« Avec la financiarisattion du capitalisme, la mentalité économique que stigmatise Pasolini, a si bien progressé qu'elle a fini par étendre la logique de la marchandise à la sphère non-marchande des activités humaines. Pour ce faire, elle s'attaque à tout ce qui, peu ou prou, forme un écran entre le désir de l'individu isolé et le marché unifié, qui aspire désormais à organiser la totalité de son existence.
"L'économie transforme le monde", constate Guy Debord, mais le transforme seulement en monde de l'économie. En ce sens le néo-libéralisme est bien une forme économique du totalitarisme, tout comme le nazisme et le communisme en ont été au XXe siècle les formes politiques. Comme eux, il a pour projet l'utopie d'un homme nouveau, qu'il soit le produit d'une manipulation psychologique ou biologique, d'un reformatage médiatico-publicitaire ou d'une expérimentation en laboratoire. Car pour bien fonctionner, l'économie de la cupidité a besoin d'une nouvelle humanité exclusivement mue par le désir du consommateur et la raison du technicien. C'est pourquoi elle s'attache à produire en série cet homo oeconomicus libéré de toute appartenance ou attache symbolique et, demain, émancipé des limites physiologiques qui fixaient jusqu'ici sa condition.
La droite française n'a pas pris le chemin de Pasolini. Aujourd'hui encore, elle veut croire que le libéralisme n'est qu'un mode d'organisation de l'économie, le meilleur et le plus efficace, celui dont on peut attendre croissance, emplois, création et partage de richesses. À aucun moment, elle n'a voulu prendre en compte les conséquences que pouvaient avoir sur les rapports sociaux, tout autant que sur les comportements individuels, le passage du libéralisme restreint au libéralisme généralisé, principale caractéristique du monde contemporain. Pas plus qu'elle n'a voulu voir qu'en changeant de nature, le capitalisme s'emploie à liquider toutes les valeurs altruistes et sacrificielles, qu'elles soient commandées par la foi ou notre vie, et par les finalités profanes, pour laisser place à la tyrannie des désirs instables.
C'est donc un enjeu de civilisation que porte le débat sur le libéralisme et la mondialisation.
Ayant répudié le sacré et consenti à l'abaissement du politique au niveau de la gouvernance économique, la droite vénère un marché, nouvel état de nature, qui détruit les valeurs et les institutions dont elle s'était attribué historiquement la garde. Si pour des raisons de pures opportunités électorales elle peut encore demain s'opposer, au moins momentanément, à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA), de la procréation médicalement assistée (PMA), voire de l'euthanasie, elle est en revanche philosophiquement incapable de réfuter ce qui en à l'origine, c'est-à-dire l'extension du principe marchand à la sphère sociale et privée, incapable d'appréhender cette défaite de l'homme dans l'homme, qu'engendre le libéralisme au nom de la dynamique de nouveaux droits subjectifs, incapable de comprendre qu'avec l'avènement de l'économisme comme réenchantement du monde, quelque chose d'humain est fini, selon le bon mot de Pasolini, incapable de saisir toutes les raisons qu'il y a de refuser de l'accepter.
Tant que la droite continuera d'adhérer à ce présupposé du libéralisme qui fait de la société une collection d'individus n'obéissant qu'aux lois mécaniques de la rationalité et de la poursuite de leur seul intérêt, tant qu'elle ne renouera pas, dans une fidélité inventive, à ses racines, avec l'idée qu'une société ne peut reposer exclusivement sur le contrat, c'est-à-dire sur le calcul, mais sur l'adhésion à un projet qui fait d'elle une communauté, rien ne pourra la repositionner au service du bien commun et lui valoir un retour de confiance du peuple, rien ne lui rendra sa raison d'être au regard des Français, et au regard de l'histoire.»
(Patrick Buisson, La Cause du peuple).
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