Saint Anselme de Cantorbéry, dans Le Petit Livre des Saints, Éditions du Chêne, tome 2, 2011, p. 15.
Je ne cherche pas à comprendre afin de croire, mais je crois afin de comprendre. Car je crois ceci - à moins que je crois, je ne comprendrai pas.
Saint Anselme est vraiment un homme européen :
il est né à Aoste en Piémont (Italie) en 1033 d'une famille noble et riche; il a ensuite été abbé du Bec, en Normandie, et il est ensuite devenu archevêque de Cantorbéry, en Angleterre.
Par sa culture, en tant qu'éducateur, et en tant que prêtre, c'était un Européen.
Sa pieuse mère Ermengarde lui apprit de bonne heure à aimer Dieu et la Très Sainte Vierge; mais, privé du soutien maternel vers l'âge de quinze ans, poursuivi dans sa vocation religieuse par un père mondain et intraitable, il se laissa entraîner par le monde.
Las d'être la victime de son père, - son père en effet ne cessait de le poursuivre pour le bien qu'il faisait -, il s'enfuit en France, et se fixa comme étudiant à l'abbaye du Bec, en Normandie. Il avait déjà plus de vingt ans. Là il dit à Lafranc, chef de cette célèbre école: "Trois chemins me sont ouverts: être religieux au Bec, vivre en ermite, ou rester dans le monde pour soulager les pauvres avec mes richesses: parlez, je vous obéis." Lafranc se prononça pour la vie religieuse. Ce jour-là, l'abbaye du Bec fit la plus brillante de ses conquêtes.
Quand bientôt Lafranc prit possession du siège archiépiscopal de Cantorbéry, il fut élu prieur de l'abbaye, malgré toutes ses résistances; il était déjà non seulement un savant, mais un Saint. De prieur, il devint abbé, et dut encore accepter par force ce fardeau, dont lui seul se croyait indigne.
Très tôt, il fut appelé à prendre une part très active dans la réforme monastique, déchue en Angleterre, réforme entreprise avec beaucoup de difficulté par Lafranc face à l'hostilité unanime de l'épiscopat anglais. L'influence d'Anselme se fit sentir bientôt non seulement dans la communauté monastique de Saint-Sauveur de Cantorbéry, mais partout en Angleterre
Sa vertu croissait avec la grandeur de ses charges. Le temps que lui laissait libre la conduite du couvent, il le passait dans l'étude de l'Écriture Sainte et la composition d'ouvrages pieux ou philosophiques. Bien qu'il n'ait jamais suffisamment personnalisé ses vues pour être chef d'école, convaincu que la foi elle-même pousse à une compréhension rationnelle plus intelligente (fides quaerens intellectum), Anselme est le véritable fondateur de la pensée et de la méthode scolastiques défendues par Abélard et couronnées par Thomas d'Aquin.
Car, dans ses entretiens et son enseignement, Anselme commença à utiliser une méthode qui devait marquer profondément les époques postérieures. Appuyé sur la "seule raison" (sola ratione), il essaya de montrer l'enchaînement nécessaire des vérités révélées: la nécessité logique qui relie tout ce que nous croyons de Dieu et de ses attributs, à l'exception de l'Incarnation. C'est ainsi qu'est né le Monologion. Dans ce livre, au lieu de faire appel aux autorités scripturaires ou patristiques - procédé habituel jusqu'alors pour exposer la doctrine de la foi - Anselme s'efforça de prouver les vérités de la foi uniquement par des arguments rationnels. À l'opposé de sa méthode, surgira quelques siècles plus tard celle de Luther, qui insistera unilatéralement sur la foi alors que chez Anselme, foi et raison demeurent étroitement liées.
On lui attribue la première formulation de la preuve ontologique de l'existence de Dieu qui sera reprise par Descartes et critiquée par Kant. Comme Dieu est unique, il devait y avoir une voie unique pour la raison, "un argument unique", capable de démontrer que Dieu est vraiment et qu'Il est le souverain bien dont tout dépend, mais qui n'a besoin de rien. Ce projet se réalisa soudain un jour, telle une lumière foudroyante accompagnée d'une immense joie, après une recherche longue et laborieuse. Tout de suite, Anselme mit par écrit sa pensée sur des tablettes de cire. C'est ainsi que vit le jour ce petit opuscule qu'Anselme intitula, après quelques hésitations, Proslogion, et qui lui valut de perpétuer son nom dans l'histoire de la pensée. C'est un véritable défi à l'adresse de l'"insensé" du Psaume, personnifiant les athées de tous les temps. Depuis, jusqu'à nos jours, très peu de penseurs ont pu se dispenser de se prononcer au sujet du contenu de ce petit livre.
Ayant défini Dieu comme "l'être tel que rien de plus grand ne peut être pensé", Anselme argumente que, si on affirmait que Dieu n'existe pas en réalité mais seulement dans notre pensée, comme idée, il serait possible de penser un être plus grand, qui aurait les mêmes caractéristiques mais qui, lui, existerait non seulement comme idée dans notre pensée, mais aussi en réalité. Et cet être serait Dieu, conformément à la définition initiale : l'être tel que rien de plus grand ne peut être pensé. Ainsi, en niant l'existence de Dieu tel que défini, on admet implicitement son existence, et donc on se contredit, on est "insensé". Et Anselme de conclure qu'il est raisonnable de croire en Dieu et que foi et raison sont compatibles. Il soutient qu'il est possible de concilier la foi et les principes de la logique et de la dialectique. À ses détracteurs, Anselme répondait que son traité reflétait parfaitement les doctrines de saint Augustin.
Il reprend de Platon l'idée que celui qui connaît la vérité connaît Dieu.
Sa définition la plus courte de la vérité est :
« La vérité est la rectitude qui seule est compréhensible par l’esprit (veritas est rectitudo mente solo perceptibilis)».
La rectitude rapportée à l’homme signifie selon lui que l’homme tout entier - avec sa pensée, son comportement, et sa volonté - se tourne vers l’éternel fondement qui est Dieu, et qu’il s’engage dans l’être juste qui rend possible la rencontre avec la vérité.
La foi est un don et un point de départ et aucun argument rationnel ne peut la renverser et la détruire, ni lui nuire. La raison vraie conduit nécessairement aux vérités de la foi. Celui qui cherche à comprendre si Dieu existe, peut comprendre ce principe parce qu’il se trouve dans son intelligence. Si l’on admet à présent que ce qui est plus parfait n’est pas seulement pensé mais qu’en plus, il existe en réalité a priori, alors doit exister nécessairement "ce qui est tel qu’on ne peut rien penser a priori de plus parfait". Saint Anselme étend l’argument en constatant que, d’après la définition de départ de Dieu la non-existence d’un tel être est inconcevable, car ce qui existe nécessairement, est plus parfait que quelque chose dont la non-existence peut être pensée, et qui existe donc par contingence. L’argument de Saint Anselme fut âprement discuté tout au long du Moyen Age.
Dans le Proslogion il définit Dieu comme : « ce qui est tel qu’a priori rien de plus grand (de plus parfait) ne peut être pensé ». Selon sa théologie, la connaissance, bien que nécessaire pour croire, n’est ni l’origine ni l’achèvement de la foi, car, à son tour, elle doit se transformer en amour et en contemplation de Dieu (Monologion). Mais c’est dans le Proslogion qu’Anselme pense atteindre ce but par l’argument de la preuve ontologique. Cette "preuve" est au point de départ de la controverse sur l’existence de Dieu qui traversa la philosophie jusqu’à Hegel et la théologie jusqu’à K. Barth (Dictionnaire Encyclopédique Larousse, 1979).
La prière toutefois passait avant tout le reste; l'aube le retrouvait fréquemment à genoux. Un jour le frère excitateur, allant réveiller ses frères pour le chant des Matines, aperçut dans la salle du chapitre, une vive lumière; c'était le saint abbé en prière, environné d'une auréole de feu.
Le Christ ne veut pas d'une esclave pour épouse; Il n'aime rien tant en ce monde que la liberté de Son Église.
Avec la mort de Lafranc, la situation de l'Eglise d'Angleterre devint de plus en plus difficile: le roi refusa de nommer des évêques à la tête des diocèses, il confisqua les biens ecclésiastiques, et les barons laïques ne furent pas épargnés.
Forcé par la voix du Ciel, le roi d'Angleterre, Guillaume le Roux (fils du Conquérant), le nomme archevêque de Cantorbéry en 1093; Anselme refuse obstinément; mais, malgré lui, il est porté en triomphe sur le trône des Pontifes. Huit mois après, il n'était pas sacré; c'est qu'il exigeait comme condition la restitution des biens enlevés par le roi à l'Église de Cantorbéry. Le roi promit; mais il manqua à sa parole; le siège de Cantorbéry resta vacant, et dès lors Anselme, inébranlable dans le maintien de ses droits, ne fut plus qu'un grand persécuté.
En qualité de primat d'Angleterre, il s'attaque à la corruption du clergé et à l'invasion du pouvoir laïque, au point de se trouver en conflit avec le roi Guillaume II "le Roux".
Il connut deux exils sous deux rois successifs.
Le motif du premier exil sous Guillaume le Roux fut la question de l'obéissance à l'égard du pape: d'après Anselme, c'était le Souverain pontife et non pas le roi qui devait lui remettre le pallium, symbole du pouvoir spirituel. Or, malgré l'insistance réitérée d'Anselme, le roi lui refusa la permission d'aller à Rome. À ce moment-là, Anselme se trouva devant le dilemme : obéir au roi, auquel il avait prêté serment de fidélité en tant que premier baron du royaume, ou obéir au pape, qui, seul, avait le pouvoir de lui donner les insignes du pontificat. Harcelé par les agents du roi et dépouillé de tous ses biens, Anselme quitta le port de Douvres. C'est ainsi qu'il commença son pèlerinage à travers toute l'Europe jusqu'à son arrivée à Rome, où le pape Urbain II l'accueillit avec des égards extraordinaires. Ce dernier le proclama hautement "héros de doctrine et de vertu; intrépide dans les combats de la foi."
Pendant son séjour italien, Anselme assista au concile de Bari, où il défendait l'orthodoxie face aux Grecs, ensuite au synode de Rome, qui renouvela les décrets contre la simonie, le concubinage des clercs et l'investiture laïque. Mais l'esprit d'Anselme cherchant le repos, il supplia le pape de le libérer de sa charge d'archevêque. En vain.
C'est alors dans son exil qu'il rédigera son célèbre ouvrage théologique, le Cur Deus homo ("Pourquoi Dieu s'est fait homme"), dans lequel il essaie de trouver des raisons nécessaires pour expliquer, face peut-être aux juifs ou aux musulmans, l'Incarnation du Verbe, problème qu'il n'avait abordé avec sa méthode ni dans le Monologion ni dans le Proslogion. L’alliance entre Dieu et l’homme, brisée par le péché originel de ce dernier, est restaurée par la venue de Jésus sur terre, précisément parce qu’il est Dieu et homme. (1098) Anselme montre qu’il est impossible à l’homme, s’il est laissé à lui-même, de faire réparation du péché commis par Adam et Ève contre Dieu. Mais Dieu lui-même prend l’initiative de la réconciliation en se faisant homme parmi les hommes en la personne de Jésus-Christ.
Son exil se prolongea encore et il quitta l'Italie pour être accueilli par son ami Hugues, archevêque de Lyon. Partout, lors de son passage, les gens se précipitaient pour voir et écouter Anselme, cet homme charismatique. De Lyon, il visita les communautés religieuses de la région. C'est ainsi qu'il se rendit à Cluny, à La Chaise-Dieu, où il apprit le décès de Guillaume le Roux. Le frère de ce dernier, Henri Beauclerc (Henri Ier), invita Anselme à reprendre son siège archiépiscopal tout en lui promettant de respecter les lois de l'Église. (1100)
Quand Anselme apprit la mort tragique de Guillaume dans une partie de chasse, il s'écria en fondant en larmes: "Hélas! J'eusse donné ma vie pour lui épargner cette mort terrible!". Anselme put revenir en Angleterre, vivre quelques années en paix sur son siège, et il vit refleurir la religion dans son Église.
Mais une nouvelle crise éclata bientôt entre le nouveau roi et Anselme. Cette fois-ci l'enjeu était l'investiture laïque. Le roi se fit sacrer par l'un de ses évêques, sans attendre l'arrivée du primat d'Angleterre, auquel incombait le sacre du roi. Renforcé dans ses convictions durant son séjour romain, Anselme n'entendait point céder au roi, car il s'agissait d'une chose sacrée ne relevant pas du domaine temporel. En 1103, Anselme partout de nouveau en exil et se rendit à Rome. Puis, en revenant, il alla voir à Blois la comtesse Adèle, soeur d'Henri Ier, qu'il croyait gravement malade, et il lui confia son intention d'excommunier ce dernier pour avoir entravé la liberté de l'Église en Angleterre et l'exercice de la fonction primatiale de l'archevêque de Cantorbéry. Alerté par sa soeur et craignant les conséquences politiques graves de l'excommunication dans son royaume, le roi se précipita pour rencontrer Anselme à L'Aigle. Il renonça alors à l'investiture et promit son obéissance au pape. Mais, toujours rusé et intrigant, il décida d'envoyer des messagers à Rome pour gagner du temps et pour différer ainsi son renoncement à l'hommage qu'Anselme exigeait également pour rendre aux évêques leur pleine liberté spirituelle à l'égard du pouvoir temporel. Le pape Pascal II trancha et, vu le changement de comportement d'Henri, il autorisa les évêques à prêter l'hommage au roi. La décision romaine ouvrit la voie à une réconciliation définitive entre Anselme et le roi Henri. Celui-ci promit de rendre toute liberté à l'archevêque et de lui restituer tous ses biens ainsi que ceux d'autres ecclésiastiques qu'il avait confisquer pour financer une campagne militaire destinée à étendre son pouvoir sur le continent en arrachant la Normandie à son frère Robert.
Cependant, une maladie grave empêcha Anselme de regagner son siège primatial après trois années d'absence pendant lesquelles l'Église avait été soumise aux pires persécutions: confiscations des biens du clergé, emprisonnements, tortures d'un grand nombre de prêtres, exactions et spoliations continuelles, tandis que les agents du rois 'installaient dans les évêchés et les monastères. Anselme, malgré plusieurs rechutes, reprit des forces petit à petit. Le roi lui rendit visite au Bec, puis il lui confia l'administration de la Normandie. Une fois rétablie, Anselme regagna enfin Cantorbéry. Ses relations avec Henri s'amélioraient si bien que ce dernier, pendant son expédition militaire sur le continent, remit entre les mains d'Anselme le gouvernement du royaume.
Saint Anselme disait à ses moines :
Prenez modèle sur les anges du ciel et imitez en tout la vie des anges. Que cette contemplation soit votre maîtresse, que cette considération soit votre règle.
Assomption avec saints (Saint Anselme est le deuxième à partir de la gauche), Pier Francesco Foschi, Second moitié du XVIe s., Florence, dans Rosa Giorgi, Le Petit Livre des Saints, Larousse, Tolède 2006, p. 241-242.
À son retour l'an 1106, âge de 73 ans, Anselme dut se remettre au travail pour mettre de l'ordre dans cette Église ravagée par tant d'années de désordres et de persécutions. Cette fois, le roi lui prêta la main : le concile de Londres (1107), en présence du roi Henri et d'Anselme, abolit définitivement l'investiture royale et laïque, mais il statua également que la consécration épiscopale ne devait pas être refusée à quiconque pour avoir prêté hommage au roi.
Affaibli, épuisé, Anselme quitta ce monde à Cantorbéry, à l'aube du Mercredi saint, le 21 avril 1109 à 76 ans.
Il a été déclaré docteur de l'Église en 1720. On le représente en habits épiscopaux.
NOM : vient de l'ancien allemand et signifie "protégé de Dieu".
"Tel temps à la Saint-Anselme, tel temps pendant une semaine."
Dans l'incarnation de Dieu, il n'y a pas d'abaissement de la Divinité ; mais nous croyons que la nature de l’homme est exaltée.
Sources : (1) ; (2) ; (3) ; (4) ; (5) ; (6) ; (7) Le Petit Livre des Saints, Éditions du Chêne, tome 2, 2011, p. 14-15; (8) Rosa GIORGI, Le Petit Livre des Saints, Larousse, Tolède 2006, p. 241-242 ; (9) Dictionnaire des saints et Grands témoins du christianisme, Sous la direction de Jean-Robert ARMOGATHE et André VAUCHEZ, CNRS Éditions, Paris 2019, pp. 63-68.