente. Antioche serait à qui en assurerait la prise. "Pour retenir le prince normand les autres barons, à l'exception de Raymond de Saint-Gilles, lui promirent que, dès qu'Antioche serait prise, on lui en laisserait la possession. [...] Passant outre à la résistance obstinée du comte de Toulouse, les barons, Godefroi de Bouillon le premier, se désistèrent en faveur de Bohémond de leurs droits sur Antioche et lui donnèrent tout pouvoir pour diriger la prise de la ville (29 mai 1098)."  [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 147; 160]

René Grousset narre à cette occasion un stratagème de Bohémond à l'égard des Byzantins : "[C]omme le fait observer Chalandon, la présence au siège d'Antioche du corps byzantin que commandait Tatikios était un obstacle à l'exécution de ce plan. Nul doute que, s'il se trouvait encore là au moment de la prise d'Antioche, le général byzantin exigerait l'exécution des engagements jurés envers le basileus, la remise de la place entre ses mains. Éventualité embarrassante. [...] Pour la faire disparaître, Bohémond [...] affecta de prévenir Tatikios des intentions hostiles que les autres barons auraient nourries contre l'envoyé byzantin : Ceux-ci, accusant Tatikios de les trahir avec les Turcs, étaient à la veille de lui faire un mauvais parti ! L'intrigue, habilement menée, réussit, Tatikios crut Bohémond. Il prit peur et, en janvier ou février 1098, sous prétexte d'aller chercher des secours, il quitta le camp et courut à Saint-Siméon s'embarquer pour Chypre. Le plaisant est que pour remercier Bohémond de ses avis, il lui aurait cédé au nom de son maître les trois villes ciliciennes de Tarse, Adanet Marmistra; Bien entendu, dès qu'il fut parti, Bohémond ameuta toute l'armée contre sa défection. L'opinion des chroniqueurs latins est unanime à ce sujet : 'Tatic' 'Tetigus' a déserté par peur à la nouvelle que les Turcs envoyaient une grande armée au secours d'Antioche. Il devint 'notre ennemi' : 'Cet ennemi s'en alla...' Et avec lui, c'était tout l'empire byzantin qui se déshonorait moralement, perdant, du coup, tout droit à l'exécution du traité de Constantinople. Ce traité, il était rompu par les Byzantins eux-mêmes, du fait de leur 'défection'. Cette défection déliait les croisés de leur serment. Réduits à prendre Antioche à eux seuls, ils pourraient la garder pour eux seuls. La subtile politique de Bohémond avait réussi.

[...] L'homme se présente à nous avec une verdeur exceptionnelle. Certains de ses stratagèmes de guerre ont l'allure de plaisanteries énormes, encore qu'un peu rudes, au demurant fort efficaces." [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 147-148]

Bohémond n'était pas seulement rusé comme un renard, il savait aussi se montrer féroce. Les espions infestaient le camp, soit qu'ils se prétendissent chrétiens, soit qu'ils se convertissent, ils renseignaient les assiégés. Les barons voyaient toutes leurs décisions éventées à l'avance. 

'Frères et seigneurs, dit Bohémond, laissez-moi me charger seul du soin de cette affaire ! ...'

À la nuit tombante, comme d'ordinaire, on était occupé à préparer le souper, il fit égorger quelques prisonniers turcs, appela ses bouchers et leur ordonna de les cuire à la broche. Ils allumèrent un grand feu et rôtirent les cadavres comme des moutons. Ceux qui n'étaient pas de service accoururent pour voir cette 'merveille' de leurs yeux. Cette sinistre plaisanterie s'avéra efficace. Tous les espions profitèrent de la nuit pour déguerpir. Ils répandirent le bruit que les croisés étaient 'plus durs que la roche et le fer', qu'ils dépassaient en cruauté les ours et les lions, mangeant leurs proies toutes crues, alors que ceux-là les cuisaient avant de de s'en repaître !" [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 56]

L'histoire des espions musulmans nous est rapportée par Guillaume de Tyr. Le chroniqueur ici s'amuse, à la manière de son héros de cette plaisanterie féroce. "L'astucieux chef normand, inaugurait un système de terreur parfaitement calculé, destiné à démoraliser d'avance le monde de l'Islam." [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 149]

"Telle était la réputation de ces 'bêtes fauves' que l'on commençait à dissocier des 'Romains' (les Byzantins) pour les appeler 'Franj' (Francs)!" [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 62]

Antioche- Prise d'Antioche, 3 juin 1098, Louis Gallait, 1842, Collection Louis-Philippe

Antioche- Prise d'Antioche, 3 juin 1098, Louis Gallait, 1842, Collection Louis-Philippe

Peu après l'accord intervenu entre les chefs croisés, les Gestes relatent précisément la prise d'Antioche avec l'escalade de Bohémond:

 

Conformément aux ordres de Bohémond, le soir du 2 juin, l'armée croisée affecta de partir à la rencontre de Kurbuqa, l'infanterie filant par le sud du Silpios, les chevaliers remontant le cours de l'Oronte. le change étant ainsi donné aux assiégés, les troupes marchèrent toute la nuit, puis, en silence, avant le lever du jour, elles se rejoignirent et se massèrent sous la Tour des Deux Soeurs où Fîrûz attendait Bohémond. D'après les calculs de M. Bréhier, quatre heures du matin approchaient lorsque l'escalade de la tour commença. Selon Guillaume de Tyr ce serait Bohémond qui aurait le premier atteint la fenêtre où l'attendait Fîrûz. L'anonyme des Gesta francorum précise: soixante Francs grimpant à la première échelle. Toutes les tours du côté sud sont occupées à tâtons, dans la pénombre. Les premiers arrivant, aidés des chrétiens indigènes d'Antioche, ouvrent ensuite au gros de l'armée les portes de la ville, à commencer par la Porte du Pont. [...) Dès la première apaprition des troupes franques dans les rues, les chrétiens indigènes, tant syriens qu'Arméniens, firent cause commune avec elles."  [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 161-162]

 

"Dans la nuit les chevaliers tinrent la plaine, les piétons les montagnes. À l'aurore ils approchèrent des tours dont le gardien (Firouz) avait veillé toute la nuit, Bohémond mit pied à terre et donna ses instructions. Une échelle était appliquée au mur. Soixante des nôtres, environ, l'escaladèrent et furent répartis entre les trois tours, où ils se mirent à crier : 'Dieu le veut!' Alors commença l'escalade merveilleuse. On atteignit enfin le faîte et courut aux autres tours." [F. Funck-Brentano, ibid., p. 64-65]

 

En attendant, la joie des chrétiens de nouveau maîtres d'Antioche (3 juin 1098), fut de courte durée.

 

Kerbogha

Dès le 5 juin, Kerboga, calife (ou atalabeg) de Mossoul, alerté par Jaghi-Sian, l'émir fatimide qui avait défenu la ville, parut à l'horizon. L'émir de Jérusalem, était venu renforcer son armée avec les troupes dont il disposait, Kerboga avait reçu d'autres renforts encore, en sorte qu'il se trouvait à la tête de forces imposantes, 500 000 ou 600 000 hommes, si nous en croyons les relations. Il aurait sauvé Antioche s'il ne s'était arrêté trois semaines au siège d'Édesse où le comte Baudoin, frère de Godefroi de Bouillon, s'était enfermé.

Après un long siège de huit mois, "les armées croisées, qui sortaient de la ville pour combattre celles de Kurbuqa (ou Kurbuga), étaient accompagnées par une solennelle procession d'évêques, de prêtres, de clercs et de moines, tous en habits sacerdotaux, portant des croix et priant le Seigneur de les délivrer des périls et du mal.

 

D'autres clercs se tenaient sur les murailles, levant aussi des croix vers le ciel, priant et bénissant les croisés.

Quelques heures plus tard, alors que le sort des armes semblait incertain, ils virent "une grande troupe de cavaliers montés sur des chevaux blancs, et portant de blanches bannières, dévalant des montagnes". Ils en furent d'abord effrayés, mais reconnurent bientôt que c'était là l'aide de Dieu et se rappelèrent qu'un prêtre, nommé Étienne, le leur avait prédit; cette puissante armée "était conduite par Saint-Georges et par les bienheureux Démétrius et Théodore".

 

Saint Georges et le dragon, Anton Dominik Fernkorn, Zagreb, Croatie

Saint Georges et le dragon, Anton Dominik Fernkorn, Zagreb, Croatie

Pierre Tudeborde, historien de cette croisade, clerc et croisé lui-même, prend soin d'ajouter: "A tout ceci nous devons croire car de nombreux chrétiens l'ont vu". [Pierre Tudeborde, Historia de Hierosolymitano itinere, éd. J.H. et L.L. Hill, 1977, p. 87, cité in Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 110-111] 
 

« [...] L'Église chrétienne des premiers siècles était pacifique et même pacifiste, à l'imitation de Jésus. Elle prônait le refus des armes et de la guerre. [...] Au IVe siècle (l'empire devenu chrétien), face aux invasions barbares, Saint Augustin ébauche une doctrine de la guerre juste: c'est une guerre défensive ordonnée par le pouvoir légitime (l'empereur romain) pour protéger les populations désarmées des attaques des envahisseurs. [...] En 1095, cette idée s'est déjà répandue. Plusieurs chroniques affirment qu'à Antioche, en juin 1098, lors de la bataille victorieuse des chrétiens contre l'armées musulmanes de Kurbuqa (l'Atabeg de Mossoul), les croisés ont reçu le secours des armées célestes dirigées par les saints du paradis. [...] Il a ainsi fallu plus de mille ans pour que l'Église chrétienne, d'abord pacifiste, adopte l'idée d'une guerre sainte. [...] Dans l'islam, en revanche, l'idée de guerre sainte apparaît dès l'origine, cautionnée à la fois par le Coran et par l'attitude même du prophète Mohammed.

 

 

La bataille de Badr, Musée impérial de Topkapi d'Istanbul

[...] Contrairement au Jésus pacifiste de l'Évangile, le prophète Mohammed se comporte en chef d'État et en chef de guerre. La tradition musulmane n'hésite pas à le montrer prêchant la guerre sainte contre ses adversaires. Ainsi, à la bataille de Badr (en Arabie Saoudite), il exhorte ses guerriers. [...] Cette bataille se situe en 624, plus de trois siècles avant le premier indice d'une notion de guerre sainte dans la chrétienté médiévale. [...] La doctrine du djihad guerrier est originelle. Elle existe dès l'époque du Prophète et du Coran. Dans le christianisme, elle est totalement contraire à l'enseignement originel de Jésus et de l'Église des premiers siècles. Elle n'est acceptée dans l'Église occidentale qu'au terme d'une évolution (ou plutôt d'une véritable révolution) de près de mille ans. [...] Le dihad guerrier musulman précède la guerre sainte chrétienne de plusieurs siècles, mais ne semble pas l'avoir inspirée. Le djihad naît et se développe dans un contexte de conquête, par les musulmans, de territoires jadis chrétiens. La guerre sainte chrétienne naît dans un contexte de défense, puis de reconquête de ces territoires. [...] Il s'agit en effet pour les croisés de rendre la chrétienté à Jérusalem, berceau du christianisme, premier des lieux saints chrétiens. » [Jean Flori, Idées reçues sur les croisades, Éditions Le Cavalier Bleu, 2e éd., Paris 2018, p. 23]

 

Foucher de Chartres relate ainsi les faits : "Les Turcs ne laissèrent aux chrétiens que peu de temps pour jouir de leur succès et pleurer leurs morts. Dès le lendemain, le 4 juin 1098, une forte armée attaquait et anéantissait complètement, massacrant jusqu'au dernier homme la petite garnison franque qui gardait le pont de Fer.

 

Le 7 juin, les Turcs achevaient d'investir la place d'Antioche; les croisés se trouvaient alors enfermés dans un piège, assiégés à leur tour, pris entre les camps des ennemis et la citadelle qui leur résistait toujours. Kurbuqa avait rassemblé sous son commandement une troupe considérable et, cette fois, à peu près réalisé l'unité des émirs. L'avaient rejoints l'émir de Damas et même, venu de plus loin mais se sentant directement menacé par les Francs, l'émir Soqmân dont les terres se situaient, pour une large part, en Palestine, dans la région de Jérusalem. Ils arrivèrent à la tête de "cent mille Turcs avec femmes et enfants, avec leurs tiares d'argent et d'or, leurs vêtements précieux, et quantité d'animaux, chevaux, boeufs, boucs, brebis et chameaux". Et Foucher de Chartres, qui se veut le mieux renseigné de tous nos auteurs, de dresser une liste impressionnante de ces chefs "que l'on nomme émirs": pas moins de vingt-huit noms présentés en vrac, sans les identifier d'aucune façon, sans dire d'où ils venaient: Corbogah, Maladucac, Soliman, Maraon, Coteloseniar..." (Foucher de Chartres, éd. F. Guizot, 1825, p. 51).

 

"Mais Kurbuqa s'était d'abord attaqué à Édesse, qu'il estimait indispensable de conquérir avant d'aller plus avant. Il y perdit trois semaines, du 4 au 26 mai, en assauts inutiles et meurtriers, incapables de briser la résistance de Baudouin. Il trouva les Francs maîtres de la ville, assiégés certes, mais à l'abri de hauts murs qui n'avaient rien perdu de leur puissance. Plusieurs attaques en force furent aisément repoussées et lui coûtèrent beaucoup d'hommes. Renforcer le blocus devait payer davantage. Lui-même et ses alliés s'en prirent d'abord aux villes, bourgs et châteaux habités par les chrétiens susceptibles d'aider les croisés. "Ils allèrent attaquer Tell-Mennes parce qu'ils avaient appris que les habitants de ce pays étaient en correspondance avec les Francs et les excitaient à faire la conquête de la Syrie". Ils les frappèrent d'une contribution,... et ils prirent un grand nombre d'otages qu'ils firent expédier à Damas. (Chronique d'Alep in Fragmenta operis Mirât al-Zemân, textes traduits en langue française, p. 580-581).

 

Dans Antioche assiégée, Kerbôga intercepta les communications des croisés avec la mer. Et les horreurs de la famine ne tardèrent pas à reparaître, aggravées par les horreurs de la peste. On mangeait les feuilles des figuiers et de la vigne que l'on faisait bouillir, jusqu'à des chardons; on faisait macérer des peaux desséchées de chevaux, de chameaux, de boeufs, de buffles, pour en faire des aliments. Nombre de croisés se nourrissaient du sang de leurs chevaux dont ils suçaient les veines, ne voulant pas les tuer, car ils s'obstinaient à espérer. Et les désertions reprirent. La nuit du 11 au 12 juin 1098 fait date: elle marque la fuite funambulesque de Guillaume Grandmesnil et de son frère Aubri; de Gui Trousseau, seigneur de Montlhéry, du comte Lambert de Clermont-lès-liége, et de leurs compagnons. Aussi le pape Pascal II, par lettres adressées aux évêques des Gaules en janvier 1099, prononcera-t-il contre eux l'excommunication.

 

La Sainte Lance: la victoire

 

Cependant, la foi soutenait la vaillance des assiégés, fortifiée par des visions et par des rêves mystiques; enfin l'invention de la Sainte Lance, dont le flanc du Christ avait été percé, trouvée le 14 juin 1098, sur les indications d'un prêtre provençal, Pierre Barthélémy, redonna courage à tous. Ce merveilleux épisode est rapporté par des témoins de la croisade, par l'auteur des Gestes et par Raymond d'Aguilers. Saint André serait apparu par trois fois à Pierre Barthélémy, de la suite du comte de Toulouse, pour lui faire connaître l'endroit où, sous l'autel de l'église Saint-Pierre à Antioche, la sainte lance, qui avait percé le flanc du Christ crucifié, serait retrouvée : "Quiconque portera cette lance dans la bataille ne sera jamais vaincu", dit l'apôtre.

Découverte de la sainte Lance. Passages d'outremer

Découverte de la sainte Lance. Passages d'outremer

"Un prêtre nommé Pierre Barthélemy vit en songe l'apôtre André lui prédire la victoire et lui indiquer l'endroit où cette Lance était enfouie; puis les recherches et la découverte, le 14 juin 1098. Deux visions, quelque temps auparavant, avaient été communément acceptées comme miraculeuses: celle d'un clerc français, Etienne Valentin, qui vit le Christ assurer les Francs de son aide si, dans les cinq jours, ceux-ci cessaient de pécher et de forniquer avec les femmes, tant païennes que chrétiennes, et s'ils se rassemblaient tous les matins auprès des autels pour prier et chanter des psaumes" [W. Porges, The Clergy, the Poor and the Non Combattants on the First Crusade, in Speculum, 1946, p. 1-23].

Robert le Moine, autre chroniqueur attentif, décrit avec force détails propres à emporter la conviction, le songe miraculeux où sont apparus, non seulement l'apôtre André, mais le Christ, la Vierge et saint Pierre. Il affirme que ce n'est pas le prêtre Pierre qui a trouvé la lance mais treize hommes, qui fouillèrent le sol de l'église du matin jusqu'au soir. Il rappelle que "la nuit étant venue, il apparut dans le ciel une flamme partant de l'Occident qui alla tomber dans le camp des Turcs." (Robert le Moine, Histoire de la première Croisade, éd. F. Guizot, Paris 1825, p. 406-411).

Adémar de Monteil, le prudent évêque du Puy, représentant le Saint-Siège à la tête de l'armée des Croisés, traita Barthélémy de faible, refusant de le croire; mais Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse à qui Barthélémy appartenait, reçut sa déclaration d'une âme enthousiaste. Il serra le prêtre dans ses bras. On exécuta les fouilles à la place indiquée et la précieuse relique apparut. Allégresse et transports ! Il fut décidé de sortir aussitôt de la ville et de marcher contre Kerbôga. Visiblement soutenue par l'armée du ciel, ce fut alors la première fois que l'armée chrétienne se donna un capitaine. Le choix des chefs de l'armée tomba sur le prince de Tarente, Bohémond, pour une durée de quinze jours. Dans les circonstances le choix ne pouvait être plus heureux. Seul parmi les capitaines des croisés, il s'entendait à faire manoeuvrer la "piétaille".

Avant d'en venir aux mains, le 27 juin 1098, Bohémond envoya cinq messagers à l'émir Kerbôga pour lui enjoindre de se retirer. À leur tête était Pierre l'Ermite, de la croisade des Pauvres qui fut anéantie.Celui-ci parla avec fougue et une autorité dont le Sarrasin ne laissa pas d'être impressionné; mais Kerbôga se ressaisit et fit répondre que les Francs avaient le choix entre leur conversion au Croissant et la mort. Bohémond se résoulut à la bataille décisive.

Pour se préparer au combat, trois jours durant les chevaliers chrétiens jeûnèrent, puis, suivis de la foule des pèlerins, firent de pieuses processions d'une église à l'autre, se confessèrent, communièrent, distribuèrent des aumônes et firent célébrer des messes. La bataille fut livrée le 28 juin 1098. Les croisés étaient dans un état de délabrement pitoyable; nombre d'entre eux à peine vêtus. La plupart des chevaliers marchaient à pied; d'autres étaient montés sur des ânes ou des chameaux; mais ils étaient animés d'une ardeur qui doublait leurs forces.

On peut ici évoquer le rôle important de la femme dans la Croisade. La description de la bataille d'Antioche par Richard le Pèlerin, un jongleur français du Nord de la France, et Graindor de Douai serait à reproduire en entier. Richard en fut spectateur. Son récit s'anime d'un souffle épique. Les Chrétiens sortent d'Antioche, franchissent l'Oronte, pour venir offrir la bataille à Kerbôga.

Les femmes des croisés vont elles-mêmes prendre part à l'action.

Elles se lient leurs guimpes sur le haut de la tête, pour les défendre contre le vent,

Elles prennent des pierres dans leurs manches pour les jeter sur les Sarrasins.

Et les autres d'eau douce emplissent des bouteilles (Chanson d'Antioche, Chant VIII, v. 482.) 

 

La Sainte Lance était portée en tête de l'armée chrétienne par le chroniqueur Raymond d'Aguilers, chapelain du comte de Toulouse, promu au sacerdoce durant le pèlerinage : "J'ai vu moi-même ce que je rapporte, dit-il en sa relation, et je portais la lance du Seigneur".

Évêques, prêtres, clercs et moines, en draps d'Église, portant des croix, sortirent avec les hommes d'armes, élevant au ciel leurs prières et leurs chants.

L'auteur des Gestes, qui prit part à l'action, s'exprime ainsi : "On vit descendre des montagnes des masses innombrables de guerriers montés sur des chevaux blancs et précédés de blancs étendards. Les nôtres ne pouvaient comprendre quels étaient ces guerriers; mais enfin ils reconnurent que c'était une armée de secours envoyée par le Christ et commandée par Saint-Georges, Saint Mercure et saint Demetrius". L'excellent chroniqueur ajoute : "Ceci n'est point un mensonge : beaucoup l'ont vu".

Le camp des Turcs tomba entre les mains des chrétiens avec d'abondantes provisions: or, argent, un nombreux mobilier, et du bétail, boeufs et brebis, des chevaux et des bêtes de somme. Les Chrétiens se trouvaient maîtres de la Syrie entière. Bohémond fit valoir la promesse qui lui avait été faite de lui attribuer la suzeraineté de la ville si elle était prise par ses soins. 

La Syrie souffrant d'une extrême sécheresse, la marche sur Jérusalem sera différée jusqu'en novembre suivant.

Plus tard, Saint-Georges devait encore apparaître aux croisés à la veille de la prise de Jérusalem sur le mont des Oliviers. [F. Funck-Brentano, ibid., p. 67-72; 80]

 

"La découverte de la Sainte Lance suscita l'allégresse générale, un regain de ferveur et d'espérance. Bohémond comprit que c'était l'occasion ou jamais de passer à l'offensive. Il avait discerné un flottement dans l'armée turque. [...] Il était cependant téméraire, sinon même insensé, que de songer à l'attaquer. Ce fut pourtant ce que décida Bohémond. Il sut en convaincre les autres barons. le comte de Toulouse était malade, ce qui simplifia la discussion. [...] Le 28 juin, au matin, il fit sortir son armée par la Porte du Pont et l'aligna face à la colline de la Mahomerie. Il offrait le combat à Kourbouqa. L'armée se réduisait à six escadrons !

 

 

Malgré les conseils de ses émirs, l'atalabeg laissa les croisés prendre leurs positions de combat. Au lieu de lancer ses archers montés, il attendit l'attaque des croisés, persuadé qu'il les exterminerait jusqu'au dernier. Bohémond fit sonner la charge. L'atalabeg tenta une manoeuvre d'enveloppement. Bohémond la déjoua en formant un septième escadron. Les guerriers vêtus de fer enfoncèrent le centre des perses. Les Turcs furent pris de panique. Les Francs les poursuivirent et les massacrèrent impitoyablement." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 61]

 

Selon Jacques Heers, "les Chrétiens sortirent d'Antioche par la porte du Pont. Ils se présentèrent forcément par petits groupes très vulnérables mais Kurbuqa préféra attendre pour les combattre tous ensemble; ils eurent le temps de se rassembler et de se déployer en bon ordre, de l'autre côté de l'Oronte, à l'Ouest. Là encore, ils l'emportèrent par la charge de leur cavalerie, enfonçant les rangs des ennemis dès le premier assaut. Plusieurs chefs turcs firent défection, et, aussitôt, tous prirent la fuite, poursuivis loin de la ville, sans aucune possibilité de se regrouper, complètement débandés, courant dans tous les sens, à la merci des habitants des villages, Arméniens et Syriens chrétiens, qui les massacraient.

 

Les Croisés mirent à sac le camp de Kurbuqa laissé sans défense et ramenèrent dans Antioche un énorme butin: "Grant planté de richèce d'or et d'argent et de pierre précieuses, vaisseaux de diverses façons et tapiz et dras de soie" (cité par René Grousset, Histoire des Croisades et du royaume franc de Jérusalem, Paris 1934-1936, 3 vol., rééd. 1992, p. 105). Plus boeufs et moutons, des provisions de toutes sortes, en si grandes quantité qu'ils ne pouvaient tout porter.

 

"Les croisés étaient sortis du piège, délivrés de l'encerclement, vainqueurs d'une formidable armée, appelée de toutes les villes de Syrie contre eux..." [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 199-204]

Frédéric Henri Schopin, Bataille livrée sous les murs d'Antioche, Musée du Château, Versailles. "Destiné comme tant d'autres à glorifier la première croisade, ce tableau du XIXe siècle veut décrire l'enthousiasme guerrier des croisés, encouragés par l'évêque brandissant sa crosse, tandis que l'ennemi, le Turc (censé représenter les Sarrasins vaincus) assiste, impuissant à la marche victorieuse des chrétiens" (in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p.16)

Frédéric Henri Schopin, Bataille livrée sous les murs d'Antioche, Musée du Château, Versailles. "Destiné comme tant d'autres à glorifier la première croisade, ce tableau du XIXe siècle veut décrire l'enthousiasme guerrier des croisés, encouragés par l'évêque brandissant sa crosse, tandis que l'ennemi, le Turc (censé représenter les Sarrasins vaincus) assiste, impuissant à la marche victorieuse des chrétiens" (in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p.16)

À partir de l'épisode d'Antioche, les Croisés ne bénéficièrent plus de la coopération byzantine.

 

"Les croisés cependant ne restaient pas enfermés dans Antioche, mais s'employaient à étendre leurs conquêtes vers le sud pour s'assurer des bases plus solides et de meilleures sources de ravitaillement...

Godefroy de Bouillon alla rencontrer son frère Baudouin à Édesse pour lui porter secours. Puis, il se mit en route, allié à Raymond de Saint-Gilles, pour répondre à l'apper d'Omar, gouverneur arabe de la ville d'Azaz, au Nord-Est d'Antioche, qui s'était révolté contre le Seldjoukide d'Alep et demandait de l'aide. A l'arrivée des Francs, ce dernier abandonna la partie, poursuivi par Godefroy de Bouillon. Omar se reconnut son vassal et lui prêta hommage à la manière des Latins.

S'étant affirmés de façons indiscutable des guerriers redoutables, invaincus encore les armes à la main, les croisés n'éprouvèrent pas de grandes difficultés pour se forger quelques clientèles non négligeables, écrit Jacques Heers dans "La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107" (ibid., p. 204-205).

Raymond de Saint-Gilles, appuyé sur les masses populaires de l'armée, décida la marche définitive sur Jérusalem. près la prise de Jérusalem, il succombera à son tour à la tentation de se créer une principauté, à la manière de Baudouin de Boulogne à Édesse ou de Bohémond à Antioche, il partira entreprendre le siège de Tripoli, mais mourra en 1105, avant d'avoir pu constituer le comté qui échoiera à son héritier, Bertrand de Saint-Gilles.

"La fin de Bohémond de Tarente fut aussi mélancolique que celle de Raymond de Saint-Gilles. Encore celui-ci mourut-il à la tâche et avec l'espoir chevillé au coeur de prendre Tripoli. Tel ne fut pas le cas de Bohémond. Après la bataille de Harrân (1104), le roi d'Alep, exploitant l'affaiblissement de l'armée franque, s'en prit à la principauté d'Antioche. Bohémond ne put l'empêcher d'occuper le territoire à l'est de l'Oronte ! Les Byzantins imitèrent les Alépins et reprirent le port de lattaquié. Bohémond n'avait plus d'argent pour payer ses chevaliers et pour recruter des mercenaires. Désespéré, il décida de partir pour l'Occident afin de demander des renforts. Il confia la régence d'Antioche au fidèle Tancrède. Il se rendit en Italie, puis en France. Il fut reçu avec faste par le roi Philippe Ier, qui lui donna l'une de ses filles en mariage: la princesse Constance, dont la soeur, Cécile, fut fiancée à Tancrède. Bohémond s'était pris d'une haine mortelle contre les Byzantins qui, non seulement ne l'avaient pas secourur, mais lui avaient repris Lattaquié : Ils étaient selon lui traîtres à la chrétienté, complices des Turcs et des Arabes. Il obtint des hommes et de l'argent. Si bien qu'à l'imitation de Robert Guiscard, il vint assiéger Durazzo en 1108. C'était la plus forte place des Byzantins sur l'Adriatique. Une puissante armée encercla bientôt les assiégeants. Bohémond dut se reconnaître vassal du basileus pour la principauté d'Antioche. Fou de rage et de honte, il se retira en Italie, où il mourut en 1111.

[...] Bohémond II (1111-1130) n'était encore qu'un enfant. Après la mort de son père, Bohémond de Tarente, on l'avait emmené en Italie. La régence d'Antioche avait été assumée, en son nom, successivement par ses cousins Tancrède et Roger de Salerne, puis par Baudouin II [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 103-104; 143], qui le mariera avec sa fille, la princesse Alix.

Bertrand de Saint-Gilles recevant la soumission du cadi Fakr-el-Mouk après la prise de Tripoli_ peinture de Charles-Alexandre Debacq, XIXe siècle

Bertrand de Saint-Gilles recevant la soumission du cadi Fakr-el-Mouk après la prise de Tripoli_ peinture de Charles-Alexandre Debacq, XIXe siècle

Les forces des Francs ne dépassaient plus les 25 000 guerriers. Ils longèrent les côtes, pour la facilité du ravitaillement par les navires génois, puis, obliquant sur l'Est, arrivèrent devant Jérusalem le 7 juin 1099, trois ans après leur départ d'Occident.

 

La prise de Jérusalem (15 juillet 1099)

 

Le 7 juin 1099, les Croisés atteignent Jérusalem qu'ils prennent le 15 juillet 1099.

"Début juin (1099), les croisés traversent enfin les ites où a vécu le Christ, et où la population chrétienne, longtemps opprimée par les musulmans, leur fait fête; le 6 juin, ils occupent Bethléem, ce qui paraît de bon augure... Jérusalem apparaît... divisée en quartiers à caractère ethnique et religieux. La population musulmane occupe la moitié sud de la ville, tandis que les juifs se concentrent dans le quartier nord-est, et les chrétiens, tant grecs que syriens, dans le quartier nord-ouest." [L. Vissière, ibid., p. 56]

Croisades

"Dirons-nous leurs transports à la vue de la ville sainte ? Leur premier mouvement fut de se jeter à terre, les bras étendus, pour remercier Dieu de les avoir menés jusqu'au bout. 'Les pèlerins oubliaient leurs fatigues, écrit Albert d'Aix, et hâtaient le pas. En arrivant devant les murs, ils fondaient en larmes.'" [F. Funck-Brentano, ibid., p. 83]

Siège de Jérusalem (1099)

Siège de Jérusalem (1099)

"Foucher de Chartres décrit sommairement la ville sainte telle qu'elle se présenta à ses yeux : 'La ville était située dans un pays montagneux qui manque de rivières, de forêts et de fontaines, à l'exception d'une fontaine au pied du mont Sion, d'où coule par moments suffisamment d'eau, et du torrent nommé le Cédron qui, dans la saison d'hiver, arrose la vallée de Josaphat; mais dans la ville, qui est de dimension moyennes, on compte de nombreuses citernes. [...] Les murailles de l'enceinte sont formées de blocs de pierre carrées, scellées les uns aux autres par du plomb fondu.'

 

"Le 13 juin, les Croisés tentèrent un premier assaut, comptant sur l'effet de surprise. Ils furent sur le point de réussir, mais durent se retirer en laissant de nombreux morts sur le terrain. Ils avaient cru, dans leur foi naïve, écrit Georges Bordonove, que les milices célestes combattraient avec eux!" [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 69] 

 

[...] On amena tout le bois qu'on put trouver, de plusieurs lieues à la ronde pour la construction des échelles à escalader les murs. Le septième jour du siège, les échelles furent dressées et, d'un sublime élan, les Francs se précipitèrent à l'assaut. Vains efforts. Du haut des remparts des sorcières jetaient sur les Francs des incantations; mais ce n'est pas à leurs incantations que nous attribuerons l'échec de cette première attaque : les murs étaient trop élevés. Les assiégeants durent renoncer à s'emparer de la place par escalade. Et l'on se mit à construire des machines et des tours de bois à hauteur des remparts. Mais avec quelle peine ! Car le bois devait être apporté de loin. Et toujours l'horrible torture de la soif." [F. Funck-Brentano, ibid., p. 83-84]

"Les blasphèmes et les profanations dont les musulmans, du haut des murailles, accueillirent le spectacle de cette procession achevèrent d'animer les croisés à 'vengier la honte (de) Jesucrist'." [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130 L'anarchie musulmane, Perrin, Collection Tempus, Millau 2017, p. 217]

"Dès le début de la conquête, les Chrétiens de Syrie avaient constitué pour les Croisés une sorte de 'cinquième colonne' dont l'appoint n'était pas négligeable. Au premier rang parmi ces chrétiens, étaient les Arméniens qui avaient eu terriblement à souffrir, les siècles passés, soit des Byzantins, soit des Turcs qui en avaient fait d'horribles massacres, notamment après s'être emparés de leur capitale d'Ani en 1064. [...] C'est dire que, placés entre deux oppresseurs, les Arméniens virent avec quelque soulagement venir les armées franques. [...] Ils fournirent de l'aide aux armées de Tancrède et lors de la prise de Jérusalem des contingents arméniens combattirent à côté des Francs. Dans la principauté d'Edesse, un réel attachement se manifeste même de la part de la population arménienne pour les comtes qui les gouvernent. Lorsque Jocelyn de Courtenay fut fait prisonnier (1123), c'est avec l'aide de la population arménienne de Kharpout qu'un petit groupe d'hommes résolus – cinquante en tout – parvint à se rendre maître de la ville et, attaquant la garnison, permit à Jocelin de s'échapper. Eux-mêmes allaient payer leur audace de leur vie, car les Turcs revinrent en masse et les massacrèrent jusqu'au dernier.

[...] En dehors des Arméniens, le gros de la population chrétienne en Terre sainte se compose de Syriens ou de Grecs dont la religion est diverse: orthodoxes ou hérétiques de différentes sectes, principalement des monophysites. En dépit du schisme, déclaré une cinquantaine d'années plus tôt, entre l'église de Byzance et le Siège de Rome, les rapports furent cordiaux; ils ne devaient s'envenimer que peu à peu, à la suite des trahisons des Byzantins (l'empereur Isaac Ange envoya ses félicitations à Saladin après la chute de la Ville sainte en 1187) et surtout après la prise de Constantinople par les Croisés. Enfin, l'essentiel de la population se trouve constitué par les Musulmans." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 166-167]

 

"Dès les premiers jours, les croisés attaquèrent les ouvrages avancés de la défense à coups de marteaux de fer et de pioches, mais ils ne pouvaient rien abattre de cette façon ni tenter aucune surprise. La garnison égyptienne, depuis peu maîtresse de la ville, en avait fait une place rigoureusement gardée et se tenait parfaitement préparée à soutenir un long siège. Tenant conseil, les chefs francs, voyant que l'on ne pourrait songer à prendre Jérusalem d'assaut, décidèrent de renforcer le blocus puis de construire des machines en grand nombre, donc rassembler quantité de matériaux et attendre des secours en hommes, maîtres et ouvriers qualifiés que l'on souhaitait encore plus nombreux. [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 221-222]

 

Les Sarrazins tendent des pièges, infectent fontaines et sources

 

"Très vite, les croisés endurèrent les souffrances de la soif. 'Les Sarrazins tendaient des pièges en infectant les fontaines et les sources. [...] Nous cousions des peaux de boeufs et de buffles dans lesquelles nous apportions de l'eau pendant l'espace de six milles' (Histoire anonyme de la première croisade, éd. L. Bréhier, Paris 1924, p.199). Les hommes que l'on envoyait ainsi dans ce pays effroyable où non seulement l'on ne trouve aucun ruisseau, mais aucune source que très loin, tombaient souvent dans les embuscades des gentils qui leur tranchaient la tête. Ceux qui en revenaient ne rapportaient dans les outres qu'une eau devenue boueuse, à la suite de querelles entre ceux qui voulaient puiser en même temps et, de plus, emplies de sangsues, 'espèce de vers qui glisse dans les mains'. Il fallait donner deux pièces de monnaie d'argent pour une seule gorgée de cette eau, vieille et pourrie, puisée dans 'les marais puants et d'antiques citernes' [Albert d'Aix, Histoire des faits et gestes de la région d'outre-mer depuis 1095 jusqu'à l'année 1120 après Jésus-Christ, éd. F. Guizot, Paris 1824, p. 324-325, cité in Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., p. 222]

 

Un seul engagement armé durant le siège

 

"Cependant la flotte génoise abordait au port de Jaffa, d'où les croisés purent tirer d'utiles secours. Sur le mont des Oliviers 'qui avait vu Notre-Seigneur monter au Ciel', écrit Albert d'Aix, Pierre l'Ermite multipliait les prédications pour soutenir l'ardeur des pèlerins; puis, il s'efforçait d'apaiser les querelles qui avaient repris parmi les croisés; particulièrement entre Raymond de Saint-Gilles et ses vassaux d'une part, Tancrède et les seins de l'autre.

"L'escadre génoise arrivait providentiellement pour les Croisés, elle leur apportait des vivres et le matériel de siège dont ils avaient le plus besoin. Les Génois et les autres marins latins n'eurent que le temps d'abandonner leurs navires après en avoir débarqué le chargement, les vivres d'abord, puis tout ce qui pouvait servir à la construction des machines de guerre. Ils suivirent ensuite Raymond Pilet et les siens qui convoyèrent tout ce matériel vers le camp croisé devant Jérusalem (19 juin). [...] Ce furent les Syriens chrétiens qui guidèrent les Francs vers les rares sites boisés du pays. Sur leurs conseils, Robert de Flandre et Robert de Normandie partirent dans la montagne avec une caravane de chameaux que l'on chargea de tous les troncs d'arbres abattus. D'autres chroniquers nous apprennent que Robert de Flandre trouva une partie du bois nécessaire en Samarie, sur le territoire de Naplouse, qui, avec ses fontaines et ses jardins, contraste en effet avec la stérilité du massif judéen." Tancrède [...] eut la chance de découvrir dans les souterrains de la banlieue hiérosolymitaine des poutres tout équarries qui, dix mois plus tôt, avaient déjà servi aux Fatimides pour assiéger Jérusalem." [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 215]

 

Le 8 juillet, les pèlerins, sur l'exhortation de leurs évêques et de leurs prêtres, organisèrent une grande procession qui fit le tour des remparts. Feu le légat Adhémar de Monteil était apparu à un prêtre provençal (nommé Pierre Didier) pour recommander cette pieuse cérémonie, après un jeûne général.  [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I., 1095-1130,, ibid., p. 217] 

Le clergé portait des reliques qu'entourait la lumière des cierges; les chevaliers et les autres combattants suivaient en armes, mais pieds nus; les bannières déployées flottaient au vent; nacaires et buccines sonnaient avec éclat.

'Nous fîmes cela de bon coeur, écrit Raimond d'Aguilers. Et lorsque nous fûmes arrivés sur la montagne des Oliviers, nous nous mîmes à prêcher le peuple :

- Puisque nous avons suivi le Seigneur jusqu'au lieu de son Ascension et que nous ne pouvons pousser au-delà le pèlerinage vers lui, chacun de nous doit dans ce moment pardonner à son prochain afin que Dieu tout-puissant nous fasse également miséricorde.

Et les Croisés de s'embrasser l'un l'autre en se pardonnant mutuellement leurs offenses. Des aumônes furent distribuées par les plus riches. 'Or Dieu fut apaisé, ajoute le chroniqueur, car tout ce qui, jusqu'à ce jour, nous avait fait obstacle tourna de ce moment en notre faveur.'

Jérusalem fut prise le 15 juillet. L'assaut avait duré un jour et demi." [F. Funck-Brentano, ibid., p. 85]

 

"Une escadre de navires italiens, deux génois sous la bannière des nobles Embriaci, et quatre autres, pisans et vénitiens, vinrent enfin jeter l'ancre devant Jaffa et s'emparèrent de la ville. Ils apportaient de grandes quantités de vivres, des outils, du matériel de siège, du fer et des armes.

 

"Un détachement d'une centaine de chevaliers (croisés), du camp des Provençaux, avec Raymond Pilet et Guillaume de Sabran, réussit à les rejoindre, à charger le tout sur des bêtes de somme, mais fut surpris au retour par des Sarrazins venus d'Ascalon et placés en embuscade. Plusieurs chefs des Francs furent tués sur place (Achard de Montmerle, Gilbert de Trêves, "vaillants chefs des chrétiens et hommes nobles"); les autres s'enfuirent. Cependant, Baudouin du Bourg, alors sorti lui aussi du camp (croisé) pour aller chercher les vivres, les rassembla, revint sur les ennemis fatimides qu'il mit en déroute. Les chrétiens rentrèrent dans leur camp, ramenant leurs chargements et de nombreux prisonniers. Ce fut durant le siège le seul engagement armé." [Jacques Heers, ibid.,, p. 222-223]

 

La construction de machines de siège; la prise de la ville

 

La prise de Jérusalem en 1099 par Émile Signol (1847)

La prise de Jérusalem en 1099 par Émile Signol (1847)

"Les capitaines et les maîtres charpentiers génois étaient à pied d'oeuvre. Un Syrien chrétien leur indiqua où ils pourraient trouver du bois, dans un lieu situé dans les montagnes "vers le pays de l'Arabie". Ce n'était en fait qu'à quatre milles du camp. Robert de Normandie et Robert de Flandre y allèrent, avec des hommes de pied et des chevaliers pour l'escorte; ils firent abattre les arbres et ramenèrent de grands fûts sur le dos des chameaux. Il fallut quatre semaines, "les uns travaillant avec des haches et les autres avec des tarières", pour dresser les machines à lancer les pierres, les hautes tours montées sur roues et les béliers qui, complètement terminés, furent isntallés en face de la porte de David. Aussitôt, on rassembla les jeunes garçons et les vieillards, les jeunes filles et les femmes, pour aller, dans la vallée de Bethléem, chercher de petites branches qu'ils ramenaient sur des mulets ou sur des ânes, ou encore sur leurs épaules; ces fagots servaient à fabriquer des claies, doublées de cuir de boeuf, de cheval ou de chameau, afin d'en recouvrir les machines et de les protéger des traits des ennemis (Albert d'Aix, Histoire des faits et gestes de la région d'outre-mer depuis 1095 jusqu'à l'année 1120 après Jésus-Christ, éd. F. Guizot, Paris 1824, p. 321-322)

 

"Jérusalem fut prise grâce à ces machines et à ces tours. Les grandes tours d'attaque, les châteaux de bois furent placés aux endroits les plus vulnérables de l'enceinte, là où les murs semblaient les moins élevés ou les moins résistants: celle du comte de Toulouse dans le secteur sud, celle de Tancrède face à la porte Saint-Lazare, et celles des autres barons au Nord-Est, près de la porte d'Hérode.

 

"L'attaque décisive dura deux nuits et deux jours. Dans la nuit du 13 juillet et pendant la journée du 14, les assiégés repoussèrent les assauts. Ils disposaient de machines de jet et de grande quantité de feux grégeois (le feu grégois est une invention des Byzantins qui fut reprise par les Arabes).

 

"[...] C'est alors que Godefroy et les siens firent avancer la leur jusqu'au pied même des murailles et, de cette façon, les machines des assiégés qui, "à cause des maisons et des tours qui, à l'intérieur de la cité, les environnaient", ne pouvaient prendre de recul, se trouvaient beaucoup trop près. Leurs pierres volaient bien trop loin, "au-dessus de la machine du duc, ou quelquefois, arrêtées dans leur vol, retombaient sur les murailles et écrasaient les Sarrazins" (Albert d'Aix, Histoire des faits et gestes de la région d'outre-mer depuis 1095 jusqu'à l'année 1120 après Jésus-Christ, éd. F. Guizot, Paris 1824, p. 335).

 

"Le vendredi (15 juillet), sur les neuf heures du matin, les premiers qui prirent possession de l'enceinte, en y plantant l'étendard de la Croix, furent deux Tournaisiens, nommés Leuthold et Engilbert; ils appartenaient aux bandes commandées par Godefroi de Bouillon. Les Sarrasins fuyaient par les ruelles étroites. Un grand nombre d'entre eux se réfugièrent dans le Temple de Salomon où Tancrède leur avait fait dire de se réfugier en leur promettant la vie sauve et leur donnant sa bannière en signe de protection. Le monument en était bondé, la toiture même en était couverte." [F. Funck-Brentano, ibid., p. 86]

 

"Godefroi lui-même et Eustache de Boulogne les suivirent immédiatement. En même temps les échelles appliquées de toute part livraient passage à des grappes de soldats francs, si bien que la muraille de ce côté fut entièrement conquise.

Sur le toit du Masjid al-Aqsâ (ou Temple de Salomon) s'étaient réfugiés des centaines d'Arabes. Tancrède et Gaston de Béarn qui songeaient évidemment à en tirer une bonne rançon, leur donnèrent leurs bannières comme sauvegarde. Mais le lendemain matin 16 juillet, indique René Grousset, d'autres Francs massacrèrent ces captifs sans tenir compte des ordres du prince normand. 'À cette vue, écrit l'Anonyme, Tancrède fut rempli d'indignation.' [...] [L]es auteurs du massacre non seulement faisaient affront à sa bannière, mais ils le privaient d'une source considérable de profits." [Histoire anonyme, p. 205-207; Albert d'Aix, p. 483. Cf. Chalandon, Histoire de la Première croisade , p. 277, cité in René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 219-220]

 

De son côté, dans le secteur sud, sur le mont Sion, face à la porte de Sion (Bâb al-Nabî Dâwud), le comte de Toulouse Raymond de Saint-Gilles avait rencontré plus de résistance. La résistance des assiégés se prolongea toute la matinée du 15, lorsque le gouverneur fatimide Iftikhâr, avec une poignée de soldats arabes et de mamelouks turcs ou soudanais, opéra sa reddition entre les mains de Raymond, contre promesse de pouvoir se retirer en Égypte avec les siens. "Conformément à son serment, écrit René Grousset, Raymond de Saint-Gilles le fit conduire sain et sauf avec sa troupe jusqu'à Ascalon. La rançon que Raymond put reevoir de l'émir ne mérite nullement le reproche de vénalité que lui adresse Albert d'Aix.

 

Cet exemple et ce que nous avons vu de Tancrède cherchant à couvrir de sa bannière les Arabes réfugiés [...] prouvent que plusieurs des chefs francs avaient assez d'esprit politique pour circonscrire le massacre.

 

Toutefois, il n'en demeure pas moins qu'ensuite, "durant deux jours (16-17 juillet), la ville est livrée au pillage. Musulmans et Juifs sont massacrés, réduits en esclavage ou chassés. L'entreprise croisée est donc entachée, dès 1099, par cet inutile accès de violence qui a pu obérer définitivement le succès à long terme des buts de la croisade (libérer Jérusalem et sécuriser la région).  "[...] Les échecs (des croisés) étaient ressentis comme des châtiments, pour n'avoir pas servi en bons chrétiens..." [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., p. 111].

 

Jacques Heers note que trois ans seulement après la prise de Jérusalem, "l'an 1102, le miracle du 'feu sacré' n'eut pas lieu; dans l'église du Saint-Sépulcre, les lampes demeurèrent sans flamme le jour du Samedi saint, et ne s'allumèrent que le lendemain dimanche. C'était, affirmaient les mécontents, le signe évident du courroux divin" [Jacques Heers, ibid., p. 238]

 

"Avant la prise de Jérusalem, les gens de Tripoli et de Beyrouth avaient promis d'ouvrir leurs portes si la ville sainte tombait au pouvoir des Francs. Au lendemain des journées de juillet, ils se gardèrent bien de tenir leur promesse. Le massacre de Jérusalem peut ainsi avoir retardé de plusieurs années la soumission complète du littoral. Il faudra toute l'habileté des rois francs du douzième siècle pour faire oublier les fautes de 1099 et asseoir la colonisation franque sur une politique raisonnée de rapprochement indigène." [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 222] 

 

René Grousset relève en revanche qu'"il est certain que le chiffre de soixante-dix mille musulmans tués dans al-Aqsâ, chiffre traditionnellement accepté sur la foi des chroniqueurs arabes, est invraisemblable, car la population hiérosolymitaine tout entière ne l'atteignait pas" [LAMMENS, La Syrie, I, p. 213, cité in René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 220] 

 

"Il est certain aussi que, lors de la procession solennelle du 8 juillet sous les remparts, les Musulmans du haut des murs de la ville avaient, comme à plaisir, insulté la foi des Croisés. [...] De telles profanations accomplies de sang-froid expliquaient peut-être jusqu'à un certain point l'exaspération des vainqueurs dans le tumulte de la bataille. [...] De même encore, si les Croisés mirent le feu à la synagogue après y avoir enfermé les Juifs (Ibn Al-Athir, Hist. orient. I, 199), on peut se rappeler que, lors des massacres de chrétiens, l'élément juif avait naguère fait cause commune avec les égorgeurs fatimides: le sang d'un patriarche de Jérusalem en rappelait le souvenir." [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 221] 

 

"Les indications d'un Syrien permirent de retrouver un morceau de la Vraie Croix depuis longtemps enfermé dans un lieu secret. Les Francs le placèrent dans une gaine d'or et d'argent. Et la relique précieuse fut processionnellement portée au Temple." [F. Funck-Brentano, ibid., p. 88]

 

Après la prise d'Antioche (juin 1098) et jusqu'à la prise de Jérusalem, plusieurs barons s'étaient éliminés soit par la désertion, comme Étienne de Blois et Hugue de Vermandois, soit parce qu'il s'étaient arrêtés en route, ayant jeté leur dévolu sur les terres déjà conquises, comme Baudouin de Boulogne l'avait fait à Édesse - ce qui comme on l'a vu retarda la contre-attaque de Kerboga à Antioche -, comme Bohémond de Tarente l'avait fait à Antioche, comme Godefroy de Bouillon eût bien voulu le faire à Jabala et Raymond de Saint-Gilles à Arqa. Finalement restèrent seuls présents jusqu'au bout Godefroi de Bouillon parce que Saint-Gilles l'avait empêché de s'installer à Jabala, Saint-Gilles parce que Godefroi l'avait à son tour empêché de s'installer à Arqa et à Tripoli, Tancrède, Robert de Flandre et Robert de Normandie. Ensemble, le soir de la prise de Jérusalem (15 juillet 1099), ils montèrent au Saint-Sépulcre pour y faire leurs dévotions." [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 221] 

 

Le 17 juillet, le conseil des chefs décida que des prières seraient adressées à Dieu et des aumônes distribuées aux pauvres, afin que, par intervention céleste, celui qui allait être proclamé roi de Jérusalem fût véritablement le plus digne de ce choix.

 

Pour gouverner la ville, les Francs choisirent Godefroy de Bouillon et non Raymond IV, mais par humilité, le seigneur lorrain refusa le titre de roi pour celui d'"Avoué du Saint-Sépulcre". À sa mort sans héritier en 1100, le choix de son successeur à la tête du royaume est décidé par le cercle des petits vassaux, la "mesnie", ou encore la domus Godefredii. Ce sont eux qui désignèrent le frère de leur maître décédé, Baudouin de Boulogne, comte d'Édesse; ils réussirent à l'imposer contre Tancrède, qui ne cacha pas ses ambitions. [Jacques Heers, ibid., p. 311]

 

"La noblesse de sa race, écrit Foucher de Chartres, sa valeur militaire, sa douceur, sa patience et sa modestie, sans parler de l'élégance de ses moeurs, le désignèrent aux suffrages de 'l'armée de Dieu'". [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, ibid., p. 90]

Godefroy de Bouillon élu roi de Jérusalem, 23 juillet 1099, accepte le tire d'Avoué du Saint-Sépulcre. Federico Madrazo y Kuntz (1838)

Godefroy de Bouillon élu roi de Jérusalem, 23 juillet 1099, accepte le tire d'Avoué du Saint-Sépulcre. Federico Madrazo y Kuntz (1838)

Rapports personnels de Godefroi de Bouillon avec les sheiks arabes

 

À travers toute l'histoire de la Croisade, Godefroi de Bouillon s'est présenté à nous comme l'incarnation du pur esprit 'croisé'. Les autres barons avaient les uns après les autres compris la nécessité d'une politique indigène et coloniale, - Baudouin dès Édesse et Bohémond dès Antioche, puis Tancrède à la prise de Jérusalem, enfin Raymond de Saint-Gilles à Jérusalem aussi (incident de la Tour de David), puis à Ascalon. - Le seul Godefroi, peut-être parce que sa personnalité était moins souple, avait paru répugner à ces compromissions et à ces adaptations. Et voici qu'il n'était pas depuis un placé à la tête du nouvel état franc de Palestine qu'il jetait déjà les bases de la proprement coloniale, écrit René Grousset, qui sera celle de ses successeurs.

Durant le siège d'Arsûf, plusieurs cheiks de la région de Naplouse, dans les montagnes de la Samarie, vinrent lui rendre hommage, lui apportant en tribut les produits de leur terre, du pain, du vin, des olives, des figues, du raisin sec. Ils trouvèrent le duc assis dans sa tente, à même le sol, sans tapis ni drap de soie, seulement appuyé sur un sac de paille. 

Cette simplicité, qui rappelait les premiers compagnons de Mahomet, les frappa vivement. C'était donc là ce conquérant qui avait vaincu les Seljûqides et Fâtimides, soumis la sainte AlQuds ! "Quand ils virent le Duc seoir einsi en bas, trop s'en merveillèrent et commencièrent à demander aus genz qui entendoient leur langage porque c'estoit que (= comment il se faisait que) si hauz princes qui d'Occident estoit venuz et avoit toute troublée la terre d'Orient, toutes genze mortes (= tus) ou prises, et conquis si poissant roiaume, se contenoit si provrement, ne n'avoit desouz lui tapiz ne drap de soie, habit de roi n'avoit mie vestu, entor lui n'estoit mie sergent ne chevalier qui tenissent les espées nues ou les haches danoises; ainz (= mais) se séoit si bas com si ce fust uns home de petite afere ? Li Dux demanda que c'estoit de quoi il dist que ce n'estoit pas honte à home mortel de seoir à terre, car là convenoit à revenir après la mort, et le cors convenoit iluec à hébergier et devenir terre. Quand il oïrent ceste response, moult commencièrent à prisier son senz et s'humilité. D'ilec se partirent, disant que il estoit bien tailliez et façonnez por estre sires de la terre et de gouverner tout le peuple (lui) qui si estoit sanz orgueil et connoissoit la povreté de sa nature." Premiers contacts où l'ascétisme latin et l'ascétisme musulman se trouvaient moins éloignés qu'on n'eût pu le croire.  [R. Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 246-247] 

Croix pectorale, éperons et épée de Godefroy exposés dans la sacristie de la basilique du Saint-Sépulcre (Jerusalem)

Croix pectorale, éperons et épée de Godefroy exposés dans la sacristie de la basilique du Saint-Sépulcre (Jerusalem)

F. Funck-Brentano nous informe que « Godefroi réussit personnellement auprès de l'empereur Alexis qui le prit en affection, se plaisait à l'appeler 'son fils', songea même à faire de lui l'héritier de sa couronne ; mais ces projets, qui eussent assurer le salut commun, échouèrent contre les menées des Guiscard: de Bohémond, de son cousin, Tancrède, et de leurs successeurs. Ceux-ci étaient établis à Antioche, devenue par leur soin, capitale d'une principauté importante.

 

[...] Le noble 'Avoué du saint-Sépulcre' mourut brusquement le 18 juillet 1100, dans sa trente-huitième année.

 

Il devait emporter avec lui dans sa tombe sa politique avisée. »

 

Funérailles de Godefroy de Bouillon, par Edouard Cibot 1799-1877

 

Le trône de Jérusalem fut offert au frère du défunt, à Baudoin de Boulogne, installé en sa principauté d'Édesse." [F. Funck-Brentano, ibid., p. 93-94]

 

Baudouin Ier (1100-1118) fut le premier à porter le titre de "roi de Jérusalem". Du moins eut-il la sagesse de marquer aussitôt par sa manière d'être la tolérance qu'il entendait témoigner aux populations soumises. Baudouin Ier portait la barbe longue et se couvrait de parfums: un pacha en sa puissance souveraine.

 

Avec le successeur de Godefroy, Baudouin Ier est le véritable fondateur du royaume de Jérusalem, un État régi par les principes de la féodalité et la collaboration des pouvoirs temporel et spirituel. Ce qui ne veut pas dire "théocratie", comme dans les pays d'islam, où les deux pouvoirs temporel et spirituel repose sur une même tête : l'Église en effet n'y dirige ni ne gouverne directement mais inspire le gouvernement civil (qui ne possède pas lui-même le pouvoir spirituel), pour que ses lois soient conformes aux commandements de Dieu. [Note du rédacteur. La "laïcité" moderne, principe de séparation des deux pouvoirs temporel et spirituel, n'implique pas que le spirituel ne doive pas inspirer le temporel puisque aujourd'hui la franc-maçonnerie inspire directement les lois de la dite "république" sans que cela gêne le moins du monde les laïcistes. La laïcité n'est donc pas une invention révolutionnaire. À partir de 1789, on a même moins de laïcité qu'avant. On a remplacé l'ancienne direction spirituelle catholique par une autre, la franc-maçonnique. Les ministres sont des hauts francs-maçons payés par l'État. La secte maçonnique elle-même et ses associations sont largement subventionnées par l'État avec l'argent du contribuable. Au Moyen-Âge et sous l'Ancien Régime, au contraire, le clergé était indépendant et n'était pas payé par l'État. Il y avait donc plus de laïcité à cette époque qu'aujourd'hui. Ceci explique sans doute le recul des libertés dans notre pays. Ce nouveau monisme (confusion des pouvoirs temporel et spirituel) explique sans doute aussi le déclin des avancées techniques et scientifiques dans notre pays, le déclassement et le recul civilisationnel.]

Baudouin Ier (tableau de Merry-Joseph Blondel dans la salles des Croisades du château de Versailles, début XIXe)

Baudouin Ier (tableau de Merry-Joseph Blondel dans la salles des Croisades du château de Versailles, début XIXe)

Pour le moment donc, Jérusalem redevint une ville chrétienne et la capitale du nouveau royaume chrétien latin de Jérusalem.

À l'occasion du couronnement de Baudouin Ier, reconnu comme héritier légitime de l'État franc, René Grousset observe déjà un sentiment de « loyalisme dynastique très net envers la maison de Boulogne. » [....] « Une monarchie forte, des institutions dynastiques solides n'étaient-elles pas, ici comme partout où il y avait au Moyen-Âge péril extérieur, la condition de la survie des colonies franques? » [...] Ainsi, « le prestige dynastique agissait déjà, et l'avènement de Baudouin répondait à une nécessité de salut public. » [R. Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 260; 270-271] 

 

Sur-le-champ, Baudouin confia son comté d'Édesse à son cousin Baudouin du Bourg.

 

« Baudouin était en quelque sorte 'né' roi. Son allure, ses attitudes, son comportement, son langage même correspondaient strictement à l'idée que l'on se faisait alors d'un personnage royal. Il savait d'instinct ce qu'il devait faire et n'avait point l'humilité de Godefroy de Bouillon.

 

« Très grand, svelte quoique fortement musclé et charpenté, il était aussi brun de barbe et de chevelure que son frère aîné avait été blond, mais il avait la peau blanche des hommes du nord. Le nez aquilin, le regard impérieux, il imposait d'emblée le respect. Hardi cavalier, il aimait les beaux chevaux et et les galops rapides: sa jument "Gazelle" faisait l'admiration des connaisseurs. Il avait été voué dans sa jeunesse à l'état ecclésiastique; après de bonnes études, on l'avait pourvu de substantiels canonicats à Reims, Liège et Cambrai. [...] C'était un réaliste qui ne s'embarrassait pas de scrupules. On a vu dans quelle condition il s'était approprié le comté d'Édesse (exemple qui hanta Bohémond de Tarente), et comment pour agrandir son territoire il avait épousé Ada, fille d'un prince arménien. Au contraire de Godefroy de Bouillon, il était fort adonné aux femmes, mais dissimulait avec soin ses liaisons. La reine Ada n'était pas elle-même un modèle de vertu. Il ne s'en souciait guère, d'autant qu'elle ne lui avait pas donné d'enfant.

 

« [...] Son autorité s'étendait, en principe au comté d'Édesse et à la principauté d'Antioche. [...] Heureusement pour Baudouin, les États musulmans étaient en proie à l'anarchie. » [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 87] 

 

La bataille d'Ascalon (12 et 13 août 1099)

 

"En 1099, les croisés n'eurent que peu de temps pour s'organiser et se refaire. Dès le 4 août, trois semaines après la chute de Jérusalem (et l'héroïque victoire contre l'immense armée de l'atalabeg de Mossoul, Kurbuqa), le vizir fatimide al-Afdal lui-même débarquait avec ses troupes à Ascalon.

Godefroy de Bouillon, "qui avait recueilli les bruits qui couraient au sujet des Gentils", en fut aussitôt averti. Les chevaliers restés dans Jérusalem se mobilisèrent vite, préparèrent leurs armes déposées seulement depuis quelques jours, équipèrent à nouveau leurs cheveaux et, "faisant retentir les cors, les trompettes, les harpes et autres instruments, et poussant jusqu'au ciel des cris de joie", se mirent en route au travers des montagnes. Raymond de Saint-Gilles, toujours hostile à Godefroy, tergiversa quelque temps et fit la sourde oreille mais, la nouvelle alarmante se confirmant, il finit par rejoindre les autres troupes. Les croisés affrontaient pour la première fois cette armée venue d'Égypte. Elle les surprit, immense, faite de tant de peuples assemblés dont ils ne savaient que penser: "La race des publicains et la race à la peau noire, les habitants de la terre d'Éthiopie, vulgairement appelés Azopart, ainsi que toutes les nations barbares qui faisaient partie du royaume de Babylone s'étaient donné rendez-vous" (Nombreux récits dans toutes les chroniques, en particulier Albert d'Aix, Histoire des faits et gestes de la région d'Outre-Mer depuis l'année 1095 jusqu'à l'année 1120 après Jésus-Christ, éd. F. Guizot, Paris 1824,p. 358-363).

 

Les Égyptiens pensaient arrêter les chrétiens et les distraire un long temps dans leur marche en dispersant dans la plaine, devant eux, de grands troupeaux de chameaux, de boeufs, de buffles et d'ânes offerts au pillage. mais, le duc [Godefroy] et les autres chefs, redoublant de précaution, firent publier, dans toute l'armée, un édit par lequel il était défendu de faire aucune prise avant le combat, sous peine de perdre le nez et les oreilles. Et le lendemain, "dès le premier rayon de l'aurore", ils s'armèrent et attaquèrent, précédés de leurs bannières et des fanfares "faisant résonner en douces modulations les harpes et les autres instruments de musique, et témoignant leur bonheur, comme s'ils se rendaient à un festin". Arnould, patriarche, et tous les prêtres firent sur eux le signe de la croix; ils se fortifièrent dans leur résolution de se battre pour le service de Dieu en confessant leurs fautes, et l'on renouvela 'avec les paroles d'anathème l'interdiction expresse de faire aucune prise et d'enlever le moindre butin avant le combat'.

 

Les musulmans, enfoncés dès les premiers assauts par la charge des cavaliers francs, s'enfuirent de toutes parts, en plein désordre, poursuivis sans relâche loin de leur camp jusque sous les murs d'Ascalon (le 12 août 1099). Longtemps après, ils se lamentaient encore et pleuraient un tel désastre : 'Le fer des chrétiens moissonna l'armée et fit plus de dix mille victimes parmi les fantassins, les volontaires et les habitants' (Chronique d'Alep in Fragmenta operis Mirât al-Zemân, textes traduits en langue française, p. 520). Le vizir lui-même fut trop heureux de trouver refuge dans la ville laissant aux croisés, "bien à regret, sa tente dressée au milieu de celles des siens, et remplie d'une immense quantité d'argent"; et les navires égyptiens qui déjà s'approchaient, portant des machines et des renforts pour aller reprendre Jérusalem, déployant en hâte toutes leurs voiles, gagnèrent aussitôt la haute mer sans s'attarder à recueillir des survivants.

 

Le butin fut considérable: "Ils entrent dans la tente des Turcs, y recueillent des trésors de toute espèce, en or, argent, manteaux, habits, et pierres précieuses connues sous les doux noms de jaspe, saphir, calcédoine, émeraude, sardoine, pierre de Sarde, chrysolite, béryl, topaze, jacinthe et améthyste, et y trouvent encore des ustensiles de mille formes diverses, des casques dorés, des anneaux d'un grand prix, des épées admirables, des grains, de la farine et une foule d'autres choses". Sans compter les profits guerriers, quantité de chevaux et de mulets, d'armes de toutes manières. Et pour beaucoup, l'abondance, la richesse inespérée: "On y trouva aussi des casseroles, des chaudières, des marmites, des lits avec leurs garnitures, des coffres remplis de bijoux et tout ce qui servait de parure" [Robert le Moine, Histoire de la première croisade, éd. F. Guizot, Paris 1825, p. 472] Alors les vainqueurs chargèrent chameaux, chevaux, ânes et jusqu'aux béliers de tout ce qu'ils pouvaient emporter. "Ils livrèrent aux flammes une immense quantité de tentes, de dards répandus dans les champs, d'arcs et de flèches qu'ils ne pouvaient transporter à la Cité sainte et revinrent, pleins de joie, vers cette Jérusalem que les païens se vantaient de ruiner" [Guillaume de Tyr, Histoire des croisades, éd. F. Guizot, Paris 1824, p. 120].

 

Sous la direction de Godefroi de Bouillon, les chrétiens remportèrent une victoire complète sous les murs d'Ascalon (13 août 1099). "Dans leur épouvante, nous apprend l'auteur des Gestes, les Sarrasins grimpèrent aux arbres pour s'y cacher, mais les nôtres, à coups de flèches, de lances ou d'épées, les faisaient choir à terre et les massacraient. [...] Sur les bords de la mer le comte de Saint-Gilles en tua un nombre incalculable. Quelques-uns se jetaient dans les flots, le restant fuyait éperdu." Les Francs rentrèrent à Jérusalem chargés de butin. Sur ces faits se termine le précieux récit des Gesta francorum et aliorum hierosolymitanorum (Gestes des Français et autres pèlerins hiérosolymitains ou Histoire anonyme de la Première croisade)

 

"Ce grand triomphe devait aussitôt se teinter d'inquiétude. Au lendemain même de la bataille, deux des principaux barons, Robert de Flandre et Robert de Normandie, s'embarquèrent à Jaffa, accompagnés d'un nombre considérables de chevaliers et d'hommes de pied. Raymond de Saint-Gilles se joignit à eux avec, lui aussi, toutes ses troupes. Leurs navires réussirent à remonter vers le Nord sans encombre, à faire même escale dans les ports (Acre, Sidon...) encore gouvernés par des émirs, et à gagner Laodicée puis Constantinople. De là, Flamands et Normands prirent la mer pour rentrer en Occident tandis que le comte de Toulouse, se désintéressant désormais de la défense du royaume de Jérusalem, négociait l'appui de l'empereur de Byzance pour combattre Bohémond et lui arracher quelques territoires..." [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 279-283]

 

"Si dans ces mois décisifs, les Musulmans n'osèrent bouger, ce fut que le prestige militaire des Francs était dans tout son éclat. Après Dorylée, Antioche, Jérusalem et Ascalon, la journée du Nahr al-Kalb avait achevé d'établir en Syrie la terreur franque", résume René Grousset. [Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 260; 270-271]

Maison Royale de Jérusalem, in Michel Balard, Les Croisades, éd. MA, Paris 1988, p. 190-191

Maison Royale de Jérusalem, in Michel Balard, Les Croisades, éd. MA, Paris 1988, p. 190-191

La rapide installation des Francs en Syrie (Foucher de Chartres)

 

"Occidentaux, nous voilà transformés en habitants de l'Orient. L'Italien ou le Français d'hier est devenu, transplanté, un Galiléen ou un Palestinien. L'homme de Reims ou de Chartres s'est transformé en Syrien ou en citoyen d'Antioche (Foucher)".

 

"Ce texte de Foucher de Chartres a été écrit aux environs de 1120; Foucher avait fait la première croisade en qualité de chapelain de Baudouin Ier et était resté en Terre sainte, où, par conséquent, il avait pu, par expérience personnelle, voir ce qu'il en était de l'installation des Francs en Syrie. Tous les historiens des croisades l'ont plus ou moins cité; c'est à bon droit, car ce texte souligne l'un des faits les plus étonnants dans l'histoire des croisades: la rapide installation des Francs en un pays conquis dans des conditions surprenantes." [R. Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 171]

 

Des victoires miraculeuses compte tenu de la disproportion des forces (Jacques Heers)

 

"Les victoires remportées contre les turcs, à vrai dire inespérées si l'on considère la disproportion des forces, étaient tenues pour des miracles." [Jacques Heers, Les Croisades, Les dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 48]

 

Une poignée de chevaliers : trois cents chevaliers, deux mille hommes de pied

 

"Les Francs se trouvaient, en juillet 1099, ... [a]rrivés peu nombreux pour assiéger la Ville sainte, Bohémond et Baudoin étant restés dans leurs États de Syrie, ils le furent encore beaucoup moins par la suite. Malgré les mises en garde et supplications, la grande majorité des pèlerins prit vite, les dévotions au Saint-Sépulcre accomplies, le chemin du retour. Les pauvres n'avaient pas vocation à rester et les chevaliers songeaient aux longs mois qui les avaient séparés de leurs familles, de leurs fiefs, de leurs héritages. Ne sont demeurés que ceux qui nourrissaient de sérieux projets d'établissement sur les terres conquises, et ceux très liés, fidèles, clients des chefs qu'ils ne pouvaient abandonner".

 

Chiffrer les uns et les autres, les départs d'un côté et, de l'autre, le noyau dur resté sur place (après la prise de Jérusalem en 1099), serait céder aux facilités de l'invention. Mais tous les auteurs de chroniques et d'histoires insistent longuement sur la faiblesse des effectifs. Les croisés se savaient peu nombreux et prenaient conscience d'une situation qui les mettait à la merci d'une offensive concertée des musulmans. Le départ de plusieurs chefs et de leurs fidèles avait laissé de grands vides et comme un sentiment d'effroi: "En ce tems, presque tuit li barons qui estoient venuz en pélerinage s'estoient jà partiz de la terre et retournés en leur païs. Li duc [Godefroy] à qui l'en avoit baillé le roiaume et Tancrède qui avec lui estoit... estoient tuit povre d'avoir et de gent; à peine poïssent-ils trouver trois cents hommes à cheval et deus mille à piés" (Estoire d'Eracles, L'Estoire d'Eraclès empereur..., vol. 3, 1866, cité par René Grousset, Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, Paris 1934-1936, 3 vol., rééd. 1992, p. 180-181).

 

"Après la victoire d'Ascalon, les croisés partirent massivement, besogne faite, et les chefs principaux, dont Robert Courteheuse et le comte de Flandre, prirent congé de Godefroy. Après leur départ ne restèrent à Jérusalem que trois cents chevaliers et un millier de volontaires, le comte de Toulouse (qui avait fait voeu de mourir en Terre sainte) et Tancrède. Godefroy prit ce dernier comme lieutenant et l'investit de la 'princée' (principauté) de Galilée, à charge pour lui de la conquérir. Tancrède occupa sans combat la ville de Tibériade, dont il fit sa capitale. ... Simultanément Godefroy occupait toute la Judée jusqu'à la Mer morte et au Jourdain; il fortifiait la ville d'Hébron." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 79]

 

Ces chiffres de trois cents (chevaliers) et de deux milles (hommes à pieds) se retrouvent sous la plume de plusieurs auteurs qui les opposent aux milliers d'hommes qui étaient repartis, abandonnant leurs compagnons réduits à de maigres forces, exposés à de si grands périls. Ce ne sont que des approximations et, peut-être même, rien d'autre que des figures de style pour mieux faire comprendre ce désarroi. Mais s'imposait l'impression d'une terrible fragilité: "La sainte terre de Jérusalem n'avait pas assez de monde pour la défendre des Sarrazins". Et chacun de s'interroger, de se demander ce qu'attendaient les ennemis pour se mettre en route et déferler sur les croisés: "Pour quelle raison des centaines de mille de combattants ne se rassemblaient-ils pas, à partir de l'Égypte, de la Perse, de la Mésopotamie et de la Syrie, pour marcher courageusement contre nous ?" Pourquoi ces gens, "aussi nombreux que des sauterelles qui dévorent la récolte d'un champ, ne venaient-ils pas nous dévorer et nous détruire entièrement" ? (Guibert de Nogent, Autobiographie, éd. E.R. Labande, Paris 1981, p. 270) [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., 240-241]

Le Royaume de Jérusalem au XIIe siècle, in Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 150

Le Royaume de Jérusalem au XIIe siècle, in Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 150

Quatre victoires contre les Égyptiens (1099;1101;1102;1105)

 

"Quelques centaines de chevaliers de ce petit royaume franc, isolé de tout, réussirent non seulement à se maintenir contre les tentatives de reconquête des musulmans, mais, en quelques années, à se donner une assise territoriale plus vaste, plus cohérente. Sur le plan militaire, ils mirent à profit leur expérience de combat contre les Turcs et les Arabes, mûrie au cours de longs mois.

 

"A quatre reprises, et seulement à quelques années d'intervalle, en 1099, 1101, 1102 et 1105, le Caire mit en oeuvre une forte armée et une nombreuse flotte pour reprendre la Ville sainte aux Francs, les chasser de Palestine ou, plutôt, les anéantir. Ces quatre offensives, conduites à peu près de la même façon, connurent certes des fortunes diverses, mais toutes se soldèrent par des échecs et ne firent que renforcer le nouveau royaume chrétien.

 

L'attaque de 1101 et victoire de Ramlah (7 septembre 1101)

 

"Et pourtant, malgré les effectifs croisés encore plus réduits, malgré une préparation plus soignée du côté des Egyptiens, la deuxième attaque ne fut pas plus heureuse... Al-Afdal retint son armée quatre mois dans Ascalon avant d'établir son camp dans la plaine de Ramlah; forte, comme la précédente, de plusieurs milliers d'hommes, elle ne trouvait devant elle que quelques trois cents cavaliers et neuf piétons du nouveau roi de Jérusalem, Baudouin Ier... 

"C'était la première fois que paraissait la Vraie Croix. Gérard, évêque de Ramla, la portait. ... Baudouin harangua ses soldats :

'Courage, chevaliers du Christ! Ayez confiance et ne craignez rien. Si vous périssez, vous serez élevés au rang des bienheureux. Si vous remportez la victoire, vous serez glorieux parmi tous les chrétiens. Si par hasard vous songez à fuir, souvenez-vous que la France est loin![Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 89]

Trois des cinq corps francs furent vite détruits et mis en fuite vers Jaffa, mais, le roi, chargeant sur sa jument 'Gazelle,  avec la vraie Croix portée devant lui, parvint à reprendre le dessus et, à leur tour, les Égyptiens abandonnèrent le terrain, fuyant eux, vers Ascalon (le 7 septembre 1101). En rentrant à Jérusalem, chacun racontait ses exploits. Tel chevalier avait abattu un émir qui tentait d'arracher la vraie Croix des mains de l'évêque Gérard. Le roi lui-même avait tué un autre émir qui cherchait à l'atteindre. le butin que l'on rapportait dépassait les espérances.

Peu après, les croisés rencontrèrent un fort parti de cavaliers ennemis qui avaient poursuivi les chrétiens jusque sous les murs de Jaffa et, profitant d'un rude effet de surprise les anéantirent complètement. [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., p. 283]

 

L'offensive égyptienne de 1102 ou contre-croisade fatimide. Seconde bataille de Ramla. Victoire et Baudouin à Jaffa

 

Baudouin, grisé par sa précédente victoire, manque cette fois de toute prudence. Seule faute peut-être de sa vie politique, mais qui faillit lui être fatale.

 

Le vizir d'gypte, al-Afdal, n'entendait pas rester sur sa défaite de Ramla. Résole à reconquérir la Palestine, il concentra à Ascalon au milieu de main 1102 une nouvelle armée de 20 000 Arabes et Soudanais. 

 

Baudouin, sans envoyer d'éclaireurs pour se renseigner sur le nombre de ses ennemis (ilc royait n'avoir affaire qu'à un millier d'hommes), sans prendre le temps d'appeler à lui les garnisons de la Samarie et de la Galilée, sans même attendre que les 10 000 chrétiens qui se trouvaient à Jaffa l'eussent rejoint, partit sur-le-champ à la rencontre des envahisseurs, avec les seuls compagnons qu'il avait en ce moment à jérusalem aiprès de li, en tout deux cents chevaliers, parmi lesquels les croisés d'Occident qui attendaient leur embarquement, Etienne de Blois, Etienne, comte de Bourgogne, Geoffroi de Vendôme, Hugues de Lusignan, le chancelier Conrad. Toute cette belle chevalerie s'avançait sans ordre ni précaution. Etienne de Blois fit quelques timides observations sur l'imprudence d'une telle chevauchée. mais depuis sa défection sous Antioche au cours de la première croisade, il n'avait pas grande réputation de courage, et Baudouin le rabroua vertement. Ce ne fut qu'en débouchant dans la plaine de Ramla, lorsqu'il découvrit la multitude de l'armée ennemie, que le roi comprit dans quel abîme sa présomption l'avait jeté. Du reste, la retraite même n'était plus possible; la petite troupe, si elle tournait le dois devait être inévitablement rejointe, enveloppée et sabrée par les escadrons ennemis. Donc, Baudouin et ses compagnons firent front. Si rude fut leur réaction qu'un moment les Egyptiens 's'en esbahirent' et faillirent renoncer, ... (mais) bientôt le groupe des chevaliers francs était prestque tout entier massacré. Tués, Gérarc d'Avesnes, Raoul d'Alost, Stabelon, l'ancien camérier de Godefroy de Bouillon, et vingt autres d'entre eux. Le reste des survivants avec le roi Baudouin se réfuigia dans la petite ville de Ramla qui fut bientôt assiégée par toute l'armée égyptienne. Seule la nuit qui tombait empêcha les vainqueurs d'emporter sur-le-champ cette faible défense, mais il était clair que le lendemain c'en serait fait du roi de Jérusalem et de ses derniers compagnons.

 

La fuite nocturne de Baudouin sur Gazelle

Ce fut alors que se produisit d'après Guillaume de Tyr, une romanesque intervention qui apporta le salut. Vers le milieu de la nuit, tandis que Baudouin sur sa couche ne pouvait trouver le sommeil, voilà qu'un chef arabe se présente devant la muraille et demande à lui parler personnellement de toute urgence. On introduit le mystérieux visiteur: c'était ce même sheikh dont Baudouin avait, l'année précédente sauvé et libéré la jeune épouse tombée aux mains des francs lors d'un raid en Transjordanie. Le chevaleresque Arabe s'estimant lé par une dette de reconnaissance avait quitté l'armée fatimide pour avertir Baudouin d'avoir à fuir cette nuit même, car, au matin, toutes les forces égyptiennes donneraient l'assaut à la bicoque de Ramla. Mieux que quiconque Baudouin savait la position indéfendable. Il se rendait compte que sa capture comme sa mort serait la ruine du jeune royaume. Sur l'avis unanime des siens, il fut décidé que le roi essaierait de s'échapper, mieux valant pour lui risquer la mort en rase campagne que de tomber honteusement lors de la chute de Ramla aux mains de l'ennemi. Baudouin, suivi de son écuyer et de trois ou quatre compagnons, courut donc cette suprême chance sur son cheval arabe 'la Gazelle', il s'élança en pleine nuit, au milieu de l'armée fatimide.

Sa fuite fut aussitôt signalée, une nuée de cavaliers ennemis s'engagèrent à sa poursuite: presque tous ses compagnons furent tués ou pris. Pendant ce temps Ramla était pris d'assaut par les Égyptiens avec toute la chevalerie réfugiée dans ses murs (19 mlai 1102). Les Francs périrent ou durent se rendre. Les plus vaillants préférèrent se faire tuer dans une charge dernière. Au cours de cette sortie désespérée le chancelier Conrad excita une telle admiration chez les émirs fatimides qu'il lui firent grâce. Mais Hugues de Lusignan, Geoffroi de Vendôme, le comte de Bourgogne et Étienne de Blois furent massacrés. Le dernier racheta par cette mort glorieuse sa désertion d'Antioche, méritant ainsi la belle oraison funèbre que le consacre l'Estoire d'Eracles. Quatre cents des défenseurs furent massacrés, désarmés. Les trois cents derniers furent envoyés prisonniers en Égypte. Jamais, note Eracles, on n'avait vu un tel massacre de chevaliers en Syrie  [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 286-289]

 

Baudoin se sauva, suivi seulement de son écuyer, dans les montagnes, allant par des chemins détournés et se cachant sans cesse pour échapper aux éclaireurs lancés à sa poursuite. On le croyait mort. Ses compagnons avaient presque tous succombé. Gerbod de Winthinc, l'un des compagnons de Baudouin lui ressemblait: les Égyptiens plantèrent sa tête au bout d'une lance et la promenèrent sous les murs de Jaffa, affirmant qu'il s'agissait de Baudouin. 

De toute cette brillante chevalerie échappèrent seuls, Lithard de Cambrai, le vicomte de Jaffa et Gutman de Bruxelles qui, plus ou moins grièvement blessés, purent gagner Jérusalem où il annoncèrent la terrible nouvelle. Ce fut Gutman de Bruxelles, qui rendit du coeur aux Hiérosolymitains, les exhortant à ne pas abandonner la ville sainte avant que la mort du roi Baudouin ne fût confirmée.

Après avoir manqué vingt fois d'être pris par les coureurs égyptiens lancés dans la campagne, Baudouin se rapprochant de la côte à travers la plaine de Saron, mais en évitant Jaffa assiégé, finit, le troisième jour (19 mai 1102), par arriver dans la petite ville d'Arsûf au nord de Jaffa, appelée aujourd'hui Tel Arshaf, une des rares places sur la côte alors aux mains des Francs. Quelques heures après, vers le soir, nouvelle surprise, Hugue de Saint-Omer, sire de Tibériade, arrivait à Arsûf avec le contingent de sa princée de Galilée - quatre-vingts chevaliers d'élite. Le regroupement des forces franques commençait à s'opérer. Le lendemain, Baudouin s'embarqua pour Jaffa avec sa précieuse jument. Pour rassurer les gens de Jaffa, il avait fait déployer en haut du mât l'étendard royal. Là aussi, l'arrivée de celui qu'on croyait mort parut un nouveau miracle : le roi était sauvé, le royaume l'était aussi (20 mai 1102). 

 

Entre-temps débarqua un grand nombre de pèlerins, et le 27 mai, le roi sortit de Jaffa avec toutes ses forces, y compris les pèlerins nouvellement arrivés, à la tête d'une armée rassemblée et reconstituée à grand-peine, infiniment plus faible que celle des musulmans qu'elle allait attaquer. Il attaqua les Égyptiens qui campaient à trois mille de là, dans un petit bois où ils fabriquaient des machines de siège. Bien qu'étonnés d'une telle offensive, les Égyptiens, grâce à leur avantage numérique, voulurent cette fois encore encercler l'armée franque, mais la supériorité tactique s'affirma tout de suite, aussi bien des fantassins qui criblaient l'ennemi de flèches, que du fait des chevaliers bardés de fer. 

Les Égyptiens cédèrent du terrain dès les premiers assauts, sous les traits des archers et la charge des chevaliers francs qui "s'élancèrent semblables à des lions dont la fureur est redoublée au moment où on vient leur enlever leurs petits, combattant à la fois, et de toutes leurs forces, pour leurs femmes et leurs enfants, pour la liberté et leur patrie, le coeur animé d'un courage tout divin et précédés par la miséricorde céleste" (Guillaume de Tyr, Histoire des Croisades, éd. F. Guizot, Paris 1824, p. 94-95).

Figures de style et enthousiasme d'après coup, mais qui traduisent ici chez Guillaume de Tyr, comme sous la plume des autres chroniqueurs du temps, à la fois l'admiration devant l'exploit guerrier et la certitude d'un véritable miracle.

Au bout de quelques heures, l'armée égyptienne tout entière prenait la fuite vers Ascalon. 

Seule l'insuffisance numérique de la cavalerie franque arrêta la poursuite; mais tout le camp fatimide avec ses tentes, ses tissus et ses tapis, ses convois, ses chameaux, son énorme ravitaillement et son numéraire tomba aux mains des Francs. Baudouin revient en triomphe à Jérusalem. La possibilité d'une reconquête fatimide s'évanouit. Le Caire ne reprit l'offensive que trois ans plus tard.

Les années 1104 et 1105 furent décisives pour Baudouin, qui agença de main de maître une opération terre-mer avec une escadre génoise et, le 26 mai, enleva Saint-Jean d'Acre, qui devint le principal port du royaume de Jérusalem par où débarquait les pèlerins et transitait toutes les marchandises. Elle sera occupée par Saladin puis reprise par Richard Cœur de Lion en 1191. La reconquête de la ville en 1291 par le sultan d'Égypte al-Malik al-Ashraf mit fin à la présence des européens en Terre sainte.

 

La contre-croisade fatimide de 1105. Troisième bataille de Ramla (17 août 1105)

 

Cependant, les fatimides d'Égypte n'avait pas renoncé. Pour la troisième fois, l'armée égyptienne se concentra à Ascalon.

L'armée du Caire "s'avança jusqu'à Ramla, renforcée par les contingents damasquins. La bataille se livra devant Ramla le 27 août 1105. Baudouin avait appelé des renforts de Jérusalem, avec le patriarche et la vraie Croix. Le patriarche bénit les étendards et le combat s'engagea aux cris de "Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat!" [René Grousset, L'Epopée des Croisades, Éditions Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 2000, p. 62], Le Christ vainc, le Christ règne, le Christ commande !. Les archers montés de Damas tourbillonnèrent autour des Francs en les arrosant de flèches, tactique habituelle. Un flottement s'esquissa. Alors, arrachant sa bannière blanche des mains du porte-étendard, Baudouin conduisit la charge. Il balaya les archers damasquins. Puis, regroupant sa cavalerie presque intacte, il enfonça les Égyptiens. Une charge massive de fervêtus produisait un effet identique à celui d'une escadre de chars. La cavalerie légère des musulmans ne put résister au choc. Elle trouva son salut dans la fuite. Le corps d'armée qui avait été envoyé à Jaffa regagna péniblement l'Égypte, avec les rescapés de Ramla. La flotte égyptienne fut assaillie par une tempête et presque entièrement détruite. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 91] 

 

"En août 1105, al-Afdal, toujours vizir, obtenait enfin l'aide de l'atalabeg de Damas qui lui envoyait un millier de cavaliers lesquels rejoignirent à Ascalon l'armée fatimide: cavaliers arabes et fantassins noirs du Soudan. Cette année-là, les Francs ne souffraient plus d'une infériorité numérique aussi grave; le royaume s'était notablement agrandi; Baudouin comptait avec lui un certain nombre de vassaux, des chefs musulmans, même, en particulier un jeune prince seldjouk, prétendant au trône de Damas. Le patriarche de Jérusalem était lui-même venu à Ramlah, portant la vraie Croix, haranguant le peuple pour que tous les hommes valides se moblisent. Dès les premières charges, les Turcs de Syrie s'enfuirent d'abord; les Egyptiens résistèrent plus longtemps mais, finalement, leurs cavaliers reprirent la route d'Ascalon tandis que les fantassins se battaient jusqu'au dernier, tous ou presque tués sur place (27 août 1105). Les Francs emportèrent, une fois de plus, un riche butin et firent prisonniers au moins trois émirs, susceptibles de payer de riches rançons" [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 287]

 

À l'été 1108, Baudouin profita de l'arrivée sur es côtes de Palestine d'un grand nombre de marins pisans, génois, vénitiens et amalfitains - corsaires devenus pèlerins - pour essayer d'arracher Sidon à la domination fatimide. Au nombre des défenseurs de Sidon, Albert d'Aix cite des renégats provençaux, anciens soldats de Raymond de Saint-Gilles, passés à l'Islam et qui, du haut de la tour confiée à leur garde, lançaient des ordures à l'adresse de la vraie Croix promenée dans le camp chrétien. Cette tour fut battue, mais sur mer l'arrivée d'une puissanrte escadre égyptienne changea la donne. Les navires italiens eurent le dessous, l'opération manquée, Baudouin leva le siège et rentra à Acre. 

À l'été 1109, Baudouin alla prêter main forte au fils de Raymond de Saint-Gilles, Bertrand, qui s'efforçait de couronner la fondation du comté provençal du Liban en s'emparant de Tripoli. le 12 juillet 1109, la ville se rendit à Baudouin et à Bertrand. Baudouin avait aidé Bertrand à conquérir Tripoli. L'année suivante, Bertrand vint l'aider à assiéger Beyrouth, où Baudouin fit son entrée dans la ville le 13 mai 1110. Ceux des habitants qui sortirent de la ville purent le faire en paix.

 

La croisade norvégienne (1110). Conquête de Sidon

 

À l'été 1110 une escadre de pèlerins scandinaves arriva en Syrie sous la conduite du roi de Norvège Sigurd, fils de Magnus III. Baudouin Ier fit le meilleur accueil au prince norvégien. Il vint au devant de lui, le conduisit en grande pompe de Jaffa à Jérusalem, lui fit visiter les Lieux-Saints, le combla de présents et de souvenirs.

Entrée de Sigurd à Constantinople. Gerhard Munthe: Illustration for Magnussønnens saga. Snorre 1899-edition

Entrée de Sigurd à Constantinople. Gerhard Munthe: Illustration for Magnussønnens saga. Snorre 1899-edition

Les dévotions du pèlerin une fois terminées, le roi lui demanda comme chaque fois que se présentait une escadre chrétienne, d'aider les Francs à s'emparer de quelque port palestinien. Les Norvégiens ayant accepté, Baudouin leur désigna comme objectif la ville de Sidon (Saidâ), la Sajete des chroniqueurs. Sigurd en personne conduisit l'escadre norvégienne faire le blocus du port tandis que Baudouin et son vassal Bertrand, comte de Tripoli, attaquaient la ville par terre à grand renfort de machines (19 octobre 1110). Par surcroît de chance, une escadre vénitienne venait d'arriver en Palestine sous le commandement du doge Ordelafo Falier; les Vénitiens concoururent avec les Scandinaves au blocus du port. Le qâdi de Sidon offrit la ville contre garantie pour les vies et les biens des musulmans, chacun étant libre de rester dans la ville ou d'émigrer. Le qâdi et la plupart des notables avec 5000 personnes se retirèrent à Damas; le reste des habitants demeura dans ses foyers; les paysans de la campagne sidonienne restèrent en masse comme sujets des Francs. Sidon fut donnée en fief  par Baudouin Ier à un chevalier nommé Eustache Garnier ou Grenier, déjà sire de Césarée. Après la prise de Sidon, les Norvégiens remirent à la voile. Ne possédant qu'une armée et pas de marine, une des difficultés les plus graves des Francs était de s'emparer des places du littoral. Ils étaient réduits pour cela à profiter du passage d'une escadre chrétienne.  [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 310-312]

Sur le chemin du retour, Sigurd remonta vers Constantinople, où il fut reçu par l’Empereur Alexis Ier Comnène, que la Saga nomme Kirialax. 

Le retour s’effectue par la route terrestre via la Bulgarie, la Hongrie et le Saint-Empire romain germanique. Sigurd rencontre en Saxe le duc et futur Empereur Lothaire de Supplinbourg. Arrivé dans la Mer Baltique, avant de regagner la Norvège, il rencontre au milieu de l’été 1111 à Heidaby le roi Niels de Danemark.

L'épopée du roi Sigurd Ier servira d'argument à la suite orchestrale d'Edvard Grieg appelée Sigurd Jorsalfar.

 

Victoire de Roger d'Antioche à la première bataille de Tell-Dânîth ou "bataille de Sarmin"(15 septembre 1115). Échec de la contre-croisade seldjûkide

 

À la nouvelle de la perte de Kafartâb, Roger d'Antioche, fils de Roger de Salerne, qui avait été nommé régent d'Antioche à la mort de Tancrède, se prépare à la bataille en reprenant la campagne. Le temps presse trop pour faire de nouveau appel au roi de Jérusalem ou à l'âtâlabeg de Damas. Il se contente de demander l'aide du comte d'Édesse, Baudouin du Bourg, cousin de Baudouin Ier, et va avec lui se poster à Chastel Ruge ou Rugia, à 2 kilomètres à l'ouest de Tell al-Karsh, en face et tout près de Jisr al-Shughr, de l'autre côté de l'Oronte, pour observer les mouvements de Bursuq. La relique de la Vraie Croix est présentée aux escadrons qui, aussitôt, montent en selle et s'ébranlent vers Dânîth. C'était le 14 septembre à l'aube. Roger galopait avec le centre, Baudouin du Bourg, comte d'Édesse avec l'aile gauche; à droite, se trouvaient les Turcopoles, combattants auxiliaires des croisés, souvent composées d'archers, montant des chevaux arabes, équipés et habillés à la turque (troupes constituées au départ de combattants d'origine turque, des seldjoukides christianisés, puis de "poulains", des polos, dans le sens d'enfants, métisses, de pères croisés et de mères chrétiennes d'Orient) ; en arrière-garde chevauchait Robert Fulcoy (Fulcoit) ou Robert fils de Foulque (Filz-Foulque), dit le Lépreux, seigneur de Zerdanâ et du château de Saone. La cavalerie franque, lancée en ouragan, tomba d'abord sur le camp presque vide de défenseurs. Les valets d'armée furent massacrés, le camp emporté en un instant. Évitant de s'attarder au pillage, les Francs s'élancèrent sur les divisions turques qui arrivaient par détachements successifs en ordre dispersé. Bursuq fut bientôt rejeté sur la butte du Tell Dânith que Baudouin du Bourg et Guy le Chevreuil avec l'aile gauche franque prirent d'assaut, le premier de front, le second de flanc. Bursuq faillit être capturé. Désespéré du désastre, le chef turc voulait attendre la mort du martyr au milieu des Francs. À la fin, il s'enfuit. Il fila vers la Jazîra pour regagner la Perse où il ne devait pas tarder à mourir de chagrin. De nombreux détachements turcs avaient cru se sauver en se réfugiant dans les fermes chez les paysans arabes: ils furent complètement dépouillés par ces derniers. Le butin fait dans le camp seldjûkide fut énorme. Rien qu'en numéraire on trouva 300 000 pièces d'or.

 

La journée de Dânith, trop négligée des historiens modernes, se rapproche en importance de la victoire de la Première croisade à Dorylée, où les Croisés de 1097 avaient dès la première rencontre fait plier la force seldjûkide. À Dânith, leurs fils arrêtaient la reconquête seldjûkide de 1115. [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 542-545; 547]

 

Accords, politiques d'entente et d'alliance de chefs musulmans se reconnaissant vassaux des Francs (Jacques Heers)

 

"Cette victoire de Ramlah (1105) qui apportait la promesse de longs répits fut fêtée comme le signe manifeste d'une situation nouvelle. En six années, les positions franques s'étaient considérablement renforcées. Ceux de Jérusalem s'étaient forgé un véritable petit royaume, plus solide, tout en nouant des accords avec quelques chefs musulmans qui se reconnaissaient leurs vassaux.

 

"Dans le même temps, d'autres princes ou seigneurs croisés avaient, eux aussi, plus au nord, assuré leurs positions et, malgré rivalités ou dissenssions, leurs "comtés", leurs "princées" formaient autant d'Etat protecteur pour le royaume et, aux moments les plus graves, offraient d'appréciables possibilités de secours [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 287]

 

"Le 25 mars 1100 déjà, les gens d'Arsuf vinrent à composition; ils libérèrent leur malheureux prisonnier, Gérard d'Avesnes, encore en vie, et offrirent de payer tribut (Albert d'Aix, Histoire des faits et gestes de la région d'outre-mer depuis l'année 1095 jusqu'à l'année 1120 après Jésus-Christ, éd. Guizot, Paris 1824, p. 513-518). Peu de temps après, les gouverneurs arabes de trois autres villes maritimes, Acre, Césarée et Ascalon, mandaient des ambassadeurs à Jérusalem pour proposer un tribut annuel de cinq cent pièces d'or, plus des livraisons de chevaux et mulets, si les chrétiens les laissaient exercer leurs commerces en paix et cultiver leurs campagnes. Ce souci des populations arabes de maintenir leurs productions et leurs échanges à bon niveau fut un facteur décisif de leur politiques d'alliances ou d'ententes avec le royaume franc. [...] Les traités conclus alors n'impliquaient généralement pas de soumission, ni politique ni militaire, mais comportaient exclusivement ou presque, des clauses de nature commercial: liberté du trafic et protection contre les brigands en échange d'une promesse de ravitailler Jérusalem et les autres garnisons franques à juste prix" [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 289]

 

"Et René Grousset d'observer, fort justement, que l'Etat de Jérusalem se présentait alors "comme une monarchie franque entourée d'émirats musulmans vassaux" (R. Grousset, Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, Paris 1934-1936, 3 vol., rééd. 1992, p. 342, cité in Jacques Heers, ibid., p. 298).

Exemple d'alliance Francs-Musulmans: l'alliance de l'émir de Damas Toughtékîn avec les Francs contre l'armée turque de l'émir Boursouq (1115)

 

"En 1115, le sultan de Perse envoya en Syrie une nouvelle armée turque, sous le commandement de l'émir Boursouq, avec l'ordre à la fois de mener à bien la contre-croisade et de ramener à obéissance les musulmans d'Alep et de Damas. Toughtékîn et les autres émirs menacés mesurèrent toute l'étendue du péril. Le rétablissement de l'autorité du sultan sur la syrie musulmane ne pouvait avoir lieu que par leur éviction. Contre la menace du pouvoir central turc ils n'hésitèrent pas à se déclarer solidaires des Francs. On vit donc les chefs de la Syrie musulmane et les princes francs unir leurs forces pour barrer la route à l'armée sultanienne. les coalisés, à l'été de 1115, se réunirent dans la région d'Apamée, sur le moyen Oronte, point central bien choisi pour protéger à la fois Alep et Antioche, Damas et le royaume de Jérusalem. il y avait là le roi Baudouin Ier, le prince Roger d'Antioche, le comte Pons de Tripoli, les émirs d'Alep et l'atâlabeg de Damas, Toughtékîn. La chronique se plaît à nous montrer le turc Toughtékîn et Roger chevauchant côte à côte "comme de bons et loyaux compagnons d'armes" [René Grousset, L'Epopée des Croisades, Éditions Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 2000, p. 84]

 

Le "racisme" n'existe pas au XIIe siècle

 

"Au fil des années, ces croisés se sont assimilés à la population locale, en épousant des filles arméniennes, grecques ou syriaques, et en donnant naissance à des enfants de culture mixte appelés 'poulains'". 

 

"Déjà nous avons oublié notre lieu d'origine; ici l'un possède déjà maison et domesticité avec autant d'assurance que si c'était par droit d'héritage immémorial dans le pays. L'autre a déjà pris pour femme une Syrienne, une Arménienne, parfois même une Sarrasine baptisée... Tel habite avec toute une belle-famille indigène; nous nous servons tout à tour des diverses langues du pays" (Foucher de Chartres).

 

"... Car, si la religion les oppose aux Sarrasins, la race, elle, n'est pas pour eux un obstacle. Dès qu'une sarrasine est baptisée, aucun chrétien ne refusera d'en faire sa femme. Le concept de race, grâce auquel les trafiquants d'esclaves au XVIe s. tenteront de légitimer leur commerce, n'existe pas pour l'homme du XIIe s. S'il combat le Musulman, du moins le considère-t-il comme son égal: comparée aux méthodes colonialistes du XVIIe s., voire à certains préjugés subsistant au XXe s. et entraînant, par exemple, la ségrégation... Aucun croisé n'hésitera à prendre femme dans la population indigène" [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 171]

 

"On assista à plusieurs mariages mixtes. Des seigneurs francs s'allièrent à des princesses libanaises et le souvenir en demeure jusqu'à nos jours, dans les noms de certaines familles libanaises : les Frangié, dont le défunt président de la République Soleiman Frangié, tirent leur nom de l'arabe Franj (Francs), les Douaihy (de Douai, dont plusieurs chevaliers furent originaires), les Bardawil (de Baudouin). On cite même le cas d'une famille libanaise dont l'arbre généalogique remonte à Godefroy de Bouillon" (Malek Chebab in Les Croisades, La rencontre des chrétiens d'orient et des croisés, Les dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 137).

 

Exemples de tortures commises par les Musulmans entre la première et la deuxième croisade

 

Il-Ghâzî, l'égorgeur

 

Après la défaite locale du prince d'Antioche Roger contre l'armée turque de l'émir de mardin, Il-Ghâzi, le 28 juin 1119, ce dernier fit traîner nus les prisonniers, à coups de fouet, par files de deux ou trois cents, liés ensemble par des cordes, jusque dans les vignes de Sarmedâ. "Par cette torride journée de juin, ils mouraient de soif. Il-Ghâzi fit apporter des jarres d'eau qu'on plaça à leur portée. Ceux qui s'en approchaient étaient massacrés. Tous auraient péri sur-le-champ s'il n'avait voulu donner à la populace d'Alep le spectacle de son triomphe. La plèbe arabe se joignit aux soudards turcomans, une partie des captifs périrent au milieu des tortures." [René Grousset, L'Epopée des Croisades, Éditions Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 2000, p. 101]

 

Après l'arrivée de Baudouin II et de Pons de Tripoli, les Turcs toujours commandés par Il-Ghâzî battirent en retraite (14 août 1119).

 

"Les Turcs se vengèrent de leur défaite en massacrant les derniers prisonniers encore survivants. Parmi ceux-ci, le seigneur du chateau de Saonne, Robert, comptait pouvoir se racheter en raison d'anciennes relations de courtoisie avec l'atâlabeg Toughtékîn. Mais quand l'atâlabeg le vit arriver, il se leva, mit les pans retroussés de sa robe dans sa ceinture, brandit son épée et trancha la tête du Franc. Les autres prisonniers, attachés à un poteau, servaient de cible aux Turcomans en état d'ivresse. Il-Ghâzî, à la fin complètement ivre comme ses hommes, convia toute la plèbe d'Alep à assister au massacre des quarante derniers captifs. On les égorgea devant les portes de son palais qui furent aspergées de sang." [René Grousset, L'Epopée des Croisades, Éditions Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 2000, p. 102]

 

Balak, l'écorcheur

 

En septembre 1122; le comte d'Edesse Jocelin de Courtenay fut fait prisonnier par le chef turc Balak qui l'enferma dans la citadelle de Kharpout, au fond des montagnes du Kurdistan... Semblable mésaventure arriva au roi de Jérusalem Baudouin II, capturé alors qu'il se livrait à la chasse au faucon dans la vallée du haut Euphrate (18 avril 1123). Il alla rejoindre Jocelin dans les cachots de Kharpout. Jocelin put faire passer un message à ses sujets arméniens d'Edesse, en leur demandant de venir les délivrer. Cinquante d'entre eux parvinrent à s'introduire dans la place et à délivrer les deux captifs avec l'aide de la population arménienne locale. Mais après l'arrivée du chef turc Balak, "les malheureux Arméniens qui s'étaient associés à l'équipée franque furent écorchés vifs ou, liés sur des pieux, servirent de cible à la soldatesque." [René Grousset, L'Epopée des Croisades, Éditions Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 2000, p. 102-106]

 

Des Arméniens déjà massacrés, puis déportés...

 

Après la défaite de Jocelin II d'Edesse, aidé de la population arménienne, contre Nour ed-dîn, cette dernière "fut massacrée par les Turcs en une boucherie sans nom. Ceux quis urvécurent furent vendus comme du bétail sur le marché d'Alep. on les dépouillait de leurs vêtements, et nus, hommes et femmes, on les obligeait, à coups de bâton, à courir devant les chevaux. les Turcs perçaient le ventre de quiconque défaillait et les cadavres jonchaient la route. Déjà les massacres arméniens, suivis de la déportation des survivants..." [René Grousset, L'Epopée des Croisades, Éditions Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 2000, p. 137]

Baudouin du Bourg (Baudouin II) succède à son cousin Baudouin Ier en 1118.

Baudouin II roi de Jérusalem, par Edouard Odier, XIXe siècle

Baudouin II roi de Jérusalem, par Edouard Odier, XIXe siècle

Le règne de Baudouin II (1118-1131) fut l'exacte réplique de celui de Baudouin Ier : une chevauchée continuelle, entrecoupée de combats plus ou moins importants, jalonnée de victoires constamment remises en question, de revers aussi, mais dont il sut limiter les conséquences. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 125]

 

Le hasard voulut, écrit René Grousset, (nous dirions la Providence) qu'au moment de la mort du roi de Jérusalem Baudouin Ier, mort sans enfant, son cousin Baudouin du Bourg, comte d'Édesse, venait de se mettre en route pour faire ses dévotions à Jérusalem. Guillaume de Tyr nous dit qu'il arriva dans la ville sainte le jour même des obsèques du roi: rencontre qui allait permettre de régler rapidement la succession. Baudouin du Bourg fut élu à l'unanimité roi de Jérusalem, et sacré dans l'église du Saint-Sépulcre le jour de Pâques, 14 avril 1118.

 

Baudouin II était fort pieux. L'Estoire d'Éracles [ou Histoire d'HéracliusChronique d'Ernoul, écuyer de Balian d'Ibelin qui assura la défense de Jérusalem en 1187] nous décrit ses genoux rendus cagneux par la prière; "en oroisons estoit longuement et tant souvent s'agenoilloit que il avoit ès mains et ès genouz une duresce que l'en claime chauz.

Sa vie privée, au contraire de celle de Baudouin Ier, fut irréprochable. Il fut toujours fidèle à son épouse arménienne Morfia, et lui donna quatre enfants, Mélisende, Alix, Hodierne et Ivette. Mélisende épousera Foulque, comte d'Anjou, père des futurs rois de Jérusalem Baudouin III (1144-1162) et Amaury Ier (1162-1173).

 

Il n'en faut pas moins admirer, écrit René Grousset, qu'après deux règne seulement, le principe monarchique se soit trouvé assez solidement enraciné. [R.Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 566; 569; 571; 572; 575]

 

La bataille du Champ du Sang (ou bataille de Sarmada, ou bataille de Balat) : la mort héroïque de Roger d'Antioche (26 juin 1119)

 

Dans cette bataille, le nombre des morts est si grand que le lieu de la bataille prend le nom d’ager sanguinis, le "Champ du Sang" dans le latin des chroniqueurs de l'époque.

Au commencement de l'année 1119, le prince d'Antioche, Roger de Salerne, était sur le point de s'emparer de la grande ville arabe d'Alep. Il-Ghâzî, atabeg d'Alep (1118-1122), envahit le principauté d'Antioche du côté du Roudj, district situé à l'est de l'Oronte. À cette nouvelle, Roger demanda l'aide du roi Baudouin II et du comte Pons de Tripoli. Baudouin et Pons firent aussitôt leurs préparatifs, en insistant pour qu'on les attendît avant d'engager les opérations. Mais les châtelains des terres d'Outre-Oronte, dont les bandes turcomanes détruisaient les récoltes, pressaient Roger d'accourir sans retard. Pour leur complaire, sans attendre les secours qui allaient arriver de Jérusalem et de Tripoli, il se porta avec ses seules forces au-devant des Turcs. Contre plus de 40 000 Turcs il n'avait que cent chevaliers et trois mille fantassins...., écrit René Grousset.

Malgré cette énorme infériorité numérique, la valeur normande, sur le premier choc, faillit faire reculer l'ennemi, mais cet avantage ne dura pas. Les cavaliers turcomans revenaient sans cesse à l'attaque, criblant les Francs de javelots et de flèches. Le goum des turcopoles, qui formait la gauche franque, lâcha pied. L'armée franque, disjointe par la fuite des Turcopoles, écrasée sous le nombre, était presque entièrement détruite. Roger d'Antioche restait seul avec une poignée de fidèles. Ayant refusé d'attendre le roi et le comte de Tripoli, il se savait personnellement responsable du désastre. Il sut mourir en chevalier. "Il ne voulut ni fuir ni regarder en arrière", mais se lança au plus épais des escadrons turcs. Un coup d'épée sur la face, à la hauteur des yeux, lui donna la mort. Il tomba au pied de la Croix. De tant de héros, cent quarante hommes seulement purent se sauver. Il-Ghâzî s'installa dans la tente de Roger pour présider au partage du butin. Quant aux prisonniers, les Turcomans donnèrent cours sur eux à leur sauvagerie native, écrit René Grousset. À coups de fouets, on les traîna nus, par files de deux ou trois cents, liés ensemble par des cordes, jusque dans les vignes de Sarmedâ. Par cette horrible journée de juin, ils mouraient de soif. Il-Ghâzî fit apporter des jarres d'eau qu'on plaça à leur portée. Ceux qui s'en approchaient étaient massacrés. Tous auraient péri sur-le-champ s'il n'avait voulu donner à la populace d'Alep le spectacle de son triomphe. La plèbe arabe se soignant aux soudards turcomans, une partie des captifs périrent au milieu des tortures. [René GROUSSET, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 114-117]

 

Seconde bataille de Dânith (14 août 1119), victoire de Baudouin II

 

C'était sur le champ de bataille où Roger d'Antioche, quatre ans auparavant, avait écrasé l'armée seldjûkide de Bursuq. Baudouin II, qui venait d'établir son camp sur le Tell Dânith, y apprit la proximité de l'armée turque et le péril que courait Zerdanâ. À l'aube du 13 août la cavalerie légère turcomane commença à se montrer et à tourbillonner autour des Francs en les criblant de flèches. Baudouin donna l'ordres sévères pour que l'armée redoublât de discipline, de cohésion et de vigilance. Le 14 août fut livrée la bataille qui devait décider du sort de la Syrie. Les Turcs, sous les ordres d'Il-Ghâzî et de Tughtekîn avaient la veille au soir transporter toutes leurs forces devant Dânîth. Nous savons qu'ils conservaient une énorme supériorité numérique, écrit René Grousset. Baudouin II, qui avait 700 chevaliers, divisa son armée en neuf corps, parmi lesquels les contingents du comte Pons de Tripoli, fils de Bertrand de Tripoli, occupaient l'aile droite. Les Turcs essayèrent d'abord d'intimider l'armée par un tourbillonnement de cavalerie légère lançant une pluie de flèches et de javelots. la masse franque ayant supporté, impassible, ce harcèlement, ils en vinrent au corps à corps. Ils réussirent à faire plier les troupes provençales qui, sous le comte de Tripoli, tenaient l'aile droite et qu'ils rejetèrent sur le corps d'armée du roi. Pons, cependant, ne s'abandonna pas. Entouré d'un groupe de fidèles, il tint bon au milieu des Turcs qui le débordaient. L'aile droite n'en était pas moins entamée, et les Turcs purent bousculer les lignes de cavalerie que Baudouin avait disposées pour protéger ses fantassins. Ces derniers, chargés en tous sens par les escadrons turcomans, subirent de très lourdes pertes. Baudouin II, avec ses troupes fraîches, rétablit le combat et, par son action personnelle, remporta la victoire. "Il cria à Notre-Seigneur de secourir son peuple, piqua des éperons et se jeta au plus épais de la mêlée." [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 118]

 

Il eut son cheval blessé au col, mais n'avait reçu lui-même aucune blessure. Plus surprenant encore, écrire René Grousset, fut le cas de l'archevêque de Césarée, Ebremar (ou Evremar) qui, sans cuirasse, vêtu de ses ornements sacerdotaux et portant la Vraie Croix, était sorti avec une simple égratignure de la mêlée où il anathématisait furieusement les infidèles. Baudouin II fut vainqueur, Il-Ghâzî et Tughtekîn se retirèrent vers Zerdanâ, Athâreb et Alep. La victoire fut chèrement achetée, mais certaine. Deux à trois mille Turcs tués; parmi les Francs de cinq à sept cents fantassins et cent chevaliers.

 

Pour se venger, les Turcs massacrèrent les captifs. Robert, seigneur de Sahiyûn (Saone) fut fait prisonnier. On l'amena à l'âtâlabeg Tughtekîn qui buvant dans sa tente, se leva, brandit son épée et trancha la tête de Robert. "Ce fut, comme souvent dans l'histoire turque, écrit René Grousset, une boucherie, une boucherie de sang-froid, loin du champ de bataille et après des tortures dignes de l'Extrême-Asie. Les prisonniers attachés à un poteau, servaient de cible aux Turcomans ivres, sous les yeux d'Il-Ghâzî. À d'autres, on coupait les membres, puis on les exposait, vivant encore, dans les rues et sur les places d'Alep. Il-Ghâzî, à la fin, complètement ivre comme ses hommes, convia toute la plèbe alépine à assister au massacre d'une quarantaine de captifs qui n'étaient pas assez riches pour pouvoir payer rançon. On les exécuta en sa présence, devant les portes de son palais, qui furent aspergées de sang." Gautier nous raconte comment l'arrivée d'un beau cheval arabe offert par le sheik Dubaîs interrompit le massacre, Il-Ghâzî ayant éprouvé le désir immédiat de monter son nouveau coursier. [R.Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 599-605]

Inutiles atrocités. Le roi de Jérusalem avait réparé les conséquences du désastre et, quand il regagna la Palestine, la principauté d'Antioche était définitivement sauvée.

 

Mariage entre Foulque et Mélisende

En 1131, après avoir enterré Baudouin II aux côtés de ses prédécesseurs sur le Calvaire, Foulque d'Anjou (1131-1143) est couronné roi de Jérusalem au Saint-Sépulcre avec Mélisende, fille de Baudouin II, le 14 septembre 1131, en la fête de la Sainte-Croix.

 

Foulque avait alors une quarantaine d'années. Tous ses biographes vantent sa piété, sa loyauté dans ses rapports avec ses vassaux, la correction de ses moeurs. Ce n'était pas de trop à l'heure où l'islam syrien entreprenait avec l'atâbeg Zengi (1127-1146) de réaliser son unité. Ce Turc énergique est aussi dévoué à la guerre sainte islamique que Baudouin Ier a pu l'être à la croisade. Il va réaliser la guerre sainte au bénéfice de sa royauté. Son programme essentiel reste l'unification de la Syrie musulmane, résultat politique qui, une fois atteint, devait assurer aux Musulmans la supériorité militaire sur les Chrétiens. Ce fut l'honneur du roi Foulque de l'avoir compris et d'avoir tout mis en oeuvre pour y faire obstacle.

 

En juin 1137, il vint attaquer la ville de Homs qui dépendait de l'état damasquin, mais le roi Foulque, avec un sens politique fort avisé, s'était constitué protecteur de l'indépendance damasquine. Zengi se retourna alors contre le comté de Tripoli où il vint attaquer la forteresse de Montferrand ou Baarin, au nord-est du Crac des Chevaliers. Le jeune Raymond II, fils de Pons, comte de Tripoli, fit appel au roi Foulque, qui était son suzerain et son oncle. "Le roi, qui était comme le père du pays", dit magnifiquement l'Eraclès, partit aussitôt pour Tripoli. La situation était d'autant plus grave qu'au même moment, le prince d'Antioche Raymond de Poitiers, successeur de Bohémond II, l'avisait que les Byzantins venaient d'envahir subitement la principauté d'Antioche. La vieille question de l'hypothèque byzantine sur Antioche se réveillait au moment précis où la Syrie musulmane commençait son redoutable mouvement d'unité.  Foulque décida de courir au plus pressé, de repousser le Turc, après quoi il irait à Antioche négocier avec le Byzantin. Nous retrouvons ici ce sentiment de la Chrétienté qui a fait la grandeur politique du XIIe et du XIIIe siècle et qui n'était autre chose que la conscience - combien obnubilée depuis les temps modernes ! - de la solidarité européenne.

 

Foulque et Raymond II partirent à marches forcées pour Montferrand-Baarin, dont la garnison assiégée par Zengi et manquant de vivres, ne pouvait tenir longtemps; mais ils furent surpris par Zengi  au moment où ils débouchaient des monts alaouites dans la plaine de Baarin. Une partie de 'larmée fanque avec Raymond II fut faite prisonnière, tandis que Foulque réussissait à se jeter avvec le reste dans Montferrand. Zengi commençai aussitôt le siège de la place. Dans cette situation tragique, le roi parvint à faire tenir une demande de secours au patriarche de Jérusalem, au comte d'Édesse Jocelin II et au prince d'Antioche Raymond de Poitiers, qui se mirent aussitôt en marche pour délivrer Montferrand. Raymond y eut un mérite tout particulier, car Antioche était sur le point d'être assiégée elle-même par les Byzantins: "S'il s'éloignait, il risquait de perdre sa ville, mais son honneur l'obligeait à aller sauver le roi." "À la fin, écrit magnifiquement Guillaume de Tyr, il recommande Antioche à Dieu, et laissant les Byzantins en entreprendre le siège, partit avec ses chevaliers pour délivrer Montferrand." Passage capital qui montre à quel point la monarchie créée par Baudouin Ier et par Baudouin II avait réalisé l'unité morale des colonies franques, puisque, à cette date, quarante ans après la fondation indépendante de la principauté normande d'Antioche, le prince d'Antioche n'hésitait pas à risquer le sort de sa terre pour sauver le roi de Jérusalem.

 

Zengi, se contenant de la conquête de Montferrand, permis à Foulque et à la garnison de se retirer librement avec leurs armes et tous les honneurs de la guerre et rendit même la liberté au comte de Tripoli Raymond II, ainsi qu'aux autres prisonniers francs (10-20 août 1137). Foulque se tira donc avec le minimum de dommages d'une situation pleine d'angoisses.

 

L'alliance damasquine

 

En mai-juin 1138 Zengi se fit céder par les Damasquins la ville de Homs. En octobre 1139 il leur enleva Baalbek, en faisant écorcher le gouverneur qui lui avait résisté et crucifier les soldats de la garnison; mais ces atrocités accrurent l'hostilité des Damasquins contre lui. Quand Zengi vint assiéger Damas en décembre 1139, les damasquins résistèrent avec énergie sous le commandement de leur vizir, un vieux capitaine turc nommé Ounour, "Aynard", comme écrit en francisant son nom, la chronique de l'Éracles. Pour repousser l'invasion, Ounour n'hésita pas à faire appel aux Francs. Il envoya dans ce but au roi Foulque le plus séduisant des ambassadeurs, l'émir Ousâma, de la grande famille arabe des princes de Chaizar. L'émir, qui fit plusieurs voyages auprès de Foulque, n'eut pas de peine à le persuader: si Zengi, qui posséait déjà Mossoul et Alep, s'emparait encore de Damas, la Syrie franque ne tarderait pas à être rejetée à la mer. Comme prix de l'intervention franque, le gouvernement de Damas s'engageait à restituer à Foulque la place-frontière de Paneas ou Baniyas. Foulque, qui avait convoqué l'armée franque pour délivrer Damas, n'eut pas besoin de livrer combat. la nouvelle de son approche, Zengi leva le siège et rentra à Alep (4 mai 1140). L'intervention du roi de Jérusalem avait sauvé l'indépendance damasquine. l'alliance des deux cours devint alors tout à fait étroite. Ounour, accompagné d'Ousâma rendit même visite à Foulque, à Saint Jean d'Acre.

 

Le roi Foulque goûtait ainsi les résultats de sa sage politique musulmane. L'amitié du vizir de Damas le garantissait contre toute attaque venue d'Alep. La grande ville arabe, sauvée par lui, était devenue sa meilleure alliée. Ce fut alors que le plus stupide accident vint terminer le règne. C'était à la fin de l'automne de 1143. La cour se trouvait à Acre. Un jour - sans doute le 10 novembre 1143 - Foulque, chassant et poursuivant un lièvre, son cheval buta et se renversa sur lui en lui écrasant le crâne. le roi resta dans le coma et expira le soir du troisième jour. Il laissait deux jeunes enfants, Baudouin III, âgé de treize ans, et Amaury, qui n'en avait que sept. Baudouin III fut proclamé roi sous la régence de sa mère Mélisende.

 

L'atâbeg d'Alep, Zengi, mis au courant de la situation, vint à l'improviste assiéger et prendre Édesse (28 novembre 1144 - 23 décembre 1144). La chute d'Édesse provoqua en Occident la prédication de la seconde croisade.

Zengi sera assassiné deux ans plus tard par ses pages le 14 septembre 1146, son royaume partagé entre ses deux fils, Ghâzi qui eut Mossoul et Nour ed-Dîn qui eut Alep.

 

[...] Nûr al-Dîn, le nouvel atâbeg d'Alep, avait montré, dès ses débuts qu'il entendait poursuivre avec plus d'esprit de suite le double programme de son père Zengî: unification de la Syrie musulmane, éviction des Francs. L'islamisation définitive d'Édesse, avec massacre systématique de la population arménienne et syriaque, la conquête sur Raymond de Poitiers de Artâh, de Kafarlâthâ et des autres places à l'est du bas-Oronte, avertissaient les Francs que la revanche musulmane descendait du nord-est. [René Grousset, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 242]

 

Le néfaste renversement d'alliance

 

Au mois de juin 1147 un émir du Hauran, révolté contre les gens de Damas, se donna aux Francs. La cour de Jérusalem ne sut pas résister à la tentation. Rompant pour un profit douteux la précieuse alliance damasquine, elle organisa, malgré l'avis des vieux compagnons de Foulque, une expédition au Hauran.

 

La cavalerie turque se joignant aux Arabes, harcelait nuit et jour les envahisseurs. Après avoir atteint Bosra, il fallait battre en retraite, retraite épuisante qui faillit tourner au désastre sans la vaillance du jeune Baudoin III, âgé alors de seize ans, et avait voulu suivre l'expédition. La situation parut si critique que les barons lui conseillèrent de s'enfuir avec la Vraie Croix sur le meilleur cheval de l'armée et de gagner Jérusalem à franc étrier pour échapper à la catastrophe imminente. Noblement, le jeune homme refusa : il entendait partager jusqu'au bout les périls de ses compagnons. Sa détermination sauva sans doute l'armée que son départ eût achevé de démoraliser, tandis que sa présence communiqua à tous son héroïsme. On raconta plus tard qu'une apparition surnaturelle, "un chevalier à la bannière vermeille, monté sur un coursier blanc", avait guidé l'armée chrétienne jusqu'aux frontières du royaume où il disparut mystérieusement. [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 134-135; 146; 155; 159-161]

 

Cette retraite, conduite de Bosrâ à Mukeis, au milieu de difficultés inouïes, coupée de feux de brousse, avec le harcèlement incessant de toutes les forces damasquines et alépines, constitue un des plus beaux épisodes de l'histoire militaire de l'Orient latin. Le désastre, côtoyé à chaque instant, avait été évité. Le jeune Baudouin III ramenait son armée invaincue, intacte, plus redoutée que jamais des Turcs. Restait, il est vrai, la grave faute politique commise en dépit des vieux compagnons du roi Foulque, par la rupture de l'alliance franc-damasquine.

 

"Mais ni Francs ni Damasquins ne désiraient élargir le fossé. Tout au contraire, les premiers comme les seconds ne pouvaient que sentir obscurément le besoin de rétablir contre la menace zengide l'entente conclue entre le roi Foulque et Mu'în al-Dîn Unur.

 

Malheureusement, à l'heure où ces vérités s'imposaient,  écrit René grousset, la deuxième croisade allait survenir, qui brouillerait toutes les données de la politique syrienne et à l'esprit colonial, caractérisé par l'alliance damasquine, substituerait une fois encore l'esprit de croisade - au mauvais sens du mot - pour lequel aucune distinction n'existait entre les diverses puissances musulmanes." [René Grousset, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, ibid., p. 222]

La deuxième croisade (1145-1149)

 

Saint Bernard prêche la 2ème croisade. Mais c'est un échec.

Conrad III

En 1144, la perte d'Edesse (1144) prise par l'atabeg de Mossoul, Zengî (1127-1146) est très vivement ressentie en occident et la prédication de Saint Bernard à Vézelay en 1146 pour une croisade limitée aux grands, rencontrant un succès considérable dans toutes les classes de la société, réveille l'esprit de croisade : deux armées se constituent sous la direction de l'empereur Conrad III de Hohenstaufen et du roi Louis VII. L'armée française et l'armée allemande comprennent chacune environ 70 000 hommes. Elles empruntent un itiniraire terrestre, qui suit la route de Godefroi de Bouillon par le Danube, la Serbie, la Thrace et Constantinople, les premiers précédant de quelques étapes les seconds, ce qui ne suffit pas à éviter les propos aigres-doux entre arrières-gardes allemandes et avant-gardes françaises. Odon de Deuil qui accompagnait Louis VII nous peint les croisés allemands comme des pillards et des ivrognes qui prétendaient toujours se servir les premiers. Le chroniqueur byzantin Kinnamos nous rapporte les plaisanteries des Français sur la lourdeur germanique : "Pousse, Allemand!" Conrad III allait en concevoir une vive animosité contre les Français. [René GROUSSET, de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 223-224]

 

Quant aux Byzantins, leurs rapports avec les croisés furent encore plus mauvais qu'au temps de Bohémond. les rixes se multiplièrent et Conrad III, irrité, songea un instant à donner l'assaut à Constantinople. "Il est vrai, écrit René Grousset, que l'empereur byzantin Manuel Comnène trahissait la chrétienté. En guerre quelques mois plus tôt avec les Turcs d'Asie mineure, il s'était, à l'approche de la croisade, hâté de conclure la paix avec eux et il n'allait cesser par la suite de les exciter en sous main contre les croisés.

 

Une fois en Asie Mineure, Conrad III continua à suivre l'ancien itinéraire de Godefroi de Bouillon en vue de la traversée de la péninsule en diagonale, du nord-ouest au sud-est. Mais à hauteur de Dorylée, le 25 octobre 1147, il fut abandonné pendant la nuit par ses guides byzantins. Le lendemain, il se vit assailli par toute l'armée turque. Les chevaux des Allemands étaient exténués par la marche et la soif, les chevaliers étouffaient sous leur lourde armure, tandis que les légers escadrons turcs, tourbillonnant autour d'eux sans accepter le corps à corps, les criblaient de flèches à distance. Conrad III, découragé, donna l'ordre de la retraite, talonné jusqu'à la frontière byzantine par les Turcs qui lui firent subir des pertes énormes. Quand il regagna Nicée, vers le 2 novembre, il ne lui restait pas le quart de son armée.

 

Pendant ce temps le roi de France Louis VII était arrivé le 4 octobre à Constantinople. Parti de Metz en juin 1147, il avait pendant la traversée de l'empire byzantin subi les mêmes avanies que Conrad. Comme Conrad, écrit René Grousset, et en dépit de l'accueil flatteur que lui réserva personnellement Manuel Comnène, il songea, ou plutôt on songea dans son entourage à tenter un coup de main sur Constantinople. Il eut la sagesse d'écarter cette suggestion et à la fin d'octobre passa en Asie avec son armée. Ce fut là, près de Nicée, qu'il apprit le désastre survenu à la croisade allemande dont il recueillit les débris avant d'aller plus loin.

 

La bataille du défilé de Pisidie, bataille du Mont Cadmos, ou bataille de Laodicée (6 janvier 1148)

 

Pour traverser les gorges de la Pisidie (Baba dagh ou Kadmos, contreforts du Kestel dagh, vallée du Gebren Tshaï, région d'Istanoz), tandis que les bandes turques étaient assurées de la complicité des gouverneurs byzantins et guettaient les Francs à chaque gorge, Louis VII avait donné aux siens les ordres de marche les plus stricts, mais le chef de son avant-garde perdit le contact; les Turcs, à l'affût sur les hauteurs voisines, se jetèrent aussitôt dans l'intervalle, et l'armée se trouva coupée en deux tronçons. Les Français, obligés de livrer combat dans des conditions exceptionnellement défavorables, au milieu des gorges ou à flanc de montagne, parmi les précipices, éprouvèrent de très lourdes pertes. Guillaume de Tyr ne cite que quatre barons tués dont Gaucher de Montjoie et Évrard de Breteuil, mais il est certain que nombreux furent ceux qui tombèrent sous les flèches des Turcs ou roulèrent dans les précipices.

Louis VII, un moment isolé de son escorte et poursuivi par un parti de Turcs, réussit, en s'accrochant aux branches basses d'un arbre, à se hisser sur un rocher surplombant d'où il tint tête à l'ennemi. La chronique nous le montre fauchant de son épée rouge de sang les têtes et les mains de ses assaillants qui, découragés, finirent par abandonner la partie.

La nuit venue, après avoir fait des prodiges de valeur, le roi profita de l'obscurité pour rejoindre l'avant-garde de son armée, où déjà on le croyait mort. Cette surprise de montagne, écrit René Grousset, pour meurtrière qu'elle ait été, inspira aux Turcs un respect salutaire pour la bravoure de l'armée capétienne qui put descendre sans incident jusqu'au port d'Adalia (20 janvier 1148). 

Le roi de France doit abandonner les non-combattants et s’embarquer pour Antioche avec ses chevaliers. Les mauvais rapports entre les croisés et Byzance et entre les croisés eux-mêmes ont réduit de trois-quarts les forces de la croisade. [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 161-162; et R. Grousset, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 235-240]

Louis VII de France dans les défilés de Laodicée en Syrie (1840, Antoine Félix Boisselie), Chateau de Versailles, Salle des croisades

Louis VII de France dans les défilés de Laodicée en Syrie (1840, Antoine Félix Boisselie), Chateau de Versailles, Salle des croisades

En 1148, ce sont finalement de maigres contingents qui parviennent jusqu'en Terre sainte. Et sur place les Francs sont divisés sur les objectifs à atteindre.

 

Le prince d'Antioche, Raymond de Poitiers, conseille d'attaquer Alep puis Édesse. Louis VII souhaite se rendre à Jérusalem. Par un scrupule religieux mal compris, il crut devoir refuser son concours à Raymond de Poitiers. L'arrivée du roi de France avec une armée, il est vrai, réduite, mais ayant conservé ses éléments militaires utiles - barons, chevaliers et sergents montés, débarrassés de la cohue des pèlerins - constituait une occasion unique de briser dans l'oeuf l'état syro-musulman. La chevalerie française était là, à pied d'oeuvre. D'Antioche, où elle se refaisait de ses fatigues anatoliennes, une chevaucée la conduirait sous les remparts de la capitale syro-musulmane, Alep, où la population était déjà frappée de terreur. Raymond n'avait pas à douter du succès. Comme le remarque avec regret Guillaume de Tyr, meilleur juge des évènements que les chroniqueurs de France, ces conquêtes, qui eussent changé la face de la Syrie et le cours de l'histoire, étaient faciles à réaliser si Louis VII avait profité de l'effet de surprise causé par son arrivée.

 

 

Le roi Louis VII part en croisade

 

Après avoir essayé plusieurs fois de convaincre le roi et les principaux barons français de ces vérités d'évidence, Raymond fit une dernière tentative en public auprès de Louis VII entouré de sa cour. Il démontra une fois de plus que la conquête d'Alep et la destruction du royaume zengide vaudraient au capétien une gloire immortelle en même temps qu'elles sauveraient la Syrie franque. Mais Louis VII répondit qu'il n'avait pris la Croix que pour faire le pèlerinage au Saint-Sépulcre et aller défendre Jérusalem - comme si, en cette année 1148, la défense de Jérusalem avait été" sur le Jourdain et non sur l'Euphrate et l'Oronte ! Une totale absence de sens politique, une méconnaissance entière des nécessités locales détournaient l'armée royale de son but et la croisade de sa raison d'être.

 

Louis VII fut reçu à Jérusalem avec la joie qu'on devin Ces assises de la croisade se réunirent à Acre au mois de juin 1148 (24 juin). Jamais on n'avait vu en Orient telle assemblée. Un empreur d'Allemagne et un roi de France y voisinaient avec le roi de Jérusalem. Jamais assemblée aussi imposante ne s'était réunie en Terre sainte. De sa décision pouvait dépendre l'affermissement définitif des établissements latins. Il suffisait pour cela de se rappeler d'où tous les coups étaient partis, d'évoquer la chute d'Édesse, et d'Artésie. Malheureusement, l'Assemblée d'Acre était uniquement hiérosolymitaine. Aucun représentant d'Antioche ni même de Tripoli. L'ascension de la puissance zengide fut totalement oubliée. À en croire Guillaume de Tyr, personne n'aurait seulement évoqué le nom de Nûr al-Dîn. Tout au contraire, on décida d'aller attaquer l'allié naturel des Francs, le vieil ami du roi Foulque, Mu'în-al-Dîn Unur, régent de Damas, utile contrepoids à la puissance montante de Nûr al-Dîn. (23-28 juillet 1148) C'était l'aggravation de l'expédition du Haurân.

 

 

L'échec de l'attaque contre Damas

 

Portrait de Nur al-Dîn

Le vieux vizir de Damas Mu'în al-Dîn Unur n'avait pu faire autrement que d'appeler à l'aider les deux princes znegides, Saïf al-Dîn Ghâzî, atâbeg de Mossoul, et Nûr al-Dîn, atâbeg d'Alep. C'étaient comme jadis Zengî lui-même, les ennemis nés de la dynastie bouride et de l'indépendance damasquine, et le prudent Unur ne l'ignorait pas. Eux non pkus, du reste, car, s'ils se mirent aussitôt en route, joyeux de l'occasion, ils s'arrêtèrent à Homs et posèrent leurs conditions: obtenir leur aide effective, Unur devait accepter au préalable l'entrée àD amas d'un corps d'armée zengide qui prendrait psosession de la citadelle ! En réalité, il est clair qu'une fois l'armée zengide en possession de la forteresse, il serait impossible dobtenir son départ et que la dynastie bouride, comme l'indépendance damasquine, aurait vécu. Unur ne fut pas dupe. Prudemment il différa sa réponse, mais se servit de la menace zengide pour intimider les Francs. Quel beau résultat pour la Croisade que de provoquer l'entrée des fils de Zengî à Damas, c'est-à-dire l'unification de toute la Syrie musulmane sous une dynastie nouvelle et entreprenante, éventualité catastrophique que toute la politique du vieux Foulque s'était employée à écarter !

 

Il était déjà regrettable que la deuxième croisade ait, dès ses premiers pas manqué à sa raison d'être en refusant d'aller attaquer Alep et l'empire zengide. C'eût été un comble qu'elle achevât, en jetant Damas dans les bras des Zengides de faire l'unité de la Syrie musulmane sous le sceptre de Nûr al-Dîn !

 

Menacée d'être prise à revers par une attaque de Nûr al-Dîn et ne trouvant plus à se ravitailler, il ne restait plus à l'armée chrétienne de parti que la retraite. Louis VII et Conrad III s'y résignèrent. Les Francs et les croisés s'accusent réciproquement de la défaite et quittent la Palestine sans autre résultat que de renforcer Nour ad-Din à qui la prise de Damas permit de faire à son profit l'unité de la Syrie musulmane (1154).

 

Conrad III se rembarqua le 8 septembre 1148 à St Jean d'Acre. Louis VII, lui, s'attarda en Palestine plus de six mois jusqu'aux fêtes de Pâques 1149.

 

Sanction de l'échec de la deuxième croisade: la frontière franque reportée de l'Euphrate à l'Oronte

 

L'atâbeg Nur el-Dîn reprit le cours de ses conquêtes. Le 29 juin 1149, il vainquit et tua le prince d'Antioche, Raymond de Poitiers, à la bataille de Fons Murez (ou Maarratha), village situé à 5 km au sud-est de Nepa-Inab.  

 

La bataille de Fons Murez

 

En mai 1149, il vint ravager le territoire de Hârim (Harenc), forteresse située sur la rive oritenatle de l'Oronte, à une quinzaine de kilomètres à l'est du Pont de Fer (Jisr- al Hâdid). Nür al-Dîn sollicita et obtint le concours du vizir de Damas, Unur, qui lui envoya un corps de troupes ous l'émir Buzân - triste conséquence de la folle rupture de l'alliance franc-damasquine par la Deuxième croisade. Raymond de Poitiers convoqua l'armée d'Antioche, mais sans attendre le rassemblement de tous ses barons, il partit en avant-garde avec ce qu'il avait pu rassembler dans on entourage immédiat. Abû Shâma nous dit qu'il avait seulement avec lui, contre les 6000 cavaliers de Nûr al-Dîn, 400 cavaliers et 1000 fantassins. Cette folle chevauchée qui rappelait la dernière expédition du prince Roger, de tragique mémoire, sembla d'abord réussir. Nûr alo-Dîn, croyant avoir  affaire à l'ensemble des forces franques, leva le siège de Nepa.

 

La témérité de Raymond de Poitiers s'accrut de ce succès. Il vint avec sa petite troupe camper en rase campagne à Fons Muratus ou Fons Murez, ou (ou Maarratha), village situé à 5 km au sud-est de Nepa-Inab.

D'après Michel le Syrien, des conseils de prudence furent vainement prodigués au prince d'Antioche par un chef ismâîlien qui, avec ses fidèles, était passé du service de Nûr al-Dîn à celui des Francs. Mais lui méprisa son conseil et, sans intelligence, il donna au milieu des Turcs.

Sûr de sa supériorité numérique, Nûr al-Dîn fit mouvement durant la nuit et cerna la position franque. De nouveau, le chef ismâîlien conseilla à Raymond de se sauve ren abandonnant son armée. Avec noblesse le prince d'Antioche refusa. Quand le jour se leva, Raymond de Poitiers, entouré de masses ennemies, se vit perdu. Éternelle histoire de ces paladins qui, de Roger de Salerne (bataille du Champ du Sang 1119) à Renaud de Châtillon, finiront, à force de témérités insensées, par perdre l'État franc de la Syrie du Nord. Comme eux tous, Raymond de Poitiers, l'irréparable une fois commis, sut mourir noblement. Le récit de l'Éracles, prend de nouveau ici une allure d'épopée. Le prince d'Antioche, ce lion vigoureux, fut tué. Nûr al-Dîn envoya la tête et le bras droit de Raymond au calife de Bagdad. La ville d'Antioche, surprise par cette brusque invasion, fut sur le point d'être emportée.

 

Puis Nûr al-Dîn enleva à la principauté d'Antioche les dernières places qu'elle possédait encore à l'est de l'Oronte, notamment Hârim et Apamée. Antioche elle-même ne fut sauvée que par l'énergie du patriarche Aymeri de Limoges et surtout grâce à la prompte arrivée du jeune roi Baudouin III (il n'avait encore que dix-huit ans), accouru de Jérusalem avec sa chevalerie.

 

Les places du nord (comté d'Edesse) comme Turbessel et Aïntab, trop exposées pour être défendues, furent vendues aux Byzantins, leurs populations arménienne évacuées, au cours d'une retraite mémorable où Baudouin III, rééditant la retraite d'Hauran trois ans plus tôt, fit l'admiration de tous par sa bravoure, et ses qualités de chef lors de la retraite de Aintâb, d'août 1150. La discipline et l'extraordinaire sang-froid du jeune Baudouin permirent de ramener les émigrants sains et saufs à Antioche, dont le convoi, étroitement encadré par les chevaliers, ne subit aucun dommage. [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 167]

 

Avec la liquidation du comté d'Edesse, la Syrie franque devait se résigner à reporter ses frontières derrière l'Oronte, heureuse si Nûr al-Dîn ne les franchissait pas et désormais condamnée à la défensive. [René Grousset, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, ibid., p. 262-296]

 

Enfin, le 25 avril 1154, Nûr al-Dîn fit son entrée dans Damas, dépossédant la dynastie locale et annexant le pays: de l'Euphrate au Hauran la Syrie musulmane était unifiée et entre les mains d'un homme fort. 

 

Selon les chroniqueurs, les chevaliers de la deuxième croisade se sont contentés d'un culte extérieur sans incidence aucune sur leurs dispositions profondes. leur foi ne pouvait qu'être défaillante. C'est pourquoi ils se sont trop fiés à leur propre puissance. Une telle arrogance leur a été fatale. Elle leur a valu la punition divine, selon les Annales rédigées en Hollande par les moines d'Egmond : "Ils mettaient leur confiance, non pas dans le Seigneur, mais dans leur propre forces. ... Ils firent vite de comprendre que 'l'homme ne triomphera pas par sa vigueur, mais que ses ennemis seront brisés par le Seigneur.' (I S, 2: 9-10).  [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 78].

 

En Angleterre, Jean de Forde écrit: "Dieu abandonna les faux pèlerins, rase les crânes des orgueilleux et remplit de honte les grands du monde, parce qu'ils ne cherchaient pas le Seigneur de façon authentique, mais qu'ils jalonnaient d'idoles leur pèlerinage."

 

À l'époque où se préparait la croisade, le saint ermite Wulfric († 1154), ajoute Jean, aurait eu la vision de sa catastrophe finale "pour la confusion des orgueilleux." (III, 28) [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 81].

 

Les historiens actuels avancent des raisons de nature politique ou militaire pour expliquer l'échec de la deuxième croisade. Ils avancent entre autres la coordination déficiente des armées de Louis VII et de Conrad III, le ralentissement de la troupe par la foule de pèlerins sans armes, vieillards, femmes et enfants compris, les difficultés du ravitaillement qui en découlent, le timide soutien de l'empereur byzantin Manuel Comnène ou la fin de l'effet de surprise de la première croisade auprès des Turcs, qui savent désormais riposter par des choix tactiques mieux adaptés. [Synthèse récente: Philipps, The Second Crusade: Extending the Frontiers of christendom, 2007 in Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 70].

 

En 1158, Baudouin III se maria avec la princesse Theodora, nièce de l'empereur Manuel Comnène. Lui, jusque-là si volage, l'aima dès lors uniquement jusqu'à sa mort.

 

Mort de Baudouin III, enluminure XIIIe s.

Baudouin III mourut à Beyrouth le 10 janvier 1162, à peine âgé de trente-trois ans, sans doute empoisonné par son médecin. Les gens de la montagne descendaient en foule pour saluer une dernière fois le cercueil; les Arabes eux-mêmes s'inclinaient devant celui qui avait toujours été pour eux un maître juste ou un adversaire chevaleresque. ceux qui proposaient à Nûr al-Dîn de profiter des circonstances pour attaquer les Francs, le grand atâbeg répondit noblement qu'il se ferait un scrupule de troubler le deuil d'un si vaillant guerrier. Ce salut d'un ennemi loyal accompagne Baudouin III dans sa tombe. Le quatrième roi de Jérusalem disparaît à la fleur de l'âge, sans une faute politique, sans une tache. Il avait partout fait reculer Nûr al-Dîn. Il quittait la vie, pleuré des musulmans comme des siens.

 

Couronnement d'Amaury Ier

N'ayant pas laissé d'enfant, son frère Amaury Ier lui succéda (1162). Initialement élective, la couronne du royaume de Jérusalem est devenue héréditaire. Contrairement à son frère Baudouin III, Amaury Ier se montra terriblement porté à la luxure et Guillaume de Tyr gémit sur le nombre des ses adultères.

 

L'Égypte

 

Au nord-est et à l'est, la constitution du grand royaume turco-arabe de Nour ed-Dîn barrait désormais toute possibilité d'expansion. En revanche, les nouvelles arrivant du Caire montraient que la décadence de la dynastie et du régime fâtimides était devenue irrémédiable. Ce n'étaient que tragédies du sérail, conspirations de palais et révolutions de caserne, parmi les intrigues de la Cour peut-être la plus corrompue qui fût jamais. Devant un tel spectacle Amaury Ier (1162-1174) comprit qu'une nouvelle phase de l'histoire des croisades venait de s'ouvrir. Les tentatives franques vers Alep et Damas étaient à jamais terminées. L'ère des croisades vers l'Égypte commençait, et devançant Jean de Brienne (1210-1225) et Louis IX, Amaury orienta l'expansion franque vers la vallée du Nil. L'Égypte allait-elle devenir une dépendance du royaume syrien musulman de Nour ed-Dîn ou un protectorat franc ?

 

Ce fut tout d'abord le protectorat de Nour-ed Dîn qui fut sollicité. L'ancien  vizir égyptien Châwer, chassé par son compétiteur Dirghâm, se réfugia en Syrie musulmane et implora de l'atâbeg l'envoi d'un corps expéditionnaire pour le restaurer dans le vizirat. En avril 1164, Nour ed Dîn chargea de cette mission son meilleur général l'émir kurde Chîrkouh, l'oncle de Saladin. En mai 1164, Chîrkouh apparaissait devant Le Caire, battait Dirghâm qui fut tué dans sa fuite, et réinstallait Châwer dans le vizirat. Mais entre les deux alliés l'accord ne dura guère. La protection de Chrikouh parut bientôt importune à Châwer. Le lieutenant de Nour ed-Dîn ne parlait plus de quitter l''Égypte. Et pour prix du service rendu, il exigeait une contribution de guerre, des provinces entières, s'éternisait dans le pays à la tête de son armée, se conduisait en maître. Excédé de son attitude Châwer n'hésita pas à faire appel aux Francs. Or, à l'appel de Châwer, Amaury Ier accourut. À son approche, Chîrkouh évacua la région du Caire pour s'enfermer dans la place de Bilbeïs. Il y fut assiégé par les forces réunies d'Amaury et de Châwer et se trouvait en assez fâcheuse posture, quand le roi de Jérusalem reçut une mauvaise nouvelle de Syrie: en l'absence de l'armée franque, Nour ed-Dîn avait enlevé la forteresse de Hârim à la principauté d'Antioche et la place frontière de Paneas ou Bâniyâs (août et octobre 1164). Amaury proposa à Chîrkouh d'évacuer l'Égypte, si Chîrkouh lui-même en faisait autant. Chîrkouh qui était à bout de ressources s'estima heureux d'accepter ces conditions. Les deux corps expéditionnaires rentrèrent simultanément en Syrie, tandis que Châwer restait paisible possesseur du pays (novembre 1164). Amaury avait empêché la vassalisation de l'Égypte par les gens de Nour ed-Dîn. C'est ce que ne manquait pas de se dire Chîrkou. De plus, aux yeux de musulmans sunnites orthodoxes comme Chîrkouh et Nour ed-Dîn, la doctrine musulmane chiite, que professaient les califes fâtimides n'était-elle pas une pure hérésie ? Le zèle confessionnel venait ainsi renforcer l'intérêt politique, et ce fut pour toutes ces raisons qu'en janvier 1167 Nour ed-Dîn chargea Chîrkouh d'entreprendre une nouvelle campagne pour la conquête de la vallée du Nil. Châwer, épouvanté, fit pour la seconde fois appel aux Francs. Chîrkouh avait déjà couvert avec son armée la distance qui sépare Damas du Caire. Mais Amaury avec l'armée franque arriva presque sur ses talons (février 1167). Châwer reçut comme un sauveur le roi de Jérusalem.

Amaury réunit à Naplouse le parlement des barons palestiniens et leur exposa la situation : si Nour ed-Dîn, déjà maître de toute la Syrie musulmane, mettait en outre la main sur l'Égypte, c'était l'encerclement et bientôt la ruine de la Syrie franque.

Pour sceller l'alliance avec ses amis francs, Châwer fit recevoir en audience par son maître le calife fâtimide, une ambassade du roi Amaury, conduite par Hugue de Césarée. Guillaume de Tyr nous décrit l'étonnement du baron latin pendant la traversée de ce palais des Mille et une nuits. "Ils traversèrent des galeries aux colonnes de marbre, toutes lambrissées d'or; ils longèrent des bassins de marbre remplis d'eau courante; ils entendaient les gazouillis d'une multitude d'oiseaux exotiques aux couleurs merveilleuses. [...] Un rideau tissé d'or, alourdi de pierreries, fut tiré et le calife apparut sur son trône d'or, vêtu d'un costume d'une richesse inouïe."

 

La bataille de Babeïn (18 mars 1167)

 

"Saladin rex Aegypti", manuscrit du xve siècle

Au centre les Francs, sous Amaury en personne, enfoncèrent l'ennemi, mais ils eurent le tort de se laisser entraîner beaucoup trop loin à la poursuite des fuyards. Quand ils furent de retour sur le champ de bataille, il s'aperçurent qu'à leur aile gauche Chîrkouh avait dispersé l'armée égyptienne malgré les éléments de soutien dont Amaury avait pris soin de la renforcer. le soir tombait. Les détachements rompus de l'armée franco-égyptienne se cherchaient à travers le moutonnement des dunes. Amaury, pour les rassembler, fit dresser sa bannière sur un tertre qui dominait le paysage. Quand il eut regroupé ses gens, ils les forma en colonne serrée et, au pas, marcha droit sur l'armée de Chîrkouh qui essayait de lui barrer la route du Nil. Chîrkouh n'osa pas recommencer le combat: il laissa le passage libre. Plus éprouvé que les Francs, il ne chercha même pas à les devancer sur le chemin du Caire, mais tandis que ceux-ci redescendaient vers la capitale égyptienne, il courut, lui, par un trait de grand capitaine, s'emparer d'Alexandrie, qui lui donnait une base solide en Égypte.

Amaury et Châwer vinrent aussitôt faire le blocus de la grande place maritime. Devant la disette qui en résulta, Chîrkouh résolut de confier la défense d'Alexandrie à son neveu, le jeune Saladin (1138-1193). Il sortit nuitamment de la ville et proposa la paix à Châwer, lui proposant de rendre Alexandrie et de rentrer en Syrie à condition qu'Amaury en fît autant. L'accord fut conclu sur ces bases (août 1167). Il donna lieu devant Alexandrie à des scènes de fraternisation pittoresque entre assiégés et assiégeants de la veille, les habitants venant avec curiosité visiter le camp des Francs où on les accueillit de bonne grâce. Réciproquement les soldats francs eurent licence d'aller en toute liberté se promener à travers la ville. Saladin rendit courtoisement visite à Amaury, dont il fut l'hôte pendant plusieurs jours. Châwer et ses amis, une fois maîtres d'Alexandrie, se mettant  à exercer leur vengeance sur ceux des habitants qui pendant le siège s'étaient montrés dévoués à Saladin, ce dernier fit appel à l'intervention d'Amaury, et le roi de Jérusalem, chevaleresquement, obtint de ses alliés une pleine amnistie pour toute la population. À la demande de Saladin, Amaury fournit même des vaisseaux pour ramener en Syrie les blessés de l'armée de Chîrkou, qui avec le reste de ses troupes reprit par voie de terre le chemin de Damas. Plus encore que la première fois, il était inconsolable d'avoir manqué de si près la conquête de l'Égypte. Au contraire, Amaury qui l'en avait empêché rentra à Jérusalem en triomphateur. Non seulement il avait sauvé l'indépendance égyptienne et arrêté l'unification du monde musulman, mais encore le gouvernement du Caire, pour le remercier de son intervention et s'assurer de son appui ultérieur, avait consenti à lui verser un tribut annuel de cent mille pièces d'or. En cet automne de l'an 1167 un véritable protectorat franc, librement accepté et même sollicité, venait de s'établir en Égypte.

 

Mariage de Marie Comnène et Amaury Ier de Jérusalem.

Pour consolider ce magnifique résultat, Amaury résolut de resserrer l'alliance franco-byzantine. À l'exemple de son prédécesseur Baudouin III, il demanda la main d'une princesse impériale. L'empereur Manuel lui accorda sa petite-nièce, Marie Comnène, qui débarqua à Tyr en août 1667 et dont les noces furent célébrées à Jérusalem le 29 du même mois.

 

Or, la cour de Constantinople ayant suivi la dernière campagne d'Amaury en Égypte en conclut que rien ne serait plus facile aux chrétiens que de s'emparer du pays.. Dès 1168, elle proposa au roi une expédition commune dans ce dessein. Guillaume de Tyr fut l'ambassadeur auprès de Manuel Comnène. Il fut entendu que l'année suivante les forces byzantines viendraient opérer leur jonction avec celles du roi de Jérusalem pour entreprendre la conquête du Delta. Il n'était pas sûr qu'une telle expédition dans l'état du monde musulman fût préférable au protectorat franc, écrit René Grousset, tel qu'il fonctionnait déjà en Égypte. C'était peut-être lâcher la proie pour l'ombre. Au moins fallait-il attendre ce concours. Par une erreur fatale, les Francs, dès octobre 1168, décidèrent d'opérer seuls. Nous savons que dans le conseil de la couronne les Hospitaliers, une partie des barons et tous les pèlerins fraîchement débarqués se prononcèrent avec violence en ce sens. Amaury combattit longtemps ce point de vue. Il finit malheureusement par se laisser entraîner. Il quitta Ascalon le 20 octobre, arriva devant Bilbeis le 1er novembre et prit la ville d'assaut le 4. Le 13 il apparaissait devant la vielle ville du Caire, Fostât. Châwer prit alors un parti désespérée, le même qu'en 1812 Rostopchine à Moscou. Pour empêcher les Francs de s'installer à Fostât, il mit le feu à la ville. Le roi de Jérusalem pouvait maintenant mesurer toute l'étendue de la faute qu'on lui avait fait commettre. Cette attaque contre son ancien protégé Châwer, attaque qui devant le public, prenait des allures d'une trahison, avait fait l'union de toute la population musulmane contre les Francs. Châwer se trouvait désormais livré sans contrepoids à la tutelle de Nur ed-Dîn.

 

Buste de Saladin à la Citadelle du Caire.

De fait, dès l'annonce de l'agression franque, ce dernier avait chargé Chîrkouh de retourner en Égypte. Le vieux capitaine, qui n'attendait qu'une telle occasion, partit à franc étrier. Le 8 janvier 1169, il fit son entrée au Caire où Châwer feignit de le recevoir avec une joie sans mélange. En réalité, l'inquiet vizir cherchait à recommencer son jeu de bascule et à gagner du temps, mais l'heure des ruses est passée. Le 18 janvier Châwer faisait à cheval une promenade jusqu'à la tombe d'un saint musulman. Saladin, neveu et lieutenant de Chîrkou, lui avait offert de l'accompagner. Les deux hommes chevauchaient côte à côte, lorsque, à l'improviste, Saladin saisit son compagnon de route au collet, le désarçonna et le mit en état d'arrestation. Quelques heures après, le malheureux était décapité et Chîrkouh s'installait à sa place dans les fonctions de vizir. Chîrkou étant décédé deux mois après (23 mars 1169), Saladin lui succéda dans le vizirat. Sous ce titre modeste qui respectait l'autorité théorique des califes-fainéants de la maison fâtimide, le jeune héros kurde sunnite était le maitre de l'Égypte. Ainsi, la néfaste expédition franque de 1168 n'avait abouti qu'à un désastre diplomatique aux conséquences incalculables. Au lieu d'une Égypte vassale, et inoffensive, voici que venait de s'installer à la tête de ce pays un jeune chef dont toute l'histoire ultérieure allait révéler le génie, homme de guerre et homme d'état de premier ordre, la plus forte personnalité qu'ait produite la société musulmane pendant toute l'époque des croisades. Et maître de l'Égypte, Saladin continuait à s'y considérer comme le lieutenant de Nour ed-Dîn. L'unité musulmane était ainsi refaite de l'Euphrate à la Nubie. Si on voulait empêcher l'étouffement de la Syrie franque, il fallait à tout prix faire cesser cette situation avant qu'elle ait eu le temps de se consolider. 

 

Saladin en profita pour venir menacer le royaume de Jérusalem du côté de Gaza, tandis que Nour ed-Dîn insultait la grande forteresse franque du crac de Moab. Saladin supprima en septembre 1171 le califat fâtimide du Caire, fit cesser le grand schisme religieux qui divisait l'islam depuis deux siècles, éteignit l'hérésie. Mais désormais, entre le nouveau roi d'Égypte en fait, sinon en titre et Nour ed-Dîn qui continuait à le traiter en simple lieutenant, les rapports ne tardèrent pas à se gâter. Sa foudroyante ascension commençait à porter de l'ombre au vieil atâbeg qui songeait sérieusement à organiser contre le général rebelle une expédition punitive. Saladin, informé de ces intentions, ménageait maintenant les Francs. Quand Nour ed-Dîn l'invitait à collaborer contre eux à une offensive commune, il se dérobait: le royaume de Jérusalem apparaissait au nouveau maître de l'Égypte un État-tampon providentiel contre la vengeance de Nour ed-Dîn. Ces possibilités s'élargirent encore, quand, le 15 mai 1174, Nour ed-Dîn mourut à Damas, en ne laissant comme héritier qu'un enfant de onze ans, Mélik es-Salih. [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 184-185; 188-198] 

 

En 1173, le sheik des Ismaîliens auraient, d'après Guillaume de Tyr, manifesté l'intention d'abjurer l'islam et de se convertir avec tout son peuple à la foi chrétienne. Assertion entièrement invraisemblable, écrit René Grousset, surtout si l'on songe que depuis 1169 ce sheik n'était autre que le célèbre Râshid al-Dîn Sinân de Bassora qui devait donner aux Ismaîliens de Syrie leur organisation terroriste. Ce qui est beaucoup plus plausible, c'est que devant la menace que constituaient pour eux la destruction du califat fâtimide et le triomphe de l'orthodoxie sunnite, Sinân et ses affiliés éprouvèrent le besoin de s'appuyer sur les Francs. Comme condition d'un accord contre Nur ed-Dîn, ils demandaient à être affranchis du tribut de 2000 besans que les Templiers établis au sud-ouest de leur territoire, dans la région de Tortose, leur avaient imposé. Amaury accueillit avec grande joie le message du Vieux de la Montagne. La redoutable secte, avec sa discipline de fer et les intelligences secrètes qu'elle possédait dans tout l'Islam, pouvait rendre aux Francs d'inestimables services. Amaury Ier, à qui on a si souvent adressé le reproche de'avarice, n'hésitait donc pas à dédommager de sa cassette les Templiers, tellement il estimait que la renonciation au tribut payé par les Ismaîliens ne pouvait entrer en ligne de compte avec l'immense bénéfice constitué par leur étroite alliance. Amaury avait compté sans les Templiers. Ceux-ci, ennemis jurés des Ismaîliens, résolurent d'empêcher à tout prix le rapprochement. À l'instigation de l'Ordre, l'un d'entre eux, Gautier du Mesnil assaillit et massacra les ambassadeurs ismaîliens au moment où ceux-ci rapportaient au grand maître la réponse favorable du roi. La colère d'Amaury fut terrible. Sur-le-champ on envoya à Eude de Saint-Amand, grand-maître du Temple, deux commissaires, Séhier de Maimendon et Godechaux de Turout, avec ordre de livrer immédiatement le meurtrier. le grand maître refusa. Se plaçant sur un pied d'indépendance à l'égard de la couronne, le Grand Maître ajoutait que nul ne toucherait au templier coupable. Cette tendance des Ordres militaires à s'ériger en États dans l'État était évidemment incompatible avec l'institution monarchique. Un jour viendra, après 1187, où, le pouvoir royal brisé, la royauté étant devenue élective et internationale, l'insubordination du Temple et de l'Hôpital sera une des causes de ruine de la Syrie franque. Amaury se rendit séance tenante à Sidon où résidaient pour lors le Grand Maître et son chapitre, fit assaillir par ses chevaliers l'hôtel du Temple et s'empara par la force du Templier criminel qu'il jeta dans un cachot à Tyr. Quant aux Templiers, l'Estoire d'Eracles nous laisse supposer que si Amaury avait vécu, il aurait entrepris une action auprès du Pape et des chefs de l'Occident pour faire expulser et dissoudre l'Ordre. Amaury Ier devançant de cent trente-cinq ans l'acte de Philippe le Bel !, écrit René Grousset. Notons seulement que si une telle mesure avait été effectivement prise en 1174, treize ans plus tard le désastre de Hattîn et la chute du royaume de Jérusalem auraient sans doute été évités. [René Grousset , de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 570-573]

 

Cependant, le roi de Jérusalem pouvait soit se constituer le protecteur du fils de Nour ed-Dîn contre les convoitises de Saladin, soit partager avec ce dernier la Syrie musulmane. La dissolution de l'empire de Nur ed-Dîn permettait au roi Amaury de revenir à la traditionnelle entente franco-damasquine, c'est-à-dire à la politique de son père, le roi Foulque. Amaury agitait ces pensées quand le mauvais destin de la Syrie franque vint l'arrêter en pleine action. Le 11 juillet 1174, il fut emporté par le typhus à Jérusalem à l'âge de trente-neuf ans. La mort de ce grand roi à un tel moment était un désastre dont l'État franc de Syrie ne devait pas se relever.[René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 184-185; 188-198; René Grousset , de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187, ibid., p. 577-578]

 

La mort d'Amaury laissait le champ libre à Saladin. Celui-ci en profita pour régler à sa guise la succession de Nour ed-Dîn. Le 25 novembre 1174, il se présenta devant Damas, y fit son entrée sans rencontrer de résistance et annexa la grande ville. Homs et Hamâ eurent le même sort. À l'exception d'Alep qu'il laissa jusqu'en 1183 aux faibles héritiers de Nour ed-Dîn, il était maître de la Syrie musulmane comme de l'Égypte. Le royaume franc de Jérusalem se voyait du jour au lendemain désormais encerclé par une puissante monarchie militaire. Et pour recueillir sa succession, Amaury ne laissait qu'un fils de treize ans, le jeune Baudouin IV. Il fut sans difficulté reconnu roi et sacré dans les trois jours au Saint-Sépulcre. L'adolescent, sur qui en ces heures graves reposaient les destinées de la France d'Outre-Mer, s'annonçait comme l'un des plus brillants représentants de cette dynastie d'Anjou qui en Occident s'épanouissait alors dans les Plantagenêt.

 

C'était nous dit Guillaume de Tyr, un enfant charmant et remarquablement doué, beau, vif, ouvert, agile aux exercices du corps, déjà parfait cavalier. D'une grande rapidité d'esprit et d'une excellente mémoire ("jamais il n'oublia une insulte et moins encore un bienfait"), il nous apparaît comme le plus cultivé des princes de sa famille. Dès l'âge de neuf ans on lui avait donné pour précepteur le futur archevêque Guillaume de Tyr, humaniste et arabisant, historien et homme d'État, qui allait par la suite devenir son chancelier, et nous savons par le témoignage du maître que l'élève profitait admirablement de ses leçons, notamment dans les lettres latines et dans l'étude de l'histoire, qui le passionnait.

 

Mais dès les premières lignes du portrait ému que Guillaume de Tyr trace ainsi de son royal élève, on sent percer une profonde tristesse. Cet enfant si beau, si sage et déjà si cultivé était secrètement atteint du mal horrible qui lui valut son surnom de Baudouin le Lépreux. Guillaume nous raconte comment on s'aperçut du malheur, un jour que le jeune prince jouait avec d'autres enfants, fils des barons de Jérusalem. "Il arrivait que dans l'ardeur du jeu ils s'égratignaient les mains, et alors les autres enfants criaient. Seul le petit Baudouin ne se plaignait pas. Guillaume s'en étonna. L'enfant répondit qu'il ne sentait rien. On s'aperçut alors que son épiderme était réellement insensible. On le confia aux mires, mais leur art se révéla impuissant à le guérir. "C'étaient bien les premiers symptômes de la terrible maladie qui, d'années en année, devait faire de cet adolescent plein de vaillance un cadavre vivant.

 

Le règne du malheureux jeune homme, de 1174 à 1185 - avènement à treize ans, décès à vingt-quatre - ne devait donc finalement être qu'une lente agonie, mais une agonie à cheval, face à l'ennemi, toute raidie dans le sentiment de la dignité royale, du devoir chrétien et des responsabilités de la couronne en ces heures tragiques où au drame du roi répondait le drame du royaume. Et quand le mal empirera, quand le Lépreux ne pourra plus monter en selle, il se fera encore porter en civière sur le champ de bataille et l'apparition de ce moribond sur cette civière mettra en fuite les Musulmans.

Non moins clairvoyant au conseil, si les barons avaient toujours écouté sa précoce sagesse, bien des catastrophes eussent été évitées. Mais en raison de son état, il fut trop souvent obligé, même parvenu à l'âge d'homme, de remettre le pouvoir entre leurs mains, ou plutôt d'assister à leurs querelles sans réussir à leur imposer son royal arbitrage. [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 199-201; René Grousset , de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187, ibid., p. 579]

 

Représentation médiévale du couronnement de Baudouin

De la deuxième à la troisième croisade

 

"En 1160, Renaud de Châtillon écumant la Syrie de ses brigandages fut fait prisonnier et conduit à Alep où il devait passer seize années de captivité.

 

"Lorsqu'il fut libéré en 1176, bien des changements s'étaient produits dans le royaume de Jérusalem. Et d'abord, sa propre femme, Constance d'Antioche, était morte douze ans auparavant. Renaud, qui ne tenait Antioche que de son fait, ne pouvait plus prétendre à son ancienne principauté; il ne tarda pas à épouser 'la dame du Krak', soit Stéphanie ou Etiennette de Milly, qui lui apportait en dot sa seigneurie lointaine, la terre d'Outre-Jourdain - la transjordanie -, avec les châteaux du Krak de Moab (Kérak) et de Montréal (Chaubak) situés au-delà de la mer Morte et sur le passage des caravanes allant de Damas au Caire. En soi, c'était là une intelligente utilisation du seigneur brigand, que de lui confier ces places lointaines, 'marches-frontières', dont la conservation exigeait un guerrier de valeur; mais son éloignement le rendait aussi dangereux, en le mettant hors de portée de l'autorité royale, et cette indépendance allait avoir de fâcheux résultats." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 132]

 

"Dans le même temps, le roi de Jérusalem, était Baudouin IV (1174-1185, fils d’Amaury), l'enfant lépreux, dont l'héroïsme poussé au sublime maintenait seul le précaire royaume de Jérusalem que menaçaient autant les divisions intérieures (à commencer par ses deux beaux-frères, Guy de Lusignan, puis Onfroy de Toron) que la constitution d'une nouvelle unité musulmane réunissant Égypte et Syrie dans la main d'un héros tel que Saladin." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 132-133]

 

En 1163, "la plus belle et la mieux connue de ces constructions est évidemment le Krak des chevaliers… À plusieurs reprises les forces musulmanes tentèrent de réduire le krak, qui semblait résumer à lui seul la force franque. Déjà le sultan Nouer-el-Din, maître d'Alep et d'Édese, et fort de l'échec de la deuxième croisade, avait essayé de s'en emparer. Il venait d'anéantir les armées du prince d'Antioche Raymond, celle de Jocelin d'Édesse, et marchait de succès en succès lorsqu'il installa son camp devant le krak. La garnison était réduite à des effectifs squelettiques et sa reddition paraissait assurée; or, un jour, sur l'heure de midi, alors que seuls quelques gardes veillaient dans l'écrasante chaleur, les chevaliers surgirent, équipés de pied en cap, et bousculèrent d'un coup, avant même qu'elles fussent revenues de leur surprise, les troupes du Sultan, qu'ils poursuivirent jusque sur les bords du lac de Homs. Ce combat de bosquet qui en 1163 libéra le krak, reste l'un des faits d'armes les plus étonnants des croisades. Saladin lui-même devait plus tard échouer devant le krak." [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 185-186]

 

"(Saladin) On l'imagine volontiers sous l'aspect d'un conquérant auréolé par ses victoires, de haute taille et de superbe allure. Or, il était petit et offrait une apparence de fragilité. Il portait une barbe courte et régulière. Il avait un visage pensif. Sa courtoisie était extrême, mais il avait le coeur d'un lion et l'esprit d'un héros. [...] La vieille race kurde donnait en lui ses fruits; son insolente vigueur s'était affinée pour donner un être vraiment supérieur, tirant se force de l'intelligence." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 237-268] "Avec lui l'élément kurde, c'està-dire indo-européen, s'emparait de l'hégémonie dans le monde musulman. [...] Fraîcheur d'un sang nouveau, vigueur de cette race montagnarde des Kurdes que la décadence abbâsside n'avait même pas effleurée et qui, dans un Islam de Bas-Empire, apportaient une réserve d'énergie et comme une sève de jeunesse, sans la sauvagerie de l'élément turc : cet avènement d'une dynastie indo-européenne, diraient les mythologues de l'ethnicisme, d'une famille de highlanders, dirons-nous plus simplement, devait renouveler la face de l'Islam égypto-syrien." René Grousset , de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 511]

 

1177 : La bataille de Montgisard, le plus grand fait d'armes des Francs 

 

Le 18 novembre 1177, c'est la victoire de Montgisard. Saladin est défait par le jeune roi lépreux Baudouin IV, qui n'avait que 17 ans.

 

Les effectifs

 

« Il n'avait sous la main que quatre cents hommes. Ramassant ce qu'il put rallier de gens, il se porta avec la Vraie Croix au-devant de l'envahisseur. » [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 204-205]

 

« L'armée égyptienne était forte de vingt six mille hommes : huit mille cavaliers d'élite, dont mille habillés de jaune safran formaient la garde personnelle du sultan, et dix-huit mille cavaliers ordinaires. [...] Baudouin ne disposait que de quatre cents chevaliers et d'un millier de fantassins. » [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 279]

 

« Au témoignage d'Ernoul (Estoire de Eracles), répétons-le, le roi Baudouin IV ne disposait que de cinq cents chevaliers, et encore faut-il comprendre dans ce chiffre les chevaliers de l'Hôpital et du Temple. » [René Grousset , de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 618]

 

« 500 chevaliers contre les 30 000 hommes de l'armée de Saladin à Montgisard » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 98]

 

« 500 chevaliers auxquels se joignirent 80 Templiers (en tout 3000 combattants) contre 30 000 Mamelouks au moins, groupés autour de Saladin... » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 156]

 

« Les Templiers qui formaient la garnison de Gaza furent prévenus à temps et se joignirent à lui. Guillaume de Tyr cite le grand maître du Temple (Eudes de Saint Amand), au premier rang des barons qui accompagnèrent Baudouin IV dans sa chevauchée, qui avec lui quatre-vingt frères à armes, et les princes Baudouin de Rames (=Ramla), seigneur de la terre de Montgisard près de laquelle on se trouvait, et Balian d'Ibelin, son frère, Renaut de Saiete (de Sidon), Jocelin d'Edesse, oncle du roi et sénéchal, comte sans comté. [Mais aussi Renaud de Châtillon (Pierre Aubé, Un croisé contre Saladin, Renaud de Châtillon, Fayard, 2007, p. 162), l'hospitalier Roger de Moulins. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 281]

 

Le lieu : MONTGISARD.

 

La date : le vendredi 18 novembre 1177.

 

« Sur ces entrefaites débarqua en Palestine avec une imposante escorte un croisé illustre, le comte de Flandre Philippe d'Alsace. Depuis Robert II, le héros de la première croisade, jusqu'à Thierry d'Alsace, la Flandre avait joué un rôle magnifique dans l'histoire de la Syrie franque. Justement, à cette heure, l'empereur byzantin Manuel Comnène, exécutant les promesses faites au feu roi Amaury, annonçait l'envoi d'une Armada pour coopérer avec les Francs dans une nouvelle descente en Égypte. Mais Philippe refusa de participer à une expédition qu'il jugeait hasardeuse. Sans doute l'échec final du roi Amaury n'était-il guère encourageant. Il n'en est pas moins vrai que c'était en Égypte seulement que l'empire de Saladin pouvait être ébranlé, à condition, bien entendu, que Francs et Byzantins coopérassent cette fois avec une égale ardeur aux opérations. La cour de Constantinople, éclairée par les évènements, était enfin décidée à faire tout l'effort nécessaire, mais, malgré les supplications pathétiques du Roi Lépreux, Philippe d'Alsace s'obstina dans son refus. Les amiraux byzantins, rebutés, se rembarquèrent. Quant à Philippe, au lieu d'attaquer Saladin au point vulnérable, dans le Delta, il partit guerroyer dans la Syrie du nord, non sans emprunter d'office à Baudouin IV les meilleures troupes du royaume. Saladin s'aperçut que, de ce fait, la Palestine se trouvait dégarnie de défenseurs. Quittant aussitôt l'Égypte avec sa cavalerie, il conduisit un raid foudroyant sur Ascalon, le principal boulevard de la puissance franque au sud-ouest. 

 

Saladin incendiant une cité. Guillaume de Tyr, Historia

« Dans cette situation angoissante le jeune roi fut héroïque. Son armée prêtée au comte de Flandre, guerroyait loin, entre Antioche et Alep. Il n'avait sous la main que quatre cents hommes. Ramassant ce qu'il put rallier de gens, il se porta avec la Vraie Croix au-devant de l'envahisseur. Si rapide fut sa marche qu'il devança Saladin à Ascalon. À peine y était-il entré, que l'armée égyptienne, forte de vingt-six mille homme, l'y investissait.

 

« La situation des Francs paraissait si désespérée que Saladin, négligeant leur misérable petite armée dont la reddition ne semblait qu'une question d'heures, décida, en laissant devant elle, vers Ascalon, de simples rideaux de troupes, de marcher droit sur la Judée, peut-être même jusqu'à Jérusalem vide de défenseurs. Au passage, à travers la plaine qui s'étend d'Ascalon à Ramla, il brûlait les bourgs et pillait les fermes, en laissant ses escadrons s'enrichir de la rafle de tout un pays.

 

« L'avant-garde de Saladin, conduite, nous dit Guillaume de Tyr, par un renégat arménien, avait déjà, dans la nuit du 23 au 24 novembre, couru jusqu'à Ramla, qu'elle trouva évacuée :  Baudouin de "Rames" était allé avec ses hommes d'armes rejoindre le roi à Ascalon, tandis que les femmes et les non-combattants s'étaient réfugiés partie à Jaffa, partie au château de Mirabel (Majdal Yâbâ), à une vingtaine de km au nord de Ramla. Après avoir brûlé Ramla, l'abant-garde aiyûbide alla assiéger Lydda (Ludd) dont les habitants, criblés de flèches et se sentant hors d'état de défendre le rempart, commençaient à se réfugier en suppliants dans l'église de Saint-Georges. Les coureurs aiyûbides arrivèrent jusqu'à Calcaille (Qalqiliya), à quelques 28 km au nord de Lydda, entre Arsûf et Naplouse.

 

« L'effroi, nous dit Guillaume de Tyr, était tel par tout le pays chrétien que non seulement les gens de la plaine philistine ou de la plaine d'Esdrelon, mais aussi les habitants des châtaux de la montagne judéenne jugeaient la résistance impossible. À Jérusalem même régnait la panique. Les plus énergiques bourgeois de la ville ayant été capturés avec l'arrière-ban, les chrétiens étaient prêts, à la première apparition des forces musulmanes, à évacuer la ville basse pour se réfugier dans la Tour de David. Jamais peut-être le royaume franc n'avait, depuis sa fondation, couru pareil péril. Saladin, lui-même, avec le gros de son armée, se préparait à marcher sur Jérusalem. [...] "Les troupes du Sultan, constate Ibn al-Athîr, pillaient, tuaient, faisaient des prisonniers, brûlaient et se dispersaient dans la contrée pour y faire des courses. Comme aucune armée de Francs ne se montrait et qu'il ne se rencontrait personne pour défendre le pays, les Musulmans, pleins d'espoirs, concevaient plus de confiance et se répandaient sans crainte de tous côtés." Grisé par le succès, Saladin montrait une cruauté inaccoutumée. On l'avait vu, au départ d'Ascalon, réunir les prisonniers et leur faire trancher la tête.

 

« Témoignage d'Ibn al-Athia : 'Les troupes du sultan pillaient, tuaient, faisaient des prisonniers, brûlaient et se dispersaient dans la contrée, pour la razzier. [...] La fumée des incendies montait de tous les points de l'horizon. » [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid.p. 280-281] 

 

« Dans sa marche triomphale et sans obstacle, il (Saladin) était arrivé, d'après certains chroniqueurs , près de Tell Djézer (Gezer), le Montgisard des Francs, d'après d'autres, seulement devant Tell Séfi, la Blanche-Garde des croisés, à l'entrée de la vallée des térébinthes [8 km au sud-est de Ramla. Selon la Bible, c'est dans cette vallée que David combattit Goliath... C'est aussi à cet endroit dénommé Gezer, que lors de la révolte des Maccabées, mentionnée dans les livres des Macchabées; Judas Maccabée, après sa victoire à Emmaüs, poursuivra ce qui reste de l'armée grecque séleucide. NdCR.], et il se mettait en devoir de faire traverser par son armée le lit d'un oued, lorsque, à sa stupéfaction, il vit surgir au-dessus de lui, du côté où il s'y attendait le moins, cette armée franque qu'il croyait réduite à l'impuissance derrière les murailles d'Ascalon (25 novembre 1177).

 

« C'est qu'il avait compté sans Baudouin IV. Dès que celui-ci, du haut des tours d'Ascalon, eut constaté le départ de Saladin, il avait pris du champ avec sa petite armée; mais, au lieu de suivre l'ennemi sur la grande route de Jérusalem, il avait fait un crochet vers le nord, le long de la côte, pour se rabattre ensuite droit au sud-est, sur la piste des Musulmans.

 

« Il suffit de regarder une carte pour constater que Baudouin IV décrivit ainsi un arc de cercle d'environ 65 km pour venir surprendre l'ennemi par le nord, alors que ce dernier le croyait toujours immobile au sud-ouest

 

« [...] En d'autres circonstances la chevalerie franque eût sans doute hésité devant son incroyable infériorité numérique, mais l'ardeur des premiers croisés animait le Roi Lépreux. "Dieu qui fait paraître sa force dans les faibles, écrit Michel le Syrien, inspira le roi infirme. Il descendit de sa monture, se prosterna face contre terre devant la croix et pria avec des larmes. À cette vue le coeur de tous les soldats fut ému, ils jurèrent sur la croix, de ne pas reculer et de regarder comme traître quiconque tournerait bride. Ils remontèrent à cheval et s'avancèrent contre les Turcs qui se réjouissaient, pensant avoir raison d'eux. En voyant les Turcs dont les forces étaient comme la mer, les Francs se donnèrent mutuellement la paix et se demandèrent les uns aux autres un mutuel pardon. Ensuite ils engagèrent la bataille. Au même instant, le Seigneur souleva une violente tempête qui enlevait la poussière du côté des Francs et la jetait au visage des Turcs. Alors les Francs comprenant que le Seigneur avait accepté leur repentir, prirent courage, tandis que les Turcs tournaient bride et s'enfuyaient."

 

« Avant le combat, Baudouin d'Ibelin vint réclamer au roi l'honneur d'engager l'action : 'Sire, je vous demande la première jouste!'. Lui et son frère Balian II d'Ibelin se montrèrent dignes d'un tel honneur, car ce furent eux, qui par leur charge furieuse rompirent l'armée aiyûbide. Guillaume de Tyr, de son côté, nous montre Baudouin IV et ses trois cents chevaliers plongeant et se perdant un instant dans la cohue des forces musulmanes, qui tentaient de se rallier au milieu de l'oued.

 

« Même récit épique chez le chroniqueur syriaque Michel, patriarche de l'église jacobite, qui, est Guillaume de Tyr, contemporain des évènements : "[Le Seigneur eut pitié des chrétiens. Tout le monde avait perdu espoir, car le mal de la lèpre commençait à paraître sur le jeune roi Baudouin qui s'affaiblissait, et dès lors chacun tremblait.] Mais le Dieu qui fait paraître sa force dans les faibles inspira le roi infirme..."

 

Charles-Philippe Larivière, La Bataille de Montgisard, 1177

 

« Au premier rang se dressait la Vraie Croix, portée par l'évêque Aubert de Bethléem; elle devait, une fois de plus, dominer la bataille et plus tard les combattants chrétiens devaient avoir l'impression qu'au milieu de la mêlée elle leur était apparue immense, au point de toucher le ciel. [...] Les Musulmans, qui pensaient d'abord les étouffer sous le nombre, commencèrent bientôt à perdre contenance devant la furie française. "Le passage, dit le Livre des deux jardins, était encombré par les bagages de l'armée. Soudain surgirent les escadrons des Francs, agiles comme des loups, aboyant comme des chiens; ils chargèrent en masse, ardents comme la flamme. Les Musulmans lâchèrent pieds." Saladin, le sultan d'Égypte et de Damas, avec ses milliers de Turcs, de Kurdes, d'Arabes et de Soudanais, fuyait devant les quatre cents chevaliers de l'adolescent lépreux...

 

Fuite éperdue, jetant bagages, casques et armes, ils galopaient à travers le désert d'Amalek, droit vers le ruisseau d'Égypte et le Delta. pendant deux jours Baudouin IV ramassa sur toutes les pistes un butin prodigieux, puis il rentra à Jérusalem en triomphal arroi. De fait, écrit René Grousset, jamais plus belle victoire chrétienne n'avait été remportée au levant et, en l'absence du comte de Flandre et du comte de Tripoli, tout le mérite en revenait à l'héroïsme du roi dont les dix-sept ans, triomphant pour un instant du mal qui rongeait son corps, s'égalaient à la maturité d'un Godefroi de Bouillon ou d'un Tancrède.

 

« Les Francs [...] dans une charge furieuse pénétrèrent jusqu'à Saladin. Celui-ci faillit être tué. "J'ai vu ce jour-là, racontait-il par la suite, un chevalier courir sur moi à fond de train, sa lance dirigée contre ma poitrine; il était suivi de deux compagnons qui me visaient comme lui; j'allais être atteint lorsque trois de mes officiers foncèrent sur ces cavaliers et prévinrent leur choc sans laisser à mon agresseur le temps de me frapper." (Deux Jardins, p. 112.) La fidélité de ces mamelûks sauva Saladin.

 

« Le neveu de Saladin, Taqî al-Dîn, essaya d'abord d'arrêter la charge des Francs. Mais le propre fils de Taqî al-Dîn, Ahmed, fut massacré après avoir abattu un chevalier. Ses cavaliers repoussés, se dispersèrent. Antérieurement, écrit René Grousset, l'autre fils de Taqî al-Dîn, Sâhinshâh, avait fait défection et était passé à l'ennemi à l'instigation d'un habitant de Damas, protégé des Francs, qui lui avait laissé entendre que ceux-ci l'aideraient à obtenir, dans les dépouilles de Saladin, le royaume d'Égypte. Ce détail montre que, même sous le régime de Saladin, les Francs avaient conservé des intelligences dans la population damasquine et jusque dans la propre famille de Saladin.

« [...] Saladin ordonna enfin la retraite sans cesser de combattre, sauvé par la nuit qui tombait, mais perdu avec les débris de son armée sans eau et sans vivres dans les solitudes de l'ancien Siméon et de l'ancien Amalek, puis vers les sables de la péninsule sinaïtique. Ce fut une fuite éperdue : là-dessus, tous les témoignages concordent.

 

« Lorsque le sultan rentra au Caire, en décembre 1177, il ne lui restait qu'une centaine de cavaliers. Des groupes de fuyards parvinrent ensuite en Égypte ; ils ne représentaient pas le dixième de l'armée qui avait envahi le royaume de Jérusalem un mois avant. C'était plus qu'une bataille perdue, une défaite totale.

 

Saint Georges terrassant le dragon, palazzo San Giorgio (Gênes)

« Ernoul raconte que maints chevaliers et sergents qui avaient pris part à la bataille eurent l'impression que la Vraie Croix grandissait jusqu'à toucher le ciel. Il raconte aussi que des chevaliers sarrasins qui avaient été capturés, demandèrent qui était ce chevalier aux blanches armes qui les avait pris après avoir fait grand carnage des leurs. On leur répondit que c'était saint Georges, dont, la veille, ils avaient ruiné l'église. René Grousset voyait avec raison dans Montgisard la plus grande victoire remportée par les Francs, depuis le début des croisades. Jamais, en tout cas, un si petit nombre d'hommes n'avait triomphé d'une armée aussi nombreuse et redoutable que celle de Saladin. Quel n'eût été le destin du royaume de Jérusalem si Baudouin IV n'avait pas été lépreux, s'il avait vécu plus longtemps ! », écrit George Bordonove.

 

Baudouin profita de sa victoire pour mettre la Galilée à l'abri des incursions venues de Damas.

  

[René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 204-207; René Grousset , de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 617-630; Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 279-283]

 

Trois ans plus tard, en 1180, une trêve est signée entre Baudouin IV, le Roi lépreux, et Saladin qui « conclurent une trêve renouvelable, ce qui dans le droit franco-musulman de l'époque équivalait à la paix. En somme pendant ces trois années le Roi Lépreux avait tenu tête au redoutable sultan, et l'accord de 1180 consacrait le statu quo. » [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 208-209] 

 

Les évènements suite à la mort du roi lépreux

 

En août 1182, Saladin tenta de prendre Beyrouth pour couper les États latins en deux, mais ce fut un échec. En 1186, un an après la mort de Baudouin (1185), la loi salique ne jouant pas à Jérusalem, Guy de Lusignan devint roi de Jérusalem (1186-1192) par son mariage avec Sibylle, la soeur de Baudouin IV.

 

Parallèlement, les évènements qui se déroulent après 1180 font bien ressortir ce qu'on pouvait attendre d'un guerrier brigand tel que Renaud de Châtillon: il commença par faire merveille à la bataille de Montgisard (1177), "l'exploit le plus étonnant des croisades". Mais, trois ans plus tard, au mépris des trêves qui garantissaient la sécurité des caravanes allant à La Mecque, en pleine paix avec Saladin, il se jeta sur l'une d'elles et rentra dans sa seigneurie du Krak, avec butin et prisonniers. Lorsque Baudouin apprit cette agression, il fut consterné; il ordonna à son vassal de relâcher sans tarder ses captifs et d'aller faire amende honorable devant Saladin. Renaud s'y refusa. Ni menaces, ni prières ne purent l'atteindre. Ce qui ne l'empêchera pas, lorsqu'en représailles de ses actions, l'armée du Caire viendra envahir la Transjordanie, d'adresser au roi un appel suppliant.

 

Une série de combat s'en suivra, qui sans la vaillance du jeune roi et l'extrême rapidité de ses mouvements stratégiques aurait dès cet instant compromis gravement les possessions franques. On aurait pu croire un moment que la leçon avait profité au terrible seigneur d'Outre-Jourdain. Mais il était de toute évidence incapable de résister à l'attrait d'un pillage et cette fois nourrissait une opération de grand style; les racontars que l'on colportait sur les richesses fabuleuses entassées dans les villes saintes du 'prophète' : La Mecque et Médine, hantaient son imagination. L'idée lui vint d'étendre jusque-là ses opérations. Au service de ce projet il conçut un stratagème qui constitue un véritable exploit tant du point de vue technique que du point de vue militaire. Il fit construire une flotte en transjordanie, qu'il transporta en pièces détachées, à dos de chameaux, jusque sur la mer Rouge dans le golfe d'Aqaba ; là les galères furent remontées une à une et prirent la mer, près de Suez, vers Aïlat dont il avait fait le siège. Ces cinq galères, après avoir tenu la mer pendant quatre mois (fin 1182- début 1183), allèrent piller jusqu'à Aden, sur les côtes de l'Égypte et du Hedjaz; tour à tour un vaisseau de pèlerins revenant de La Mecque, deux navires marchands du Yémen furent capturés. "Grande fut la terreur des habitants de ces contrées", écrivirent les historiens arabes. Le butin s'entassait sur les bêtes de somme, et Renaud n'était plus qu'à une journée de marche de Médine lorsqu'il fut arrêté et sa flottile réduite par la forte escadre égyptienne qu'avait envoyée contre lui Saladin. Mais, autant que la terreur, il avait suscité, par ses coups de main, l'indignation des Musulmans, et réalisé désormais contre la Syrie franque l'unanimité des Musulmans. Saladin vint faire le siège du krak de Moab où était rentré Renaud, "le loup embusqué dans la vallée", comme le nomme les historiens orientaux.

 

Ci-dessous, trois videos extraites du film Kingdom of heaven, ou Le Royaume des Cieux montrant une charge de la cavalerie franque à Kérak, l'entrevue entre Saladin et Baudouin IV et la désastreuse bataille de Hattin :

« C'est alors que se place l'épisode chevaleresque que nous rapportent les chroniques... Les malheureux habitants du bourg de Kérak allaient être massacrés par les Mamelouks (novembre 1183); une fois de plus, l'intervention de Baudouin IV - la lèpre l'avait alors rendu aveugle et il n'était plus qu'un cadavre ambulant qui se faisait porter en civière, mais demeurait à la tête de l'armée - sauva Kérak... Et Saladin en reprit vainement le siège l'été suivant.

« C'est un nouvel acte de brigandage - il devait être le dernier - commis par Renaud de Châtillon qui allait déclencher le drame final de la Terre sainte, le désastre de Hattin. Au moment même où, en 1184, Saladin proposait une trêve de trois ans, une caravane s'en retournait d'Égypte à Damas; elle transportait la propre soeur de Saladin. Renaud de Châtillon ne peut se tenir de faire main basse sur ces richesses. Cette fois, le sultan jura de le tuer de sa propre main. Il devait tenir parole.

 

« Au même moment - il était dit que dans l'entourage de l'admirable roi lépreux rien ne serait épargné pour faire contraste avec sa sagesse et son incroyable valeur - le propre beau-frère de Baudouin, celui qui, par son mariage avec Sibylle, était devenu le futur héritier du royaume, commettait lui aussi un acte impardonnable de sauvagerie: il massacrait les Bédouins tributaires du roi et qui, protégés par lui en vertu de conventions passées dès les premiers temps du royaume de Jérusalem, faisaient paître leurs troupeaux à proximité d'Ascalon.

Croisades

« Il s'agissait en réalité d'un acte de basse vengeance contre Baudouin IV qui, conscient de l'incapacité de Guy de Lusignan, cherchait à lui retirer la 'baylie', la régence du royaume, et contre lequel il se trouvait désormais en révolte ouverte. C'est sur la nouvelle de cet acte lamentable que devait se clore le règne du roi Lépreux: il convoqua ses vassaux à Jérusalem, remit en leur présence le pouvoir au comte Raymond III de Tripoli et mourut le 16 mars 1185. Il avait vingt-quatre ans. » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 132-135]

 

« C'est sous l'action concertée de ces trois hommes (Gérard de Ridefort, Renaud de Châtillon et du patriarche de Jérusalem, Héraclius, personnage en tout point digne des deux premiers...) que Guy de Lusignan réussit à se faire élire roi par surprise. [...] Le nouveau roi de Jérusalem n'allait pas tarder à révéler sa personnalité, ou plutôt son absence de personnalité; influençable, velléitaire, il était à la merci de son entourage; cet entourage étant ce qu'il était, on pouvait tout redouter. Ce fut le pire qui arriva. » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 138]

 

Saladin "le décapiteur" : le désatre d'Hattîn, la décapitation des chevaliers prisonniers, dont 230 Templiers (1187)

 

« Le kurde Saladin, sultan du Caire, préparait une opération de représailles contre le pillage de la caravane opéré par Renaud de Châtillon, et le 1er mai 1187, Gérard de Ridefort lançait inconsidérément (en dépit des avis contraires du maître de l'Hôpital et du maréchal du Temple), contre sept mille Mamelouks, cent quarante chevaliers qui (vu le nombre) furent évidemment immédiatement massacrés. » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 138]

 

Puis, début juillet 1187, ce fut sous couleur de venger les morts, la marche fatale vers Hâttîn (en Galilée) : l'armée follement engagée dans les collines arides, sans eau, sans ombre, et l'attaque décidée finalement sous l'influence de Gérard de Ridefort et par ordre du roi Guy de Lusignan à l'encontre du Conseil des barons.

Cette armée engagée dans les pires conditions, offrit aux Sarrasins une cible facile; il suffit d'un feu de broussailles rabattu par le vent pour étouffer littéralement les malheureux, et, tandis que Raymond III et ses hommes réussissaient une percée désespérée dans les rangs Turcs, tout le reste tomba au pouvoir de Saladin. Celui-ci eut la générosité d'épargner le roi qu'il reçut dans sa tente pour finalement le tuer de ses mains. Puis le Sultan fit attacher au poteau d'exécution, un à un, chacun des deux cent trente Templiers qui avaient été faits prisonniers. A chacun tour à tour était offerte la possibilité d'avoir la vie sauve à condition de "crier la loi" (d'embrasser la religion musulmane...) Pas un seul n'y consentit et tous eurent successivement la tête tranchée... Chose curieuse, Gérard de Ridefort, le grand maître (de l'Ordre du Temple), échappa seul à ce traitement et eut la vie sauve, et l'on allait voir par la suite ce que l'on n'avait jamais vu encore et ce qu'on ne reverra plus dans les annales du Temple: Gérard livrant le château de Gaza, appartenant aux Templiers, en échange de sa propre libération; c'était aller contre l'un des serments sur lesquels reposait la vie de la terre sainte, mais Gérard n'en était pas à un parjure près... Dans l'ordre, on l'accusait d'avoir "crié la loi". » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 139]

 

La bataille d'Hattin, Gravure de Gustave Doré pour l’Histoire des Croisades de Michaud (1885)

 

« ...Il est certain, au témoignage des chroniqueurs arabes, qu'il [Saladin] avait assisté en personne au massacre des prisonniers chrétiens après Hattîn, notamment des Templiers, tous décapités..." [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 161]

 

La chute de Jérusalem

 

Saladin (Kingdom of Heaven)

L'armée franque anéantie, la Vraie Croix aux mains de Saladin, ce devait être un jeu ensuite pour le vainqueur de s'emparer successivement de toutes les villes dont la conquête, une centaine d'années auparavant, avait coûté tant de sang et de larmes : Acre, le 10 juillet, Jaffa et Beyrouth le 6 août, Césarée, Sidon et Ascalon, enfin la ville sainte elle-même, Jérusalem, le 2 octobre (1187).

 

Balian d'Ibelin (Film de Ridley Scott, Kingdom of Heaven)

Le Royaume franc de Jérusalem survit; mais sa capitale est transportée à Acre, Saladin acceptant de laisser aux Francs la bande côtière de Tyr à Jaffa, et un accès aux Lieux Saints.

 

« On aurait pu croire après l'anéantissement de l'armée franque, que la Terre sainte était entièrement perdue pour les Chrétiens. Pourtant sa survie allait se prolonger pendant cent ans encore (jusqu'à la chute d'Acre et des autres places fortes en 1291).

 

« À Jérusalem même, la capitulation fut négociée par Balian d'Ibelin († 1193) qui arma chevaliers des bourgeois pour que la ville offrît au moins un semblant de résistance; mais ce n'est que grâce aux renforts arrivés d'Europe que cette résistance, concentrée à Tyr, puis à Acre, put opposer un front efficace aux armées de Saladin. » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 139]

 

Balian rendant Jérusalem à Saladin

George Bordonove a rapporté l'audience entre Saladin et Balian.

« Balian proposa de rendre la place, avec pour la population la vie sauve et la possibilité de se retirer librement. Saladin refusa. Il exigeait une reddition inconditionnelle. Se souvenant de l'abominable massacre qui avait ensanglanté la prise de Jérusalem en 1099, il dit : - "Je ne me conduirai pas envers vous autrement que vos pères envers les nôtres, qui furent tous tués ou réduits en esclavage ! J'égorgerai les hommes et des femmes je ferai des esclaves !" - "Quand nous verrons que la mort est inévitable, répliqua Balian sur le même ton, nous tuerons nos fils et nos femmes, nous brûlerons nos richesses et nos meubles, nous ne vous laisserons pas un dinar ou un dirhem à piller, ni un homme ou une femme à réduire en captivité. Quand nous aurons terminé cette oeuvre de destruction, nous renverserons le Qubbat al-Sakhra, le Mesjid al-Aqsa et les autres Lieux saints de l'islam. Après quoi nous massacrerons les cinq mille prisonniers musulmans que nous détenons et nous égorgerons jusqu'au dernier toutes nos bêtes de somme et nos animaux. Enfin, nous sortirons tous à votre rencontre. Alors il ne sera pas tué un seul des nôtres qui n'ait tué auparavant plusieurs des vôtres. Nous mourrons couverts de gloire ou nous vaincrons !"

 

« Cette fermeté impressionna Saladin. Il savait combien il était imprudent de pousser les chrétiens à bout et de quel exploit ils étaient capables quand on les acculait au désespoir. Au fond, il estimait Balain d'Ibelin et comprenait son attitude, mais il ne voulait pas perdre la face. Il proposa donc que les habitants se rendissent 'à merci', c'est-à-dire sans conditions, mais avec la faculté de se racheter. [...] Chaque homme paierait dix besants; chaque femme, cinf besants; chaque enfant, un besant. [....] Saladin consentit un rachat global de sept mille personnes pour trente mille besants. Les 'rachetés' avaient le choix entrer rester à Jérusalem et s'exiler en emportant ce qu'ils pouvaient. Les autres, les irrédimés, tomberaient en esclavage. [...] Saisi de compassion, Saladin libéra cinq cents pauvres. Son frère, Malik al-Adil, en libéra mille, au nom d'Allah.

 

« Des milliers de chrétiens purent rester à Jérusalem, en versant une taxe supplémentaire de capitation: c'étaient des Grecs et des Syriens accoutumés aux Musulmans; ils conservèrent leurs boutiques et leurs ateliers, et ne furent pas autrement inquiétés. Les trois quarts des habitants avaient pu se racheter. Quinze mille tombèrent néanmoins en servitude et furent parttagés entre les vainqueurs. Le marché aux esclaves de Damas en fut tellement encombré que les cours tombèrent au plus bas. Un homme valait le prix d'une paire de sandales !

 

« [...] Quand il (Saladin) fit son entrée à Jérusalem, il veilla à ce que ne produisit aucun désordre. Les îlots habités par les chrétiens furent protégés. [...] La grande croix dorée qui surmontait le dôme de celui-ci (le Palais de Salomon, ou "Temple de Salomon", appelé Mesjid al-Aqsa par les Musulmans) fut solennellement abattue. [...] Des exaltés supplièrent Saladin de détruire les églises chrétiennes et surtout de raser le Saint-Sépulcre. - "Pourquoi, leur dit-il, ruiner et détruire, alors que le but de leur adoration est l'emplacement de la Croix et du Sépulcre, et non pas l'édifice extérieur ? Le sol en serait-il nivelé, les communautés chrétiennes ne cesseraient pas de s'y rendre. Quand le calife Omar conquit Jérusalem dans les premières années de l'islam, il maintint ces sanctuaires."

 

« [...] Les églises avaient été fermées provisoirement. Saladin n'avait pas l'intention de supprimer les pèlerinages. Il pensait même [...] prélever une taxe sur les pèlerins selon un usage séculaire. Pour combler les vides, il invita les Juifs à revenir à Jérusalem. Ils se réinstallèrent joyeusement dans cette ville qui pour eux était sainte. Les croisés les en avaient chassés: ceux du moins qui avaient échappé au massacre de 1099. » [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 318-319]

 

Régine Pernoud a relevé la trahison de l'empereur Byzantin à l'occasion de la chute de Jérusalem: « L'empereur Isaac Ange (1185-1195 / 1203-1204) envoya ses félicitations à Saladin après la chute de la Ville sainte. [...] Les rapports jusque là cordiaux entre l'Église de Byzance et le Siège de Rome devaient s'envenimer peu à peu à la suite des trahisons des Byzantins et, surtout, après la prise de Constantinople par les croisés (1204). » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 167]

 

Richard Coeur de Lion, Roi plantagenêt d'Angleterre (1189-1199)

Dans tout l'Occident, ces nouvelles allaient semer l'alarme et provoquer une émotion favorable à un regain d'attention pour la défense de ce que la Chrétienté considérait comme son fief: la Terre sainte, où le Christ avait vécu, était mort et ressuscité. Richard prit la croix un des premiers – dès le lendemain du jour où parvint la nouvelle – des mains de l'évêque Barthélemy de Tours.

 

Les Croisés, bâtisseurs de forteresses

 

« Une terrible infériorité numérique compensée par leurs murailles et leurs tours" (R. Pernoud)

 

« Et si contre toute attente, les royaumes francs purent survivre plus de cents à la catastrophe d'Hatîn qui avait anéanti leur armée et livré Jérusalem à Saladin, ils le durent pour une bonne part aux forteresses dont les croisés avaient jalonné leurs conquêtes...

 

« Ces forteresses ne formaient pas seulement un système de défense: elles permettaient aussi d'établir une chaîne de communications, chose impensable en un pays où les combattants dispersés devaient pouvoir correspondre au milieu d'une population hostile ou peu sûre.

 

« On a nié qu'elles aient constitué un véritable système défensif; et il est hors de doute que les premières tout au moins furent construites au hasard des circonstances, mais hors de doute aussi, le fait qu'une fois en possession d'une large part de la contrée les croisés s'appliquèrent à les organiser en véritables réseaux et qu'entre les châteaux et les villes fortifiées on pouvait correspondre de façon plus rapide que par les courriers, grâce au système rudimentaire de télégraphie optique dont les sémaphores ont été les derniers témoins avant la découverte de la radio, et qui existait d'ailleurs en Occident, par exemple pour la défense des ports et des places maritimes; à Marseille les différents 'farots' qui signalaient les écueils de la côte à l'usage des pilotes correspondaient aussi entre eux, d'une colline à l'autre, par des signaux lumineux pendant la nuit et des colonnes de fumée pendant le jour (l'une des collines surplombant le Vieux-Port en a tiré son nom: le Pharo).

"Une nef templière". Sur leurs grands navires aux noms évocateurs, la "Rose du Temple", le "Faucon du Temple", les Templiers ont transporté des milliers de pèlerins en Terre sainte. Illustration de Pierre Joubert (in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p. 43)

"Une nef templière". Sur leurs grands navires aux noms évocateurs, la "Rose du Temple", le "Faucon du Temple", les Templiers ont transporté des milliers de pèlerins en Terre sainte. Illustration de Pierre Joubert (in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p. 43)

« Ainsi sur la côte palestinienne, le port de Jaffa communiquait avec .. et la forteresse d'Ibelin avec Montgisard et Blanche-Garde, tandis que Blanche-Garde servait de relais entre Ascalon et le château de Beth-Gibelin. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 176-177]

 

« Pendant longtemps, on a attribué à l'influence musulmane ce développement de l'art des fortifications, et ce fut un des lieux communs de l'histoire de l'art que l'origine arabe ou byzantine de l'architecture militaire en Occident, précisément à la suite des croisades. Le premier archéologue qui soutint la thèse contraire fit hausser les épaules; il s'appelait T.E. Lawrence. Aujourd'hui, on a reconnu la justesse de ses remarques et restitués aux croisés l'implantation en Orient de tout un système défensif qu'ils allaient être amenés à perfectionner sans cesse sous la poussée des circonstances. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 183-184]

 

 

La troisième croisade (1189-1193)

Le roi Richard d'Angleterre (1189- 1199)

Le roi Richard d'Angleterre (1189- 1199)

« Après la défaite d'Hattîn (4 juillet 1187), [...] les États latins sont presque entièrement reconquis par le musulman : Jérusalem et le Saint-Sépulcre sont perdus. De leurs vastes territoires du début du XIIe s., les Francs ne conservent que tyr, Tripoli, Antioche et quelques forteresses isolées comme le krak des chevaliers. Cette défaite fait scandale.

 

« Le pape Grégoire VIII incite les chrétiens au repentir et décide une nouvelle croisade. Il s'efforce de réconcilier Philippe Auguste et Henri Plantagenêt, roi d'Angleterre. Il fallut attendre que Richard Coeur de Lion succédât à ce dernier pour qu'un semblant de paix permît à ces deux princes d'accomplir leur 'pèlerinage'. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 327]

 

« En réalité, Philippe Auguste considérait Richard comme son subordonné, en tant que vassal pour ses domaines continentaux (démembrements du Regnum francorum), tandis que Richard s'estimait au moins son égal, car l'étendue de ses domaines, de ses revenus et de ses forces militaires était supérieure à celle de son suzerain. » [Les Croisades, Sous la direction de Thomas F. Madden, Alfred J. Andrea, John France, Helen Nicholson, William L. Urban, Collectif, Histoire universelle, Evergreen, Köln 2008, p.  81]

 

« Le 11 décembre 1189, Richard Coeur de Lion s'embarque pour la croisade (3ème).

 

« Pour faire rentrer de l'argent pour la croisade, il 'se trouve peut-être le premier souverain à avoir songé à des ventes d'offices. Le mécanisme était simple: déposer baillis et vicomtes, puis exiger d'eux qu'ils se rachètent, faute de quoi ils étaient jetés en prison… Et tout lui était vendable, aussi bien puissance, domination, comtés, vicomtés, châteaux, villes, butins et autres semblables… Les évêques n'échappaient pas à la règle… Si bien que, selon Benoît de Peterborough, il amassa un immense trésor en argent, plus qu'aucun de ses prédécesseurs ne semble en avoir possédé. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 90-91]

 

Frédéric Barberousse (1122-1190)

Dans le même temps, "Frédéric Barberousse, empereur germanique, qui avait provoqué Saladin en duel par une lettre du 26 mai 1188, dont le rendez-vous était fixé au 1er novembre dans la plaine égyptienne de la Zoan, s'était mis en route, le 11 mai 1189. Il emmenait une armée de cent mille hommes (dont 20 000 chevaliers), disent les chroniqueurs, en tout cas disciplinés, bien équipés.

 

Après avoir quitté Ratisbonne, il traversa la Hongrie et se dirigea vers Constantinople, itinéraire classique. Mais Isaac Ange était désormais l'ennemi des latins. Il était en guerre contre le roi de Sicile, ami de Frédéric Barberousse. Et surtout, il avait signé un traité d'alliance avec Saladin contre le sultan de Qonya. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid.p. 327]

 

« Isaac Ange [...] s'était [...] allié avec Saladin, car il voyait en Frédéric un danger pour sa position militaire. Quand Frédéric envoya des ambassadeurs pour négocier son passage dans l'Empire, Isaac les fit emprisonner. » [Les Croisades, Sous la direction de Thomas F. Madden, ibid., p.  84]

 

« [...] Isaac Ange ne pouvait empêcher les Allemands de traverser son Empire : leur armée était « trop puissante ! Mais il fit son possible pour entraver leur marche. Il exigea des otages. Il prétendit imposer à Frédéric Barberousse la rétrocession des territoires qu'il conquerrait en Terre sainte. Il emprisonna sous un mauvais prétexte un envoyé allemand. Le clergé byzantin appelait à la lutte contre les envahisseurs étrangers. Frédéric Barberousse ne se laissa pas impressionner. Il menaça (le premier) d'assiéger Constantinople. En premier avertissement, il s'empara d'Andrinople, qui fut dévastée (novembre 1189).

 

« L'idée que Constantinople est un obstacle au succès de la croisade fait son chemin en Occident : prendre la ville est l'objectif de la croisade avortée d'Henri VI en 1197. Le projet est au centre des évènements de 1203-1204 qui voient la 'déviation' de la quatrième croisade vers la capitale byzantine. » [Michel Balard, Les Croisades, ibid., p.75]

 

« Épouvanté, le basileus céda. Et en février 1190, les deux empereurs conclurent un traité de paix autorisant Frédéric à continuer son voyage vers la Terre sainte (traité d'Andrinople de mars 1190) . Les Allemands franchirent le Bosphore à la fin de mars 1190 et se dirigèrent vers Qoniya (Konya). Isaac Ange avait infiltré des agents dans l'armée de Frédéric. Il tenait Saladin informé des étapes de l'ennemi : cela ressort avec la plus grande netteté des chroniques arabes ! » [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid.p. 327; [Les Croisades, Sous la direction de Thomas F. Madden, ibid., p. 84]

 

Après avoir traversé la Hongrie, la Serbie, la Bulgarie et l'Empire byzantin, les forces croisées arrivèrent en Anatolie (actuelle Turquie), aux mains du sultanat de Roum. Le sultan turc d'Iconium, ennemi de Saladin, avait déjà promis à Frédéric de le laisser passer librement mais, quand les Turcs attaquèrent les forces allemandes, les harcelant continuellement par des embuscades et des tactiques de guérilla, les Allemands, à leur tour, lancèrent des attaques contre toutes les forces turques qu'ils pouvaient trouver sur leur passage. Et Barberousse accusa le sultan d'avoir rompu leur accord. 

 

Le 7 mai 1190, une armée turque fut détruite par un détachement croisé conduit par le duc de Souabe et le duc de Dalmatie, près de Philomelium, causant semble-t-il 4 174 morts dans les rangs turcs.

 

Frédéric Barberousse lors de la troisième croisade

Les Croisés continuèrent leur marche jusqu'à Iconium (Konya), où ils arrivèrent le 13 mai. Lors de la bataille d'Iconium, capitale du sultanat de Roum, où les Croisés arrivèrent le 13 mai, les Allemands et Hongrois, vainqueurs, mirent la ville à sac (14 mai / 18 mai 1190). Frédéric Barberousse accorda un repos de cinq jours à ses hommes, puis marcha vers la Cicilie (arménienne). Les sources turques attribuent la victoire des croisés à une charge fulgurante de la cavalerie lourde croisée. La bataille rangée avec l'armée turque s'avéra beaucoup plus difficile, et il fallut toute l'énergie de l'empereur lui-même pour que l'armée principale des Turcs soit défaite. Il aurait dit à ses soldats : "Mais pourquoi tardons-nous, de quoi avons-nous peur ? Le Christ règne. Le Christ vainc. Le Christ commande." [Kenneth M. Setton, Robert Lee Wolff et Harry W. Hazard, A History of the Crusades, Volume II: The Later Crusades, 1189–1311, 1962, p. 113]

Saladin sentit alors vaciller sa fortune. Il commença  à démanteler les murs des ports syriens, de sorte qu'ils ne pussent être utilisés par les croisés contre lui. 

 

Or, le 10 juin 1190, alors qu'il progressait vers Antioche, Frédéric Barberousse se noya accidentellement dans le Sélef, un petit fleuve de Cilicie dans les valons du Taurus, aux portes de la Syrie.

« [...] Découragés, délivrés de la discipline de fer qu'il leur imposait, ils (les Allemands) refusèrent d'obéir à Frédéric de Souabe, son fils. Les uns s'embarquèrent à destination de l'Europe. Les autres - c'étaient les plus nombreux - se laissèrent capturer ou immoler comme des moutons." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid.p. 327] Les circonstances de la mort de Frédéric Barberousse sont mal connues : on a rapporté entre autres qu'il avait voulu se rafraîchir, après l'échauffement de la bataille, en prenant un bain ; d'après d'autres sources, son cheval se serait affolé lors de la traversée du fleuve et Frédéric aurait été emporté au fond par le poids de son armure.

Quoi qu'il en soit, la croisade allemande s'était volatilisée.

 

« Avec la croisade impériale se répand l'idée que Constantinople constitue pour les chrétiens d'Occident un obstacle sur la route de Jérusalem. Le projet de conquête de la capitale byzantine formulé dès 1189 par Frédéric Ier Barberousse, repris par son fils Henri VI en 1196, est mis en oeuvre par les croisés en 1204. » [Michel Balard, Les Croisades, ibid., p. 106] 

 

Le 8 juin 1191, Richard Coeur de Lion arrive avec sa flotte à Saint-Jean d'Acre, où Philippe Auguste l'attend déjà.

 

 

Philippe et Richard enlèvent Saint Jean d’Acre (Vendredi 12 juillet 1191) :

Philippe Auguste participa brièvement à la 3e croisade en participant à la récupération de Saint Jean d'Acre (1189-1191). 

Le 20 avril 1191, le roi de France Philippe Auguste débarque au voisinage d’Acre avec ses troupes. Le roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion et le grand-maître templier Robert de Sablé le rejoignent le 8 juin, avec 25 galères, après s’être emparé de Chypre. 

« On vit les croix et les drapeaux se dresser sur les murs de la ville », écrit un chroniqueur arabe, Abou-Shama.

« Le chroniqueur (trouvère) Ambroise rappelle triomphalement ce qui s'est passé quand les Sarrasins avaient fait la conquête d'Acre:

"Il y avait quatre ans que les Sarrasins avaient conquis Acre, et je me rappelle nettement qu'elle nous fut rendue le lendemain de la fête de saint Benoît malgré leur race maudite. Il fallait voir alors les églises qui étaient restées dans la ville, comme ils avaient mutilé et effacé les peintures, renversé les autels, massacré les croix et les crucifix par mépris de notre foi pour satisfaire leur incroyance et faire place à leurs mahomeries (mosquées)…

Plusieurs assauts furent tentés, les 14, 17 et 22 juin ainsi que les 2 et 11 juillet. Le 15 juillet, la flotte de Richard Cœur de Lion coula le dernier navire égyptien, interdisant définitivement le ravitaillement de la ville. Le 3 juillet, averti par les habitants d’Acre qu’ils ne pourront plus tenir longtemps, Saladin tenta de forcer le blocus en attaquant les camps croisés, mais échoua. Il accepta les négociations, mais refusa les exigences des croisés, qui demandaient la restitution de la Vraie Croix et du royaume de Jérusalem dans ses frontières antérieures à 1187, contre la libre sortie de la garnison, ainsi que la restitution de la Sainte Croix, le paiement d'une rançon et la libération des prisonniers chrétiens. Une négociation s’engagea entre les croisés et la garnison qui, malgré l’opposition de Saladin, ouvrit les portes de la ville.

« Les troupes de Saladin s'éloignèrent, non sans transformer la région en désert sur leurs passages.

« Jusqu'à Caïpha, les vignes, les arbres fruitiers furent coupés, les forteresses ou cités, petites ou grandes, détruites… Parcourant les anciennes églises d'Acre qui avaient été converties en mosquées, l'évêque de Vérone, Alard, l'archevêque de Tyr, les autres évêques, de Chartres, de Beauvais, de Pise, et généralement tous ceux qui avaient été présents, se mettaient en devoir de purifier les sanctuaires et de rétablir partout le culte chrétien. Des messes solennelles furent célébrées dans les églises réconciliées, tandis que l'armée s'employait à réparer les murs et à relever les maisons détruites. 

« Il fut décidé que tous ceux qui pouvaient prouver que telle ou telle maison leur avait appartenu se la verrait restituer; d'autre part ils y hébergeraient les chevaliers qui avaient combattu pendant tout le temps où ceux-ci demeureraient au service de la Terre sainte. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, ibid., p. 147-149]

« Faire le désert devant l'armée chrétienne est désormais la seule tactique de Saladin. Lorsqu'il regagne Jérusalem, à la fin de ce mois de septembre, il rase non seulement Ascalon, mais encore le château de Ramla et l'église de Lydda qui se trouvait sur la route...

« Les habitants [d'Ascalon], atterrés par la nouvelle que leur ville allait être détruite et qu'ils devaient abandonner leurs demeures, poussaient de grands cris et vendaient à vil prix tout ce qu'ils ne pouvaient emporter. […] Une partie d'entre eux partit pour l'Égypte, une autre pour la Syrie. Ce fut une épreuve terrible pendant laquelle se passèrent des choses épouvantables. » [Beha el-Din, chroniqueur arabe cité in Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 171]

 

Philippe Auguste quitta la Palestine en août.

Le 20 août 1191 Richard donna l'ordre de décapiter 2700 prisonniers Sarrasins, suite à l'échec des négociations avec Saladin (lequel avait lui-même fait décapité les Francs défaits à Hattîn en 1187). Récit de l'évènement:

« On attendait la remise des prisonniers pour le 9 août suivant, selon les accords passés avec l'armée assiégée au moment de sa reddition...

« On attendait que soit rendue la Vraie Croix et effectuée l'échange des prisonniers. Mais ce jour-là, Saladin manda aux Chrétiens qu'ils lui donnassent un autre jour, car il n'avait pas encore préparé ce qu'il devait. Nos gens qui avaient grand désir d'avoir la sainte Croix et de voir délivrer les prisonniers, le lui accordèrent.

« Quand vint au jour qui fut désigné entre eux, les rois et la chevalerie et toutes les gens d'armes furent préparés. Les prêtres et les clercs et les gens de religion furent revêtus et tous déchaux [pieds nus] sortirent de la cité en grande dévotion et vinrent au lieu que Saladin avait désigné. Quand ils furent là et crurent que Saladin allait leur rendre la sainte Croix, il revint sur la promesse qu'il leur avait faite. Ceux qui virent cela se tinrent moult engignés [se considérèrent comme dupés]. Grande douleur il y eut entre les chrétiens et maintes larmes y furent ce jour répandues...

« Une seconde date, le 20 août, avait été fixée pour l'échange des prisonniers et la reddition de la Vraie Croix. Une rencontre avait été projetée entre Richard et le frère de Saladin. Or, le roi, ce jour-là, avec quelques compagnons, sortit sur les fossés, mais attendit inutilement le porte-parole annoncé. La tension et l'impatience de Richard avaient atteint leur limite; sans parler de la charge que représentaient la nourriture et la surveillance des prisonniers...

« Il commanda qu'on lui amenât les Sarrasins qu'il avait pris en sa partie dit le Continuateur de Guillaume de Tyr… Comme on les lui amenait, il les fit mener entre les deux armées des chrétiens et des sarrasins. Et ils étaient si près que les sarrasins les pouvaient bien voir. Le roi commanda aussitôt qu'on leur dût couper les têtes hardiment. Ils y mirent mains et les occirent à la vue des sarrasins. Un affreux massacre. Benoît de Peterborough raconte que Saladin en avait fait autant aux esclaves chrétiens et il est certain, au témoignage des chroniqueurs arabes, qu'il avait assisté en personne au massacre des prisonniers chrétiens après Hâttin, notamment des templiers, tous décapités…

« On évalue à 2700 le nombre de prisonniers ainsi exécutés. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 160-161]

 

La bataille d'Arsouf (7 septembre 1191)

 

Bataille d'Arsouf, par Eloi Firmin Feron (tableau du XIXe siècle)

 

Le mois suivant, le 7 septembre 1191, Richard vainquit Saladin dans la palmeraie d'Arsouf. Il s'agit de la première victoire croisée depuis 14 ans, la dernière datant de 1177 (Montgisard). 

Les forces de Richard résistèrent aux nombreuses charges de cavalerie sarrasines ayant tenté de détruire la cohésion de l'armée croisée. Les Sarrasins continuèrent à avancer, jusqu'à ce que Richard rallie ses forces avant de victorieusement contre-attaquer.

Voici la narration de cette bataille par René Grousset :

"La colonne franque, faisant mouvement du nord au sud, progressait le long de la côte, ravitaillée d'étape en étape par la flotte chrétienne, maîtresse de la mer. L'armée de Saladin suivait une marche parallèle, du côté des collines, cherchant à profiter de la moindre faute pour harceler ou surprendre Richard. 'La cavalerie et l'infanterie des Francs, écrit el-Imâd, s'avançaient sur la plage, ayant la mer à leur droite et notre armée à leur gauche. L'infanterie formait comme un rempart autour des chevaux, les hommes étant vêtus de corselets de feutre et de cottes de mailles si serrées que les flèches ne pouvaient pénétrer. Armés de fortes arbalètes, ils tenaient nos cavaliers à distance.' Le cali Behâ ed-Dîn raconte avoir vu un soldat franc qui arborait jusqu'à dix flèches plantées dans le dos de son corselet sans s'en émouvoir le moins du monde. Quant aux chevaliers, ils chevauchaient au centre de la colonne et n'en sortaient que pour des charges soudaines, quand il s'agissait de dégager les fantassins ou de forcer le passage. 'Les Turcs, les gens du diable enrageaient, rapporte Ambroise, parce qu'avec nos armures nous étions comme invulnérables; ils nous nommaient les gens de fer.' Si la supériorité des Francs résidait dans leurs armures et leur discipline, les Musulmans avaient pour eux leur extrême mobilité. À chaque instant l'épopée d'Ambroise nous montre les cavaliers Turcs survenant à toute bride, sur leurs chevaux prompts comme la foudre, lançant sur la colonne franque une salve de flèches et disparaissant, insaisissables, dans un nuage de poussière.

 

En dépit de ce harcèlement, la colonne franque progressait dans un ordre strict, sans se laisser rompre ni attirer loin de sa route. On passa sous le Carmel, on atteignit Césarée que Saladin, désespérant de la défendre, avait fait détruire; on arriva devant Arsouf: ce fut là, dans les jardins qui précèdent le bourg, que le sultan avait décidé d'arrêter les Francs. En quelques instants l'armée chrétienne se vit encerclée par les mamelouks. 'Devant les émirs s'avançaient les trompettes et tambours frappant sur leurs instruments et hurlant comme des démons : on n'aurait pas entendu Dieu tonner. Après la cavalerie turque venaient les nègres et les Bédouins, fantassins agiles et prompts derrière leurs légers boucliers. Tous visaient aux chevaux, pour démonter nos chevaliers.' 

En cette torride journée du 7 septembre, dans la palmeraie d'Arsouf, les Francs, environnés par l'armée de Saladin, leurs chevaux tués et eux-mêmes criblés de flèches, se crurent un instant perdus. Comme en 1187, lors de la fatale chevauchée de Hâttin, le combat semblait engagé dans les pires conditions. 

Après avoir décrit le tourbillonnement des archers montés de l'Islam, la grêle de flèches qui s'abattait sur la colonne franque dans un nuage suffocant de poussière, le vacarme infernal des tambours égyptiens, les hurlements de toute cette 'chiennaille', Ambroise avoue 'qu'il n'y avait dans l'armée chrétienne aucun homme assez hardi pour ne pas souhaiter d'avoir fini son pèlerinage.' Dans la chaleur et la poussière torride d'un nouvel Hâttin...

Mais Richard Coeur de Lion n'était ni un Renaud de Châtillon, ni un Guy de Lusignan. Médiocre politique au Conseil, il devenait sur le champ de bataille l'incarnation même du génie de la guerre. Aux Hospitaliers de l'arrière-garde qui lui avouaient être à bout, il donna impérieusement l'ordre de tenir - et ils tinrent. Cependant, la défensive coûtait trop cher, les archers musulmans tuant à distance les chevaux francs. Richard prépara une charge enveloppante qui eût dû amener la capture ou la destruction complète de toute l'armée musulmane. 'Il était convenu qu'avant l'action on placerait à trois échelons six trompettes qui sonneraient à l'improviste la charge de toute notre chevalerie.' L'impatience d'un Hospitalier ne permit pas le développement de la manoeuvre. On eut simplement une charge directe. [...] Ce fut une charge en trombe, qui balaya tout. Béhâ ed-Dîn, qui se tenait aux côtés de Saladin, a laissé de cette scène une vision d'épouvante: 'Alors la cavalerie franque se forma en masse et, sachant que rien ne pouvait la sauver qu'un effort suprême, elle se décida à charger. Je vis moi-même ces cavaliers, tous réunis autour d'une enceinte formée par leur infanterie. Ils saisirent leurs lances, poussèrent tous à la fois un cri terrible, la ligne des fantassins s'ouvrit pour les laisser passer et ils précipitèrent sur nous. Une de leurs divisions se précipita sur notre aile droite, une autre sur notre aile gauche, une troisième sur notre centre, et tout chez nous fut mis en déroute....'

Revanche des anciens désastres qui nous vaut sous la plume du poète Ambroise un page d'épopée : 'Les chevaliers de l'Hôpital qui avaient beaucoup souffert chargèrent en bon ordre. Le comte Henri de Champagne avec ses braves compagnons, Jacques d'Avesnes avec son lignage chargèrent aussi. le comte Robert de Dreux et l'évêque de Beauvais, chargèrent ensemble. Du côté de la mer, à gauche, chargea le comte de Leicester, avec tout son échelon où il n'y avaient point de couards. Ensuite chargèrent les Angevins, les Poitevins, les Bretons, les Manceaux et tous les autres corps d'armée. Les braves gens ! Ils attaquèrent les Turcs avec une telle vigueur que chacun atteignit le sien, lui mit sa lance dans le corps et lui fit vider les étriers. Quand le roi Richard vit que la charge, sans attendre son ordre, s'était déclenchée, il donna de l'éperon et se lança à toute vitesse sur l'ennemi. Il fit en ce jour de telles prouesses qu'autour de lui, des deux côtés comme devant et derrière, il y avait une traînée de Sarrasins tués, et que les survivants, à sa vue, s'écartaient largement pour lui faire place. On voyait les corps des Turcs avec leurs têtes barbues, couchés comme des gerbes.'

La victoire d'Arsouf eu un retentissement énorme. Elle effaçait le désastre d'Hâttin. Elle ramenait la supériorité militaire sous les bannières franques. La force avait de nouveau changé de camp. [....] Saladin fut le premier à le comprendre. Renonçant dès lors à affronter Richard Coeur de Lion en rase campagne, il se concentra, à la manière bédouine, de faire le désert devant lui.

[....] Quant à Jérusalem même, le sentiment unanime de l'armée voulait qu'on en entreprît aussitôt le siège. Par trois fois Richard s'en approcha de si près qu'on crut revenues les heures merveilleuses de juillet 1099. À la Noël de 1191 il n'était plus qu'à 20 kms de la ville sainte. [....] Mais à la surprise générale, Richard fit faire demi-tour.

[...] Il ramena son armée sur la côte, et, dès ce moment, commença des pourparlers officieux avec Saladin. [René GROUSSET, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 256-262]

Après la victoire d'Arsouf, Richard dirige son armée sur Jaffa. "La place et le port avaient été complètement démantelées sur l'ordre de Saladin, et il était évidemment utile de les relever et de les fortifier à nouveau. Jaffa devait être, par la suite, le port d'embarquement le plus utilisé par les Croisés, et l'on sait comment Tel-Aviv, qui fait suite immédiatement à la vieille ville, reste aujourd'hui, le point par lequel on aborde normalement en Israël, à proximité de Lod, où a été établie l'aéroport, qui se trouve donc proche de l'antique cité de Lydda: un point d'accès qui semble redevenu traditionnel aujourd'hui comme aux XIIe et XIIIe s. Les travaux de reconstruction allaient être lents et occuper l'armée plus de deux mois. Il est vrai que les ouvriers qui y travaillaient demeuraient sur le qui-vive, et que la surveillance devait être incessante. [...] Vers la fin d'octobre 1191, Jaffa était à peu près reconstruite. Une partie de cette cité des croisés subsiste aujourd'hui encore. Il est vrai qu'elle allait être à nouveau fortifiée par Saint-Louis, un demi-siècle plus tard." [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 174-175]

 

En 1191, en Europe, le frère de Richard, Jean (sans terre) (1199-1216), conspira pour s’emparer du trône d’Angleterre. Philippe en profita pour annexer le Vexin normand. Ayant vent de la trahison, Richard revint en Angleterre mais fut capturé par le duc d’Autriche qui le livra à l’empereur germanique Henri IV. Richard pardonna à son frère, à son retour en Angleterre (1194).

 

L'historien Joshua Prawer a bien mis l'accent sur l'importance de la prise d'Acre qui allait rester la capitale de ce qu'on a continué d'appeler le "royaume de Jérusalem" pendant un siècle exactement, de 1191 à la chute définitive de 1291.

 

La bataille de Jaffa du 27 juillet 1192 au 8 août 1192

 

Suite à l'assassinat de Conrad de Montferrat, roi consort de Jérusalem, le 28 avril 1192 par deux membres de la secte des Assassins, Richard réussit à arbitrer les conflits politiques qui divisaient les Francs de Syrie-Palestine en reconnaissant Henri de Champagne (1192-1197) comme roi de Jérusalem et en donnant, en compensation, Chypre au roi déchu Guy de Lusignan (qui avait été défait à Hattin en 1187). Richard réussit à reprendre la quasi-totalité du littoral mais il lui fallut renoncer à Jérusalem (4 juillet 1192). Le 6 juillet 1192, Saladin en profita pour attaquer Jaffa. Le 5 août il fut défait par Richard devant Jaffa.

 

« En juillet 1192 le roi venait de remonter vers Beyrouth en ne laissant à Jaffa qu'une faible garnison. Profitant de son éloignement, Saladin se jeta à l'improviste sur cette dernière ville (26 juillet). [...] Le 1er août, ils (les Francs) se préparaient inévitablement à capituler, lorsque dans les premières lueurs de l'aube, une flotte chrétienne apparut à l'improviste devant Jaffa. C'était le roi Richard qui, miraculeusement prévenu, accourait sur des galères génoises avec les premières troupes qu'il avait pu rassembler. Ce fut alors qu'on vit ce qu'était le roi d'Angleterre. L'épopée d'Ambroise nous a laissé de cette scène un tableau inoubliable. Sans attendre l'accostage, Richard, l'écu au cou, une hache danoise à la main, saute dans la mer avec de l'eau jusqu'à la ceinture, court au rivage, le nettoie de Musulmans, pénètre dans la ville, trouve la foule des ennemis en train de piller les maisons, en fait un horrible carnage, puis, donnant la main à la garnison délivrée, il se précipite avec elle sur l'armée de Saladin dont il enlève le camp et qu'il met en fuite jusqu'à Yazour.

 

"Le roi, chante Ambroise, fit dresser sa tente à l'endroit même d'où Saladin avait fui. Là campa Richard le Magne. Jamais, même à Roncevaux, paladin n'accomplit un pareil exploit.

Béhâ ed-Dîn, de son côté, nous a transmis les mordantes plaisanteries du roi aux Musulmans vaincus : 'Votre sultan est le plus grand souverain qu'ait eu l'Islam et voici que ma seule présence le fait décamper ! Voyez, je n'ai même pas une armure; aux pieds, de simples chaussures de marin. Je ne venais donc pas le combattre ! Pourquoi s'est-il enfui ?" 

 

Richard à la bataille de Jaffa

 

« Cependant Richard ne disposait à Jaffa que de deux mille hommes dont seulement une cinquantaine de chevaliers, d'ailleurs démontés. Sa faiblesse numérique inspira aux ennemis l'espoir de prendre leur revanche. 

«  Dès qu'elle avait pu se ressaisir à Yazour, l'armée musulmane avait ressenti toute la honte de sa panique du 1er août; elle apprenait que la petite troupe de richard, avec une folle insouciance, campait hors les murs de Jaffa. Sabrer ces piétons semblait facile. Dans la nuit du 4 au 5 août, la cavalerie musulmane se mit en marche à la clarté de la lune, en direction du camp anglais. [...] Un Génois, qui s'était écarté dans la lande, vit briller des armures et donna l'alarme. Réveillés en sursaut, Richard et ses gens eurent à peine le temps de sauteur sur leurs armes; plusieurs durent combattre à demi nus. En ligne serrée, un genou en terre pour être plus solides, leurs écus fichés devant eux, la lance inclinée en arrêt, ils reçurent sans rompre, dans la clarté de l'aube, la charge furieuse des escadrons musulmans. Richard, en âte, avait dissimulé entre les piquiers autant d'arbalétriers. Dès que les cavaliers ennemis, leur première charge s'étant brisée sur les piques, virevoltèrent pour se reformer, les arbalétriers tirèrent tuant les chevaux et jetant le désordre dans les escadrons. Toutes les charges de Saladin se brisèrent devant cette tactique précise. En vain, derrière les rangs, le sultan exhortait-il ses hommes.

 

"La bravoure des Francs était telle, note Béha ed-Dîn, que nos troupes, découragées, se contentaient de les tenir cernés, mais à distance...' Alors, contre cette armée démoralisée, Richard Coeur de Lion passa à l'attaque. 'Il se lançait au milieu des Turcs et les fendait jusqu'aux dents. Il s'y lança tant de fois, leur porta tant de coups, se donna tant de mal, que la peau de ses mains en creva. Il frappait avant et arrière et de son épée se frayait un passage partout où il la menait. Qu'il frappât un homme ou un cheval, il abattait tout. C'est là qu'il fit le coup du bras et de la tête ensemble d'un émir bardé de fer qu'il envoya droit en enfer. Et quand les Turcs virent ce coup, ils lui firent une si large place qu'il revint. Dieu merci, sans dommage. Mais sa personne, son cheval et son caparaçon étaient sur couverts de flèches qu'on eût dit un hérisson."

 

« La bataille avait duré toute la journée du 5 août. Au soir, la victoire des croisés était complète. Devant le roi d'Angleterre et sa poignée de héros l'armée musulmane battait en retraite avec Saladin humilié et découragé. » [René GROUSSET, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 262-263]

 

Le récit de Régine Pernoud :

« Sachant que Richard n'avait guère avec lui que deux milles hommes, dont seulement une cinquantaine de chevaliers – sans chevaux, puisqu'en se portant sur Jaffa, on n'avait pas pris le temps de les faire embarquer - , il résolut de prendre sa revanche. Au petit matin, un Génois de la flotte de secours, s'étant un peu éloigné du campement, vit au loin, à la lueur indécise de l'aube, briller des armures; il donna l'alarme. Richard, réveillé en sursaut, disposa en hâte sa petite troupe, tout en jurant de décapiter de ses mains le premier qu'il verrait céder; il les fit placer en alternant piquiers et arbalétriers, chacun de ceux-ci aidé d'un sergent qui rechargeait une seconde arbalète tandis qu'on tirait la première. La charge des cavaliers ennemis se brisait sur les piques; tandis qu'ils se repliaient pour une seconde charge, la pluie de traits d'arbalètes s'abattait dru, tuant les chevaux et les hommes. 'La bravoure des Francs était telle que nos troupes, découragées par leur résistance, se contentaient de les tenir cernés, mais distance'. En vain Saladin lui-même tentait-il de les encourager. Richard lui-même se lança alors à l'attaque, frappant tant, et de tels coups, déclara Ambroise, que la peau des mains lui creva… Lorsqu'il en revint, "sa personne, son cheval et son caparaçon étaient si couverts de flèches qu'il ressemblait à un hérisson…"

« Au soir de ce 5 août, Saladin et les restes de son armée se replièrent sur Yazour, puis sur Latroun, plus que jamais découragés; ils avaient été battus à plus de dix contre un.... » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 191]

En 1984 le groupe britannique de heavy metal Saxon composa une chanson en l'honneur des Croisés du roi Richard Coeur de Lion, dont les paroles résument bien la mentalité des croisés, les "Seigneurs de guerre de l'Angleterre" :

Paroles: 

 

{Croisé}

 

(Celui qui ose combattre les sarazins)

 

Croisé, Croisé, s'il te plaît emmène-moi avec toi

Les batailles s'étendent jusque loin dans l'Est

Croisé, Croisé, ne me laisse pas seul

Je veux chevaucher dans ta quête

J'attends, j'attends, d'être à tes côtés

Pour combattre avec toi par-delà la mer

Ils appellent, ils appellent, je me dois d'y être

La Terre Sainte doit être libre

 

[Refrain]

Combat pour la juste cause

Crois ce qui est vrai

Croisé, le seigneur du Royaume

Combat pour la juste cause

Avec toute ta puissance

Croisé, le seigneur du Royaume

 

Nous marchons, nous marchons, vers un pays loin de notre

patrie

Personne ne sait qui en reviendra

Pour l'amour du domaine chrétien, nous prendrons notre

revanche

Sur les païens de l'est

Nous les chrétiens arrivons, avec nos épées fermement

tenues

Unis par la foi et la cause

Les Sarazins païens ne vont pas tarder à goûter de notre

acier

Nos étendards vont se dresser à travers le pays

 

[Refrain]

 

A la bataille, combattre, les hordes de Sarazins

Nous suivons le roi guerrier

En avant, galopons vers le combat

Nous portons le signe de la croix

Les seigneurs de guerre de l'Angleterre, chevaliers du

Royaume

Rependant leur sang dans le sable

Croisé, Croisé, la légende est née

Le futur honorera tes exploits

 

[Refrain]

 

(Viens Croisé commençons la bataille)

 

[Refrain 2] (x 2)

Combat pour la juste cause

Crois ce qui est vrai

Croisé, le seigneur du Royaume

 

"Il (Richard) conclut avec Saladin, le 3 septembre 1192 une paix de compromis, basée sur la carte des opérations."  [René GROUSSET, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 265]

 

La trêve conclue avec Saladin (Paix de Jaffa). C'est la signature d'une trêve de trois ans, qui : 

- accorde aux chrétiens la possession de la bande côtière, depuis le nord de Tyr jusqu'au sud de Jaffa; cette cité si vaillamment défendue allait demeurer à travers le temps le lieu normal de débarquement des pèlerins: encore aux XIVe et XVe s., quand la Terre sainte aura été perdue, on y voyait arriver des pèlerinages dont les membres s'abritaient dans les grottes de la côte en attendant d'obtenir les sauf-conduits nécessaires pour pouvoir s'engager sur la route de Ramla, puis de Jérusalem…

- autorise dorénavant les Francs et tous les Chrétiens à rendre librement visite aux Lieux saints sans avoir à payer taxes ou droits de douanes quelconques... [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 192] Mais Jérusalem est laissée aux Musulmans.

- "La capitale du 'royaume de Jérusalem' était désormais Acre, tandis qu'un autre royaume franc était établi à Chypre conquise sur les Byzantins par Richard Cœur de Lion. Successivement, Henri de Champagne (1192-1197), Amaury de Lusignan (1197-1205), Jean de Brienne (1210-1225), portèrent le titre de 'rois de Jérusalem', que prit ensuite Frédéric II, roi de Sicile, lui-même débarqué à Acre en 1228, qui réussit par le traité de Jaffa de 1229, à se faire restituer les trois villes saintes de Jérusalem, Bethléem et Nazareth, mais sa présence en Terre sainte avait aussi été un ferment de guerre civile qui éclata aussitôt après son départ : entre 1229 et 1243 l'histoire de la Syrie franque est celle des luttes entre 'Francs' et 'Impériaux'.

 

« Il semble certain, écrit Régine Pernoud, que n'eût été la défection du roi de France (qui rembarque à Tyr le 31 juillet 1191), la Ville sainte fût retombée entre les mains des chrétiens, et le sort du monde en eût été changé. On peut, au moins en partie, attribuer l'hésitation du roi d'Angleterre, au fait qu'il s'est senti seul. Pour agir, il lui fallait être sûr de la victoire. Pour agir, mais non pour combattre, puisque dans toutes les rencontres ses forces étaient inférieures à celles de Saladin – largement inférieures même, lors de la dernière bataille, celle qui sauva Jaffa, laquelle à peine reconquise, allait être perdue. En cette circonstance d'ailleurs, sa tactique avait tenu du génie, non seulement en raison du sang-froid dont elle témoigna, mais aussi parce qu'elle présentait une parade parfaite aux escadrons turcs dont il connaissait à fond les méthodes. Mais – et Richard en était conscient – la prise de Jérusalem représentait un exploit si exceptionnel qu'il fallait être sûr du succès, et d'un succès durable; ce qui impliquait des forces d'occupation nombreuses, dont il se trouva privé par suite de la défection des Français.

 

« La reconquête d'Acre et de Jaffa était inestimable; si le royaume franc de Terre sainte a pu survivre à lui-même pendant un siècle exactement – de 1191 à 1291 – , c'est bien grâce aux exploits qui l'ont permise. On voit s'esquisser une Méditerranée chrétienne, permettant les voyages et les échanges, prolongeant les capacités de résistance des populations menacées par l'avance turque et retardant ainsi les grandes destructions". Que l'on songe à la grande basilique Sainte-Sophie de Constantinople, "à ces tonnes de maltes d'or et d'émaux, à ce morceaux de 'tesselles', martelés avec opiniâtreté pour être déversés Dieu sait où ! Deux siècles et demi de survie pour une telle merveille, c'est déjà beaucoup dans l'histoire de l'humanité…

 

« La geste de Richard Cœur de Lion aura permis cette survie et beaucoup d'autres. En fait ni lui ni les croisés qui marchaient à sa suite ne sont les vrais responsables des troubles qui durant le XIIIe s., allaient affaiblir et parfois même ensanglanter le précaire royaume franc. Les fauteurs de désordres ont été les négociants dont les rivalités mercantiles ont allumé des discordes, voire des guerres, en cette même cité de Saint-Jean d'Acre si durement conquise et où les chevaliers de l'Hôpital élevèrent un splendide château qui n'aura été dégagé qu'en notre temps. "Guerre, commerce et piraterie / Font une trinité indivisible" disait Goethe. Et c'est cette néfaste trinité là, qui devait épuiser les restes du royaume, proie facile pour les Mamelouks à la fin du XIIIe s.

 

« L'action de Richard, reprise et consolidée par Saint-Louis aura valu ce répit aux arabes chrétiens, aux Libanais, aux Arméniens, aux Grecs eux-mêmes, en dépit de la prise de Constantinople par les latins en 1204. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 193-195]

 

Jusqu'en 1291, « on pourrait croire que l'existence de la Syrie franque, minuscule royaume enchâssé dans l'immense territoire musulman qui va de l'Iran au Maroc, des bords de la Caspienne à ceux de l'Atlantique, s'est déroulée dans des combats incessants; pourtant Jean Richard a fait remarquer qu'en près d'un siècle (1192-1291) le royaume de Syrie compta quatre-vingt ans de paix. » [Le royaume latin de Jérusalem, p. 161, cité in Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 246] 

 

Le 9 octobre 1192 Richard rembarqua à Chypre et rentra en Europe.

 

Le 28 février 1193 Saladin mourut à Damas.

 

« La troisième croisade avait partiellement réparé les dégâts de Hâttin. La Ville Sainte n'ayant pas été reconquise, la capitale de l'état franc était désormais Saint-Jean- d'Acre. [...] Il se réduisait au littoral de l'ancien royaume, avec Saint-Jean d'Acre, Caïffa, Césarée, Arsuf et Jaffa, plus la moitié des fiefs de Ramla et Lydda. »  [Michel Balard, Les Croisades, ibid., p. 344] 

 

« Quoi qu'il en soit, le départ de Philippe Auguste était un gage donné aux armées musulmanes et à Saladin. La défection du roi de France et d'une partie de ses troupes était un coup sensible porté à l'élan comme aux possibilités des armées chrétiennes. Cette défection pèsera lourd sur la mémoire de Philippe Auguste, et celle de Richard s'en trouvera, par contraste, rehaussée d'une gloire singulière. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 157]

 

La quatrième croisade (1202-1204)

 

Geoffroi de Villehardouin, (v. 1150-v. 1213), chroniqueur français, fut l'historien et l'un des principaux chefs de la quatrième croisade. Cette croisade fut détournée de son but, la délivrance de Jérusalem, et aboutit en 1204 à la prise de Constantinople. La Conquête de Constantinople, chronique en prose et en français (contre le latin) , sans doute rédigée vers 1207, analyse les responsabilités des protagonistes de la croisade. L'œuvre apparaît comme la simple justification d'un des chefs de la croisade, qui étaient d'avoir failli à la mission et d'avoir ruiné l'empire chrétien ; les propos de Villehardouin seraient de la sorte empreints de partialité. Si l'on peut y relever des omission, l'ouvrage, par sa clarté et sa précision, relate néanmoins des faits importants au regard de l'histoire.

 

En 1198, Innocent III lance un appel à la croisade pour la délivrance de Jérusalem. Il invite les princes d'Occident à s'unir. Aucun grand souverain n'y répond mais cet appel rencontre un vif succès auprès des chevaliers et des gens du peuple. Venise s'est engagé à fournir les navires nécessaires.

 

« Cette 4ème croisade engageait surtout les Latins dans une querelle dynastique byzantine... » [Jacques Heers, Les Croisades, les dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 83]

 

En effet, Alexis Ange, fils d'Isaac II, l'empereur détrôné de Constantinople, pria les croisés d'intervenir afin de restaurer son père, moyennant la somme de 200 000 marcs d'argent et la promesse d'une armée de 10 000 hommes pour les aider à prendre Jérusalem. Les croisés prennent Constantinople et fondent l'Empire latin d'Orient qui existera jusqu'en 1261.

 

Le 17 juillet 1203, les Croisés prirent Constantinople une première fois : Isaac II fut rétabli sur le trône par les Vénitiens et règna avec son fils Alexis Ange (1203-1204+) mais celui-ci sera assassiné par Alexis V (1204), qui mit la cité en état de défense et évidemment refusa de verser aux croisés les sommes promises.

 

Une nouvelle fois les croisés prendront la cité : le 12 avril 1204, c'est la prise et le saccage de Constantinople. Cette fois les croisés pillent la cité et massacrent la population. Alexis V est exécuté pour régicide par les Latins.

 

« Ils ne tardèrent pas à se faire excommunier par le pape... » [Régine Pernoud, Les saints au Moyen Age, la sainteté d'hier est-elle pour aujourd'hui ?, Plon, Mesnil-sur-l'Estrée 1984, p. 242]

 

Mais cette prise de Constantinople par les croisés est en quelque sorte une revanche pour les Vénitiens: en 1182, la population constantinopolitaine s'était soulevée et avait massacré tous les Latins... (Un fait qu'on oublie de préciser aujourd'hui quand on évoque le sac et le pillage de Constantinople par les Croisés.)

 

En 1204, l’Empire byzantin se transforma en « Empire latin de Constantinople ».

 

De la 4e à la 5e croisade

 

Avril 1205 Mort d'Amaury II.

 

La couronne de Jérusalem revint à la fille qu'Isabelle avait eue de Conrad de Montferrat : Marie, âgée de 14 ans, la régence fut confiée à son oncle Jean d'Ibelin, seigneur de Beyrouth.

 

Le 14 septembre 1210 Jean de Brienne épousa Marie de Montferrat; le 3 octobre, les époux furent sacrés roi et reine de Jérusalem dans la cathédrale de Tyr.

 

En 1212, c'est la Croisade des enfants, expédition de croisade populaire menée par des gens du peuple voulant partir en Terre sainte pour délivrer Jérusalem, à l'image des croisades de chevaliers. Elle se compose de deux cortèges qui partent simultanément d’Allemagne et de France. L'entreprise impressionne par sa mobilisation et son rayonnement spirituel mais ne rencontrent pas le succès : le cortège germanique se dispersa à Gênes (Italie) ; quant au cortège français, on en perd la trace après une entrevue avec Philippe II Auguste à Paris. Certains chroniqueurs affirment cependant que ce cortège serait allé jusqu'à Marseille.

 

D'autres croisades populaires, initiées sans l'appui des puissants et même souvent contre eux, ont existé comme la Croisade des pastoureaux en 1251 et 1320.

 

La cinquième croisade (1217-1221)

 

Conduite par Jean de Brienne (1172-1237), roi de Jérusalem (1210-1225). 

En 1213-1215 Innocent III annonce la croisade durant le 4e concile de Latran.

Jean de Brienne, roi de Jérusalem (1210-1225)

À l'automne 1217, arrivés à Saint-Jean d'Acre, les Croisés sont en désaccords avec Jean de Brienne. Celui-ci préconise la conquête de l'Égypte afin d'obtenir, par négociation, la restitution de Jérusalem et des territoires de l'ancien royaume. Les Croisés décident d'harceler les musulmans de Syrie-Palestine mais n'aboutissent à rien, ils se rallient à la stratégie du roi et se mettent sous son commandement. Le but était d'attaquer et conquérir le royaume ayoubide d'Égypte pour échanger les territoires conquis contre les anciens territoires du royaume de Jérusalem se trouvant sous contrôle ayoubide.

 

« En cette année 1218, les clés de Jérusalem se trouvaient au Caire. L'empire musulman, tel que Saladin l'avait constitué en unissant Alep et Damas à l'Égypte, était invulnérable du côté de la Syrie : en présence d'armées ennemies tenant la campagne, il était trop dangereux pour les chrétiens de s'aventurer pendant des mois loin de la côte, sur l'aride plateau de Judée, en vue du siège long et difficile d'une place forte comme Jérusalem. Richard Coeur de Lion [...] avait dû en convenir face à Saladin. [...] Ce n'était pas en Judée, c'était en Égypte, dans les grasses plaines du Delta, que l'empire musulman était vulnérable. possédant la maîtrise de la mer, les Francs pouvaient sans trop de difficulté s'emparer des grands ports égyptiens, Alexandrie ou Damiette, et au moyen de ce gage, obtenir par voie d'échange la rétrocession de Jérusalem. » [René GROUSSET, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 280]

 

En décembre 1217, les Francs abandonnent le siège de la forteresse du mont Thabor.

 

« Le 29 mai 1218, l'armée de Jean de Brienne débarque à Damiette, qu'elle prend le 24 août 1218. Selon l'expression du Livre des Deux Jardins, c'étaient les clés de l'Égypte qui tombaient aux mains des Francs. Trois jours après, le vieux sultan Mélik el-Adil en mourait de chagrin. Le fils aîné du sultan, Mélik el-Kâmil, qui lui succéda, prépara dans le plus grand secret une contre-attaque. Le 9 octobre il fit passer le Nil à son armée, la cavalerie sur un point de fortune, les fantassins en barque, et attaqua à l'improviste le camp chrétien. le coup faillit réussir, les Francs se trouvant en effet complètement surpris. Ce fut Jean de Brienne qui rétablit la situation. À la première rumeur, il sauta à cheval et avec trente compagnons courut aux avant-postes. Il tomba sur l'infanterie musulmane qui débarquait par grappes, en nombre tel 'qu'il en fut tout ébahi.' Toute la berge du Nil en était couverte. Ces bataillons pénétraient dans le camp d'un côté pendant que, de l'autre, leur cavalerie débouchait du pont, tout était perdu. Jean et ses trente chevaliers n'avaient plus le temps de retourner sur leurs pas pour donner l'larme. Jouant le tout pour le tout, le roi chargea avec ses trente héros, en renouvelant les exploits de Richard Coeur de Lion. "Il enleva son cheval, lui fit franchir d'un bond le fossé du camp et se lança au galop dans la masse de l'infanterie musulmane. Dans les rangs ennemis il aperçut un émir de haute taille, armé du haubert et brandissant un étendard bleu à croissant d'or. Jean piqua des éperons, pointa sa lance et atteignit l'émir d'un coup si terrible qu'il lui rompit le haubert, 'lui creva le coeur' et l'étendit raide mort. À cette vue, les Musulmans reculèrent en désordre vers le Nil pour regagner à la nage leurs embarcations.

 

« [...] Les prévisions de Jean de Brienne commencèrent alors à se réaliser. Avant même que Damiette eût été prise, le sultan d'Égypte Mélik el-Kâmil, d'accord avec son frère Mélik el-Mouazzam, sultan de Damas, offrit aux Francs la rétrocession de Jérusalem contre l'évacuation du Delta. Le roi Jean de Brienne, les barons de Syrie et les croisés français furent unanimes à accepter ces propositions. Malheureusement, à la fin de 1218 était arrivé devant Damiette le cardinal-légat Pélage qui avait aussitôt revendiqué le commandement. Pélage se présente à nous comme le mauvais génie de la cinquième croisade. [...] Le Saint-Siège dont il allait trahir la confiance, devait, à la fin de la campagne, le blâmer sévèrement de toute sa conduite. Déjà à Constantinople en 1213, il avait par son intransigeance fait échouer le programme que lui avait confié le pape Innocent III pour la réconciliation de l'Église grecque et de l'Église romaine. Cet espagnol intolérant, plein d'orgueil et de fanatisme, se montrait aujourd'hui sous Damiette tel qu'on l'avait vu en Romanie, 'dur de caractère, d'une sévérité insupportable envers tous, fastueux, insolent, se présentant comme investi de toutes les prérogatives de la Papauté, vêtu de rouge des pieds à la tête avec jusqu'à la housse et aux brides de son cheval la même couleur.' Quand on lui parla d'évacuer l'Égypte pour obtenir Jérusalem, il s'indigna : il voulait et Jérusalem et l'Égypte ! [Ce qui était une violation du but limité fixé par le pape Urbain II en 1095 lors de la Première croisade] [...] Appuyé par les Templiers, il imposa silence à Jean de Brienne et déclara rejeter les propositions du sultan. Et il ordonna de pousser avec plus d'ardeur le siège de Damiette. [...] Dans la nuit du 5 novembre 1219 ils (les Francs) s'emparèrent par escalade d'une des maîtresses tours et à l'aube la ville elle-même fut prise.

 

La prise de Damiette était l'oeuvre personnelle de Jean de Brienne, qui avait préparé et dirigé l'assaut. Néanmoins, Pélage pouvait en revendiquer le bénéfice, puisque c'était grâce à lui qu'au lieu d'accepter les propositions du sultan, on avait persévéré dans l'attaque de la place: le légat se trouvait avoir eu raison contre le roi. Son orgueil s'en accrut, ainsi que ses prétentions au commandement unique. [...] Entre ses gens, des Italiens pour la plupart, et les chevaliers français qui s'étaient rangés dy côté de Jean de Brienne, se produisirent des rixes, des combats de rue, Jean, plein d'amertume, saisit le premier prétexte pour quitter Damiette et rentrer en Syrie (29 mars 1220). Pélage, comme il l'avait voulu, restait donc seul dans Damiette à la tête de la croisade. Son orgueil ne connut plus de bornes. Depuis la conquête de la ville, il se croyait un grand capitaine. En réalité, sa suffisance n'allait pas tarder à mettre l'armée en péril. Il oublia notamment de maintenir devant Damiette une escadre d'observation, faute grave, car la maîtrise de la mer était indispensable au succès de l'expédition. Les Égyptiens de hâtèrent d'en profiter pour construire une flotte destinée à intercepter les communications entre Damiette et Saint-Jean-d'Acre. Des informateurs (sans doute des Coptes) prévinrent à temps le légat, mais celui-ci refusa d'ajouter foi à leurs paroles. [...] L'information était pourtant si exacte que, quelques jours après, les navires égyptiens prenaient la mer et commençaient entre Damiette et les ports chrétiens une guerre de course qui causa aux Francs des préjudices énormes.

 

« Cependant une fois encore, le sultan el-Kâmil proposa aux Francs de leur restituer tout le territoire de l'ancien royaume de Jérusalem s'ils lui rendaient Damiette. De nouveau Pélage fit rejeter la proposition.

« Quand les messages venus d'Égypte apportèrent la nouvelle à Philippe Auguste, le roi de France, nous dit Ernoul, pensa que le légat était devenu fou : "Il pouvait échanger une seule ville contre tout un royaume, et il a refusé!"

 

« Pélage ne s'en tint pas là. Dans les derniers jours de juin 1221,il décida d'aller conquérir Le Caire. À Acre, Jean de Brienne jugea d'un coup d'oeil la situation : "On lance l'armée dans une aventure où on va tout perdre !" Désespéré, mais n'écoutant que son devoir, il s'embarqua aussitôt, le coeur plein de sinistres pressentiments, pour rejoindre l'armée. Le 7 juillet il débarqua à Damiette. L'ordre de marche était déjà sonné par Pélage. Toute l'armée s'ébranlait vers le sud, en direction du Caire. "Ceux qui firent prendre cette décision aux Francs, dit énergiquement la chronique d'Ernoul, leur firent proprement décider d'aller se noyer!" On arrivait en effet à l'époque où, chaque année, les Égyptiens ouvrent les écluses à l'inondation du Nil. D'après l'histoire des patriarches d'Alexandrie, Jean de Brienne essaya une dernière fois d'arrêter Pélage. Celui-ci l'accusa de trahir. "Je m'associerai donc à votre marche, répliqua Jean, mais que Dieu nous juge!"

 

« L'armée franque, au sortir de Damiette, s'engagea dans le triangle des terres basses, véritable 'île', que bordent au nord le lac Menzalé, à l'ouest la branche orientale du Nil et au sud le canal du Nil appelé Bahr es-Séghir. Sur le Nil la flotille égyptienne, embossée entre Le Caire et Damiette, interceptait les communications par eau et coupait le ravitaillement des Croisés. Or le légat, persuadé qu'on allait entrer immédiatement au Caire, n'avait fait emporter qu'une quantité de vivres dérisoires. D'autre part, à la bifurcation du Nil et du Bahr es-Séghir, le sultan el-Kâmil venait d'élever la puissante forteresse de Mançoura qui, à l'abri derrière ce dernier courrier d'eau, en défendait le passage, comme elle barrait la route du Caire. Les Croisés commençaient à se rendre compte de l'impasse où ils s'étaient engagés, quand se produisit le drame final: les coupèrent es digues et l'eau envahit la plaine, ne laissant aux Francs qu'une étroite chaussée au milieu de l'inondation. 

« Pélage - on était le 26 août - se décida alors à battre en retraite. Mais la crue montait toujours et, en arrivant à hauteur de Baramoun, il fallait bien reconnaître qu'on ne pouvait plus avancer. "Les Francs auraient voulu combattre, mais leurs soldats, de l'eau jusqu'aux genoux, glissaient dans la boue sans pouvoir atteindre l'ennemi qui les criblaient de flèches." Le légat, éperdu, implore alors l'aide de Jean de Brienne qu'il a si cavalièrement traité jusque-là. "Sire, pour l'amour de Dieu, montrez maintenant votre sens et votre valeur !" - "Seigneur légat, seigneur légat, répond Brienne, puissiez-vous n'être jamais sorti de votre Espagne, car vous avez conduit la Chrétienté à sa perte. Et maintenant vous me demandez de sauver la situation, ce qu'il n'est plus au pouvoir de personne, car vous voyez bien que nous ne pouvons nui joindre l'ennemi pour combattre, ni continuer notre retraite, ni même camper au milieu de toute cette eau. Du reste, nous n'avons de ravitaillement ni pour nos chevaux ni pour nos hommes."

« Il ne restait aux Croisés qu'à offrir à Mélik el-Kâmil la reddition de Damiette, en s'estimant heureux si, à ces conditions, ils pouvaient opérer leur sauvetage (30 août 1221). Par bonheur, le nouveau sultan d'Égypte comptait parmi les esprits les plus politiques et les plus libéraux de cette glorieuse dynastie kurde, politique autant que son père el-Adil, [...] libéral et généreux autant que son oncle, le grand Saladin.

« [...] Mélil el-Kâil, saisi de compassion, fit aussitôt envoyer aux Francs les vivres nécessaires. 'Ces mêmes Égyptiens, dont nous avions naguère massacré les parents, que nous avions dépouillés et chassés de chez eux, avoue Olivier de Cologne, venaient maintenant nous ravitailler et nous sauver quand nous mourions de faim et que nous étions à leur merci... L'armée chrétienne tirée de son impasse, se rembarqua sans encombre après avoir rendu Damiette à el-Kâmil. Jean de Brienne regagna Saint Jean-d'Acre au milieu de l'estime générale. Quant à Pélage, l'auteur responsable du désastre, il eut, à son retour en Italie, à subir un blâme sévère du pape, qui, après avoir évoqué toute l'affaire, donna entièrement raison à Jean. » [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 280-287]

 

Malgré la prise de Damiette, cette cinquième croisade est un échec. L'échec de la cinquième croisade obligeait les Francs à réexaminer tout le problème du levant. Une attaque directe sur Jérusalem était, depuis Richard Coeur de Lion, jugée impossible. la diversion et la prise de gages en Égypte n'avaient abouti qu'à la capitulation du corps expéditionnaire.

 

« Jean de Brienne, de son mariage avec la reine de Jérusalem Marie de Montferrat, maintenant décédée, n'avait qu'une fille, alors âgée de onze ans. (La loi salique ne s'appliquant pas en Terre sainte) C'était cette enfant qui, par sa mère, se trouvait l'héritière légitime de la couronne de Jérusalem. Jean n'ayant été reconnu roi qu'à titre de prince consort. Il n'avait que vingt-huit ans. Honorius III et Hermann von Salza eurent l'idée de lui faire épouser Isabelle. Frédéric accueillit ce projet avec empressement. [...] Jean de Brienne donna sans discuter son assentiment au mariage. [...] Le souverain de l'Allemagne et de la Sicile n'allait-il pas engager toutes les forces de l'Occident dans la défense et la récupération de la Terre saine, reprendre Jérusalem,[...] ? Ainsi songeait le vieux roi. [...] Mais quand en quittant l'Italie, il vint, tout joyeux, faire part de la bonne nouvelle à Philippe Auguste, l'accueil glacial que lui fit le Capétien commença à lui faire concevoir quelque doute. Le profond politique qui venait d'édifier la France des Gaules n'avait pas été long à comprendre que le mariage impérial était la mort de la France du levant. Alors que la paputé se laissait prendre aux séductions de Frédéric II, [...] [l]a Syrie latine, malgré son caractère théoriquement international, était en fait, depuis longtemps, par la race comme par la civilisation, une terre française et le mariage de l'héritière de ses rois avec l'empereur souabe ne pouvait que la dénationaliser.

 

[...] la pauvre petite impératrice-reine n'était guère plus heureuse. Frédéric, qui, malgré les quatorze ans de sa novuelle épouse, avait hâté la consommation du mariage, la trompait déjà. D'après les chroniques franques, Jean de Brienne la trouva un jour tout en larmes parce que Frédéric venait de violer une de ses cousines, arrivée de Syrie avec elle. Jean s'en alla crier son indignation au coupable "et lui dit que, si ce n'était par peur du péché, il lui planterait son épée dans le corps." L'empereur l'obligea alors à "vider la terre". Quant à la malheureuse Isabelle, l'adolescente précocement initiée aux tristesses de la vie, elle allait mourir en couches à seize ans, le 4 mai 1228. Mais comme elle laissait un fils, le futur Conrad IV, héritier légitime du trône de Jérusalem, Frédéric put continuer à administrer au nom de cet enfant les terres d'Outre-Mer. » [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 289-293]

 

 

La sixième croisade (1228-1229)

 

Frédéric II à la croisade

En 1227, Frédéric II de Hohenstaufen dit "l’Antéchrist" de son vivant, empereur et Roi de Sicile (1212-1250) est excommunié par Grégoire IX parce qu'il tardait à partir en croisade.

 

En 1228, l'expédition organisée par l'empereur germanique a pour but de reconquérir les territoires du royaume de Jérusalem perdus depuis la conquête de Saladin.

 

Le banquet de Limassol

 

En juillet 1228, Frédéric se rendant en Syrie, fit escale à Chypre. Le seigneur de Beyrouth Jean d'Ibelin, fils aîné de Balian d'Ibelin, vint le recevoir avec la plus grande déférence au port de Limassol (21 juillet 1228).

«  Frédéric affecta la plus franche amitié, et l'invita, avec toute la noblesse chypriote, à un banquet magnifique, à Limassol même. Le sire de Beyrouth, qui se rappelait la fâcheuse déconvenue de Jean de Brienne, n'était pas sans se douter que ces caresses cachaient aussi quelque perfidie.[...] À la fin du festin les gardes de Frédéric surgirent, l'épée au poing, derrière les convives, et lui-même leva le masque. Sans préambule, il somma Jean d'Ibelin de lui rendre des comptes pour sa gestion des affaires de Chypre et, sur le continent, de remettre aux Impériaux la place de Beyrouth. La première demande tendait à conférer à l'empereur, roi de Jérusalem, la suzeraineté sur le royaume de Chypre avec la régence de l'État insulaire; la seconde à dépouiller le chef de la noblesse française du levant de son fief personnel. À l'appui de ses prétentions, Frédéric invoquait le droit impérial germanique. Il était impossible de signifier plus nettement que les droits et coutumes des deux royaumes français d'Orient se trouvaient abolis par le rattachement à l'Empire.

 

Jean d'Ibelin se leva. Avec une courtoise mais inébranlable fermeté, il invoqua les lois des royaumes français du levant. Il ne répondait de ses titres de propriété sur Beyrouth que devant la cour des notables du royaume de Jérusalem, à Saint Jean d'Acre, de sa gestion dans l'île que devant la cour de Chypre, à Nicosie. Contre les projets de l'absolutisme impérial, il proclama les droits et les libertés de la noblesse française, héritière de l'ancienne dynastie de Jérusalem et qui n'entendait pas laisser traiter la France du Levant comme une simple marche germanique. [...] Devant l'argument de droit féodal opposé à ses théories de droit romain, le César germanique se laissa aller à toute sa brutalité : "J'avais déjà entendu dire que votre langage est moult beau et poli et que vous êtes moult sage et subtil de paroles, mais je vous montrerai bien que toute votre éloquence ne prévaudra pas contre ma force !"

 

[...] Les barons chypriotes consentirent à reconnaître l'empereur comme suzerain de leur roi. En revanche ils refusèrent d'ajouter à cette suzeraineté globale une prestation d'hommage direct et personnel à Frédéric. La netteté de cette distinction juridique empêchait l'empereur d'établir à Chypre le gouvernement absolutiste qu'il rêvait. » [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 300-304]

 

En 1229, Frédéric récupérera Jérusalem, Nazareth et Bethléem par la "diplomatie" au traité de Jaffa du 18 février 1229. 

 

 - Les Lieux saints de l'islam demeuraient aux musulmans; or, ces Lieux saints comportaient la mosquée d'Omar, le Templum Domini et la mosquée al-Aqsa, le Templum Salomonis (Temple de Salomon qui avait été la "maison" des Templiers), ce qui renforça l'animosité des Templiers contre l'empereur excommunié.

- D'autre part, les murailles de la Ville de Jérusalem ne devait pas être relevées, ce qui la laissait ouverte à tous les périls...

«  Dès la date de 1229, en fait, les Sarrasins de la région s'y livraient à un pillage en règle. le seul appui dont devait jouir Frédéric II était, en dehors de l'entente nouée par lui avec les musulmans et notamment le sultan d'Égypte, celui des chevaliers Teutoniques. Leur grand maître, Hermann de Salza, assista seul au couronnement de Frédéric, couronnement fort réduit car l'empereur prit la couronne royale au Saint-Sépulcre et, comme plus tard devait le faire Napoléon, se la posa lui-même sur la tête (18 mars 1229)... Le surlendemain arrivait à Jérusalem le légat du pape qui s'empressa de mettre en interdit la Ville sainte et son roi excommunié. Frédéric II devait se venger de ces affronts en assiégeant, à Acre. Finalement il allait se rembarquer hâtivement le 1er mai suivant, poursuivi par une émeute populaire. » [Régine Pernoud, Les Templiers, Presses Universitaires de France, Que Sais-je ? Vendôme 1996, p. 65]

 

René Grousset relate ainsi l'évènement :

 

«  [Q]uand Frédéric II quitta Acre pour regagner l'Italie, le 1er mai 1229, son départ donna lieu à des scènes pénibles, tant les éléments guelfes étaient montés contre lui. Conscient de son impopularité, il était allé s'embarquer à l'aube, presque furtivement, accompagné des seuls barons. mais son départ fut éventé. Comme il traversait le quartier des halles pour descendre au port, bouchers et bouchères, accourus sur le pas de leur porte, l'injurièrent grossièrement en lui jetant des tripes et de la fressure au visage. Jean d'Ibelin et le connétable Eude de Montbéliard n'eurent que le temps de se précipiter pour empêcher la populace de se livrer contre lui à de pires violences. Il s'embarqua plein de haine et, après un second arrêt en Chypre, fut de retour en Italie le 10 juin 1222.

 

[...] Telle fut le lamentable épilogue d'une croisade qui, somme toute, avait brillamment réussi, puisque seule d'entre toutes les expéditions similaires depuis 1190, elle avait rendu Jérusalem aux chrétiens. [...] S'il [Frédéric] avait assez bien pénétré la psychologie musulmane, il n'avait rien compris à la psychologie de l'élément français. Cet élément si facile à s'attacher avec un peu de bonne grâce (Richard Coeur de Lion en est la preuve), il l'avait heurté de front par un mélange de duplicité et de brutalité qui avait "cabré" l'opinion. [...] Il partait sous les huées, ne laissant derrière lui qu'une traînée de haine et une semence de guerres civiles. [...] Saint Louis viendra, perdra tout et ne recueillera que respect et bénédiction. Qu'avait-il donc manqué à cette brillante intelligence, à ce précurseur des temps modernes ? Sans doute un peu de bonté chrétienne, de détente et d'amour. » [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 319-320]

 

Lorsque Jean mourut (1236), la Syrie franque, comme le royaume de Chypre, était pratiquement soustraite au césarisme frédéricien. le baron français avait triomphé du saint Empire romain germanique. [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 323]

 

En 1244, Jérusalem fut définitivement reprise par les Turcs. 

Le sultan Baïbars (1260-1277) devait enlever les principales places fortes: Césarée (1265), Jaffa (1268), Antioche (1268, puis le krak des chevaliers (1271). Après lui, le sultan Qalaoun, en 1289, s'emparait de Tripoli, et son fils et successeur, Al-Ashraf, par la prise d'Acre le 28 mai 1291), mettait fin, définitivement, au royaume franc de Syrie." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 13-14]

 

"Excommunié et déposé au concile de Lyon (1245), l'empereur, au soir de sa vie, se contente de fournir quelques approvisionnements pour la croisade de Saint-Louis et de demander au roi capétien que ses conquêtes éventuelles aillent au royaume de Jérusalem." [Michel Balard, Les Croisades, ibid., p. 108] 

 

 

De la Sixième croisade à la septième croisade

 

1238 Mort du sultan al-Kâmil. La trêve conclue entre Frédéric et al-Kâmil expire en juillet 1139.

 

En novembre 1239 les croisés sont défaits Gaza; les Musulmans reprennent Jérusalem. Rétrocédée en 1241 à la Paix dite d'Ascalon, Jérusalem sera définitivement perdue en 1244, prise et pillée de fond en comble par les Kharezmiens.

 

Sous l'empereur latin Baudouin II (de Courtenay), de nombreuses reliques chrétiennes de Constantinople furent vendues au roi de France Louis IX. Parmi ces objets se trouvait la sainte Couronne d'épines (Chaque vendredi de carême la Sainte Couronne est exposée à Notre Dame de Paris).

 

En août 1238, le roi Saint Louis (Louis IX) accueillit cette relique solennellement à Paris et en 1241 – le premier morceau de la Sainte Croix. Un an après furent apportées à Paris une pierre du Saint-Sépulcre, des morceaux de la sainte Lance et de la sainte Eponge. Afin de conserver ces objets sacrés, la Sainte-Chapelle fut construite au centre de Paris, dans l'île de Cité. Ce sanctuaire existe toujours. En 1804, après la fermeture de la Sainte-Chapelle, la sainte Couronne d'épines et les morceaux de la Sainte Croix furent transférés, à la demande instante de l'archevêque de Paris, à la cathédrale Notre-Dame où ils sont toujours conservées. Tous les vendredis du Carême, habituellement dans l'après-midi, la sainte Couronne d'épines est exposée à la vénération, et le Vendredi Saint, on expose aussi les morceaux de la Sainte Croix. Tous les autres jours, l'accès aux reliques est fermé.

 

En octobre 1240 arrive à Acre la croisade anglaise menée par Richard de Cornouailles.

 

Le 23 avril 1241 la paix d'Ascalon rétrocède aux Francs Jérusalem et Bethléem.

 

Le 23 août 1244, les Kharezmiens prennent et pillent de fond en comble Jérusalem laissée sans défense, c'est la perte définitive de la cité sainte.

 

Le 17 octobre 1244, lors du désastre de La Forbie, les Kharezmiens anéantissent l'armée de campagne franque composée essentiellement de Templiers, d'Hospitaliers et de Teutoniques.

Débarquement de Saint-Louis à Damiette en Égypte (6 juin 1249). Tableau de Rouget, XIXe siècle. Musée du Château, Versailles, in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p. 74

Débarquement de Saint-Louis à Damiette en Égypte (6 juin 1249). Tableau de Rouget, XIXe siècle. Musée du Château, Versailles, in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p. 74

La septième croisade (1248-1254), croisade de Saint-Louis

 

C'est la "croisade de Louis IX de France ".

 

1226 Mort de Louis VIII. Louis, aîné des cinq fils de Louis VIII et de Blanche de Castille, qui n'a que douze ans à la mort de son père, règnera sous la régence de sa mère de 1226 à 1236. Cette dernière, très pieuse, lui enseignera comment devenir un bon chevalier chrétien, capable de discuter de théologie et de conduire une armée, d'imposer sa volonté aux barons après avoir lavé les pieds des pauvres.

 

1244 Saint Louis fait vœu de croisade.

 

1245 Concile de Lyon: proclamation de la croisade.

 

1248-1254 Septième Croisade, Blanche de Castille reprend le gouvernement du royaume. Louis IX ayant fait le voeu de partir, désirant libérer Jérusalem, choisit la voie maritime.

 

Croisades

25 août 1248 Les Français s'embarquent à Aigues-Mortes; ils arrivent à Chypre le 17 septembre et y passent l'hiver.

 

5 juin 1249 Débarquement des Francs à Damiette : prise de la ville.

 

12 février 1250 Difficile victoire de Mansourah : l'avant-garde de l'armée dirigée par Robert d'Artois est anéantie, mais la victoire revient quand même aux Francs.

Récit de la bataille de Mansourah (Régine Pernoud)

 

Récit de la Bataille de Mansourah par Régine Pernoud [Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 302-305 ]:

 

"Le téméraire Robert d'Artois (le frère du roi), à la recherche de l'exploit isolé, de l'action d'éclat et par goût du panache, incarne le mauvais génie de l'expédition. C'est lui d'abord qui décide le roi, contre le conseil des barons, à porter l'offensive sur Babylone (Le Caire), au lieu d'aller d'abord assiéger Alexandrie, où l'armée eût été plus facilement ravitaillée, grâce au port...

 

"Or, sitôt que le comte d'Artois eut passé le fleuve, lui et tous ses gens se lancèrent sur les Turcs qui s'enfuyaient devant teux. Les templiers lui mandèrent qu'il leur faisait grand affront, quand, devant aller après eux, il allait devant; et ils le prièrent de les laisser passer au premier rang comme il avait été réglé par le roi.

 

"Mais Robert d'Artois tenait à attirer sur sa personne les honneurs de la journée. Il poussa son cheval, et les templiers piqués au vif, s'élancèrent après lui, "piquant des éperons qui plus, plus, et qui mieux, mieux".

 

"Ainsi tout l'ordre de bataille se trouvait compromis, l'avant-garde lancée dans une mêlée follement imprudente dans la cité de Mansourah, tandis que le gros de la troupe était encore au-delà du fleuve. C'était vouer l'entreprise entière au pire désastre. Un instant l'attaque de Robert d'Artois sembla réussir.

 

"Dans le camp égyptien, où l'on ignorait tout de la maoeuvre de l'armée royale, ce fut la panique et l'émir Fakhr-al-Din, surpris dans son bain, n'eut que le temps de sauter à cheval et fut tué d'un coup de lance.

 

"Eût-il su s'arrêter en cet instant, Robert d'Artois avait effectivement les honneurs de la bataille.

 

"À ce moment précis lui arrivèrent dix chevaliers envoyés par son frère pour lui donner ordre de s'arrêter.

 

"Sans vouloir rien entendre, refusant d'obéir, il reprit sa charge et s'élança follement dans les rues de Mansourah.

 

"Mais à la tête de la cavalerie mamelouke, arrivait le fameux Baïbars dont le nom n'allait pas tarder à devenir célèbre dans les annales aussi bien franques qu'orientales...

 

"La poignée de chevaliers français fut balayée aussi bien que les Templiers qui les suivaient, et chacune des ruelles étroites de la ville fut bientôt pour ces malheureux autant d'embuscades dans lesquelles ils furent massacrés comme des bêtes prises au piège. Bientôt les Mamelouks victorieux passaient eux-mêmes à l'attaque, et le gros de la troupe royale subissait leur assaut dans les conditions les plus défavorables, avant qu'aient pu se former les corps de bataille, et tandis que l'arrière-garde, confiée au duc de Bourgogne, était encore au-delà du fleuve.

 

"Ainsi un accès de démesure avait-il anéanti l'effet de cette traversée à laquelle l'armée égyptienne était loin de s'attendre et mis la croisade au bord de la défaite.

 

"On peut dire que nous étions tous perdus en cette journée, si le roi n'avait payé de sa personne", écrit Joinville.

 

"Seule, en effet, la valeur personnelle du roi devait sauver la situation.

 

"C'est en cet instant que le chroniqueur nous trace de lui l'inoubliable portrait Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 303):

 

"Et vint le roi avec tout son corps de bataille à grands cris et à grand bruit de trompettes et de timbales; et il s'arrêta sur un chemin en chaussée.

 

"Jamais je ne vis si beau chevalier car il paraissait au-dessus de tous ses gens, les dépassant à partir des épaules, un heaume doré sur la tête, une épée d'Allemagne en main.

 

"Valeur de corps et bonté d'âme", l'idéal chevaleresque est parfaitement personnifié ici en la personne du roi.

 

"C'est effectivement, en cette journée, son courage personnel autant que ses prouesses qui sauvent la situation.

 

"Tout est à retenir dans cette page si admirablement retracée par le chroniqueur: tout, et aussi la belle humeur dont lui et ses compagnons font preuve en des circosntances désespérées.

 

"Joinville nous raconte qu'à cet instant, critique entre tous, il s'avise qu'un ponceau (un petit pont), jeté sur un ruisseau, est resté sans défenseur; il propose au comte de Soissons de s'employer à le garder, car, "si nous le laissons, les Turcs s'avanceront sur le roi par-deça, et si nos gens sont assaillis par deux côtés, ils pourront bien succomber". Tous deux donc défendent le ponceau, tenant héroïquement, assaillis tantôt par des jets de feu grégeois, tantôt par les grêles de flèches sarrasines ("Je ne fus blessé de leurs traits qu'en cinq endroits", raconte calmement le sénéchal)…

 

"Pour en finir, la victoire reste à l'armée royale, victoire durement payée, mais qui leur permet de tenir dans Mansourah.

 

"Décimée par une dure victoire, l'armée allait être ensuite, sous le ciel implacable, en proie à l'épidémie. Saint-Louis lui-même fut atteint du typhus... Bloquée par une flotille qui interceptait tout convoi de ravitaillement entre Damiette et le camp chrétien, l'armée dut enfin capituler" [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 305]

 

Le 5 avril 1250, les croisés entament une retraite sur Damiette.

 

L'année 1250 marque aussi l'avènement des sultans mamelouks en Egypte.

 

Le 7 avril de la même année 1250, Louis IX est fait prisonnier par les Égyptiens.

 

"Les conseillers du sultan éprouvèrent le roi pour savoir si le roi leur voudrait promettre de livrer quelques-uns des châteaux du temple ou de l'Hôpital ou des châteaux des rois du pays...

 

"Et ils le menacèrent, lui disant que puisqu'il ne le voulait pas faire, ils le feraient mettre à la torture.

 

"A ces menaces le roi leur répondit qu'il était leur prisonnier, et qu'ils pouvaient faire de lui à leur volonté.

 

"Quand ils virent qu'ils ne pouvaient vaincre le bon roi par des menaces, ils revinrent à lui, et lui demandèrent combien il voudrait donner d'argent au sultan, et avec cela s'il leur rendrait Damiette.

 

"Le roi alors répondit que si le sultan voulait prendre de lui une somme raisonnable de deniers, il demanderait à la reine qu'elle les payât pour leur délivrance.

 

"Et ils dirent: "Pourquoi ne voulez-vous pas vous y engager ?"

 

"Le roi leur répondit qu'il ne savait si la reine (Marguerite de Provence) le voudrait faire, parce qu'elle était la maîtresse..." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 297]

 

Le 6 mai 1250, les Francs restitue Damiette aux musulmans; Saint-Louis est libéré moyennant une lourde rançon.

 

Perte définitive de Jérusalem par les latins. De 1250-1254, Saint-Louis conclut une alliance avec les Mamelouks qui libèrent les derniers prisonniers et, en échange d'une alliance contre les Ayyubides de Syrie, promettent la restitution de Jérusalem, Bethléem et presque tout le territoire de l'ancien royaume en deçà du Jourdain. Cependant, comme rien de décisif n'a été obtenu, les Mamelouks font la paix avec les Syriens à l'instigation du calife, en 1253. Saint Louis renforce le dispositif défensif de Terre sainte, restaure les fortifications des places côtières qui restaient aux Francs (Acre, Césarée, Jaffa, Sidon), rétablit l'entente au sein de la principauté d'Antioche, divisée par les querelles familiales, et enfin réconcilie cette dernière avec les Arméniens.

 

Il négocie des trêves avec les princes musulmans avant de repartir pour la France (1254).

 

Le 24 avril 1254, Saint-Louis rentre en France. Il "porte au Puy la statue miraculeuse de Notre Dame que le Sultan lui a donnée et que la tradition dit avoir été sculptée par le prophète de l'Ancien Testament Jérémie, lorsque poursuivi par la haine des siens, il se serait retiré en Égypte annonçant la destruction des idoles par un Dieu qui naîtrait d'une Vierge... Le 3 mai, la statue est portée processionnellement pour remercier Marie du retour du Roi de la Terre Sainte [Marquis de la Franquerie, La Vierge Marie dans l'histoire de France, Éditions Résiac, Montsûrs 1994, p. 76]

 

"Notre-Dame du Puy était pour le peuple croyant au Moyen Age un peu ce qu'est pour celui d'aujourd'hui Notre-Dame de Lourdes. Les pèlerinages s'y succédaient, attirant au coeur de la France, dans ce cadre extraordinaire de roches volcaniques, des files interminables où se mêlaient les gens de tous états, serfs, moines, seigneurs ou prélats, pieds nus et cierges en main. C'est là, dans la ferveur de cette foule qu'accueillait une cathédrale alors neuve, prolongée par son grand porche, son cloître et ses annexes où les pèlerins trouvaient un abri, qu'avait pour la première fois résonné l'antienne du Salve Regina, longtemps appelée l'hymne du Puy." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p 29]

 

L'infériorité numérique: constant problème des Croisés (George Bordonove)

 

"... le problème constant des rois de jérusalem tenait à l'infériorité numérique de leur armée. Il n'est pas exagéré de dire que, face à la marée turque ou arabe, renouvelée sans cesse et quasi inépuisable, les Francs n'étaient qu'une poignée... Leur idéal, leur pugnacité, la qualité de leur armement, les avantages de leur tactique ne compensaient pas toujours les pertes sévères qu'il leur arrivait de subir... La population du royaume (y compris la principauté d'Antioche, les comtés d' Édesse et de tripoli) est généralement, et très approximativement, évaluée à un million d'âmes. Les Francs représentaient à peine cent mille personnes. Ces derniers étaient d'anciens croisés venus d'occident qui étaient restés en Terre sainte et s'y étaient mariés (parfois avec des musulmanes converties à la foi catholique)... [Georges Bordonove in Les Croisades (1096-1270), Les dossiers Historia, Éditions Tallandier, Saint-Amand 1999, p. 130. Ce volume réunit des textes parus dans Historia Spécial numéro 4 (mars - avril 1990), numéro 39 (janvier - février 1996) et numéro 53 (mai - juin 1998), ainsi que des compléments, annexes et inédits.]

 

"Une prospérité sans précédent"

 

"Nous avons été des Occidentaux, écrit Foucher de Chartres, nous sommes devenus des orientaux; celui qui était romain ou franc est devenu galiléen ou habitant de Palestine; celui qui habitait Reims ou Chartres se voit citoyen de Tyr ou d'Antioche. Nous avons déjà oublié les lieux de notre naissance; déjà ils sont inconnus à plusieurs de nous, ou du moins ils n'en entendent plus parler. Ceux qui étaient pauvres dans leur pays, ici Dieu les fait riches".

 

"Les récits des chroniqueurs musulmans (Usâma, Ibn-Jobaïr) confirment les assertions de Foucher de Chartres. Ces chroniqueurs ne peuvent s'empêcher de souligner les bienfaits de la cohabitation entre les musulmans et les chrétiens, l'esprit de justice des seigneurs francs et de leur roi, la prospérité du royaume de Jérusalem... tout montre qu'en dépit de l'état de guerre presque permanent, le royaume de Jérusalem connaissait une prospérité sans précédent. Elle était imputable au rétablissement des échanges commerciaux entre l'Orient et l'Occident" [Georges Bordonove in Les Croisades, les dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 130-131]

 

Les Croisés mettaient en valeur les terres d'Orient (Jacques Heers)

 

"Il est certain, dit Jacques Heers, bien que cela soit généralement occulté ou dit seulement par allusion [...], que cette croisade et les suivantes ne furent pas seulement le fait de chevaliers, de seigneurs fonciers; elles ont également engendré d'importants déplacements de paysans et d'artisans de tous les métiers qui, en s'installant si loin de chez eux, ont créé en Orient de nouveaux villages et mis en culture des terres qui, jusque-là, servaient de parcours aux troupeaux des nomades...." [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche (Sarthe) 2002, p. 14]

 

Les indigènes n'étaient pas 'pressurés' par les Francs (Jean Richard)

 

Ils gardent leurs coutumes et continuent de s'administrer eux-mêmes (Jean Richard)

 

"Comme l'écrit l'historien des croisades Jean Richard, "ce serait une erreur de considérer les indigènes comme une masse de tenanciers et d'artisans pressurés par la race franque dominante... Les Musulmans bénéficient comme les autres de ce trait propre à la mentalité du temps qui fait que chaque individu est jugé selon le droit particulier du groupe social auquel il appartient, ce qui ne favorise pas l'unification: ils gardent leurs coutumes et continuent à s'adminsitrer eux-mêmes... [Jean Richard cité dans Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 167]. On est donc loin du cliché du fanatique croisé barbare, exploiteur et oppresseur des musulmans...

 

Des musulmans, maîtres de leurs habitations et de leur administration (Ibn Djobaïr)

 

Le témoignage le plus frappant à ce sujet est celui souvent cité, du voyageur arabe Ibn Djobaïr, résolument hostile aux Francs et qui écrit néanmoins, à la date de 1184, racontant le voyage qu'il fit alors de Damas à Acre: "Nous avons quitté Tibnin (Toron) par une route longée cosntamment de fermes habitées par des Musulmans qui vivent dans un grand bien-être sous les Francs – puisse Allah nous préserver de semblalbe tentation! Les conditions qui leur sont faites sont l'abandon de la moitié de la récolte au moment de la moisson et le paiement d'une capitation d'un dinar et sept qîrâts, plus un léger impôt sur les arbres fruitiers. Les Musulmans sont maîtres de leurs habitations et s'administrent comme ils l'entendent... Telle est la constitution des fermes et bourgades qu'ils habitent en territoire franc... (Ibn Djobaïr cité dans Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 168)

 

Justice des Francs et tentations des Musulmans de s'installer dans leurs seigneuries (Ibn Djobaïr)

 

"...Les cœurs de nombreux Musulmans sont remplis de la tentation de s'installer ici [...], quand ils voient la condition de leurs frères dans les districts gouvernés par les Musulmans, ajoute-t-il, c'est que, dans les pays gouvernés par leurs coreligionnaires, ils ont toujours à se plaindre des injustices de leurs chefs, tandis qu'ils n'ont qu'à se louer de la conduite des Francs [...], en la justice de qui ils peuvent toujours se fier..." [Ibn Djobaïr cité dans Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 168]

 

Cet hommage rendu par un voyageur Arabe à la justice des Francs en 1184 [l'admirable roi lépreux Baudouin IV (1174-1185) doit y être pour beaucoup...], est précieux à rappeler dans le contexte actuel où les Croisés sont présentés comme des seigneurs injustes, cupides et oppressifs... Et le texte indique bien qu'il n'y a eu aucune spoliation de la population indigène au profit des vainqueurs.

 

Pas de spoliation de la part des Francs (Ibn Djobaïr)

 

Le texte (d'Ibn Djobaïr) indique qu'il n'y a eu aucune spoliation de la population indigène au profit des vainqueurs... On peut comparer leur sort à celui de tous les métayers, et la taxe personnelle qu'ils versent à tous les seigneurs (1 dinar et 7 qîrâts, correspondant à un besant équivalent de 12 francs-or) est loin d'être excessive.

 

Le même voyageur écrit plus loin: "Nous nous sommes arrêtés dans un bourg de la banlieue d'Acre. Le maire qui était chargé de la surveillance était musulman; il avait été nommé par les Francs et préposé à l'administration des cultivateurs habitant l'endroit". Ainsi on leur faisait confiance même pour l'administration. Et l'on a pu citer tel cadi arabe, un nommé Mansour Ibn Nabil, à qui le prince d'Antioche, Bernard III, avait confié l'administration de toutes les affaires musulmanes dans la région de Lattakieh" [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 168-169]

 

Jacques Heers écrit lui aussi que "contrairement à une idée encore trop souvent admise, ces commerces lointains (en Orient) n'étaient pas, pour les hommes d'affaires des villes portuaires d'Italie, une activité fondamentale dont aurait dépendu leur prospérité et celle de leur ville. Nous en avons beaucoup exagéré l'importance et d'autres négoces comptaient bien plus: ceux des produits alimentaires (blés, vins, huiles) et ceux de la laine. De toute façon, il ne semblait pas nécessaire de conquérir la Terre sainte pour s'assurer un meilleur ravitaillement en produits orientaux. Jérusalem et les autres villes de Palestine étaient alors peu visitées par les grands marchands, musulmans ou chrétiens; leur production en objets de prix restait relativement pauvre, et les caravanes qui amenaient les épices de l'Asie lointaine passaient par d'autres routes, soit vers l'Egypte, soit par Damas et Cosntantinople. Au moment où le pape et les évêques prêchaient la croisade, les hommes d'affaires italiens, fréquentaient déjà assidûment depuis quelques décennies, ces marchés du Caire, d'Alexandrie et de Byzance; ils en connaissaient les routes et les pratiques; ils y avaient obtenu des garanties et même, à Constantinople, des comptoirs situés dans la ville. Attribuer une influence décisive aux marchands "capitalistes" italiens, à leurs ambitions effrénées et à leur soif de profits, c'est privililégier une seule optique et, en outre, méconnaître la géographie des routes et des négoces de cette époque... En tout état de cause, ...ces grands marchands, ...ni dans ces années mille, ni en d'autres occasions aussi riches de perspectives nouvelles (lors des grandes découvertes atlantiques, quatre cents ans plus tard, par exemple), ne furent des aventuriers. Risquer des investissements et des énergies vers des horizons non encore explorés, aux ressources incertaines, ne pouvait les intéresser. Ce qui leur convenait, c'était poursuivre leurs affaires sur des routes et des marchés parfaitement connus, inventoriés, qui avaient fait leurs preuves. La croisade était forcément une aventure; ce n'était pas la leur" [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche (Sarthe) 2002, p. 14-15]

L'Apparition d'une tolérance dans la pratique du culte musulman de la part des Croisés

 

"Enfin, ce n'est pas une mince surprise que de le dire, toujours dans la même relation, émanant, nous l'avons dit, d'un écrivain particulièrement hostile aux croisés, la mention de deux mosquées à Acre, converties en églises, mais où les Musulmans ont le droit de continuer à se réunir et d'y prier tournés vers La mecque selon leurs habitudes anciennes... Ce n'est pas une exception puisque le même fait est rapporté par un autre écrivain arabe, Ousamah, qui atteste que, se trouvant à Jérusalem, il a pu faire ses prières dans une mosquée transformée en chapelle, mais où ses coreligionnaires avaient néanmoins l'autorisation de venir prier selon leur culte (Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 169).

 

L'accusation d'idolâtrie fut portée contre les Templiers par Clément V puis Jean XXII...].

 

L'établissement de relations amicales (Régine Pernoud)

 

Enfin, les exemples abondent, cités par les historiens occidentaux comme Foucher de Chartres et par des Musulmans comme Ibn-al-Qalanisi, de relations amicales qui sont établies un peu partout en Palestine entre les populations, notamment les populations rurales et les vainqueurs... [donc là aussi, on est loin du cliché des croisés fanatiques, oppresseurs et exploiteurs...]

 

La note juste, en ce domaine, semble avoir été fournie par l'historien Claude Cahen, lorsqu'il écrit: "L'établissement de la domination franque n'a pas dû se traduire dans les peuples indigènes par un grand bouleversement. Une classe supérieure nouvelle se substitue à l'ancienne, pour se superposer à la société rurale antérieure: ignorante des conditions du sol, elle s'en remet naturellement à cette société du soin d'en continuer l'exploitation au profit des nouveaux maîtres, mais selon leurs propres traditions" (Claude Cahen cité dans Régine Pernoud Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 169).

 

Des Musulmans, fiscalement mieux traités que les Chrétiens (Régine Pernoud)

 

Chose curieuse, on a pu relever que, du point de vue fiscal, les Musulmans se trouvaient mieux traités que les populations chrétiennes, car celles-ci étaient assujeties au paiement de la dîme envers les églises, à laquelle les Musulmans n'étaient pas astreints... Les Arméniens disposés à venir s'installer à Jérusalem se seraient plaints de cette inégalité des conditions. Tout cela indique un régime beaucoup plus tolérant qu'on n'a coutume de l'imaginer...

 

Il ne sera pas rare de voir des indigènes dans l'entourage immédiat des barons. Le roi baudouin Ier eut ainsi pour chambrier un Sarrasin qui, nous raconte le chroniqueur, était son familier, et en qui le roi se fiait plus qu'à tous les autres. Il avait été sarrasin, mais il avait autrefois demandé le baptême, par grande volonté de bien faire, semble-t-il, si bien que le roi en eut pitié; il le fit baptiser, le tint sur les fonts et lui donna son nom; puis il le reçut en sa mesnie (maisonnée)... Mal lui en prit d'ailleurs, car beaucoup plus tard, cet homme tenta de l'empoisonner... On voit même le chevalier Renaud de Sidon se faire accompagner d'un musulman – qui, lui, n'est pas baptisé – pour lui servir d'"écrivain". D'ailleurs le personnage de l'interprète, du "drogman", était trop indispensable aux seigneurs francs dans l'administration de leur nouveau domaine pour qu'ils hésitent à en recruter; mais, dans bien des cas, on s'aperçoit qu'ils leur accordent volontiers leur confiance, et cela montrer qu'une familiarité inattendue a pu naître entre Francs et Sarrasins" (Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 169-170)

 

Joinville (1225-1317), sénéchal héréditaire de Champagne, auteur de la Vie de Saint-Louis (rédigée entre 1305 et 1309, plus de cinquante ans après la septième croisade), est conscient que si la croisade n'a rien conquis, elle a, pour le moins, accordé un sursis de quarante ans aux États latins. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 303]

 

De la septième à la huitième croisade

 

Février 1258 Les mongols descendants de Gengis Khan prennent et mettent à sac Bagdad : fin du khalifat abbasside.

 

Septembre 1260 Prise de pouvoir du sultan mamelouk Baîbars; Victoire des Mamelouks sur les Mongols à Aîn Jalûd; Les Mongols rejetés de Syrie par les Mamelouks; les Francs ont autorisé les musulmans à traverser leurs États pour se porter au-devant des envahisseurs tartares.

 

27 février 1265 Prise de Césarée par les Mamelouks.

 

1268 Les Francs perdent Jaffa, Beaufort, Antioche et Baghras.

 

1269 Croisade aragonaise menée par les bâtards du roi d'Aragon, Fernando Sanchez et Pedro Fernandez.

 

 

La huitième croisade (1270)

 

Mars 1270, Saint Louis prend la croix voulant tenter de convertir le sultan et évangéliser les musulmans, mais la peste sévit sur toute l’armée...

 

Le 2 juillet 1270 Les troupes françaises quittent Aigues-Mortes.

 

Le 18 juillet 1270, Saint-Louis Débarque à Tunis; la peste frappe les Croisés.

La mort de Saint Louis

 

Saint Louis eut une fin de missel et de vitrail. Les nouvelles d’Orient étaient mauvaises, le royaume chrétien de Jérusalem s’en allait par morceaux : il voulut empêcher que l’œuvre de deux siècles fût anéantie.

 

Mais l’enthousiasme des croisades était tombé.

 

L’ardeur de la renaissance religieuse aussi.

 

Avec Saint Louis les croisades allaient finir : à peine arrivé à l’endroit où avait été Carthage (Tunis), le saint roi comme l’appelait déjà la renommée, mourut de la peste à l'âge de 55 ans, samedi 25 août 1270, "à 3 heure de l' après midi comme Jésus Christ" note son chroniqueur Jean de Joinville, en répétant le nom de Jérusalem, que personne n’entreprendrait plus de délivrer après lui.

 

Son amour du Seigneur inspira à Saint Louis de faire élever plusieurs chapelles, entre autres, la Sainte-Chapelle, souvent considérée comme un chef d’œuvre de l’art gothique, pour recevoir, abriter et honorer des reliques de la Croix et de la Passion, ramenées de la Croisade.

 

Sainte-Chapelle

 

Protecteur des opprimés, redresseur de torts, "le chêne de la sagesse" reçut de Dieu le don du discernement, l’art de gouverner, en plus d’un cœur intelligent et sage. Cette intelligence du cœur lui permit, sans lui faire abdiquer son devoir de juge, d’envelopper sa fermeté de miséricorde. La force d'âme du roi mourant, dans un camp ravagé par la peste, fit plus pour sa renommée que n'eût fait une éphémère victoire. Il fut canonisé en 1297 par le pape Boniface VIII (alors en conflit avec son neveu Philippe IV le Bel qu’il excommuniera en 1303). Sa fête est le 25 août.

 

"Pour couronner les hommages rendus à la Mère de Dieu chaque samedi, il [Saint-Louis] avait désiré mourir ce jour-là, et cette grâce lui fut accordée par Marie qui, le samedi 25 août, le reçut et le couronna au paradis..." [Marquis de la Franquerie, La Vierge Marie dans l'histoire de France, Éditions Résiac, Montsûrs 1994, p. 78]

 

 

"Songez à saint Louis, qui se faisait représenter sous une voûte bleue constellée d'étoiles (les fleurs de lys), symbole du ciel, et qui refusait les terres que lui donnait l'Empereur germanique pour le remercier de lui avoir été favorable dans un arbitrage, parce qu'il estimait que ce terres n'étaient pas "françaises" – théorisant même la "puissance bornée", c'est-à-dire les frontières...

 

"L'aspiration du Roi saint (comme d'ailleurs le Roi David, le modèle biblique du "bon roi") n'était pas la conquête, la dimension géographique, mais le respect des héritages, le perfectionnement intérieur, la fidélité à son modèle, à son Être, et non à son avoir" (Paul-Marie Coûteaux).

 

Enracinement de l'idée "c'est une chance d'être français" (Pierre Chaunu)

 

 

« L'idée que c'est une chance d'être français s'enracine entre le XIIe et le début du XIVe s. Elle est exprimée par l'image mythique de saint Louis sous son chêne qui fait régner la justice.

 

« "À qui se pourront désormais les pauvres gens clamer / Quand le bon roi est mort qui tant les sut aimer ?", tels sont les mots qui accompagnent l'annonce de sa mort à Tunis en 1270. Ils résument l'idée de paix et de justice que doivent incarner le roi de France et ses conseillers, quand ils sont fidèles. » [Pierre Chaunu, Éric Mension-Rigau, Baptême de Clovis, baptême de la France, De la religion d'État à la laïcité d'État, Éditions Balland, Paris 1996, p. 126]

 

À l’intérieur du royaume, Louis IX , très soucieux de la justice, organise une section judiciaire de la cour du roi, interdit les guerres privées dans ses domaines (ce qui favorise la paix intérieure) et supprime le duel judiciaire. Il fonde plusieurs hôpitaux, notamment l'Hôtel-Dieu pour les pauvres et les Quinze-Vingts pour les chevaliers victimes de mauvais traitements durant les croisades.

 

En Europe, à la mort de saint Louis, l’Etat français dont les traits principaux sont fixés, a pris figure au dehors: il est sorti victorieux de sa lutte contre les Plantagenêt [par une sage politique de paix familiale qu'un peu peu plus tard, le brutal Philippe IV le Bel bouleversera, suscitant la Guerre de Cent Ans], la menace allemande a été conjurée et maintenant, l’Angleterre (provisions d’Oxford 1258, le roi doit partager le pouvoir avec un conseil de barons) et l’Allemagne sont en pleine révolution.

 

La fin des états latins d'Orient

 

Le prince Edouard d'Angleterre est arrivé trop tard pour participer à la croisade de Louis IX à Tunis. Avec un petit millier d'hommes, il participe à de petites expéditions. Mais sans l'aide des Mongols, la croisade n'obtient que peu de résultats.

Face au manque de moyens, Edouard remarque à Acre en direction de l'Europe le 22 septembre 1272 pour prendre la succession de son père Henri III. La neuvième croisade prend fin. Saint-Jean-d'Acre tombe en 1291.

Croisades

En 1302, l'île d'Arouad à trois kilomètres des côtés syriennes, le dernier bastion chrétien tenu par les Templiers est abandonné. Les autres tentatives de reconquête échouent, tout espoir est définitivement perdu.

 

Le sultan Baïbars avait fait ses premières armes contre Saint Louis à la bataille de Mansourah; personnalité violente que celle de ce Turc de Russie (il était originaire de Crimée).

Le sultan Baïbars que sir Steven Runciman appelle le diable, fit décapiter toute la population de Safad à qui il avait promis la vie sauve en échange de sa reddition. Il massacra les adultes et réduisit en esclavage les enfants du village chrétien de Qara entre Homs et Damas qu'il suspectait d'être en contact avec les Francs. "Quand les chrétiens d'Acre envoyèrent des émissaires pour obtenir la permission d'enterrer les corps, il refusa de façon grossière, leur disant que s'ils voulaient des dépouilles de martyrs, ils en trouveraient chez eux. Pour mener à bien sa menace, il marcha vers la côte et tua chaque chrétien qui tombait entre ses mains." (Runciman, vol. 3, p. 321)

 

À propos de la capture d'Antioche en 1268, Runciman rapporte que "même les chroniqueurs musulmans étaient choqués par le carnage qui avait suivi."

 

 

Le 7 avril 1271, le mamelouk Baîbars s'empare du krak des Chevaliers.

 

"Une série d'assassinats l'avait amené à occuper le trône d'Égypte et désormais, sous l'assaut des Mamelouks menés par ce prodigieux soldat, les forteresses franques tombaient l'une après l'autre: Césarée, Arsouf, Saphed, Jaffa, Beaufort avaient été en trois ans (1265-1268) réduites par lui à capituler lorsqu'il entreprit ce siège d'Antioche qui allait faire tomber entre ses mains la plus belle palce forte de la Syrie du Nord, la ville imprenable qui avait coûté tant de sang et d'efforts aux premiers croisés.

 

"Un être pareil ne pouvait que concevoir de guerre que totale. Sa lettre au comte de Tripoli, Bohémond VI, rapportée par plusieurs chroniqueurs arabes, ne laisse aucun doute sur la manière dont il entendait les opérations: "Tu dois te souvenir de notre dernière expédition contre Tripoli… Comment les églises ont été blayées de dessus la surface de la terre, comment la roue a tourné sur l'emplacement des maisons, comment se sont élevs sur le rivage de la mer des monceaux de cadavres qui ressemblaient à des péninsules, comment les hommes ont été tués, les enfants réduits en esclavage, comment les gens libres sont devenus esclaves, comment les arbres ont été coupés de manière qu'il n'en restât que la quantité nécessaire pour le bois de nos machines… Comment ont été mis au pillages ces richesses et celles de tes sujets, y compris les femmes, les enfants, les bêtes de somme; comment ceux de nos soldats qui étaient sans famille se sont trouvés tout à coup avec femmes et enfants, comment le pauvre est devenu riche, le serviteur s'est fait servir et le piéton a trouvé sa monture"…

 

"Et d'énumérer les épisodes du récent siège d'Antioche: "Ah! Si tu avais vu tes chevaliers foulés aux pieds des chevaux, ta ville d'Antioche livrée à la violence du pillage et devenue la proie de chacun, tes trésors qu'on se distribuait par quintaux, les dames de la ville qu'on vendait une pièce d'or les qutre! Si tu avais vu les églises et les croix renversées, les feuilles des Evangiles sacrés dispersées, les sépulcres des patriarches foulés aux pieds! Si tu avais vu le Musulman ton ennemi marchant sur le tabernacle et l'autel, immolant le religieux, le diacre et le prêtre, le patriarche! Si tu avais vu tes palais livrés aux lammes, les morts dévorés par le feu de ce monde avant de l'être par celui de l'autre, tes châteaux et ses dépendances anéantis, l'église de Saint-Paul détruite de fond en comble!...

 

"Que face à pareil ennemi, les Francs de Syrie n'aient pas su faire taire leurs discordes et cesser leur fureur de tournois, on a quelque peine à le concevoir. Le grand maître du Temple, Guillaume de Beaujeu, multipliait les avertissements et s'entendait répondre par certains barons "qu'il cessât de leur faire un épouvantail avec ces bruits de guerre"; mais dans le même temps lui-même ne faisait rien pour mettre fin aux rivalités entre le Temple et l'Hôpital Saint-Jean.

 

Ce n'est qu'au tout dernier moment, face à la catastrophe, que toutes ces forces dispercées se réunissent enfin et contribuent pour la dernière fois à un exploit héroïque encore qu'inutile.

 

Le jeudi 5 avril 1291, le sultan Al-Ashraf, qui venait de monter sur le trôen d'Egypte, entreprenait le siège de Saint-Jean d'Acre (en représailles, à l'acte de sauvagerie commis par les croisés italiens fraîchement débarqués contre les malheureux marchands syriens qui fréquentaient le bazar de la ville).

 

Acre était la dernière place demeurée aux mains des Francs depuis la prise de Tripoli par le sultan Qalaoun (26 avril 1289). L'armée du siège comportait 60000 cavaliers et 160000 fantassins à pied et seulement 800 chevaliers; en tout la place renfermait environ 35000 habitants. Les péripéties du siège nous ont été racontées par un témoin oculaire, que l'on appelle le templier de tyr, dont le récit a été repris vers 1325 par Gérard de montréal:

 

Le sultan fit former ses tentes et ses pavillons fort près l'un de l'aute; ils tenaient du Toron jusque vers la Samarie, que toute la plaine fut couverte de tentes et la tente du Sultan qui s'appelle dehliz était sur un toron (monticule) plus haut, là où il y avait une belle tour et jardins et vignes du Temple… Huit jours, il demeura devant Acre sans rien faire… et au terme de ces huit jours ils dressèrent et assirent au point leurs engins, que les pierres qu'ils jetaient pesaient un quintar (mesure italienne, environ 150 livres). Le sultan disposait d'une puissante artillerie: quatre grandes pierrières dressées chacune contre les principales tours de la ville; ils commencèrent par l'investissement de celle que l'on appelait Tour maudite…

 

C'est ensuite l'entrée des Sarrasins dans la ville: dames et bourgeoises, et religieuses et autres menues gens allaient fuyant par les rues, leurs enfants en leurs bras, et étaient pelureuses et éperdues, et fuyaient à la amrine pour se garantir de mort; et quand les Sarrasins les rencontraient, l'un prenait la mère et l'autre l'enfant, et les portaient de lieu en lieu, et les partaient l'un de l'autre… et quelques fois la femme était emmenée et l'enfant allaitant en était jeté par terre, que chevaux le foulaient et ainsi était mort; et de telles dames avaient qui étaient grosses et étaient si distraites (étouffées) en la presse qu'elles mouraient sur pied, et la créature qui était en son corps aussi… Aussi sachez que les Sarrasins mirent le feu aux engins et aux gardes, que toute la terre alluma le feu…

 

Au milieu de ces scènes de carnage, meurt celui qui incarnait la résistance de la cité, le grand maître du Temple, Guillaume de Beaujeu… Les chevaliers allaient tenir dix jours encore dans la tour d'Acre. Le Temple tint dix jours et le sultan fit parler à ceux s'ils se voulaient rendre… et lui mandèrent qu'ils se rendraient par ainsi qu'il les fit conduire par auveté là où ils voudraient aller. Et le sultan le leur octroya et envoya au Temple un amiral qui mena avec lui quatre mille hommes à cheval dedans le Temple. Ils virent tant de gens et de peuple, et voulurent prendre els femmes qui leur plaisaient et ahontir; les Chrétiens ne le purent souffrir, et mirent mains aux armes et coururent sus aux Sarrasins et tous les tuèrent et massacrèrent, que nul n'en échappa vif, et se mirent en volonté de défendre leurs corps jusqu'à la mort.

 

Ils ne pouvaient se méprendre en effet sur l'issue de la lutte déclenchée par un dernier geste de chevalerie, pour défendre les femmes tombées entre les mains des vainqueurs. Le combat reprit donc. Le sutan leur manda une seconde fois qu'il savait bien que par la folie de ses hommes furent-ils morts et par leur outrage et qu'il ne leur savait nul mal gré et qu'ils pouvaient sortir sûrement à fiance (en confiance). Le Maréchal du Temple, qui fut franc prud'homme…, eut foi au sultan et sortit vers lui; et demeurèrent dans la tour quelques frères qui étaient navrés. Aussitôt que le sultan tint le maréchal et les gens du Temple, il fit tailler la tête à tous les frères et à tous les hommes. Cet acte de barbarie, au mépris de la parole donnée, déclanche le troisème et dernier épisode de la lutte: … et les Sarrasins entrèrent à tant de gens dedans la tour que les étançons qui la soutenaient faillirent; et la pierre tomba et ceux des frères du Temple et les Sarrasins qui dedans étaient furent morts; et même dans sa chute la tour versa vers la rue et écrasa plus de deux mille Turcs à cheval. Et ainsi fut prise la cité d'Acre…" (Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 313-318).

 

1277 Mort de Baîbars.

 

27 avril 1289 Prise et destruction de Tripoli: Les Mamelouks du sultan égyptien Qalaoun investissent la cité croisée Tripoli, "l'une des plus prospères des royaumes latins" : la ville est rasée.

 

« Une atroce tuerie s'en était suivie. Le chroniqueur Aboul Fida nous l'a rapportée en ces termes: "Les habitants s'enfuirent du côté du port mais bien peu purent s'embarquer; la plupart des hommes furent tués, les femmes et les enfants réduits en esclavage. Quand on eut fini de tuer, on rasa la ville jusqu'au sol; près de la vielle était un îlot où s'élevait une église de saint Thomas. Une foule énorme s'y était réfugiée. Les Musulmans se précipitèrent dans la mer à cheval ou atteignirent l'îlot à la nage. Tous les hommes qui s'y trouvaient furent égorgés. Je me rendis quelque temps après sur cet îlot et le trouvai rempli de cadavres en putréfaction; il était impossible d'y demeurer à cause de la puanteur. » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 128]

 

1289 Le Krak des chevaliers est conquis par le sultan mamelouk Qalawûn.

 

18 mai 1291 Les Mamelouks pénètrent dans Saint-jean-d'Acre; le couvent des Templiers résiste jusqu'au 28.

 

1291 Chute d'Acre : disparition des Etats latins de Terre sainte.

 

Été 1291 Évacuation des autres places fortes de Palestine.

 

1299 Les Mongols entrent à Damas.

 

1303 Les templiers abandonnent l'îlot de Rouad.

 

1307 Philippe IV le Bel fait arrêter les Templiers de son royaume.

 

15 août 1310 Les Hospitaliers sont maîtres de Rhodes.

 

22 mars 1312 Le pape Clément V prononce la suppression du temple dans sa bulle Vox in excelso.

 

2 mai 1312 La bulle Ad providam décrète la transmission de tous les biens du Temple à l'Hôpital de Saint-Jean.

 

18 mars 1314 Jacques de Molay, dernier grand maître de l'ordre du Temple, périt sur le bûcher dressé à Paris sur l'Île aux Juifs.

 

 

Tout l'Orient, l'Égypte, l'Afrique du Nord, l'Espagne (terres chrétiennes) avaient été envahis par les arabes et convertis par le fer et le feu à l'Islam. Ceux qui refusèrent de se convertir furent soumis à des régimes d'humiliation (dhimmitude des juifs et des chrétiens).

CONCLUSION

 

Les croisades furent des entreprises de refoulement d'invasions militaires (musulmanes) en terres chrétiennes. 

Les croisades des Francs en Orient (et à la Reconquête en Espagne, on oublie de le dire) furent des guerres de libération (de terres anciennement chrétiennes) et non de conquête - comme on s'efforce depuis trop longtemps de nous le faire accroire - avec un objectif limité: libérer l'accès au Saint-Sépulcre.

 

1. « Les musulmans s'étaient traîtreusement parjurés par les destructions massives des églises, dont en particulier celle de la Résurrection, et par les persécutions qu'ils faisaient subir aux chrétiens, dont l'interdiction de construire de nouvelles églises. L'avenir de la présence chrétienne en Terre sainte était fortement menacé.

2. « Un pays frère chrétien, ce qui restait en fait de la Nouvelle Rome, ... avait demandé de l'aide. Puisque la menace seldjoukide était réelle, tout refus aurait équivalu à de la non-assistance.

3. « Il ne s'est jamais agi d'"impérialisme", de "colonialisme" ou de conversion forcée des musulmans, mais toujours seulement de la survie des chrétiens d'Orient et de la sécurité des pèlerins d'Occident vers Jérusalem.

 

Egon Flaig

« Egon Flaig, professeur d'histoire ancienne à l'université de Greifswald s'en fit l'écho dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung du 16 septembre 2006, en constatant ceci : "Urbain II avait vu juste. Si Constantinople était tombée dès 1100 (au lieu de 1453 NdCR.) alors l'énorme puissance militaire de l'armée turque se serait abattue sur l'Europe centrale avec 400 ans d'avance. La richesse et la diversité de la culture européenne n'auraient alors probablement pas vu le jour : pas de constitutions de cités libres, pas de débats législatifs, pas de cathédrales, pas de Renaissance, pas d'essor des sciences ! puisque dès cette époque-là, dans le monde islamique, disparaissait le modèle - grec - de la libre pensée. Le jugement de Jacob Buckhardt - 'Une chance que l'Europe unie ait lutté face à l'islam' - signifie simplement que nous devons aux Croisés à peu près autant qu'aux victoires défensives des Grecs contre les Perses." » [Michael HESEMANN, Les Points Noirs de l'Histoire de l'Église, ibid., p. 183-184] 

 

4. Les Croisades n'ont pas conquis définitivement le tombeau du Christ à la Chrétienté, mais elles ont réussi à en rendre l'accès libre et à le protéger contre toute profanation. Elles ont préservé l'Europe de la domination de l'Islam, ont affaibli les féodalités, fait progresser l'unité nationale, élargi le champ des connaissances et des idées, développé le commerce et l’industrie, permis l'éclosion de la culture et de la civilisation européenne moderne.

5. Loin d'accroître la haine contre les Infidèles, elles ont développé la pratique de la tolérance et ont eu de magnifiques conséquences politiques et sociales. Elles ont élargi le champ des connaissances et des idées, développé le commerce et l'industrie.

 

« Les croisades furent une des pages les plus nobles et valeureuses de notre histoire, avec des hommes de grande foi, tels Godefroy de Bouillon, Baudouin IV, Saint Louis, et tant d'autres chevaliers anonymes ou moins connus.

 

« Au point de vue politique, les Croisades eurent un résultat imprévu et indirect, mais bien certain, résume Jean Guiraud en 1912 : elles accentuèrent l'Ascension du Tiers-État vers la liberté. L'absence des seigneurs permit aux bourgeois des villes de se constituer en communes et aux habitants des campagnes de proclamer leur liberté. Souvent aussi, les seigneurs ayant besoin d'argent soit pour s'équiper, soit pour réparer les pertes vendirent aux riches commerçants des chartes communales, aux serfs qui pouvaient les payer des chartes d'affranchissement. Cet affaiblissement de la féodalité profita à la royauté qui exerça sur ses vassaux une autorité plus étroite. Ces progrès de la royauté mirent de l'ordre dans la société jadis morcelée à l'excès. Bientôt les grands ports de la France et de l'Italie créèrent des établissements aux Échelles du levant pour faciliter le commerce, y fondèrent des colonies et des consulats, et généralisèrent dans toute la Méditerranée orientale, la mer de Marmara et la Mer noire, ce qu'avaient déjà tenté, avant l'an mil, les marchands de Sarlerne et d'Amalfi. L'élargissement de l'univers amena un élargissement des sciences et de l'esprit humain lui-même. les progrès des connaissances géographiques influèrent sur les progrès des idées et de la civilisation. [...] Voilà le tableau qu'auraient dû esquisser les manuels scolaires pour donner une idée sommaire de l'influence considérable qu'ont exercé les croisades sur les institutions, la civilisation, l'agriculture, le commerce et l'industrie.

« [...] Trois siècles après la fin de la présence des Croisés en Terre sainte, "c’est encore le patriotisme chrétien, l’amour de la civilisation, l’appel du pape qui précipita les chrétiens contre les Turcs à la bataille de Lépante (1571), et c’est par l’institution d’une fête catholique (Notre-Dame du Rosaire), c’est pour l’extension de la dévotion du Rosaire que cette victoire est célébrée dans l’Europe tout entière comme une nouvelle victoire de la Croix sur le Croissant, de la civilisation européenne sur la civilisation asiatique.

 

« Et lorsque le dernier des croisés, le roi de Pologne, Sobieski, accourut au secours de Vienne assiégée par les Turcs (1683), il le fit avec le désir exclusif de servir la cause de Dieu et de la civilisation chrétienne. À ceux qui lui montraient les mauvais procédés à son égard de l’Empereur Léopold, dont il allait sauver la capitale, à Louis XIV qui, par des raisons politiques, essayait de le détourner de cette expédition, il se contenta de répondre que le service de Dieu le poussait à défendre Vienne, la chrétienté tout entière. Le pape souligna le caractère religieux de la victoire de Sobieski en commémorant le succès de cette "quatorzième croisade" par l’institution de la fête du Saint Nom de Marie. Voilà ce que n’auraient pas dû oublier ou s’ils le savent, passer sous silence, les auteurs de manuels scolaires qui veulent assigner au grand mouvement des croisades des raisons uniquement vulgaires et leur enlever leur caractère d’épopée chrétienne et de victoire de la civilisation. [...] La civilisation gréco-latine d'Occident, la société chrétienne issue de l'Évangile ont été sauvées, du XIIe au XVIIe siècle, par cinq siècles de croisades. [...] Nous recueillons maintenant le bénéfice des longs combats qu'ont livré, de Godefroy de Bouillon à Sobieski, les chrétiens groupés sous l'étendard de la Croix; les millions d'hommes qui ont lutté pendant des siècles ont valu au christianisme et à la civilisation la victoire définitive dont le XXe siècle est le témoin. » [Jean GUIRAUD, Histoire partiale, Histoire vraie, éditions Beauchesne, 1912, p. 260-263; 253-256]

 

Au plan religieux, « le choc des croisades a ébranlé Byzance et créé une brèche irréparable entre les chrétientés d'Orient et d'Occident. Le schisme de 1054 n'avait été qu'un accident de parcours dans les relations difficiles entre les deux parties de l'Église. La prise de Constantinople en 1204, le pillage de la 'mère des villes' par les croisés ont fait du schisme une réalité durable et uni les populations orthodoxes dans la haine des Occidentaux. Ni les conciles d'union – Lyon II en 1274 et Florence en 1439 – ni les démarches des empereurs byzantins en Occident ne peuvent réduire la fracture. […] Byzance implore l'aide de l'Occident contre les Turcs. L'Occident exige l'union des églises avant d'envoyer des secours. La rupture de 1204 est encore aujourd'hui une réalité. »  [Michel Balard, Les Croisades]

 

« Ainsi le musulman espagnol Ibn Jubayr, qui traversa vers 1180 l'Outremer pour accomplir son pèlerinage à la Mecque, était même d'avis que ses frères dans la foi vivaient mieux sous l'empire des chrétiens que dans les territoires islamiques : "Les terres, villages et fermes demeurent entre les mains des musulmans. Beaucoup de ces hommes se demandèrent si leur sort n'était pas meilleur que celui de leur frères des régions musulmanes. Car ces derniers souffrent de l'injustice de leurs frères dans la foi, tandis que les Francs [les Croisés] les traitent comme des égaux." Cela fut, hélas, bien trop vite oublié au cours des siècles suivants... » [Michael HESEMANN, Les Points Noirs de l'Histoire de l'Église, ibid., p. 191]

 

Dans le débat sur les croisades, deux points positifs sont à retenir : le développement du concept de "guerre juste" repris par les décrétistes (décret de Gratien, 1140) et développé par Saint Bernard, concept qui a ensuite été repris et sécularisé dans le concept moderne de la légitime défense. Sans les moines et sans les papes, pas de légitime défense. Mais pas de conventions de Genève non plus aujourd'hui.

Sans les croisades, l'expansion de l'islam étant ce qu'elle était au XIe siècle, l'Europe aurait été musulmane au siècle suivant. La Renaissance, l'humanisme, l'actuelle culture européenne, le mouvement pour plus d'égalité, les droit de la femme, la civilisation européenne elle-même n'eurent pu éclore. Aucune nation, aucune démocratie ne peut écrire sa propre histoire sans reconnaître aux croisades une dette ou une influence directe.

« Les croisades, avec leurs ombres et leurs lumières, ont été une formidable épopée. On a bien le droit d’y rêver. » [Croisades : la grande épopée, Par Jean Sévillia [05 juillet 2003] ]

 

 

Les chevaliers de l’ordre du Temple chantaient le « Da Pacem Domine » avant d'aller à la bataille. Ce chant magnifique était entonné comme une prière pour obtenir une victoire décisive. 

« Da Pacem Domine » est l’incipit de deux différents textes latins. Nous pourrions le traduire par « Donne la paix, Seigneur », et la plupart des paroles sont inspirées du Psaume 122. Les Templiers, chevaliers chrétiens du Moyen Âge dont la première mission était de défendre les lieux saints, entonnaient ce chant en temps de guerre.

(Aleteia)

Notes

 

[1] Quatre mythes à propos des Croisades, Paul F. CRAWFORD. Cet article paru au printemps 2011 dans la Intercollegiate Review a été rédigé à une date où l’"État Islamique" (Daech) n’était pas encore paru.

[2] L'expédition avortée en Mer rouge de Renaud de Châtillon en 1182–83, ne peut pas être comptée, car elle n'avait clairement aucun espoir d'atteindre l'une ou l'autre ville.

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27 juillet 2018 5 27 /07 /juillet /2018 18:28

Oui, il faut changer de république ! 

 

On se rappelle que sous François Hollande, le 14 juillet 2014, la démocratie, c'était pour le peuple, le devoir d'applaudir, sans avoir le droit de contester ! 

 

Aujourd'hui, avec Emmanuel Macron, la démocratie c'est cause toujours !

Affaire Benalla : la communication de Emmanuel Macron déraille subitement

Les libertés et l'égalité, principes monarchiques et chrétiens millénaires, ont été dévoyés. Cette "démocratie" est une monumentale imposture.

 

"L'affaire Benalla, ce chargé de mission au cabinet du président de la République Emmanuel Macron, et en charge de sa sécurité, accusé d'avoir violenté un couple de personnes et usurpé la fonction de policier de policier en étant affublé d'un casque de policier, lors d'une des manifestations du 1er mai 2018 à Paris, est emblématique du président loin, très très loin du peuple : "peuple de gauche", "de droite" et de nulle part, réveillez-vous ! 

 

Jamais un président de la république ne sera aussi proche du peuple que ne l'étaient les rois de France !

Voici en effet la réponse puérile et pas à la hauteur du tout d'un Emmanuel Macron responsable devant les Français : "qu'ils viennent me chercher !". 

 

La grande classe !

 

La communication d'Emmanuel Macron déraille subitement, lui qui s'était pourtant présenté comme le candidat présidentiel qui restaurerait la confiance des Français dans leurs institutions !

Affaire Benalla : la communication de Emmanuel Macron déraille subitement
Affaire Benalla : la communication de Emmanuel Macron déraille subitement
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15 juillet 2018 7 15 /07 /juillet /2018 07:27
Jean-Louis Harouel, Droite-Gauche : ce n'est pas fini

Dans l'entretien de novembre 2017 donné à Sputnik autour de son essai, "Droite-gauche, ce n'est pas fini" (DDB, 2017), Jean-Louis Harouel, professeur agrégé des Facultés de droit et spécialiste de la sociologie de la culture, explique que le clivage "droite - gauche, ce n'est pas fini". La droite est l'héritière du christianisme et la gauche de la gnose et du millénarisme.

Concernant le titre du livre d'Alain de Benoist, "Le moment populiste, droite - gauche c'est fini" (Pierre-Guillaume de Roux, 2017),

 

"le parallélisme inversé de nos titres et sous-titres, explique Jean-Louis Harouel, est le fruit des circonstances et certainement pas l'effet de ma volonté. Ce livre, j'y travaille depuis quatre ou cinq bonnes années. J'y ai accumulé des matériaux qui m'ont servi à publier entretemps 'Les Droits de l'Homme contre le peuple' (DDB 2016), mais ce projet est très vieux. Il s'agit d'une enquête sur les conséquences politico-sociales du facteur religieux, que j'ai même commencé il y a quinze ans, en partant d'une intuition de Jean Fourastié [qui dans ses ouvrages, écrit à plusieurs reprises, qu'il établit un lien entre notre religion, le christianisme, et le progrès scientifiques, technique, économique et social. Idées qui ont conduit Jean-Louis Harouel à publier en 2012 le "Le vrai génie du christianisme". NdCR.

 

Mon titre 'Droite-gauche ce n'est pas fini', poursuit Jean-Louis Harouel, ce n'est pas une réponse à Alain de Benoist. Ce qui m'a donné l'idée de ce titre, c'est le titre d'un numéro de l'hebdomadaire Marianne, il y a peut-être maintenant un an et demi, qui disait 'droite - gauche, c'est fini : chiche.' Et j'avais trouvé que c'était un titre accrocheur.  Et j'ai proposé ce livre à l'éditeur et le temps que la publication se fasse, j'ai constaté qu'il y avait la publication se fasse, j'ai constaté qu'il y avait le livre d'Alain de Benoist dont le sous-titre semblait être la réponse anticipée à mon propos. Donc en réalité je ne me suis pas du tout centré sur lui pour lui répondre. 

[...] Donc, à propos d'Alain de Benoist, nos démarches ne sont pas placées au même niveau, et si je m'étais placé au même niveau (que lui), j'aurais probablement défendu la même thèse. C'est-à-dire qu'il n'est pas possible, sur un mode descriptif, de faire véritablement un descriptif des idées de droite et de gauche, tellement il y a eu de chassés croisés.

[...] En revanche, moi je pense y arriver parce que je ne cherche pas du tout à faire un descriptif des idées de droite et de gauche, mais je définis les idées de droite et de gauche à partir de leur généalogie."

Jean-Louis Harouel traite la gauche de secte, car, selon lui, aujourd'hui la gnose (du grec gnosis, connaissance) est triomphante. Il se réfère à des hérésies du christianisme (la gnose) pour expliquer l'émergence de la gauche. Chesterton avait dit à propos des idées modernes qu'il s'agissait d'"idées chrétiennes devenues folles". Mais pour Jean-Louis Harouel, bien que dans des livres anciens il ait cité cette formule, "ce n'est pas tout à fait vrai, parce que ces idées sont peut-être folles, mais elles n'ont jamais été tout à fait chrétiennes puisque dès le départ elles ont été hérétiques."

 

On peut en effet désigner par gnose, les hérésies du christianisme primitif.

 

"Les racines mentales, affectives de la gauche, plongent dans deux grandes hérésies qui remontent aux premiers temps du christianisme : la gnose et le millénarisme.

La gnose, ce sont des sectes dont l'enseignement a pour conséquence de prôner une image de l'homme-dieu, de l'homme divinisé, parce que nous dit la gnose, il y a le bien et le mal (c'est très manichéen); le bien c'est la lumière, le mal c'est la matière. La lumière est divine, la matière c'est le mal. Elle (la matière) est sans valeur, elle est à détruire. Les gnostiques rejettent l'idée de la Création, considérée comme bonne dans la Bible (Genèse). Pour eux, la Création est mauvaise, ce n'est pas l'oeuvre d'un dieu bienfaisant, mais l'oeuvre du diable", explique jean-Louis Harouel.

 

"Quand on regarde les thèmes de la gnose et du gauchisme sociétal, on est frappé par des tas de coïncidences, comme le refus de la transmission de la vie, la récusation de toutes les règles de la vie en société (la haine de la famille, la haine de la propriété, la haine du mariage), l'anomie - je dirai même l'antinomisme -, ou le refus de toutes règles, de toutes normes; l'affirmation illimitée du moi. On peut rattacher à cela, l'apologie du divorce, l'avortement érigé en norme sociale; le refus même du réel, puisque le réel c'est la matière et que la matière est méprisable, donc le réel n'est pas important, ne compte que l'esprit : cela donne le 'mariage homosexuel', le transgenre, tout ce que l'on veut. L'esprit décide, la matière ne compte pas.

Autre exemple: la gnose a une prédilection pour les déviants, les criminels et les ennemis : notre justice actuelle n'est-elle pas justement marquée par une préférence pour les déviants et les criminels, voire les ennemis ?... On pourrait me répondre que ce ne sont que des coïncidences. Or il se trouve qu'il y a à travers l'histoire de la pensée occidentale un certain nombre d'auteurs importants qui se sont réclamés à gauche de la gnose, et je pense en particulier à un grand situationniste, un maître à penser de mai 68, Raoul Vaneigem, un auteur de très haute culture, qui s'est explicitement réclamé de la gnose, et qui dans son livre 'Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations', qui a été l'un des livres fondateurs de mai 68, Vaneigem se réclame des gnostiques anciens, et surtout des gnostiques médiévaux, ceux que l'on appelait les 'frères du libre-esprit', et il cite tout un passage des frères du libre-esprit, dans lequel ils expliquent que la propriété n'existe pas, qu'on prend ce que l'on veut, que l'on se sert, et si quelqu'un essaie de vous en empêcher, on le tue !

 

Le journaliste de Sputnik qui interroge Jean-Louis Harouel, cite un passage du livre concernant ces "frères du libre-esprit", mouvement gnostique du XIIIe siècle : 

 

"L'homme libre a parfaitement raison de faire tout ce qui lui procure du plaisir. Que le monde entier soit détruit et périsse, plutôt qu'un homme libre s'abstienne de faire une seule action que sa nature le pousse à accomplir."

 

"Pour la gnose, poursuit Jean-Louis Harouel, la procréation, [...] donner naissance à des êtres humains était la pire des monstruosités car on réenfermait dans la matière, qui est le mal, des parcelles de lumière qui sont divines."

 

"La gnose a repris les évangiles et Jésus, mais en donnant une image de Jésus très différente des évangiles canoniques. [...] Pour la gnose, la mission de Jésus était de venir révéler aux hommes qu'ils sont dieu, de nature divine. Et à partir du moment où un homme prend conscience qu'il est de nature divine, tout lui est permis, la morale ordinaire, les conventions et règles de la vie sociale ne comptent pas : tout lui est permis, il est l'homme-dieu. Et tout le romantisme français (au XIXe siècle) - Lamartine, Hugo, etc. - plonge dans la gnose. Victor Hugo, par exemple était obsédé de métempsychose (la réincarnation). Il était imprégné de l'idée de tout - et que l'on retrouve actuellement paradoxalement dans le culte du monde extérieur et des animaux -. 

 

Le journaliste résume la pensée de l'auteur : "le millénarisme et la gnose ont été sécularisés. La religion a été remplacée par une religion de l'humanité et des droits de l'Homme."

 

"Le millénarisme, autre hérésie chrétienne, poursuit J.-L. Harouel, c'est l'idée du paradis matériel sur la terre. Et très vite, dans la pensée millénariste au Moyen-Âge et dans la pensée moderne, il a été entendu que ce 'paradis' serait communiste. D'où des révolutions, des séditions, et à chaque fois, le paradis communiste, comme la Guerre des Paysans en Allemagne, les Anabaptistes de Munster, les Taborites de Bohême au XVe siècle : à chaque fois le petit paradis communiste se transforme en petit enfer. Sans surprise."

 

A contrario, le christianisme est l'origine des attitudes de droite, [qui trouvent leurs racines dans le christianisme orthodoxe]

"Par exemple: le christianisme a toujours refusé l'utopie. Or, la gnose et le millénarisme sont des utopies.

L'utopie, à partir du XVIe siècle, c'est le nom savant du millénarisme. Le christianisme a mis l'accent sur le refus de l'utopie, la sécurité, la justice, la paix. Au Moyen-Âge, le roi jurait devant l'Église la paix. Il jurait d'assurer la paix aux habitants du royaume. C'est-à-dire d'assurer leur sécurité et d'assurer une justice exacte. Le christianisme a mis l'accent sur un équilibre entre les intérêts du groupe, la défense légitime des intérêts du groupe, l'identité du groupe, et en même temps, il n'y a pas de divinisation du groupe, ou de ses intérêts. Sinon on tomberait dans l'utopie et la religion séculière. [...] Et le libéralisme minimal, c'est-à-dire la liberté d'entreprise est tout à fait compatible avec le christianisme. Et cette liberté d'entreprise s'est même développé pendant deux millénaires dans ce terreau chrétien, où l'idée de la propriété était déjà valorisée. 

À cela sont venues se greffer des doctrines aussi bien économiques que sociétales qui sont un libéralisme qui n'a plus rien à voir avec le christianisme mais qui relèverait davantage de la gnose.

Par exemple, ce qui est gnostique c'est de considérer que l'individu est l'humanité en général, et ce qui est conforme au christianisme c'est de considérer qu'il y a des individus, il y a l'humanité, et il y a des groupes intermédiaires.

Et à propos d'un certain nombre de grands libéraux, on se rend compte que dans une logique chrétienne, il font tout à fait la place aux groupes intermédiaires sans renier pour autant l'humanité. J'en donnerai pour exemple Adam Smith, qui est actuellement un des maîtres à penser du libéralisme intégral. Et pourant, si on lit bien Adam Smith, qui était partisan de la libre entreprise et partisan et du libre-échange, on constate qu'il mettait un certain nombre de réserves et de limitations conformes aux intérêts de la nation, aux intérêts de sa nation. Par exemple, les Actes de navigation, législation anglaise [législation protectionniste votée à partir de 1651 par le parlement anglais, pendant le mandat républicain de Cromwell, visant à financer la construction d'une marine de guerre, et à affaiblir les colonies de la Barbade, des Bermudes et de la Virginie, contrôlées par l'opposition royaliste], qui réservait aux Anglais le commerce avec les colonies anglaises. Et cela, Adam Smith, se comportant en patriote écossais, se prononce dans les années 1760 tout à fait en faveur du maintien des Actes de navigation, parce que ces Actes de navigation, pendant la première moitié du XVIIIe siècle, ont fait la fortune de Glasgow. Parce qu'avec l'unité du Royaume-Uni, et l'instauration du Royaume-Uni, les ports écossais ont été admis à ce monopole anglais et du commerce avec les colonies anglaises. Et Adam Smith n'allait certainement pas critiquer une législation règlementariste qui avait fait la fortune de sa patrie. Donc il y a chez Adam Smith même, ce point que si une production nationale est défavorisée par un facteur social ou fiscal par rapport à la concurrence étrangère, il faut introduire un droit à l'entrée des produits étrangers concurrents, etc..."

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13 juillet 2018 5 13 /07 /juillet /2018 07:39
Ne soyez pas dupes - Karl Marx était un totalitaire haineux dont les idées ont tué des millions de personnes

9 juillet 2018 ( LifeSiteNews.com ) - La pensée de Karl Marx, un agitateur politique allemand dont la théorie du "socialisme scientifique" a fait des ravages dans le monde pendant la plus grande partie du XX e siècle, semble avoir été reléguée aux oubliettes de l'histoire après la chute des régimes communistes du bloc de l'Est de 1989 à 1991. Après des décennies de massacres de masse qui ont fait des dizaines de millions de victimes et l'oppression totalitaire de centaines de millions d'autres, la réputation du marxisme avait été détruite presque complètement, en assurant apparemment sa disparition finale.

 

Cependant, un regain d'intérêt pour la pensée de Marx est en cours depuis 2008, lorsque la crise économique mondiale a conduit de nombreuses personnes à remettre en question la viabilité du système capitaliste, toujours objet principal de la critique marxiste. Maintenant, le 200 e anniversaire de la naissance de Marx (le 5 mai) est salué ouvertement par les penseurs du courant dominant et même par le clergé catholique comme une cause de commémoration respectueuse, sinon de célébration pure et simple.

 

Le New York Times a publié une approbation ouverte de la pensée de Marx, "Joyeux anniversaire, Karl Marx. Vous aviez raison !" Dans lequel un professeur de philosophie loue la "critique impitoyable de Marx de tout ce qui existe" et félicite les militants pour l'application de la théorie des classes marxistes à la race et au genre.

 

Le journal de gauche britannique Guardian a également salué Marx dans un article récent commémorant son anniversaire, mais il était plus circonspect dans son ton, affirmant qu'il avait prophétisé les excès du capitalisme moderne, mais concernant sa solution pour "en sortir" comme "moins utile."

 

Les commémorations officielles de l'anniversaire de Marx ont également contribué à l'atmosphère festive. Le gouvernement allemand a émis un timbre-poste commémoratif avec une image de Marx sur un fond rouge. Le gouvernement de la Chine, qui est encore officiellement marxiste alors qu'il est capitaliste, a payé pour l'érection d'une statue de Marx dans sa ville natale de Trèves, en Allemagne.

 

Le président chinois Xi Jinping, qui prônait la renaissance du marxisme en Chine pour renforcer son régime de plus en plus dictatorial, a fait un discours en avril sous le portrait du saint communiste, louant Karl Marx comme "le plus grand penseur des temps modernes", ajoutant: "Nous devons continuellement améliorer la capacité d'utiliser le marxisme pour analyser et résoudre des problèmes pratiques."

 

Étonnamment, même des ecclésiastiques catholiques de haut rang, comme le cardinal Reinhard Marx, louent ouvertement les écrits du communisme comme "fascinants", estimant que le manifeste communiste de Karl Marx a "une énergie" et "une grande langue" qui "l'impressionne". Le cardinal Marx est proche du pape François, qui a fait à la fois des déclarations positives et négatives sur le marxisme, contribuant ainsi à une atmosphère d'ambiguïté sur le sujet.

 

En 2015, le pape François a accepté avec joie ce marteau et cette faucille communiste avec un crucifix de son ami le président bolivien Evo Morales

 

Marx était-il simplement un idéaliste égaré qui aimait les pauvres?

 

Serait-il possible de réhabiliter l'image de Karl Marx plusieurs décennies après la chute des États communistes du bloc de l'Est, pour distinguer l'idéologie communiste de Marx des gouvernements totalitaires qui l'ont adoptée au XXe siècle? Marx était-il un idéaliste aux yeux étoilés cherchant la justice pour les pauvres et les opprimés, un humanitaire bien intentionné dont les idées ont été plus tard appropriées par les tyrans en herbe? Peut-il maintenant être réexaminé à la lumière de la pureté de sa pensée et donné son dû en tant que réformateur bienveillant?

 

Les marxistes ont longtemps prétendu que la Russie soviétique et la Chine maoïste étaient de faux représentants du "socialisme scientifique" de Marx, que leur application de la rhétorique marxiste était en réalité un détournement de la théorie marxiste authentique. Cependant, cette thèse ne peut survivre que dans un environnement d'ignorance presque totale concernant le cadre philosophique et l'activisme politique de Marx. En réalité, Karl Marx a toujours été reconnu, même de son temps, comme un totalitaire cynique et impitoyable dont les ambitions étaient de devenir le dirigeant dictatorial d'une Allemagne communiste.

 

Bien que l'imagination populaire conçoive Marx comme un croisé contre l'injustice sociale, Marx lui-même a raillé de telles notions. En fait, la philosophie politique de Marx était fondée sur la notion que le bien et le mal sont des concepts en constante évolution dictés par les conditions matérielles de l'existence humaine plutôt que des réalités éternelles auxquelles les êtres humains doivent aspirer. Il détestait les tendances moralisatrices de son âge, ainsi que les appels à des notions abstraites de vérité et de justice, et s'enorgueillissait d'un cynisme impitoyable qui faisait de l'intérêt de classe le standard ultime de la légitimité morale.

 

Comme le sophiste Thrasymaque dans la République de Platon, Marx était un relativiste moral qui croyait que les principes moraux sont déterminés par les intérêts de la classe qui contrôle chaque système économique. Les acteurs du système jouent simplement les rôles que le système leur assigne. C'est pourquoi Marx évitait presque toujours le langage de la moralité dans ses écrits, et prétendait plutôt fonctionner comme un prophète de l'inévitable avènement du communisme qui, selon lui, devait amener le développement final de l'histoire, avec son propre code moral.

 

Marx a exprimé cette morale fondée sur la classe dans son Manifeste communiste en 1848, en attribuant les normes morales traditionnelles à la classe capitaliste ou à la "bourgeoisie" et en la comparant à la vision du monde communiste "prolétarien". "Le droit, la morale, la religion sont pour lui (le prolétaire) tant de préjugés bourgeois, derrière lesquels se cachent autant d'intérêts bourgeois", déclara Marx, ajoutant plus tard: "Les idées dominantes de chaque époque ont toujours été les idées de sa classe dirigeante."

 

"Mais ne vous disputez pas avec nous tant que vous appliquez, à notre abolition voulue de la propriété bourgeoise, la norme de vos notions bourgeoises de liberté, de culture, de droit, etc.", écrivait Marx. "Vos idées mêmes ne sont que le fruit des conditions de votre production bourgeoise et de votre propriété bourgeoise, de même que votre jurisprudence n'est que la volonté de votre classe faite pour tous, volonté dont le caractère et la direction sont déterminés par les conditions économiques. d'existence de votre classe."

 

Marx croyait que l'histoire humaine se dirigeait inexorablement vers le communisme athée et matérialiste, et qu'il était le chef d'une élite éclairée destinée à en prendre la charge. Dans le processus, il croyait que la religion serait abolie, que la famille serait éliminée comme une institution désuète, que les femmes seraient partagées entre les hommes comme concubines communales, et que toutes les forces de la production matérielle seraient placées entre les mains d'un état totalitaire dirigé par une avant-garde révolutionnaire qui prétendait représenter les classes opprimées de la société.

 

Marx a assuré à ses lecteurs que, suite à cette transformation, que son état totalitaire dépérirait pour être remplacé par une utopie démocratique sans distinctions de classe. Cependant, les citoyens des États marxistes attendent en vain ce paradis promis au fil des décennies, croupissant sous le fouet de leurs maîtres communistes alors que le monde capitaliste continue de prospérer et de croître économiquement, en contradiction avec les prédictions de Marx.

 

Le plan de Marx pour remplacer "l'opium" de la religion par l'état communiste

 

Un aspect fondamental de la théorie de Marx, tirée du philosophe Feuerbach, était l'affirmation que la religion n'était en réalité qu'une projection des idéaux de l'homme sur lui-même. À cela, il ajoutait l'affirmation que le christianisme était comme une forme "d'opium" donnée aux peuples d'Europe pour satisfaire leur désir d'une société parfaite, désir qui serait finalement satisfait par le communisme. En conséquence, la religion ne serait plus nécessaire.

 

Comme l'écrivait Marx dans sa Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, "l'homme, qui n'a trouvé que le reflet de lui-même dans la réalité fantastique du ciel, où il cherchait un Superman, ne se sent plus disposé à trouver la simple apparence de lui-même, le non-homme ["Unmensch"], où il cherche et doit chercher sa vraie réalité." 

 

"La religion est le soupir de la créature opprimée, le cœur d'un monde sans cœur et l'âme des conditions sans âme", poursuit Marx. "C'est l'opium du peuple. L'abolition de la religion comme le bonheur illusoire du peuple est la demande de leur vrai bonheur. Leur demander d'abandonner leurs illusions sur leur condition, c'est leur demander d'abandonner une condition qui nécessite des illusions. La critique de la religion est donc en germe, la critique de cette vallée de larmes dont la religion est le halo."

 

Cependant, c'était l'utopie promise du communisme marxiste qui fonctionnait comme un "opium" des masses qui vivaient sous les régimes totalitaires du 20ème siècle, qui promettaient constamment que le paradis communiste arriverait bientôt, même si des millions étaient asservis et mouraient de faim, et que des millions d'autres étaient soumis à une tyrannie absolue sans pareil dans l'histoire de l'humanité. Entre-temps, les régimes marxistes ont démantelé l'Église catholique et d'autres institutions religieuses, détruit de nombreuses églises ou en ont fait des musées et ont exécuté ou emprisonné leurs ministres dans des camps de concentration.

 

Marx se réjouit de la destruction du mariage, de la famille et de la communauté par le capitalisme

 

Marx prétendait avoir découvert les lois de l'histoire en découvrant les contradictions internes à chaque étape historique du développement économique, se déplaçant finalement de la féodalité au capitalisme et finalement au communisme. Chaque système précédent crée les conflits de classe qui finissent par lâcher la ruine de ce système et inaugurent le suivant, jusqu'à ce que le communisme abolisse finalement toutes les différences de classe et que la "dialectique de l'histoire" touche à sa fin.

 

L'analyse de Marx de ce qu'il considère comme les contradictions internes du capitalisme peut le faire apparaître comme un critique moral, alors qu'en réalité Marx ne fait guère plus qu'une série d'observations dépassionnées sur ce qu'il considère comme les lois inexorables de l'histoire économique.

 

En fait, quand Marx semble critiquer le capitalisme, il exprime en fait son admiration, même lorsqu'il discute de ses tendances destructrices, qu'il considère comme des formes de progrès conduisant à une utopie communiste. Le capitalisme, pour Marx, est nécessaire à l'émergence du communisme, et est donc un développement positif.

 

Marx était heureux de constater que les économies capitalistes avaient créé un système de production de masse qui avait privé les petits entrepreneurs et les agriculteurs de leurs professions et réduit l'emploi dans les petites villes et les zones rurales, envoyant ainsi de plus en plus de gens dans les rangs la classe ouvrière urbaine ou "prolétariat". Le résultat était que les gens abandonnaient leurs petites communautés et perdaient leur propriété privée, devenant rien de plus que des locataires atomisés et des employés dans le "lien de trésorerie" de la société capitaliste.

 

Le résultat, a observé Marx, était que les femmes et même les enfants ont été chassés du marché, et que les familles ont été forcées de louer leurs maisons. Tout le monde était devenu une marchandise et avait perdu son identité de membre de la famille et de la communauté. Ils étaient maintenant devenus une masse amorphe d'ouvriers, sans un sens de la famille ou de la communauté, un collectif anonyme prêt à saisir les moyens de production et à les démocratiser, et à créer l'état communiste de Marx.

 

"La bourgeoisie, partout où elle a le dessus, a mis fin à toutes les relations féodales, patriarcales et idylliques", écrivaient Marx et Engels dans le Manifeste communiste. "Elle a impitoyablement déchiré les liens féodaux hétéroclites qui liaient l'homme à ses 'supérieurs naturels', et il ne restait plus d'autre lien entre les hommes que l'intérêt personnel, que le "paiement en espèces". Il a noyé les extases les plus célestes de la ferveur religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, du sentimentalisme philistin, dans l'eau glacée du calcul égoïste.

 

C'est pourquoi Marx a parlé ouvertement dans le Manifeste Communiste de soutenir les capitalistes ou la "bourgeoisie" dans leur révolution contre les formes plus anciennes de la société - il a vu dans leur mouvement un grand pas vers l'établissement du communisme. Il a même ouvertement appuyé le libre-échange et l'abrogation des lois protectionnistes britanniques en 1848 parce qu'il espérait qu'elles accéléreraient la 'destruction' de la société par le capitalisme international et rapprocheraient le monde du communisme.

 

"En général, le système de protection de nos jours est conservateur, tandis que le système de libre-échange est destructeur", a déclaré Marx dans un discours à l'Association démocratique de Bruxelles en 1848. "Il rompt les vieilles nationalités et pousse l'antagonisme du prolétariat et la bourgeoisie à l'extrême. En un mot, le système de libre-échange accélère la révolution sociale. C'est dans ce seul sens révolutionnaire, Messieurs, que je vote en faveur du libre-échange."

 

Marx se moquait de ceux qui s'opposeraient au but communiste de l'abolition du mariage en faveur d'une 'communauté de femmes' en prétendant cyniquement que la 'bourgeoisie' partageait déjà les femmes et que le communisme régulariserait simplement la situation.

 

"Le mariage bourgeois est, en réalité, un système de mise en commun des femmes et, tout au plus, ce qu'on reprocherait aux communistes, c'est qu'ils veulent introduire, en substitution d'une communauté hypocritement cachée, une communauté de femmes ouvertement légalisée", a écrit Marx dans le Manifeste communiste.

 

Marx a cherché à diviser la société en classes en guerre, encourageant l'envie et la division sociale

 

Marx reconnut que lui et d'autres communistes ne venaient pas de la classe prolétarienne, mais venaient de la "bourgeoisie". En fait, le plus grand supporter de Marx était le propriétaire de l'usine Frederick Engels, qui a passé des décennies à financer les activités politiques et intellectuelles de Marx. entreprises capitalistes, et a écrit de nombreuses œuvres popularisant le marxisme. Cependant, Marx considérait le prolétariat comme incapable de s'organiser et croyait que lui et ses compagnons de voyage, contrairement à d'autres membres de la classe bourgeoise, étaient une race spéciale avec la capacité de transcender leur statut social et de rejoindre les rangs du prolétariat, comme leurs dirigeants.

 

Pour accepter le leadership marxiste, la classe ouvrière devrait d'abord se voir comme une classe opprimée, victime de la bourgeoisie et ayant besoin de libération. Le but de Marx, d'Engels et de leurs disciples était d'inculquer aux prolétaires une "conscience de classe" en les encourageant constamment à s'identifier comme membres d'un groupe victime, et à voir tous les propriétaires d'entreprise comme leurs ennemis d'exploitation, qui étaient les voleurs de leur salaire en profitant de leur entreprise.

 

Marx a écrit un ouvrage entier en plusieurs volumes, Le Capital, pour prouver que les profits capitalistes n'étaient rien d'autre que de la "plus-value" prise par les propriétaires d'entreprises qui n'ont apporté aucune valeur aux produits produits par leurs travailleurs. Ceci est devenu la Bible de la nouvelle religion matérialiste et athée de Marx.

 

La peur et la haine inculquées aux partisans des partis politiques inspirés par le marxisme faciliteraient le système brutal de répression et de contrôle absolu de l'État qui accompagnerait toujours le triomphe de ces partis dans la politique nationale ou la lutte révolutionnaire. Les gouvernements marxistes utilisent à ce jour les notions d'antagonismes de classe et de théories des conspirations capitalistes internationales contre leurs régimes pour justifier leur politique tyrannique et rationaliser les échecs de leurs régimes.

 

L'héritage de l'approche de Marx en matière d'organisation politique est devenu l'héritage commun des partis politiques socialistes du monde entier. Aux États-Unis, les militants inspirés par le marxisme cherchent constamment à instiller la "conscience de classe" dans une variété de groupes "opprimés", qui sont encouragés à se considérer comme des victimes perpétuelles dépendantes des dirigeants politiques socialistes, seuls capables de protéger eux et parlent pour eux.

 

Comme dans le cas de Marx, d'Engels et de leurs compatriotes, les dirigeants autoproclamés de ces groupes de victimes ne sont généralement pas eux-mêmes membres de ces groupes, mais viennent des élites mêmes qui sont considérées comme les "oppresseurs". Elles sont généralement blanches, les hommes de la classe moyenne supérieure avec des enseignements universitaires d'élite, nés dans des familles de privilégiés.

 

Le nouveau "prolétariat" visé par les néo-marxistes sont les minorités raciales et ethniques, les femmes, les homosexuels, les personnes "transgenres" et d'autres groupes dans lesquels ils espèrent susciter le ressentiment et une forme oppositionnelle d'identité de groupe. Toutes les formes de hiérarchie, et en particulier la structure hiérarchique de la famille, sont décrites comme n'étant rien d'autre que des formes d'oppression de classe, qui doivent être éliminées en faveur des institutions de l'État socialiste.

 

Les résultats sont les mêmes que dans le marxisme classique : la cohésion sociale diminue, la confiance et la bonne volonté sont détruites, les institutions naturelles fondamentales diminuent en faveur du pouvoir totalitaire de l'État et la société se dirige vers une polarisation politique dangereuse.

L'idéologie de Marx a été reconnue comme totalitaire même en son temps

 

L'association de Karl Marx avec le totalitarisme des régimes communistes ultérieurs n'était pas un accident de l'histoire résultant d'un abus de son héritage intellectuel, comme on l'imagine populairement. Au contraire, il est né directement de la propre pensée de Marx, si bien qu'il était déjà reconnu comme un totalitaire en son temps.

 

Le critique principal de Marx était le socialiste et anarchiste Mikhail Bakounine, qui avait été un compagnon de route de Marx, mais qui l'a finalement désavoué et a commencé à avertir les autres socialistes des dangers totalitaires de son idéologie, plusieurs décennies avant la Révolution russe d'octobre 1917.

 

Bakounine identifia très tôt le marxisme comme une religion, notant le culte fanatique autour de Marx, qui renforça son efficacité malgré le petit nombre de ses disciples.

 

"Marx a naturellement réussi à créer une école communiste, ou une sorte de petite église communiste, composée d'adeptes fervents et répandue dans toute l'Allemagne", a écrit Bakounine dans le marxisme, la liberté et l'État. "Karl Marx jouit naturellement d'une autorité quasi suprême dans cette Église, et pour lui rendre justice, il faut avouer qu'il sait gouverner cette petite armée d'adhérents fanatiques de manière à toujours augmenter son prestige et son pouvoir sur l'imagination des travailleurs de l'Allemagne."

 

L'avertissement de Bakounine à propos de la tyrannie potentielle du "peuple" proposé par Marx, qui administrerait toute la vie économique et politique du pays, offre une prédiction presque parfaite du totalitarisme dégradant que produira le marxisme au XXe siècle :

 

Dans l'État populaire de Marx, il n'y aura, nous dit-on, aucune classe privilégiée. Tous seront égaux, non seulement du point de vue juridique et politique, mais du point de vue économique. Au moins, c'est ce qui est promis, bien que je doute beaucoup, compte tenu de la manière dont il est abordé et de la voie que l'on souhaite suivre, si cette promesse pourrait jamais être tenue. Il n'y aura donc plus de classe privilégiée, mais il y aura un gouvernement et, notons-le bien, un gouvernement extrêmement complexe, qui ne se contentera pas de gouverner et d'administrer politiquement les masses, comme le font aujourd'hui tous les gouvernements, mais les administrera également économiquement, en concentrant entre ses mains la production et la juste répartition des richesses, la culture des terres, l'établissement et le développement des usines, l'organisation et la direction du commerce, enfin l'application du capital à la production par le seul banquier, l'État. Tout cela exigera une connaissance immense et beaucoup de "têtes débordantes de cervelle" dans ce gouvernement. Ce sera le règne de l'intelligence scientifique, le plus aristocratique, despotique, arrogant et méprisant de tous les régimes. Il y aura une nouvelle classe, une nouvelle hiérarchie de scientifiques et de savants réels et supposés, et le monde sera divisé en une minorité gouvernante au nom de la connaissance et d'une immense majorité ignorante. Et puis, malheur à la masse des ignorants!

 

Un tel régime ne manquera pas de susciter un très grand mécontentement dans cette masse et, pour le maintenir en échec, le gouvernement éclairé et libérateur de Marx aura besoin d'une force armée non moins considérable. Car le gouvernement doit être fort, dit Engels, pour maintenir l'ordre parmi ces millions d'analphabètes dont le soulèvement brutal serait capable de détruire et de tout renverser, même un gouvernement dirigé par des têtes débordantes de cervelle...

 

Les avertissements de Bakounine sont largement restés lettre morte, et son mouvement a finalement été vaincu par les marxistes. Sa version anarchiste du socialisme, fortement représentée dans le mouvement "républicain" de l'Espagne pendant la guerre civile du pays dans les années 1930, a été mise en oeuvre par les marxistes beaucoup plus ordonnés et militaristes dirigés par les admirateurs du régime de Joseph Staline en Russie soviétique. Aujourd'hui, l'anarchisme bakouniniste vit principalement dans les marmonnements du critique politique utopique Noam Chomsky, qui défend souvent les régimes marxistes tout en cherchant à prendre ses distances par rapport à leur comportement destructeur.

 

L'idéologie marxiste a réduit en esclavage et tué des millions au XX e siècle

 

Les prédictions de Bakounine se sont avérées terriblement dans les régimes communistes ratés du XXe siècle, qui ont transformé des États-nations entiers en camps de prisonniers géants dans lesquels chaque aspect de la vie était sous le pouvoir absolu d'une tyrannie bureaucratique impitoyable. Dans certains pays, comme la Corée du Nord, le Vietnam, la Chine, le Venezuela et Cuba, des millions de personnes continuent à dépérir sous les formes d'oppression les plus cruelles imaginables, tout cela grâce à l'idéologie de Marx.

 

En Russie, l'Union soviétique communiste a commencé par annuler une élection populaire qui répudiait le régime communiste, exécutant la dynastie des Romanov qui avait gouverné le pays pendant des siècles, abolissant le système démocratique existant et imposant un État totalitaire et unitaire qui persécutait impitoyablement les chrétiens et autres dissidents.

 

En 1927, l'Union Soviétique a commencé à arrêter des millions de citoyens sur des accusations forgées de toutes pièces, les envoyant dans des camps de travaux forcés où ils ont été massacrés en grand nombre, comme décrit dans l'Archipel du goulag d'Aleksandre Soljénitsyne. Des millions d'autres ont été rassemblés et simplement exécutés purement et simplement. Dans les famines délibérément créées par le régime en Ukraine soviétique, jusqu'à dix millions de personnes sont mortes de faim. Les estimations du nombre total de victimes civiles par les persécutions du gouvernement soviétique sont difficiles à calculer, mais elles varient généralement entre 10 à 20 millions de personnes.

 

Le régime communiste chinois, qui a pris le pouvoir en 1949, a même réussi à dépasser les atrocités de l'Union soviétique. Après avoir tué des millions de personnes pour réaliser la collectivisation agricole, le dirigeant communiste Mao Zedong a commencé en 1958 ce qu'il a appelé le "Grand Bond en avant", un projet désespérément impossible de dépasser l'Occident capitaliste dans la productivité par l'industrialisation forcée.

 

Après avoir examiné les archives du gouvernement chinois sur la période, Frank Dikötter, professeur de sciences humaines à l'Université de Hong Kong et professeur d'histoire moderne de Chine à l'Université de Londres, a conclu que pas moins de 45 millions de Chinois ont été asservis, affamés, ou battus à mort pendant le grand bond en avant. En outre, un tiers de l'immobilier du pays a été démoli dans le processus. Jusqu'à 1,5 million de personnes supplémentaires sont mortes dans des purges ultérieures, comme la "Grande Révolution Culturelle Prolétarienne" de la fin des années 1960.

 

La cruauté meurtrière du régime communiste chinois ne s'est toutefois pas terminée avec la mort de Mao. Avec l'encouragement des États-Unis, le gouvernement communiste chinois a créé la fameuse "politique de l'enfant unique" dans les années 1970, ce qui entraîne des avortements forcés pour ceux qui dépassent les quotas de fécondité du gouvernement. Dans le cadre de la politique de l'enfant unique, plus de trois cent millions d'enfants à naître ont été assassinés par le gouvernement. Les filles sont ciblées de manière disproportionnée et il semblerait que 30 millions d'hommes chinois ne puissent plus trouver d'épouse. Le pays maintient aussi un grand nombre de camps de prisonniers dans lesquels il place des chrétiens et des membres d'autres groupes religieux qui refusent de se soumettre à son idéologie totalitaire.

 

Les autres pays qui ont suivi le sillage de la Russie ont produit des résultats tout aussi horribles. Le dictateur communiste cambodgien Pol Pot est connu pour avoir tué entre 13 et 30% des huit millions d'habitants du pays en l'espace de seulement quatre ans, de 1975 à 1979. Le régime de la Corée du Nord, inspiré par le marxisme et officiellement communiste jusqu'à récemment, maintient un culte absolu du gouvernement dans lequel la moindre expression de préoccupation peut confiner une personne et sa famille à l'internement dans des camps de détention brutaux. Le gouvernement coréen a réduit des millions de personnes à la famine au cours des dernières décennies. Le gouvernement du Venezuela, qui proclame ouvertement sa fondation marxiste, a détruit la démocratie et l'économie du pays, entraînant une augmentation de la faim, de la famine et des migrations massives vers d'autres pays sud-américains.

 

L'âme sombre de Marx exprimée dans la poésie satanique et dans la négligence de sa famille

 

Quel genre d'âme produirait une philosophie matérialiste aussi impitoyable qui provoquerait la misère, l'oppression et le meurtre de masse à une échelle jamais vue dans l'histoire humaine? La réponse, tout simplement, est une âme très sombre, une âme qui semblait littéralement être livrée au diable.

 

Bien que Marx ait commencé sa vie comme un chrétien luthérien apparemment sincère, rempli d'ambition pour améliorer l'état de l'humanité, il subit une transformation radicale lorsqu'il étudia à l'Université de Berlin, où il fut influencé par les philosophes idéalistes allemands GFW Hegel et Ludwig Feuerbach. Leurs idées l'ont conduit à abandonner sa croyance en la vérité éternelle en faveur d'un panthéisme évolutionniste qui déifie l'humanité.

 

Alors que Hegel voyait l'histoire humaine comme le développement progressif de la parfaite conscience de soi et de la réalisation de soi de Dieu, Feuerbach avait poussé les idées de Hegel un peu plus loin, affirmant que le christianisme n'était rien d'autre que l'homme cette perfection, re-concevant Dieu comme rien de plus qu'un idéal humain. De telles notions ont été facilement adoptées par les "jeunes hégéliens" radicaux et matérialistes de l'université de Berlin, dans les rangs desquels Marx s'enrôla avec enthousiasme.

 

Marx a écrit à son père en 1837 pour décrire sa conversion de l'idéalisme plus spirituel de Kant et Hegel à un culte athée et matérialiste du "réel": "Un rideau était tombé, mon saint des saints était déchiré, et de nouveaux dieux avaient être mis à leur place. . . . Je suis arrivé au point de chercher l'idée dans l'actualité même. Si les dieux avaient auparavant habité la terre, ils étaient maintenant transformés en son centre."

 

C'est à cette période que Marx commença à se livrer à la célébration hédoniste des réjouissances et de l'ivrognerie, écrivant des poèmes sombres et maniaques qui invoquaient les thèmes démoniaques et mélangés de l'amour romantique et du meurtre cruel.

 

Dans un poème intitulé "Invocation de l'un dans le désespoir", Marx brandit le poing au divin, promettant la "vengeance" et la défaite de Dieu lui-même, alors qu'il règne sur son trône, infligeant la "plus noire agonie" au monde.

 

Donc, un dieu m'a tout arraché

Dans la malédiction et la crémaillère du Destin.

Tous ses mondes sont allés au-delà du rappel!

Ne me reste que la vengeance !

 

Sur moi-même, je vais fièrement me venger,

Sur cet être, qui a intronisé le Seigneur,

Fais de ma force un patchwork de ce qui est faible,

Laisse mon meilleur moi sans récompense!

 

Je construirai mon trône au-dessus de ma tête,

Froide, formidable sera son sommet.

Pour son rempart: la peur superstitieuse,

Pour son Marshall - l'agonie la plus noire.

 

...

 

Et l'éclair du Tout-Puissant doit rebondir

De ce géant de fer massif.

S'il apporte mes murs et mes tours,

L'éternité les élèvera, provocante.

 

Dans "le violoneux" (The Fiddler), Marx invoque joyeusement l'inspiration du Diable lui-même:

 

"Pourquoi est-ce que je bricole ou les vagues sauvages rugissent?

Qu'ils pourraient battre le rivage rocheux,

Cet oeil soit aveuglé, ce sein gonflé,

Le cri de cette âme mène à l'enfer. "

 

...

 

"Alors, je plonge, plonge sans faillir

Mon sabre sang-noir dans ton âme.

Cet art que Dieu ne veut ni ne veut,

Il saute au cerveau des brumes noires de l'Enfer.

 

"Jusqu'à ce que le coeur soit ensorcelé, jusqu'à ce que les sens reviennent:

Avec Satan, j'ai conclu mon marché.

Il craie les signes, bat le temps pour moi,

Je joue la marche de la mort rapidement et gratuitement.

 

La représentation macabre de Marx d'une romance empoisonnée qui se termine par la mort est d'autant plus terrifiante à la lumière des terribles souffrances qu'il infligerait à sa femme, Jenny von Westphalen. Dans le poème "Amour nocturne", il écrit:

 

Frénétique, il la tient près,

Regard sombre dans ses yeux.

"La douleur te brûle ma chère,

Et à mon souffle tu soupires.

 

"Oh, tu as bu mon âme.

La mienne est ta lueur, en vérité.

Mon bijou fait briller ta suffisance.

Brille, sang de la jeunesse. "

 

"Tu as bu du poison, Amour.

Avec moi, tu dois partir.

Le ciel est sombre au-dessus,

Je ne verrai plus le jour.

 

En frissonnant, il l'attire près de lui.

La mort dans la poitrine plane.

La douleur la poignarde, la transperce profondément,

Et les yeux sont fermés pour toujours.

 

Les ténèbres de l'âme de Marx s'étendirent à sa malheureuse famille en exil en Angleterre après la fuite de Marx d'Allemagne en 1849. Les mauvais traitements infligés par Marx à sa famille étaient présagés dans sa jeunesse par son style de vie universitaire hédoniste et la négligence de sa petite-amie d'alors. Jenny von Westphalen, qui était si flagrante que le père de Marx Heinrich le réprimanda à ce sujet dans une lettre qui suggérait que son fils était possédé par le diable, et prédit la future misère de sa famille:

 

Parfois je ne puis me débarrasser d'idées qui m'éveillent en moi des appréhensions douloureuses et de la peur quand je suis frappé comme par la foudre par la pensée: votre cœur est-il en accord avec votre tête, vos talents? A-t-il de la place pour les sentiments terrestres mais plus doux qui, dans cette vallée de la douleur, sont si fondamentalement consolants pour un homme de sentiment? Et puisque ce cœur est manifestement animé et gouverné par un démon non accordé à tous les hommes, ce démon est-il céleste ou faustien? Serez-vous jamais - et ce n'est pas le moindre doute douloureux de mon cœur - serez-vous jamais capable d'un bonheur véritablement humain et domestique? Volonté . . . Êtes-vous jamais capable de donner le bonheur à ceux qui sont autour de vous?

 

Les craintes de Heinrich étaient fondées. Bien que Marx fût extrêmement talentueux et reçût ​​une éducation prestigieuse à l'Université de Berlin, il dépensa peu d'efforts dans des entreprises rémunératrices, préférant consacrer son temps à son obsession frénétique de l'idéologie communiste et attaquer ses innombrables concurrents intellectuels dans le mouvement socialiste mondial. Le peu de revenus reçus par Marx provenait de son maigre travail journalistique et des dons et prêts de ses admirateurs capitalistes, en particulier Engels.

 

Marx était souvent déprimé et rempli d'apitoiement sur lui, se plaignant de sa situation financière personnelle dans sa correspondance avec des amis. Il était un alcoolique chronique dont les accès violents d'ivresse le menaient à des bagarres verbales et physiques avec ceux qui osaient être en désaccord avec ses doctrines très nuancées. Un rapport de police prussien sur la famille de Marx indiquait qu'il se baignait et se toilettait rarement, vivant une vie de Bohème dans son appartement délabré et clairsemé.

 

Dans l'atmosphère malsaine des bidonvilles de Marx, quatre de ses sept enfants moururent en bas âge. De ses trois filles qui ont survécu jusqu'à l'âge adulte, qui étaient totalement dévouées à Marx et complètement endoctrinées dans son idéologie athée et matérialiste, deux se sont suicidées et une est morte d'un cancer dans la trentaine.

 

Malgré tout, la femme de Marx, Jenny, l'a soutenu et l'a aidé dans son travail sans relâche. Cependant, cela n'a pas suffi à dissuader Marx de ce qui semble avoir été une relation sexuelle avec la femme de ménage de la famille, qui a finalement donné naissance à un enfant qui s'est révélé plus tard être le sien. Engels semble avoir pris la faute sur lui pour la grossesse, et a obtenu un foyer d'accueil pour l'enfant.

 

Finalement, Jenny Marx a contracté la variole et a subi une terrible défiguration faciale en conséquence. Elle est devenue déprimée et fâchée, fatiguée de l'existence appauvrie de sa famille et de la croisade idéologique obsessionnelle de Marx.

 

Karl Marx a vécu assez longtemps pour voir la mort de sa femme et de l'une de ses filles, Jenny Longuet, toutes deux atteintes de cancer, en 1881, qui l'ont dévasté psychologiquement. Il est mort deux ans plus tard et ses funérailles ont été suivies par un petit nombre de personnes.

 

En trois décennies, les deux filles restantes de Marx s'étaient suicidées après avoir passé leur vie dans l'activisme communiste.

 

Eleanor Marx s'est suicidée lorsqu'elle a découvert, à l'âge de 43 ans, que son petit ami marxiste, avec qui elle vivait mais qui ne s'était jamais marié, avait secrètement épousé une jeune actrice un an plus tôt. Laura Marx et son mari marxiste Paul Lafargue se sont suicidés en 1911 après que le couple eut décidé qu'ils étaient trop vieux et faibles pour offrir leur service au mouvement communiste. Paul a laissé une note expliquant ses motivations, qui se terminait par: "Je meurs avec la suprême joie de savoir qu'à un moment donné, la cause à laquelle j'ai été consacrée pendant quarante-cinq ans triomphera. Vive le communisme!"

 

Vladimir Lénine, le futur dictateur impitoyable de l'Union Soviétique, connaissait personnellement Laura et Paul Lafargue. Selon l'épouse de Lénine, Nadezhda Kroupskaïa, en apprenant leur suicide, Lénine lui dit : "Si vous ne pouvez plus travailler pour le Parti, vous devez être capable de faire face à la vérité et de mourir comme les Lafargues."

 

Kroupskaïa a ajouté:

 

Et il (Lénine) voulait dire par-dessus leurs tombes que leur travail n'avait pas été vain, que la cause qu'ils avaient lancée, la cause de Marx, avec qui Paul et Laura Lafargue avaient été si étroitement associés, grandissait et s'étendait à l'Asie lointaine. À cette époque, la vague du mouvement révolutionnaire de masse augmentait en Chine.

 

La "cause de Marx" - la religion matérialiste, collectiviste et centrée sur l'homme à laquelle la famille Marx avait consacré sa vie - s'étendrait en effet en Asie et en couvrirait une grande partie dans le sang et les larmes de dizaines de millions de victimes.

 

Karl Marx a écrit un jour : "Tous les grands faits et personnages historiques du monde apparaissent, pour ainsi dire, deux fois. . . la première fois comme tragédie, la deuxième fois comme farce." Que le deuxième centenaire de la naissance de Karl Marx soit l'occasion d'une réflexion vraie et fidèle sur la vie, le travail et l'héritage de l'homme, qu'on peut dire à juste titre l'intellectuel le plus destructeur de tous les temps. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons éviter la répétition burlesque du chapitre tragique de l'histoire de l'homme connu sous le nom de "communisme".

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8 juin 2018 5 08 /06 /juin /2018 22:22

La démocratie moderne issue des révolutions du XVIIIe et XIXe siècles a tué le droit naturel et divin en prenant pour source de la légitimité la souveraineté nationale (article 3 de la déclaration des droits de l'homme). 

La doctrine des droits de l'homme est devenue aujourd'hui l’unique référence légitime pour ordonner le monde humain et orienter la vie sociale et individuelle. Dans cette doctrine, la loi politique n’a plus d’autre raison d’être que de garantir les droits humains, toujours plus étendus. Elle ne protège plus la vie des institutions – qu’il s’agisse de la nation, de la famille, de l’université, des ouvriers –, mais donne à tout individu l’autorisation inconditionnelle d’y accéder.  La loi ne commande plus, ne dirige plus, n’oriente plus : elle autorise. La vie humaine est soumise à une critique arbitraire et illimitée, privant la vie individuelle comme la vie sociale de tout critère d’évaluation, critère d'évaluation pourtant nécessaire à toute construction sociale. Telle est la thèse du philosophe Pierre Manent * dans son dernier livre "La Loi naturelle et les droits de l'homme", où afin de recouvrir un critère d'évaluation, l'auteur propose de réhabiliter la loi naturelle... que la période moderne a eu tendance à éliminer. 

Interrogé dans Le Figaro aujourd'hui, l'auteur explique par exemple qu'au nom des droits de l'homme, "les européens s'imposent une apnée morale et sont incapables d'agir" :

Pierre Manent réhabilite la loi naturelle

La doctrine des droits de l'homme, seul principe de légitimité encore accepté en Europe, rend impossible la délibération publique et l'art du gouvernement. Telle est la thèse que défend le philosophe Pierre Manent dans son nouveau livre La Loi naturelle et les droits de l'homme (PUF). Pour le disciple de Raymond Aron, les droits individuels règnent sans contrepoids jusqu'à faire périr l'idée du bien commun.

 

LE FIGARO MAGAZINE - Vous soulignez le contraste entre la suspension du jugement des Européens, lorsqu'ils considèrent des mœurs étrangères, et le ton accusateur qu'ils se plaisent à adopter à l'égard de leur propre héritage. Pourquoi une telle opposition?

 

Pierre MANENT - En passant d'hier à aujourd'hui, de la IIIe ou de la IVe à la Ve République actuelle, notre rapport à la diversité du monde a été bouleversé. Nous sommes passés de l'assurance, voire de l'arrogance, à la timidité, voire la pusillanimité ; de l'évidence de la perspective coloniale à l'évidence de son caractère inadmissible. Que s'est-il passé? Suspendons un instant le jugement moral, regardons la dynamique politique. La République colonisatrice déploie ses principes et sa force vers l'intérieur et vers l'extérieur. La formation de la nation démocratique, du «commun» républicain, entraîne un immense déploiement d'énergie qui donne son caractère à cette période, pour le meilleur et pour le pire.

 

Nous avons alors le vif sentiment d'organiser la prise en compte des besoins humains et sociaux d'une manière incomparablement supérieure à ce que l'on observe alors en Afrique ou en Asie. Bref, nous nous sentons inséparablement «meilleurs» et «plus forts». Nous tenons la diversité du monde sous notre regard, pour le conquérir, le mettre en valeur et aussi le comprendre, l'inventorier. Quelques décennies plus tard, que voyons-nous? Le ressort des nations européennes est brisé par l'épuisement consécutif à la Grande Guerre et le déshonneur consécutif aux années 1933-1945. La décolonisation change radicalement les termes du problème, car, comme la colonisation, elle est une dynamique. Elle n'établit pas un ordre démocratique juste ou normal après l'injustice ou la pathologie coloniale. Elle enclenche un mouvement opposé.

 

Source

 

 

Pierre Manent a enseigné la philosophie politique à l’EHESS. Ses travaux portent sur l’histoire de la pensée politique libérale et la question des rapports entre le politique et le religieux. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Situation de la France (Desclée de Brouwer, 2015) et Les métamorphoses de la cité (Flammarion, 2010).

Pierre Manent réhabilite la loi naturelle
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29 mars 2018 4 29 /03 /mars /2018 14:15

Virginie Vota réagit aux propos d'Emmanuel Macron sur l'"esprit français de résistance", mercredi 28 mars, lors de l'éloge funèbre du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame tué par un soldat de Daech. (Sources 1, 2, 3)

On nous parle d'"esprit français de résistance". Donc, si je comprends bien, il y a une résistance. Si il y a une résistance, c'est qu'il y a une attaque et un ennemi. Et quand on parle de résistance, on pense immédiatement à l'Occupation, à la Seconde Guerre mondiale, aux nazis. Or, il y a eu des mesures qui ont été prises pour lutter contre l'Occupation, et il y a eu des résistants et des réseaux souterrains.

Mais où est l'esprit de résistance, ici ? Où est l'Occupation ? Et que fait l'État, que font les hommes politiques, que fait le gouvernement ? Que fait donc la république pour lutter contre l'ennemi ? Est-ce que l'"esprit de résistance" signifie que les citoyens, le peuple, doivent se sacrifier, s'immoler aux mains de l'ennemi ou se laisser égorger comme des agneaux, pendant que la République ne fait rien ? Pendant que la république fait rentrer des milliers, des centaines de milliers d'immigrés chaque année, qu'elle les naturalise et leur donne les mêmes droits que les Français ?

Tous les djihadistes qui ont sont passés à l'attaque, qui ont perpétré des attentats ces dernières années - c'est un article du Figaro qui met cela en relief - étaient fichés S, considérés comme radicalisés, délinquants multi-récidivistes, donc connus de la justice, des services de police, ils étaient probablement surveillés. Et ils étaient tous suivis en milieu ouvert, c'est-à-dire qu'ils n'étaient pas incarcérés.
Et la république, qu'est-ce qu'elle fait ? Pourquoi elle ne ferme pas les frontières ? Pourquoi elle ne met pas hors d'état de nuire ces futurs terroristes, qui passeront à l'acte, qui disent se préparer à l'acte ? Elle ne fait rien pour cela, mais elle prétend prendre des mesures.
[...] Enfin, Emmanuel Macron nous dit que "la liberté et la fraternité françaises ne survivraient qu’au prix de leurs vies" (citant Jean Moulin, Pierre Brossolette, mais aussi les "martyrs" du Vercors et les "combattants" du maquis), (aujourd'hui) la vie d'innocents, tandis que la république ne prend absolument aucune mesure sur le sol français pour protéger son peuple. Par contre, elle est dans ce culte des morts, dans ce souvenir des morts. D'ailleurs, Emmanuel Macron en parle un peu plus loin dans son discours, disant que "le souvenir" de l'acte héroïque du colonel Beltrame, etc., est un exemple, et qu'on va honorer toujours sa mémoire parce qu'il est mort. Et c'est exactement ce que dénonce (l'historien) Jean de Viguerie cette mentalité révolutionnaire de la partie nécrophile, c'est-à-dire qu'elle se nourrit de piles de morts qu'elle entasse, de piles de cadavres qui forment le socle de cette république, qui montre son vrai visage.
On sacre les morts, mais on ne fait rien pour prévenir ces morts. [...] Aujourd'hui, en réaction aux attentats, il y a des marches avec des bougies, des fleurs et des nounours, des manifestations pacifistes, etc. La république a transformé et formaté son peuple de citoyens pour le préparer à s'immoler, et à être fier à se penser héros en pensant accomplir ce sacrifice !
La Patrie, elle vous aime, elle vous donne quelque chose. La Patrie, c'est une Terre qui vous fait vivre, elle ne vous demande pas de mourir. La Patrie réelle, le Pays réel ne vous demande pas de mourir, mais de vivre. Et là, on est dans un patriotisme, une république qui recherche une idéologie de mort. Et la république déchristianisée, c'est justement tout ce qui ne tourne pas vers le Ciel. Tout ce qui ne porte pas au salut de l'âme ne peut tendre que vers la mort. Tout ce qui relève du mal est dans cette morbidité sans cesse affichée en république.

[...] Dans quelques mois, il y aura d'autres attentats, il y aura d'autres morts, d'autres sacrifices, et la république ne pourra que donner des médailles comme elle l'a fait aux victimes des attentats. [...] Sauf que cela ne change rien, et qu'aucune mesure ne sera prise. Ces morts sont des holocaustes.

Virginie Vota

Virginie Vota propose une liste (non exhaustive) d'ouvrages sur la patrie révolutionnaire (culte de la mort, massacres, régénération, etc.) qui servent de sources argumentées à ses propos en description de la vidéo et pour plus de références sur le sujet, elle recommande les livres listés sur cette page : https://livresalire.wordpress.com/category/histoire/f-revolution/

"Esprit de résistance" ? Que fait la république contre "l'occupation" terroriste ?
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29 mars 2018 4 29 /03 /mars /2018 10:40
Rabaut Saint-Etienne, conventionnel franc-maçon déclare la guerre à l'Angleterre et aux Provinces espagnoles des Pays-Bas (1er février 1793)

Rabaut Saint-Etienne, conventionnel franc-maçon déclare la guerre à l'Angleterre et aux Provinces espagnoles des Pays-Bas (1er février 1793)

Présentation de la video sur SacrTv :

 

Nous allons commencer par ce refus de la part des Chouans et Vendéens d’aller se battre pour la république en rejetant la conscription. La levée en masse de 1793 n’est que l’ancêtre de ce qu’on appellera plus tard les fameuses « mobilisations générales » devenues malheureusement célèbres avec les deux conflits mondiaux du XXè siècle. Pourtant, seuls les Royalistes de 1793 la refuseront, alors que ceux de 1914 et 1939 s’y soumettront. Au final, le constat est là. En refusant de se battre pour la république, et ceux qui l’incarnent, les chouans et les vendéens, qui n’étaient pourtant que de simples paysans pour la plupart, ont mené l’une des plus farouche et héroïque résistance contre le régime républicain. Mais stratégiquement parlant était-ce une bonne chose d’agir ainsi, sachant que la France était attaquée de toute part par les forces ennemis de l’extérieurs ? L’historien Claude Mazauric spécialisé dans la révolution de 1789 et encarté PCF, avait formulé cette réponse lors d’une interview faite par le magazine « Historia » de décembre 1998 sur le génocide vendéen :

Il parlait de « … la trahison en pleine guerre des prêtres, nobles et chefs de village qui créèrent en 1793 une « Armée catholique et royale » au service de la coalition antifrançaise qui envahissait le pays. »

Claude Mazauric – Historia N°624 décembre 1998 - p47

 

Beaucoup comme lui doivent avoir cet avis. Mais alors ? Y-a-t’il eu trahison de la part de cette « Armée catholique et royale » envers la France ?

 

Mais pour Charles Maurras, la priorité était avant tout de chasser l’ennemi de l’extérieur. Priorité somme toute logique et légitime dans un conflit entre deux ou plusieurs nations. Mais lui qui disait si justement que la république était le règne de l’étranger, il aurait dû admettre qu’au côté de cet ennemi de l’extérieur qu’était la Prusse, il y avait aussi et surtout un ennemi de l’intérieur qui était le parti républicain. Et qu’avant de chercher à combattre le premier, il fallait d’abord se débarrasser du second. C’est ce qu’avaient compris les contre-révolutionnaires de 1793, mais Charles Maurras, aveuglé par sa germanophobie, n’hésita pas à faire alliance avec cette incarnation du règne de l’étranger qu’est la république, au détriment de la vraie Patrie décrite par le général Charette. Il alla même jusqu’à écrire dans l’article cité précédemment :

« …nous saluons les Carnot, les Cambon et tous ces membres de la Convention qui réussirent le sauvetage de la Patrie. Nous n'avons jamais ménagé nos hommages au souvenir de cette dictature du salut public. »

Charles Maurras – L’Action française du 11 septembre 1914

 

Tous les combattants contre-révolutionnaires de 1793 apprécieront de là-Haut, d’autant plus de la part d’un penseur contre-révolutionnaire…

 

Notre combat, pour affronter efficacement les vicissitudes de demain doit se faire, pour Dieu, la France et le Roi ! Voilà une formule qui a fait ses preuves ! Il ne tient qu’à nous de ne pas réitérer les erreurs passées afin d’être plus efficace dans notre combat.

 

NOS RAISONS CONTRE LA REPUBLIQUE : https://fr.calameo.com/read/000869313...

Source: SACR Tv

Extrait de la video "Les enseignements des guerres de Vendée" (Sacr Tv) :

 

« La Convention déclare la guerre à l'Europe afin de propager les idées révolutionnaires et libérer -soit-disant - les peuples du joug des rois et des aristocrates. Le 1er février 1793, la Convention déclare la guerre à l'Angleterre et aux Provinces Unies. Pour faire face à cette coalition, la Convention déclare la "levée en masse" de 300 000 hommes, pris parmi les célibataires ou veufs de 18 à 25 ans, le 23 février 1793. C'était la première fois dans l'histoire de France qu'une mobilisation générale était décrétée, car aux yeux des révolutionnaires, tous les citoyens se devaient d'être égaux devant la guerre, surtout si cette guerre se fait en faveur de la république et de ses idéaux. Principe totalitaire issu du rousseauisme, Jean-Jacques Rousseau, écrivain, philosophe et figure emblématique des "Lumières", écrivait : "Tout citoyen doit être soldat par devoir, nul ne doit l'être par métier. »

 

[Note du blog Christ-RoiMallet du Pan écrivait en 1793 : « La France est une vaste caserne: tous les révolutionnaires sont soldats ou destinés à le devenir; de gré ou de force, pour l'intérêt même de leur sûreté, les mécontents et les opprimés seront obligés de dévouer leurs armes à la défense de leurs tyrans. Une Convention décrétante et des camps, voilà le régime de la République française: les Représentants du peuple ne sont pas autre chose que les Représentants de l'armée; leur principale fonction est de voler d'une main, et de partager de l'autre leurs vols avec les soldats. Ainsi en usait Cartouche; mais Attila et Mahomet, les Beys des Mameluks et les Sheiks d'Arabes bédouins fondèrent aussi leur autorité sur des procédés analogues. Les Huns et les Hérules, les Vandales et les Goths, ne viendront ni du Nord ni de la Mer noire, ils sont au milieu de nous...» [Jacques MALLET DU PAN, Considérations sur la nature de la Révolution française, 1793, rééd. Editions du Trident, Paris 2007, p. 58.]

 

Alors que cette révolution avait été bien accueillie au départ dans les provinces françaises, les persécutions religieuses, les vexations, l'assassinat du roi, et maintenant la levée en masse, imposant d'aller se battre obligatoirement au service de la république, ont été autant d'étincelles pour mettre le feu aux poudres.

Les révolutionnaires avaient pour slogan « La liberté ou la mort ».

Les révolutionnaires avaient pour slogan « La liberté ou la mort ».

« Certains révolutionnaires (en 1789) ont même dit : "La liberté ET la mort"... Il faut être libre, mais il faut aussi faire mourir les "ennemis de la Révolution". Et la grande inquiétude de la Révolution c'est d'être menacée, c'est d'être interrompue, c'est de ne pas pouvoir aboutir et de ne pas pouvoir durer. La Révolution vit dans la crainte perpétuelle de ses ennemis. Si on lit les débats des assemblées successives (l'assemblée Constituante, l'assemblée Législative, la Convention) on voit que cette crainte est permanente. La "Patrie", d'ailleurs est représentée toujours, une pique à la main, elle est en alerte permanente contre les "ennemis de la Révolution". Pourquoi cette crainte des ennemis ? Justement parce que nous sommes dans une utopie qui peut s'évanouir d'un moment à l'autre. Or, les révolutionnaires craignent la dissolution définitive de leur mouvement révolutionnaire. Ils sont en alerte contre les "ennemis de la Révolution", une alerte permanente. Ennemis intérieurs et ennemis extérieurs. Mais surtout ennemis intérieurs, parce que l'ennemi intérieur on ne le voit pas, on ne le connait pas bien. Alors que l'ennemi extérieur est aux frontières pour aller le combattre, le repousser. L'ennemi intérieur est caché, on ne le voit pas, ou on le voit mal. Et c'est donc lui qu'il faut atteindre, et c'est la raison, principalement, des massacres de septembre (1792) ».

Jean de Viguerie, dans l'émission "Un jour dans l'Histoire" en mai 2012 sur Canal Académie de Christophe Dickès

Ce sera surtout les campagnes de l'Ouest qui s'illustreront formidablement dans la résistance face à ce régime totalitaire incarné par la Convention. C'est le 3 mars 1793 avec les premières émeutes à Cholet que débuteront ce que l'histoire nommera "les guerres de Vendée", associées à la chouannerie.

 

[...] Mais alors, y a-t-il eut "trahison" de la part de cette Armée catholique et royale envers la France. Pour y répondre, analysons sur quoi repose cette affirmation. Pour ceux qui ne font aucune différence entre la France et la "république", alors oui il y eut trahison, car dans cette logique, trahir l'un c'est forcément trahir l'autre. Mais pour ceux qui savent distinguer les deux, alors seule la "république" fut trahie et ce en faveur de la France. Pourquoi en faveur de la France ? Parce qu'avant la Révolution, les pays européens coalisés contre elle n'étaient pas en guerre contre elle. C'est la Convention qui leur a déclaré la guerre en utilisant la France comme support de ses idéaux. De ce fait, cette guerre n'était que l'émanation de la logique universaliste de l'idéologie républicaine incarnée par l'irresponsabilité et le bellicisme des membres de la Convention. Un retour à la monarchie aurait stoppé rapidement ce conflit absurde. Donc, trahir la république, c'était sauver la France. »

Conventionnels de 1792

Conventionnels de 1792

[Cette guerre à l'extérieur (contre les européens) et à l'intérieur (contre les Français) s'est soldée chez nous par deux millions de morts.

 

«400 000 morts pour les guerres jusqu'en 1800;

 

un million pour les guerres napoléoniennes;

 

600 000 pour les guerres intestines;

 

et l'échafaud pour mémoire.

 

Voilà nos deux millions de morts. » [René Sédillot, Le coût de la Révolution française, Vérités et Légendes, Perrin Mesnil-sur-l'Estrée 1987, p. 24-28]. ]

Ainsi, pour savoir si oui ou non les Vendéens furent des traîtres à la France, il suffit de savoir si la distinction entre France et république était pour eux pleinement acquise. La réponse, c'est le général Charette, chef de l'Armée catholique et royale, qui la formulera. Lors de ses discours à ses officiers, il disait : "Notre Patrie à nous, c'est nos villages, nos autels, nos tombeaux, tout ce que nos pères ont aimé avant nous. Notre Patrie, c'est notre Foi, notre Terre, notre Roi. Mais leur patrie à eux, qu'est-ce que c'est ? Vous le comprenez, vous? Ils veulent détruire les coutumes, l'ordre, la tradition. Alors qu'est-ce que cette patrie narguante du passé, sans fidélité, sans amour ? Cette patrie de billebaude et d'irréligion ? Beau discours, n'est-ce pas ? Pour eux la patrie semble n'être qu'une idée; pour nous, elle est une terre."

 

La distinction entre ces deux patries est totale. Le général Charette distingue bien la Patrie charnelle, historique, culturelle et religieuse de celle, idéologique et abstraite issue du philosophisme des "Lumières". En d'autres termes, la distinction entre la France et la république.

 

Il n'y a donc pas eu trahison, mais bel et bien résistance contre un ennemi de l'intérieur. » (Fin de citation)

* Note du blog Christ-Roi. Sur le concept d'ennemis de l'extérieur et de l'intérieur, voir cette analyse que nous avions faite en 2013 où nous écrivions : "à propos de la "trahison du peuple français par la guerre à l'extérieur  (guerre à l'Europe de 1792 à 1815) et la guerre à l'intérieur  (guerre civile, génocide vendéen, chômage, sous-emploi, misère ouvrière au XIXe siècle)" qui "continue aujourd'hui encore".

 

À quoi on peut ajouter une "crise morale", comme l'a relevé deux fois, le Prince Louis de Bourbon, Aîné des Capétiens. La première fois, en la fête de la Saint-Louis 2016, il a désigné le « double » mal qui « atteint la France » une « guerre de civilisation » et une « grave crise morale et d'identité », à la source de laquelle il situe « la laïcité républicaine » qui est « un leurre », qui « nous coupe en réalité de nos racines séculaires et le vide idéologique laisse la place à toutes les idéologies mortifères. »

 

Une seconde fois, dans ses voeux 2018, où le duc d'Anjou, Louis de Bourbon, plus précis, a expliqué que « attaquée à l'extérieur et sur notre sol par un ennemi aussi insidieux que brutal et qui souvent trouve du renfort dans nos faiblesses et notre laxisme; rongée de l'intérieur par une crise morale qui lui fait parfois renier son identité, notre pays, la France, est tenue de réussir à se reprendre. »

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8 mars 2018 4 08 /03 /mars /2018 15:14

Note du blog Christ-Roi. il n’est pas licite de “faire le mal afin qu’advienne le bien...” (Rm 3, 8). En politique aussi. Traduction d'un article en italien :

(Tommaso Scandroglio pour La Nuova Bussola Quotidiana - 19 février 2018 )

Le député Maurizio Lupi revient justifie le vote en faveur de la loi sur les unions civiles et engage Saint Jean-Paul II. Mais il a tort: ​​le vote en faveur de la loi Cirinnà est moralement inacceptable. Voici pourquoi ...
 

Vous ne pouvez jamais voter pour le moindre mal

Pour certains politiciens catholiques, le moindre mal est une sorte de couverture sous laquelle se réfugier afin de se sentir davantage protégé comme si vous étiez dans le droit. Maurizio Lupi a posté un commentaire sur Facebook: "Sur les lois qui touchent les questions dites éthiquement sensibles, nous nous sommes demandé si, étant donné les chiffres au Parlement (500, contre une quarantaine de députés), il valait mieux un pur témoignage ou une tentative de changement d'une loi limitant le dommage".

L'expression “témoignage pur” signifie ici: voter contre ou s'abstenir. Lupi, quelques jours avant le vote, doit trouver un alibi crédible pour justifier aux yeux de l'électorat catholique le comportement dans son groupe et à ses collègues de parti sur le débat parlementaire sur trois lois: les unions civiles, la loi sur le Dat et le jus soli. Les deux premières normes nous apparaissent avec des preuves complètes, au moins pour le lecteur habituel de la Bussola, comme des lois injustes. Sur la troisième, nous nous référons à quelques articles publiés dans ces colonnes il y a quelques temps pour illustrer les raisons pour lesquelles vous pourriez ne pas voter en faveur de cette loi (cliquez ici, ici, et ici).

Revenons à m. Lupi qui justifie le vote en faveur de l'union civile avec l'argument suivant: "Sur les unions civiles, nous avons choisi la deuxième voie [la limitation des dégâts], et quelques changements importants (pas de péréquation juridique avec le mariage, pas d'adoption d'enfant, pas d'utérus à louer) ont été obtenus grâce à notre travail acharné et le compromis trouvé au sein de la majorité. Sans ce travail, l'adoption, et la location d'utérus aurait ouvert la voie". Les loups et les camarades avaient essayé de faire de même avec la loi sur le Dat, mais sans succès: "nous avons essayé les deux en comité, et en groupe, jusqu'à la fin, d'obtenir des amendements à améliorer, nous avons toujours dit non au son de la voix. Nous demandions essentiellement trois choses: non à l'hydratation et la nutrition considérés comme des soins médicaux, non au rôle du médecin réduit à un simple exécutant de la volonté testamentaire du patient, la possibilité de l'objection de conscience pour les structures catholiques. Nous avons demandé que la DAT a un délai limite, revu après un certain nombre d'années, de telle façon que la personne puisse les changer (ou confirmer), par exemple, en fonction des progrès de la médecine. Sur l'ensemble de la ligne. [...] Nous avons voté contre".
 

On procède par degrés dans le jugement de moralité sur les choix faits par Lupi et ses collègues. Les unions civiles et les essais biologiques sont deux lois qui sont injustes. Est-il permis de limiter leurs effets négatifs si il est impossible de bloquer leur lancement? Bien sûr. Eh bien, donc, proposer et voter sur des amendements limitant le mal contenu dans la loi: l'interdiction d'assimiler les unions civiles au mariage, l'interdiction de la location d'utérus, l'interdiction de considérer la nutrition et de l'hydratation comme des thérapies, l'interdiction de considérer le médecin un simple fournisseur de services cliniques, la possibilité d'objection en relation avec les pratiques euthanasiques.

En ce qui concerne le Dat, cependant, nous devons réfléchir davantage. Le Dat n'est pas un outil intrinsèquement mauvais pour la simple raison que rien en soi n'est mauvais (pas même une mine anti-homme). Cela dépend de ce que sont les souhaits exprimés dans le Dat et les circonstances. Dans la situation actuelle, cet outil facilite les pratiques d'euthanasie et donc un vote en faveur du Dat, même s'il est amélioré avec une date d'expiration, est un vote qui, dans le contexte actuel, pourrait favoriser la diffusion de la pratique de l'euthanasie. Bref, comme nous l'avions argumenté il y a quelques temps (cliquez ici), il est préférable de ne pas utiliser cet outil et il était donc préférable de ne pas voter pour Dat, même si perfectionné.

Revenons aux amendements pour améliorer une loi injuste: il est licite de voter pour limiter le mal en insérant dans le texte de la loi des interdictions de faire le mal ou la faculté de s'abstenir de faire le mal (par ex. Objection de conscience), illicite de donner votre vote final pour une loi qui contient en son sein de bons articles tels que ceux que nous venons de voir (interdictions et objections de conscience) et des articles pervers: légitimation des unions civiles et légitimation de l'euthanasie. C'est parce que le vote final est une approbation de tous les articles contenus dans la loi. C'est comme mettre une signature au bas d'un contrat: le signataire approuve toutes les clauses qu'il contient. Ainsi, le parlementaire peut et doit souvent voter en faveur d'amendements qui interdisent par exemple la mauvaise conduite, mais si ces amendements deviennent alors des articles d'une loi dont le ratio est mauvais, il s'agit au moment de l'approbation finale dans l'assemblée de voter contre ou, selon le cas, de s'abstenir.

En fait, on ne peut jamais légitimer le mal, parce que légitimer signifie attribuer une valeur juridique à des comportements qui n'ont aucune valeur morale, et ne peut donc jamais être votée en faveur d'une loi injuste. Parce que voter signifie que vous approuvez le contenu de tous les souhaits exprimés dans une loi, à la fois licites et illicites. Un tel vote serait une action intrinsèquement mauvaise qui ne pourra non plus jamais être accomplie, ni à une bonne fin - pour tempérer la méchanceté d'une loi – ni dans un état de nécessité, pour empêcher l'adoption de la loi injuste. Par conséquent, le vote en faveur des unions civiles fourni par Lupi n'est pas éthiquement acceptable. En ce qui concerne la loi sur le Dat, Lupi a voté contre non pas parce que la loi est injuste, mais seulement parce que le texte de la loi n'incluait pas les améliorations que le député voulait inclure.

Le coordinateur de Nous avec l'Italie, pour justifier son vote, remet en question le n. 73 de l'Evangelium vitae qui se lit comme suit: "un parlementaire, dont l'opposition personnelle absolue à l'avortement serait manifeste et connue de tous, pourrait licitement apporter son soutien à des propositions destinées à limiter les préjudices d'une telle loi et à en diminuer ainsi les effets négatifs sur le plan de la culture et de la moralité publique." Dans ce n. le pontife implique, parce qu'il a introduit implicitement la réflexion doctrinale en matière de morale, la limitation des préjudices ne peut d'elle-même mettre en place une action mauvaise. Par exemple, si le Gars se saisit de trois personnes et demande à Caio de tuer une quatrième, en échange du salut des trois, Caio, afin de limiter les dégâts, ne peut pas partir d'un point de vue moral de tuer cette quatrième personne. Aussi pour éviter le lancement d'une loi injuste (pour "limiter les préjudices"), il n'est pas permis de voter en faveur d'une loi moins injuste, car elle est toujours injuste.

Le moindre mal ne peut être accompli pour la simple raison qu'en tout cas il est mauvais. Ainsi Humanae Vitae : "s'il est parfois licite de tolérer un moindre mal moral afin d'éviter un mal plus grand ou de promouvoir un bien plus grand, il n'est pas permis, même pour de très graves raisons, de faire le mal afin qu'il en résulte un bien, c'est-à-dire de prendre comme objet d'un acte positif de volonté ce qui est intrinsèquement un désordre et, par conséquent, une chose indigne de la personne humaine, même avec l'intention de sauvegarder ou de promouvoir des biens individuels, familiaux ou sociaux." (14

En ce qui concerne l'exégèse correcte de n. 73 nous rappelons un passage de n. 71 de la même encyclique   qui sert de critère herméneutique pour le n suivant. 73 et qui concerne le droit à la vie mais qui affecte évidemment tous les comportements contraires à la dignité humaine: "Les pouvoirs publics [...] ne peuvent cependant jamais accepter de légitimer, au titre de droit des individus [...] l'atteinte portée à d'autres personnes par la méconnaissance d'un droit aussi fondamental que celui à la vie." Le texte exclut donc les "moindre maux", tels que la légitimation de comportements moins mauvais que d'autres et donc le vote en faveur d'une loi injuste pour empêcher le lancement d'une autre loi plus injuste. Les exceptions au vote en faveur d'une règle injuste sont également exclues du passage suivant également contenu dans n. 73: "L'avortement et l'euthanasie sont donc des crimes qu'aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer." S'il est interdit de légitimer le mal, il est également interdit de voter en faveur d'une loi qui a légitimé le mal. Et en effet le n. 90 affirme explicitement à propos des lois qui attaquent la vie des gens: "je renouvelle avec vigueur mon appel à tous les hommes politiques afin qu'ils ne promulguent pas de lois qui, méconnaissant la dignité de la personne, minent à la racine la vie même de la société civile."

Encore plus explicite est, sur l'interdiction de voter pour une loi injuste, qui reste injuste, même si c'est moins pire que le projet initial, la suite de l'adoption d'un document de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, signé par Jean-Paul II intitulé Considérations à propos des projets de reconnaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles, où explicitement est invoqué le n. 73, et se compose des éléments d'exégèse suivants : "Dans le cas qui est proposé pour la première fois à l'Assemblée législative un projet de loi en faveur de la reconnaissance juridique des unions homosexuelles, le catholique a le devoir moral d'exprimer clairement et publiquement son désaccord et de voter contre le projet de loi. L'octroi du vote en faveur d'une loi nuisible pour le bien commun de la société est un acte gravement immoral" (10). Dans le même n. 73 nous rappelons aussi le principe doctrinal suivant présent dans le document de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi intitulé Déclaration sur l'avortement procuré : "Dans le cas d'une loi intrinsèquement injuste, comme celle qui admet l'avortement ou l'euthanasie, il n'est donc jamais licite de s'y conformer, « ni ... participer à une campagne d'opinion en faveur d'une telle loi, ni ... donner à celle-ci son suffrage »".

Pour plus d'informations, nous citons encore la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et sa Note doctrinale sur quelques questions concernant l'engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, où est cité la troisième section du n. 73, évoquée par Lupi, mais à la suite de cette clarification herméneutique qui suit immédiatement: "Dans ce contexte [celui évoqué par n. 73, troisième section Ndlr], il faut ajouter que la conscience chrétienne bien formée ne permet à personne de favoriser par son vote la mise en œuvre d'un programme politique ou d'une loi unique dans laquelle les contenus fondamentaux de la foi et de la morale sont détournés par la présentation de propositions alternatives ou contraires à ces contenus ".

La revue de ces citations herméneutiques de n. 73 nous conduit à conclure: la limitation du dommage est licite, mais à condition que la limitation du dommage ne s'identifie pas dans le vote à une loi injuste, même si celle-ci est moins mauvaise que le projet original. Encore plus en résumé, ne votez jamais pour le moindre mal.

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14 février 2018 3 14 /02 /février /2018 21:40
Oui il faut changer de "république"

(Sous Charlemagne) La loi est "intangible" parce qu'elle "appartient au peuple", le roi ne peut y "toucher quant au fond".

Jean Favier, Charlemagne, Texto, Le Goût de l'histoire, Lonrai 2013, p. 334-335

Oui il faut changer de "république", oui il faut changer les institutions et de constitution. Oui, la forme républicaine du gouvernement peut faire l'objet d'une révision (contrairement à ce que prétend faussement l'article 89 de la constitution de la Ve république selon lequel "La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision" [1]). 

Non, critiquer la manière non-démocratique dont fonctionne le parlement n'est pas "réactionnaire". Non, expliquer l'abstention et la défiance croissante des Français envers les institutions n'est pas "fasciste"... Ceux qui disent cela sont des professionnels de la politique qui ont passé leur vie à vivre sur le dos des Français, veulent que rien ne change dans leur république, et ne souhaitent en réalité que conserver leurs privilèges. 

Oui, sous l'Ancien Régime, il y avait plus de démocratie qu'aujourd'hui. Oui "la modernité est une époque qui est moins démocratique que celle d'avant" (Francis Dupuis-Déri). Oui au "Moyen Âge", le peuple était plus souverain qu'aujourd'hui, parce que la loi lui appartenait et que le peuple n'attendait pas que le souverain lui parle à l'oreille pour se déterminer lui-même. Les Français veulent un État mais pas d'un État tatillon oppresseur qui lui confisque ses droits. "Dans certaines provinces, les sujets du roi pouvaient naître, vivre et mourir sans avoir directement affaire à l’Etat." [2] Tandis que dans la modernité, "la politique est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde" (Citations, Paul Valéry - 1871-1945, Tel Quel, 1941), sous Charlemagne, la loi est "intangible" parce qu'elle "appartient au peuple", le roi ne peut y "toucher quant au fond". [3] Sous "l'Ancien Régime", "le principe des libertés nationales était posé dans cette maxime fondamentale de l'Etat français : Lex fit consensu populi et constitutione regis, "consentement de la nation et décret du prince", voilà l'antique formule du pouvoir législatif en France, depuis l'établissement de la monarchie." [4] Roi et peuple ne faisait qu'un. La souveraineté populaire était indivisible.

La "république" a vu naître la ploutocratie ou régime de quelques riches (Les 1 % les plus riches du monde possèdent plus que les 99 % restants !). Sous l'Ancien régime, il était interdit à la noblesse de s'enrichir indéfiniment (suspect de moyens malhonnêtes ou de corruption). La bourgeoisie calquant ses valeurs sur celles de la noblesse, des richesses individuelles dépassant des PIB de nations étaient impossibles. Le 1% des plus riches qui possèdent les 99% restants était inimaginable du fait des valeurs de la société de l'époque (le Christ Roi à la place de l'argent-roi). Les valeurs de cette société étaient précisément ce qui gênait la bourgeoisie d'affaires qui a pris le pouvoir en 1789.  "À l'ancienne aristocratie se substitue l'aristocratie des riches. C'est une chose qui n'a pas été assez vue. On a dit : la Révolution de 1789 a donné le pouvoir à la bourgeoisie. C'est vrai, mais dans la bourgeoisie elle l'a donné à l'Argent". [5] "Étrange conclusion: la Révolution, faite au nom de l'égalité, a enrichi les riches et appauvri les pauvres... C'est un résultat qu'on retrouvera sur d'autres terrains." [6] "Le vieil instrument de 'progrès', le parlementarisme, est en ruine. Il n'est plus qu'un trompe-l'oeil, et devient un mensonge. Face aux barons, il faut un roi". [7]

La dérive connue de la démocratie depuis l'Antiquité est l'oligarchie (le pouvoir de quelques-uns). Cette dérive oligarchique, la privatisation du pouvoir, la prétention des élites "démocratiques" de parler au nom du peuple et à la place du peuple (peuple jugé inculte ou plongé dans les ténèbres, incapable de se déterminer), l'impression pour les Français que le système est irréformable, que rien ne changera, le sentiment que l'avenir sera moins radieux qu'hier, le sentiment d'un pouvoir lointain qui ne cherche qu'à diviser pour mieux régner (partis politiques, exacerbations des différences, principe du moteur de la Révolution), sont les vrais vraies raisons de la défiance croissante et de l'organisation des Français en dehors des institutions de la république. Dans ces conditions, doter les députés, comme sous l'Ancien Régime, de mandats impératifs, instaurer un mécanisme de contrôle de l'élu en cours de mandat, établir une déclaration nationale d'appartenance à une société secrète, serait une manière de redonner aux Français le pouvoir qui leur a été confisqué. Sans ces mesures radicales, il est prévisible que la tendance naturelle à se désolidariser d'institutions jugées hostiles et étrangères n'augmente encore.

L'autorité en haut, les libertés en basEn France, la monarchie a trois millénaires. Les Gaulois connaissaient déjà ce régime politique comme moyen de prise de décision au niveau national et comme meilleur gardien du Bien commun. Depuis toujours, la vraie chose de tous, la vraie république dans notre pays, c'est la monarchie. 

"Ce qu'il faudrait à ce pays, c'est un Roi", a pu dire Charles de Gaulle... [8]

Notes

 

[1] "Les Constitutions de la France depuis 1789", édition mise à jour au 1er septembre 1995, GF Flammarion, p. 450 

[2] Michel Antoine, Louis XV, Fayard, 1989

[3] Jean Favier, Charlemagne, Texto, Le Goût de l'histoire, Lonrai 2013, p. 334-335

[4] Mgr Freppel, La Révolution française, Autour du centenaire de 1789, Paris: A. Roger et F. Chernoviz, 1889, p. 33

[5] Jacques Ploncard d'Assac, Les jeunes ont droit à la vérité, Société de philosophie politique, Lisbonne 1970, p. 105

[6] René Sédillot, Le coût de la Révolution française, Vérités et Légendes, Perrin Mesnil-sur-l'Estrée 1987, p. 174

[7] J.-J. Servan-Schreiber, L'Express du 26.10.64 cité in Jacques Ploncard d'Assac, Critique nationaliste, La Librairie Française, Paris, p. 31

[8] Georgette Elgey, La République des Illusions 1945-1951 ou la Vie secrète de la IVe république, Les Grandes Etudes contemporaines, Fayard, Rennes 1965, p. 92.

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23 janvier 2018 2 23 /01 /janvier /2018 07:55
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22 janvier 2018 1 22 /01 /janvier /2018 18:43

Un article de Corse matin évoque Louis XVI et l'espérance du retour du roi :

Source: Corse Matin

225 ans après Louis XVI, ils espèrent le retour du roi

Pour les royalistes de France, ce dimanche est un jour de deuil. Le 21 janvier 1793, Louis XVI était décapité à Paris. Un "anniversaire" commémoré par des messes dans l'ensemble du pays et notamment en Provence (1). À Marseille, elle aura lieu en la basilique du Sacré-Coeur. Parmi les personnes qui y assisteront, des nostalgiques de l'Ancien Régime. Mais pas que. Pour d'autres, comme Félix Thévot, pas question de nostalgie quand on évoque la monarchie. Pour lui, bien au contraire, la monarchie est une idée moderne et promise à un réel avenir dans un pays troublé et face à une République affaiblie. "Pour moi, la monarchie est le régime naturel car calqué sur la famille. Elle assure la continuité de génération en génération alors que la République est sujette à de multiples changements. L'ensemble du peuple peut se retrouver dans son roi en cas de crise majeure. Le peut-il dans un président de la République ? [...] Le roi, parce qu'il a une vision a beaucoup plus long terme que les politiques soumis à des élections, peut les guider, les conseiller, les mettre en garde à la manière de la reine d'Angleterre. De plus, il sait que son action sera poursuivie par son héritier."

 

[...] "quand je parle de ce sujet, je ne sens autour de moi aucune hostilité, mais un réel intérêt. Les gens me paraissent plus demandeurs d'informations qu'il y a quelques années."

 

Une impression que deux sondages semblent confirmer. Selon BVA datant d'août 2016, 39 % des Français estiment que la présence d'un roi au sommet de l'État serait positive pour l'unité nationale, ébranlée après les attentats islamistes, et la stabilité du gouvernement (37 %), contre 23 % en 2007. 31 % des Français pensent aussi qu'un roi donnerait une meilleure image du pays qu'un président (24 % en 2007).

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26 décembre 2017 2 26 /12 /décembre /2017 11:39
Le dernier pied de nez de Johnny Hallyday aux modernes

En ces temps de Noël, voici quelques réflexions qui nous viennent sur l’anticatholicisme qui selon Mathieu Bock-Côté dans Le Journal de Montréal ne serait qu'un "antioccidentalisme", la vision d'"esprits chagrins", expression de Jean-Pierre Denis dans La Vie, à propos de ceux qui comme Jean-Luc Mélenchon s'offusquèrent des funérailles catholiques de Johnny Hallyday auxquelles assistèrent des présidents de la république. 

 

Extrait de l'article de Mathieu Bock-Côté

 

"On veut bien croire que la fête de Noël est aujourd’hui déchristianisée, au point même d’être neutralisée dans de plus vastes «fêtes de fin d’année», mais il n’en demeure pas moins que si l’histoire a ses droits, on conviendra au moins de ses origines chrétiennes. Faut-il désormais censurer toute mention des racines chrétiennes de l’Occident pour ne pas froisser les tenants de l’orthodoxie diversitaire et les représentants les plus intransigeants des religions non-chrétiennes? Les Américains, sans se tromper, parlent depuis des années d’une guerre contre Noël.

Plusieurs l’ont noté, le remplacement du traditionnel Joyeux Noël par Joyeuses Fêtes s’inscrit, consciemment ou inconsciemment, dans ce processus de déchristianisation de la culture. En 2009, les commerçants du Plateau Mont-Royal, à Montréal, avaient cru trouver la formule la plus inclusive qui soit pour ne vexer personne en souhaitant «Joyeux Décembre». La formule était incroyablement ridicule mais montrait jusqu’où peut aller la censure du réel pour ne pas heurter les sensibilités minoritaires exacerbées qui hurlent à la discrimination dès qu’on redécouvre que toutes les religions n’ont pas laissé la même empreinte sur notre civilisation. Il y a dans le monde occidental un zèle déconstructeur qui pousse à vouloir éradiquer toutes les traces du christianisme, comme si on espérait un jour le chasser du décor et l’effacer de la vie publique: la diversité pourrait alors s’exprimer et le christianisme serait privé de ses derniers privilèges . On a pu le constater il y a quelques semaines encore avec l’affaire de la croix de Ploërmel, qu’on a prétendu condamner au nom de la laïcité alors qu’il s’agissait surtout de pousser plus loin la neutralisation de l’identité historique de la France. Un jour pour ne plus heurter personne, faudra-t-il changer de calendrier?

[...] Il ne s’agit plus seulement de réfléchir au régime politique de la cité mais à la conception de l’homme sur laquelle elle repose – sur son anthropologie, pour le dire autrement. Cela implique aussi de dégager notre compréhension du politique d’un présentisme asséchant en renouant avec une conception historique de la communauté politique, qui fasse droit à la part sacrée de l’appartenance à la cité. En d’autres mots, on peut ressaisir le christianisme à travers un patriotisme de civilisation qui n’impose à personne quelque foi que ce soit mais qui réinscrit le politique dans l’histoire en se tenant loin de la tentation de la table-rase. L’art politique a davantage à voir avec l’histoire qu’avec la gestion.

On y revient alors: ce n’est pas en déconstruisant elles-mêmes leur propre socle de civilisation que les sociétés occidentales sauront vraiment se montrer à la hauteur des exigences de l’hospitalité. Au contraire, plus elles se renient et moins ceux qui les rejoignent peuvent vraiment les aimer. La haine de soi ne fait rêver personne, le nihilisme non plus. Il ne s’agit pas de fantasmer sur je ne sais quelle reconfessionnalisation de l’État ou d’idéaliser de quelque manière que ce soit la parole du Pape ou d’autres officiels du monde catholique mais simplement d’assumer ce qu’on pourrait appeler les marqueurs identitaires les plus profonds de notre civilisation: la cité ne saurait être une simple structure juridique sans épaisseur historique et culturelle. Elle plonge ses racines dans le cœur de l’homme et ne saurait se fermer aux besoins fondamentaux de l’âme humaine..."

Cette réflexion nous en ouvre une autre à propos des funérailles de Johnny Hallyday : nos ancêtres les Gaulois -donc c'est vieux !...- croyaient déjà dans l'immortalité de l'âme, et toutes leurs institutions étaient empruntes de cette croyance. Il aura fallu attendre 1789 et les Modernes pour assister à une tentative de destruction de cette croyance ancestrale. Malgré cette tentative, cette croyance n'est pas vraiment morte, elle continuera encore longtemps d'irriguer notre corps social.

Le dernier exemple en date est le 9 décembre dernier, avec l'exploit de Johnny Hallyday, lors de ses funérailles, de réunir autour de lui dans une église (La Madeleine), le président actuel de la république et des anciens présidents : 

Le dernier pied de nez de Johnny Hallyday aux modernes

"La Cité ne saurait être une simple structure juridique sans épaisseur historique et culturelle", écrit Mathieu Bock-Côté : la cité ne saurait fonder la société sur le mythe du "contrat social", en faisant une table rase du passé. La nation-contrat des modernes contre la nation-héritage. Dans cette lutte de la nation-négatrice du passé, on voit bien que la volonté de l'homme ne peut pas tout faire, il y a des choses dans la nature qui résistent...

Le dernier pied de nez de Johnny Hallyday aux modernes

Jean-Pierre Denis dans La Vie a parfaitement résumé l'évènement : "Depuis quand un missionnaire n’avait-il pas fait mission à telle échelle ? Retenez cette date : le 9 décembre 2017, en la solennité de la Sainte-Laïcité et à la suite de l’apôtre Johnny Hallyday, des millions de Français sont entrés non pas dans une église, mais dans leur Église !"

 

"[...]  « Je suis né catholique et je mourrai catholique », rappelle Daniel Rondeau, comme Johnny l’avait jadis dit à La Vie." (Affirmation de Johnny Hallyday qui fut accueillie par une foule sidérée et immédiatement emprunte de respect attentif).

L’avez-vous notée, poursuit Jean-Pierre Denis, cette formule aussi bizarre que juste et aussi juste qu’incroyable, qui fait du rockeur défunt « l’ange crucifié de la résurrection et du pardon » ? Ces mots… oui, vous les avez notés, forcément. D’ailleurs qui, venu pleurer ses pauvres souvenirs, ne les a saisis, fût-ce malgré lui ? Alors un grand silence national se fait. Il se fait pour Johnny, mais il se fait incidemment, accidentellement, providentiellement pour Dieu. Rumeurs, ricanements de petits marquis et de starlettes de talk show, postures… tout disparaît. Et l’Église, qui sait si mal communiquer, qui si sait si peu s’expliquer, qui sait si rarement se faire entendre, qui doit tant se faire pardonner… L’Église prend la parole, comme elle sait si bien en ces moments-là. Elle donne, elle pardonne. Entendez ce sermon, enfants perdus, et saluez l’impressionnant à propos de l’officiant, le père Benoist de Sinety – franc, bienveillant, explicite, solide comme le roc sur lequel on rebâtit l’Église : « Tout homme peut entendre de ses oreilles une espérance nouvelle. La mort n’est pas le dernier mot de nos histoires... L’amour dont Dieu vous aime est bien la seule promesse que rien ni personne ne pourra jamais nous arracher. »

 

[...] Les obsèques de Johnny auront marqué, et avec quelle force, avec quelle évidence, la persistance et la vitalité d’un catholicisme qui, pour n’être plus officiellement d’État le demeure de facto, comme ultime recours. Un catholicisme qui reste, jusqu’à nouvel ordre, la langue qui sait le mieux nous dire. La religion du petit peuple sans religion. J’ai noté, au vol, ces mots d’écrivain : « La grâce aura été l’aboutissement de sa gloire ». Que dire de plus chrétien ?

 

[...] On comprend la rage des esprits chagrins, qui tel Jean-Luc Mélenchon ont bien vu la portée de cet acte et s’en sont offusqués. ​Ils disent vrai, même s'ils n'y voient pas plus loin que leurs marottes. ​La Madeleine, c’est redoutable et c’est contestable à tous points de vue​​. Un temple catholique qui toise, par-delà la Seine, le temple républicain. Palais Bourbon contre Église impériale, face à face gravés dans la topographie capitale, empreinte et emprise que ne pourraient effacer les sectaires qu’en rasant la ville lumière. Mais c’est aussi cela, la laïcité​, cette intelligence du vis-à-vis​ et du l'un après l'autre, chacun dans son ordre propre ! Ce jeune président parlant au peuple alors que Dieu patiente, certain que le cortège entrera. Et ce prêtre qui, calmement, publiquement, nationalement dit alors au défunt : « Vous avez été baptisé dans la mort et la résurrection du Christ… entrez avec nous dans cette église pour y célébrer l’amour de Dieu et la victoire de l’amour sur toute mort. » Soyons donc, puisqu’à la mort de Johnny le père de Sinety nous y a invités, « des icônes de l’amour de Dieu plutôt que des idoles dont la vie s’épuise »."

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15 décembre 2017 5 15 /12 /décembre /2017 16:13

On a vu hier l'effondrement en cours des mythes et piliers de la modernité (la croyance dans le progrès, la démocratie). Aujourd'hui, pour illustrer ce propos, on découvre qu'une enquête PEP/Kantar, réalisée -une fois n'est pas coutume- par un média français (L'Obs, jeudi 14 décembre) montre cette fois la fin de la croyance dans la devise républicaine française: "la devise de la Révolution française fait de moins en moins écho aux oreilles des Français"... Le sentiment d'une fracture sociale en France augmente. Pas moins de 76% des personnes interrogées jugent la société comme inégalitaire, 22% affirmant même qu’elle est "très inégalitaire", tandis que 20% seulement considèrent qu’elle est au contraire "égalitaire"... Ce sentiment d’inégalité gagne la société française dans son ensemble. La fracture sociale s'aggrave.

C'est ce que révèle la quatrième édition du baromètre annuel PEP/Kantar sur les inégalités, rendu public ce jeudi 14 décembre par le Nouvel Observateur.

"Le plus révélateur", commente "Sputnik", est le pessimisme qui gagne la société française : en effet, 25% seulement des Français considèrent qu'une personne peut trouver sa place dans cette société présentée pourtant comme "inclusive"...

Liberté, égalité, exclusion résume le sentiment actuel des Français.

Un sondage montre la fin de la croyance dans la devise républicaine

Ce qui enfonce le clou est ce qui a été considéré comme des privilèges accordés aux réfugiés récemment arrivés en France. 39% seulement jugent "normale" la mise à disposition de logements vacants pour les migrants, mise à disposition très fortement rejetée en Haut-de-France, avec 73% d'avis contre, et en région PACA, avec 68%.

L'Éducation nationale n'est pas absente des secteurs inégalitaires de la République : 63% d'entre les Français pensent que les récentes déclarations du ministre de l'Éducation ne vont pas contribuer à diminuer ces inégalités.

Cette enquête réalisée en France métropolitaine sur Internet auprès d'un échantillon de 2.602 personnes a fait l'objet d'un article sur le média russe Sputnik.

Un sondage montre la fin de la croyance dans la devise républicaine

Le commentaire que l'on peut faire est l'analyse que l'on trouvera dans l'ouvrage de Michel VILLEY, "La Formation de la pensée juridique moderne". Le résultat de cette enquête n'est pas étonnant dans un système philosophique et politique moderne conçu pour défendre les intérêts des riches, où le droit a été livré au bon vouloir d'une certaine élite cultivée sous prétexte qu'elle serait rationnelle, "paravent qui masque cette réalité cynique : le droit est l'oeuvre des riches, des hommes les plus influents - disons de la classe dominante -, plus arbitraire en réalité que juste et rationnel".

Un système de "droits subjectifs" (La République de Bodin), conçu comme une anti-thèse de la justice distributive aristotélicienne ou thomiste (où le "droit de chacun" est "la part qui mérite de lui être attribuée en tenant compte de toutes les données de la coexistence sociale"). Ce droit moderne (issu de la nature de l'homme sans considération d'un ordre naturel extérieur à respecter), partagé par l'ensemble des pays de l'Occident, est parfaitement approprié à procurer la sûreté des possessions établies, la sûreté des transactions, la tranquillité nécessaire au développement de l'économie libérale, il proclame la liberté de principe que réclame le jeu du marché (C.B. MACPHERSON, The Political Theory of possession individualism, Oxford, 1962, trad. M. PUCHS, La Théorie politique de l'Individualisme, Gallimard, 1971), mais son premier point faible est l'escamotage de toute justice sociale... Promouvoir une juste proportion n'est plus le rôle central du droit. Il n'a d'autres vocations que de défendre la proportion qui résulte des droits subjectifs prétendus des individus (Hobbes). "Encore une fois, comme ce système simpliste de distribution se trouve commode pour les riches !" (Michel VILLEY, La Formation de la pensée juridique moderne, Texte établi, révisé et présenté par Stéphane RIALS, Quadrige PUF, Mercuès 2006, p. 315, 417, 484, 557, 588, 590, 592, 616.) L'intérêt général, le Bien commun n'existe pas dans notre société moderne, seul existe l'individu et ses droits.

Conséquence : un tel droit ne permet pas l'apaisement ni le développement harmonieux de la société. S'étant trompé sur les fondements du droit (l'homme plutôt que le droit naturel classique), s'étant en outre trompé sur la nature de l'homme (cela fait beaucoup!), ce système tombe logiquement de Charybde en Scylla, et finit en échec :

"La nature de l'homme, écrit Michel Villey, constitue un excellent point de départ pour bâtir une morale privée. Et je n'ai pas dit que cette idée n'ait en rien à intervenir dans la constitution du droit, mais elle ne saurait y suffire : à partir de la nature de l'homme on ne saurait aboutir au droit au sens où l'entendent Aristote ou les jurisconsultes romains. On ne débouche que dans le droit subjectif... 

(...) C'est une gageure que de prétendre fonder le droit, système des rapports entre hommes, sur l'individu séparé - c'est-à-dire de prétendre fonder le droit sur la négation du droit -; c'est la quadrature du cercle; à partir de l'individu, à partir de son droit subjectif, on ne trouvera jamais que l'anarchie et l'absence d'ordre juridique." (Michel VILLEY, ibid., p. 480, 592.)

Conclusion

Dans la société moderne ce n'est plus l'adage médiéval Nos seigneurs les pauvres (en souvenir de la pauvreté du Christ), c'est nos seigneurs les riches !

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14 décembre 2017 4 14 /12 /décembre /2017 19:40

Dans une conférence sur le sujet "République et démocratie : la fin des mythes ?" à la fête du livre organisée par Renaissance Catholique, à Villepreux le dimanche 10 décembre 2017, Patrick Buisson, Président de la Chaîne Histoire, a tout d'abord exposé une petite historiographie officielle de la Révolution de 1789, puis a expliqué "sans faire montre d'un optimisme excessif", des raisons d'espérer. 

Extrait

 

"Pendant près de deux siècles, les guerres de Vendée furent l'objet d'un consensus qui justifie tout à fait la sentence terrible de Joseph de Maistre : 'l'histoire est une conspiration permanente contre la vérité'. endant deux siècles, l'historiographie officielle qui avait chaire à la Sorbonne - les Aulard, les Mathiez, les Soboul, les Lefebvre -, ont cherché une deuxième fois à ensevelir les Vendéens dans un sépulcre d'occultation, de négation, un sépulcre du non-dit et du déni : il fallait à tout prix exonérer le mythe fondateur de la République, son moment inaugural de ce que Pierre Chaunu, le grand historien, a appelé la 'messe de sang' qui l'a accompagné, faire oublier que la devise initiale des révolutionnaires ('la liberté ou la mort'), portait en elle-même toutes les virtualités idéologiques du plan d'extermination qui allait suivre.

 

La négation du martyre vendéen a d'abord été une nécessité politique pour un régime qui s'est longtemps senti faible, à tel point que le révision constitutionnelle de 1884 (presque un siècle après les évènements) a cru devoir introduire un article qui interdisait de remettre en cause la forme républicaine du régime. Cet article figure toujours dans la constitution de la 5ème république, dans notre constitution. (NdCR. article anti-démocratique que l'on retrouve à l'article 89 de la constitution de 1958... toujours d'actualité et toujours pas abrogé...[1]).  Cet article renforce le particularisme français. Par exemple, à la différence de la constitution espagnole qui n'interdit nullement de remettre en cause la forme monarchique des institutions, en France c'est la forme qui est sacralisée. Pas le fond. La 'république' en France est une religion, une religion séculière, certes, mais une religion quand même. On peut tout faire : le fond importe peu, la forme de la république est intouchable !

 

Or, contre toute attente, le temps est en train de sceller la victoire des vaincus de 1793. Longtemps il y a eu cette excuse absolutoire des circonstances de 'salut public', la 'Patrie en danger'... Par quoi, on a prétendu justifier la Terreur. ("la fin sanctifie les moyens"... La théorisation de la violence révolutionnaire en 1789NdCR.) Elle ne rencontre - même dans l'historiographie jacobine - plus beaucoup de soutien. L'exécution du plan d'extermination voulu par la Convention intervient sans aucune relation avec les nécessités militaires ni avec les impératifs de la défense nationale. L'holocauste vendéen commence après que les armées catholiques et royales aient été écrasées dans les bois de Savenay en décembre 1793, au terme de la Virée de Galerne, alors que les armées de la république sont victorieuses aux frontières. Si bien que l'argument de la conjonction des périls (intérieurs et extérieurs) ne tient pas. Il s'agit d'une politique dictée pour des raisons strictement idéologiques.

 

Il n'y a plus grand monde aujourd'hui pour contester que la Vendée ait été victime de crimes de masses. L'estimation la plus sérieuse - celle de l'historien démographe Jacques Hussenet - à partir d'une étude au niveau de chaque canton, oscille entre 150 000 et 190 000 victimes.

 

Pour faire image, le grand historien Pierre Chaunu que je citais tout à l'heure, le maître de l'histoire statistique disait que ces évènements de la Terreur et de la Vendée avait fait plus de victimes au total, un volume de victimes supérieur à tous les mouvements, toutes les jacqueries sous l'Ancien Régime.[2]

 

Au reste, l'histoire jacobine a dû en rabattre ces dernières années, elle a dû passer d'un négationnisme partial à un négationnisme partiel : elle ne nie plus les massacres. Ce qu'elle nie c'est l'intention génocidaire de la Convention. Crimes de masses, oui, crimes de guerre, oui, et on s'arrête là. Or la réalité du génocide (en Vendée), aujourd'hui n'est plus contestable, notamment du point de vue juridique.

 

[...] Ce sont les ultra-royalistes dur reste, qui se firent, dès la Restauration, les partisans du suffrage universel. Il faut bien avoir cela présent à l'esprit. Les républicains n'ont toujours été favorables qu'à une forme de démocratie censitaire.

 

Carl Schmitt disait "le mythe de la représentation supprime le peuple comme le mythe de l'individualisme supprime l'individu". Et bien nous y sommes. Car c'est bien ce à quoi nous assistons sous la 5ème république, avec la combinaison de deux choses : la scrutin majoritaire, adopté depuis 1958, et l'explosion de l'abstention qui aboutit à un rétablissement de facto du suffrage censitaire, sans qu'il ait été nécessaire de l'inscrire dans la loi ! Faute d'un mode de scrutin qui permettrait aux catégories populaires d'être représentées dans les élections intermédiaires, seuls votent les inclus qui se reconnaissent dans l'offre électorale (PS, Républicains, La République en marche). En clair, les bobos, les retraités, les fonctionnaires, les catégories qui participent du système. Aux dernières Législatives, par exemple, selon les enquêtes d'opinion, l'abstention des bas revenus a été de plus de 70%. Les pauvres savent que le mode de scrutin ne permet pas de représenter les partis populistes : ils n'ont pas voté. Rappelons les chiffres des élections présidentielles. Avec 15% des inscrits aux premier tour, LREM rafle la majorité des sièges à l'Assemblée nationale ! Je dis 'des inscrits' car vous savez qu'il y a près de quatre millions des français qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales, c'est-à-dire que le pourcentage est encore plus bas. Mélenchon, Le Pen et Dupont-Aignan totalisent à eux trois 45% des suffrages à la présidentielle, là où tout le monde va voter. Un mois et demi après, aux législatives, ils ne vont obtenir que 26 députés, c'est-à-dire à eux trois 4% de la représentation nationale. Regardez: 45% à l'élection présidentielle donne 4% de députés !... Et on appelle cela une démocratie représentative ! Mais vous voyez bien la filiation depuis 1789 ! Je le disais tout à l'heure, la Convention nationale (1792) a été élue par moins de 10% du corps électoral. Notre démocratie ne consacre pas la loi du nombre, elle consacre la loi du petit nombre ! Notre démocratie est un décor, c'est une démocratie Potemkime. Elle n'est plus qu'un rituel, un rituel dont la classe dirigeante a besoin pour assoir son pouvoir et lui donner une apparence légale.

 

Cette dénaturation de la démocratie correspond parfaitement à la définition qu'en donnait le poète Paul Valéry : 'La démocratie, c'est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde.'

N'importe quel autre mode de désignation, y compris le tirage au sort, c'est-à-dire le retour à la démocratie athénienne, permettrait de redonner au peuple le sentiment qu'il participe, ou est associé pour le moins au gouvernement de la cité.

On comprend désormais que l'usage abusif qui fait aujourd'hui du mot démocratie recouvre très précisément une réalité contraire à ce qu'il énonce. Il s'agit d'une anti-phrase qui désigne la privatisation des instruments de gouvernement par une minorité résolue à imposer sa loi au plus grand nombre, et à exclure le peuple du processus de décisions.

C'est la privatisation du pouvoir au bénéfice d'un système. Napoléon disait à Fouché 'Supprimez tous les journaux, mais en tête du décret, mettez six pages de considérations libérales sur les principes'. Telle était la méthode de Napoléon. On supprime, on interdit, mais on proclame la 'Liberté'. C'est exactement la post-démocratie: on affirme des principes, on les proclame d'autant plus sacrés qu'on a la ferme résolution de ne pas les mettre en oeuvre. 

L'antique principe élaboré au temps de la cité grecque, qui voulait que la politique soit déterminée par l'accord de la majorité est aujourd'hui répudié en pratique. La majorité n'est plus une réalité arithmétique mais un concept politique, résultant d'une application truquée et tronquée du principe majoritaire.

 

[...]

 

Et bien il se trouve qu'il y a de moins en moins de français pour voter. C'est-à-dire de moins en moins de français pour croire au miracle.

[...] Dire que la république n'a pas accouché de la démocratie, mais qu'elle l'a détournée et empêchée ne relève donc pas de la polémique mais d'un simple constat que nous impose l'histoire.

 

Et la réflexion qui vient au terme de cette réflexion est Qu'est-ce que la république aujourd'hui ? Depuis les attentats terroristes, il est de bon ton d'exalter les 'valeurs républicaines', des valeurs que l'on ne situe pas vraiment, des valeurs aussi ronflantes que creuses. Il est d'usage commun de les présenter comme l'antithèse et l'antidote absolu du fanatisme islamiste [3], comme si les promoteurs de la guillotine, comme si les promoteurs du rasoir national en 1793, comme si les organisateurs de la Terreur révolutionnaire avaient obéi à des motivations radicalement différentes de celles des sectateurs de Daech, et autres adeptes de la décollation. Comme si l'implacable terrorisme d'état qui s'est mis en place en France en 1793, n'avait pas de servi de matrice et de modèle à toutes les entreprises totalitaires de siècles suivants (nazisme et communisme compris). Comme s'il eut fallu l'été 2016 en France pour que les prêtres fussent égorgés derrière des autels ! Il a fallu vraiment que le sectarisme le discute à l'ignorance à un niveau rarement atteint pour que celui qui nous a tenu lieu de président de la république pendant cinq ans dans un mélange de bassesse et de médiocrité qui a fait honte à toute la France - je veux dire François Hollande - se croit autorisé à dire après l'égorgement du Père Hamel : 'Attaquer l'Eglise, tuer un prêtre, c'est profaner la république !'. Dans ce cas, Monsieur Hollande, la république, durant les trois premières années d'existence n'a cessé de s'auto-profaner en expulsant, en déportant, en guillotinant les prêtres par milliers pour tenter d'assoir son pouvoir sur les esprits. 

 

[...]

 

Avec la crise de la représentation que nous subissons aujourd'hui de plein fouet se pose aujourd'hui la question de la légitimité. [...] Hier la légitimité procédait du sacre, et donc de la religion. En démocratie la légitimité résulte du contrat social, ou de l'expression de la Volonté générale. Or ce mode de légitimation  - on vient de le voir à l'instant - ne fonctionne plus (crise de le représentation, mode de scrutin). Une grande partie de nos concitoyens ont l'impression d'être exclus du jeu démocratique.

 

Quand le pouvoir s'avère impuissant à garantir le Bien commun, c'est-à-dire à assurer et garantir les protections et sécurités vitales, protections sociales, protections culturelles (notre identité), protections physiques (le terrorisme) s'amorce dès lors un processus de délégitimation. Emmanuel MACRON semble avoir pris conscience de cette crise de la légitimité puisqu'il dit vouloir inventer une nouvelle forme d'autorité démocratique. Si l'objectif est de réintégrer le peuple dans le jeu démocratique en lui assurant les protections vitales évoquées à l'instant, alors la politique de l'oxymore qui est celle Emmanuel MACRON, qui consister à associer des termes et des objectifs absolument contradictoires, ne va pas faciliter les choses : on ne peut en même temps vouloir libérer le travail et protéger les Français (les salariés), déclarer la guerre à l'islamisme et vanter les mérites du multiculturalisme qui en constitue le terreau, déclarer vouloir retrouver le sens du récit historique et promouvoir un projet post-national où la France n'est plus une communauté, mais l'absence de communautés, la nation de la sortie des nations !

En fait, pour restaurer le Bien commun, il faudrait pour cela rompre avec l'individualisme libéral, avec la dérive moderne fondée sur la négation de l'axiome aristotélicien selon lequel l'homme est un animal politique, un être naturellement social. Le Bien commun n'est toujours plus vivable que celui de l'individu disait S. Thomas d'Aquin. Or, il ne peut y avoir de Bien commun quand le politique est réduit au champ d'affrontements des intérêts privés, c'est-à-dire à l'économie, à l'économisme.

La crise de la légitimité ouverte en 1793, et mon point de départ n'était pas innocent, n'a jamais été résolue.

Alors peut-être faut-il rendre grâce d'une certaine manière à notre nouveau président de la république d'avoir reconnu - on n'a jamais entendu ces propos dans ses prédécesseurs - que la crise de la légitimité ouverte en 1793, dans une interview un an avant son élection, 'l'incomplétude de notre démocratie', - je reprends ses mots -, 'le vide émotionnel que la disparition de la figure du roi a laissé dans l'inconscient politique français'.

[...]  En France, pays de traditions chrétiennes, le pouvoir ne se délègue pas par délégation (c'est pour cela que l'on a un peu de mal avec le régime représentatif) mais pas incarnation. C'est selon la formule magistrale de Marcel Gauchet un concentré de religion à visage politique. oui, il faut savoir gré à Macron de l'avoir compris, jusqu'à faire durant les premiers mors (Cour du Louvres, Versailles) de la démonstration in vivo que la république ne peut se survivre qu'en cherchant à reproduire la monarchie et en lui reconnaissant au fond une sorte de supériorité ontologique et existentielle. 

Si l'on veut que le politique retrouve une légitimité, il faut le restaurer en tant que service, en tant que sacerdoce au service de la communauté.

Si l'on veut, il faut retrouver l'autorité comme fonctionnalité, il faut la rétablir comme transcendance.

 

[...]

 

Je n'ai pas traité des trois piliers fondateurs de la république, de leur république,. Le progrès, aujourd'hui, c'est très simple, au début du siècle dernier tous les cafés s'appelaient Cafés du progrès ou Cafés de l'avenir. Aujourd'hui, quand vous interrogez les Français, près de 80% pensent que les générations qui viennent derrière auront une vie moins facile. L'idée du progrès est morte. La religion du progrès est morte comme notre pratique de la démocratie et de la république arrive à bout de souffle. Et c'est la grande leçon d'espérance. Même si l'on met ni nom ni étiquette sur ce qui va venir, les mythes fondateurs de nos adversaires, les trois piliers, progrès, république, démocratie (ou ce qu'ils appellent 'démocratie'), sont en pleine décomposition. C'est un fait politique essentiel. Et je pense que nous pouvons dire sans faire montre d'un optimisme excessif que le jour approche où nous pourrons reprendre à notre compte la formule de - ce n'est pas un de mes auteurs favoris - René Viviani [4], président du Conseil en 1914, laïque, un des hommes de la loi de 1905 -, qui a dit : "Nous avons éteint des étoiles au Ciel de France. Personne ne les rallumera plus jamais." 

 

Lire: Le record d'abstention aux Législatives sous la Cinquième république n'a été battu que lors de la Révolution dite "française"

Notes

 

[1] "La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision". Article 89 cité in "Les Constitutions de la France depuis 1789", édition mise à jour au 1er septembre 1995, GF Flammarion, p. 450. Article que l'on trouve en ligne sur le site de l'Assemblée nationale.

[2] "La révolution française a fait plus de morts en un mois au nom de l'athéisme que l'Inquisition au nom de Dieu pendant tout le Moyen Age et dans toute l'Europe..." (Pierre CHAUNU, Eglise, culture et société, SEDES 1981.)

[3] Pierre CHAUNU disait par exemple à propos de la laïcité, qu'elle "revêt un sens qui l'oppose à la laïcité telle qu'elle est comprise en Europe et en Amérique et plus particulièrement dans les pays de tradition protestante. Il suffit pour s'en convaincre de tenir en main un dollar ou d'entendre l'hymne britannique qui résonne comme un cantique : "God save our noble Queen" Notre acharnement laïcard choque nos voisins et nous ridiculise... Aujourd'hui, on peut mesure l'échec d'un enseignement incapable de transmettre une morale sociale sans fondement ontologique !" (P. CHAUNU, Préface du livre de Jean DUMONT, L'Eglise au risque de l'histoire, Editions de Paris, Ulis 2002, p. 17-18.)

[4] Socialiste anticlérical fanatique sous la IIIe république, René Viviani (1863-1925) participa, en 1904 avec Jaurès, à la création du journal l’Humanité... Il fonda le parti républicain socialiste.

La citation complète de Viviani est la suivante : "La IIIe république a appelé autour d'elle les enfants des paysans, les enfants des ouvriers et, dans ces cerveaux obscurs, dans ces consciences enténébrées, elle a versé, peu à peu, le germe révolutionnaire de l'instruction. Cela n'a pas suffi. Tous ensemble, nous nous sommes attachés, dans le passé, à une oeuvre d'anticléricalisme, à une oeuvre d'irreligion. Nous avons arraché les consciences à la croyance. Lorsqu'un misérable, fatigué du poids du jour, ployait le genou, nous l'avons relevé, nous lui avons dit que, derrière les nuages, il n'y avait que des chimères. Ensemble et d'un geste magnifique, nous avons éteint, dans le ciel, des étoiles qu'on ne rallumera plus. Voilà notre oeuvre, notre oeuvre révolutionnaire." (J. d'Arnoux, L'Heure des Héros, p. 42, cité in Jean Ousset, Pour qu'Il règne, DMM, Niort 1998, p. 138.)

République et démocratie : la fin des mythes (Patrick Buisson)
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