Suite à l'article "Que répondre à un Témoin de Jéhovah", voici un extrait du livre de Raymond Franz (ancien membre du Collège central des Témoins de Jéhovah, excommunié en 1981) : "Crise de conscience, la lutte entre la loyauté envers Dieu et la loyauté envers une religion" (2003), p. 300 à 321.
L'auteur, repenti de ses erreurs, évoque les fluctuations doctrinales de la religion dite des "Témoins de Jéhovah", notamment s'agissant de la fin de temps annoncé pour 1914 par C.T. Russell (1852-1916), fondateur de la Tour de garde (Watchtower society) à Brooklyn (USA).
L'auteur présente l'évolution fluctuante de l'interprétation de cette prophétie . Il évoque "le mal causé" qui a été fait (et est toujours fait) à des générations d'adeptes auxquels le Collège central des TJ enseignait "l'urgence" de 1914, sans qu'aucune demande de pardon ou d'excuses n'ait été réalisée par l'organisation envers les personnes trompées par des "prédictions apocalyptiques avortées". Il parle de la part des autorités, de "lâcheté morale" et de dénégations. Aujourd'hui quand vous discutez avec un Témoin de Jéhovah il vous souient que 1914 n'est pas une prophétie de fin des temps mais un point de départ. Quoiqu'il en soit, pendant un siècle, il y a eu toutes les interprétations possibles s'agissant de la fin des temps annoncée pour 1914.
En 1877, Charles Taze Russell et Nelson H. Barbour prédirent la fin des temps pour 1914 : Le royaume du Christ régnera sur la terre entière dès 1914. Les Juifs, considérés encore comme le peuple élu, seront rétablis à la faveur de Dieu; les «saints» seront emportés au ciel (C. T. Russell et N. H. Barbour, Les trois mondes (angl.), 1907.).
En 1891, Russel prédit que 1914 sera l'extrême limite du règne des hommes imparfaits (Charles Taze Russell, Le temps est proche, 1891).
Partant de ces prédictions, Raymond Franz explique :
« Plus de trois décennies, l’année 1914 fut désignée comme le point final des prophéties chronologiques de l’organisation de la Watch Tower. Aujourd’hui, depuis environ huit décennies, cette même date sert de point de départ à la prophétie qui est la motivation principale créant “l’urgence” dans les activités des Témoins de Jéhovah.
Probablement aucune autre religion des temps modernes n’est aussi dépendante et n’a autant investi dans une seule date. La revendication de l’organisation des Témoins de Jéhovah à être l’unique canal sur terre et l’instrument de Dieu et du Christ est inséparablement liée à cette date, car on affirme qu’en cette année-là, le Christ a commencé sa “présence invisible” en tant que nouveau roi intronisé, et qu’il a ensuite inspecté les nombreuses religions de ce monde et choisi celle qui était associée à la Watch Tower pour le représenter devant l’humanité entière. Par conséquent, il a reconnu et approuvé ce même groupe comme étant la classe de “l’esclave fidèle et avisé” qu’il a mis à la tête de tous ses biens terrestres. Le Collège Central des Témoins de Jéhovah y puise sa revendication d’autorité, se présentant comme la partie administrative de la classe de “l’esclave fidèle et avisé”. Supprimez 1914 ainsi que sa prétendue signification, et le fondement de son autorité s’évaporerait quasi complètement.
Il est évident que le Collège Central a ressenti une grande gêne quant à cette prophétie majeure.
La période attribuée à son accomplissement s’est révélée embarrassante, parce que trop
courte et trop étroite pour couvrir les choses annoncées. Chaque année qui passe ne fait
qu’accentuer le malaise ressenti.
Depuis les années 1940, les publications de la Watch Tower ont présenté les paroles de Jésus Christ, “En vérité je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive” comme ayant commencé à s’appliquer en cette année 1914. On parlait de la “génération de 1914” et elle était présentée comme se référant à la période pendant laquelle l’accomplissement final des “prophéties des derniers jours” prendrait place et un nouvel ordre apparaîtrait.
Dans les années 40, on pensait qu’une “génération” couvrait une période d’environ 30 à 40 ans. Ceci concordait avec l’insistance continuelle portée sur l’extrême brièveté du temps qui restait. Il y avait au moins quelques cas bibliques qui pouvaient être cités à l’appui (Voir par exemple, Nombres 32 :13).
Cependant, avec l’arrivée des années 1950, la période de temps couverte par cette définition était en réalité écoulée. Il fallait “l’allonger”, et donc la définition fut changée dans La Tour de Garde du 15 avril 1953 pages 127. Pour la première fois, on définissait la période couvrant une “génération” comme la durée d’une vie entière, donc pas seulement 30 ou 40 ans, mais 70, 80 ans ou plus.
Cela semblait donner, momentanément, un intervalle de temps confortable au cours duquel les prédictions annoncées pourraient se produire. Toutefois, les années s’écoulant, l’application du terme “génération de 1914” connut d’autres ajustements et d’autres définitions. Veuillez noter les déclarations soulignées dans ce passage tiré d’un article du périodique Réveillez-vous! du 8 avril 1969 (pages 13,14) :
“Jésus parlait manifestement des témoins des évènements qui se produiraient au commencement des 'derniers jours', mais des témoins qui auraient l'âge de comprendre ces évènements. Il voulait dire que certaines personnes vivant au moment de l'apparition du signe des derniers jours, seraient encore en vie, quand Dieu mettrait un terme au présent ordre des choses.
Même si nous supposons que des adolescents de quinze ans étaient à même de comprendre la signification des évènements de 1914, les plus jeunes membres de 'cette génération' auraient aujourd'hui près de 70 ans. Par conséquent, la plus grande partie de la génération dont Jésus parlait est déjà passée, puisque ces gens sont morts. Ceux qui vivent encore sont âgés. Cependant, n'oublions pas que Jésus déclara que la fin du monde inique arriverait avant que cette génération ne passe. Il faut donc en conclure que peu d'années nous séparent de la fin prédite”.
Lorsque le périodique Réveillez-Vous! examinait ce sujet il y a plus de trente ans, aux jours d’avant 1975, on mettait l’accent sur la rapidité avec laquelle la génération de 1914 disparaîtrait entièrement, et sur le peu de temps restant à cette génération. Si en 1968 un Témoin de Jéhovah avait suggéré que tout pourrait continuer encore pendant trente ans ou plus, on aurait estimé qu’il faisait preuve d’une mauvaise attitude, révélatrice d’une foi bien peu solide.
Après 1975, toutefois, on accentua autre chose. On s’efforçait maintenant de montrer que la durée de la génération de 1914 n’était pas aussi limitée qu’on le pensait, et qu’elle pourrait être bien plus longue.
Donc, à présent, La Tour de Garde du 1er janvier 1979 (page 31) parlait , non de “ceux qui avaient été témoins et comprenaient ce qui avait eu lieu” en 1914, mais de ceux qui “étaient en mesure d’observer” les événements qui avaient commencé cette année-là. La simple observation est certainement différente de la compréhension.
Logiquement, cela pourrait réduire la limite d’âge minimum de ceux formant “cette génération”.
Continuant sur cette voie, deux ans plus tard, La Tour de Garde du 15 janvier 1981 citait un article du magazine US News and World Report, qui suggérait que dix ans pourrait être l’âge où les événements commençaient à marquer “de façon durable la mémoire d’un individu”.
L’article disait ensuite que si cela était vrai, “il y a aujourd’hui plus de 13 millions d’Américains qui se souviennent de la Première Guerre mondiale”.
Ainsi, des enfants plus jeunes peuvent “se souvenir”, sans vraiment “comprendre”, ce qui était réservé aux jeunes d’au moins 15 ans, dans le Réveillez-Vous! de 1968. (En fait, la Première Guerre mondiale dura jusqu’en 1918, et la participation américaine ne commença qu’en 1917. Donc l’âge de 10 ans suggéré dans la revue d’informations citée, ne s’appliquait pas forcément à 1914).
Bien que différents systèmes de mesure aient pu faire gagner une année par-ci, par-là, toujours est-il que la génération de la période de 1914 diminuait très rapidement, le taux de mortalité étant toujours plus élevé parmi les personnes les plus âgées. Le Collège Central en était conscient, car le sujet fut abordé à plusieurs reprises.
Ce fut le cas pendant la session du Collège du 7 juin 1978. Des facteurs antérieurs menèrent à cette discussion. Albert Schroeder, membre du Collège Central, avait distribué une copie d’un rapport démographique des Etats-Unis. Les données indiquaient que moins de un pour cent de la population qui était sortie de l’adolescence en 1914 était encore en vie en 1978. Mais un autre facteur attira plus encore l’attention: il s’agissait de déclarations faites par Schroeder alors qu’il visitait certains pays d’Europe.
Des rapports étaient arrivés à Brooklyn, disant qu’il avait suggéré à d’autres personnes que l’expression “cette génération”, telle que Jésus s’en servait dans Matthieu 24 :34, s’appliquait à la génération des “oints”, et tant que l’un d’entre eux était encore vivant, cette “génération” ne disparaîtrait pas. Ceci bien sûr était contraire à l’enseignement de l’organisation et n’avait pas été autorisé par le Collège Central.
Lorsque le sujet fut débattu, après le retour de Schroeder, l’interprétation qu’il avait suggérée fut rejetée et il y eut un vote pour qu’une “Questions des Lecteurs” soit publiée dans un prochain numéro de La Tour de Garde, réaffirmant la doctrine courante au sujet de “cette génération”. (Voir la Tour de Garde du 1er janvier 1979)
Ce qui est intéressant, c’est qu’on ne fit absolument aucun reproche à Schroeder pour avoir avancé cette opinion non autorisée et contradictoire lorsqu’il était en Europe.
Ce sujet vint à nouveau sur le tapis durant les sessions du 6 mars et du 14 novembre 1979. Puisque l’attention était centrée sur le sujet, je fis des photocopies des vingt premières pages des documents envoyés par l’ancien suédois, Carl Olof Jonsson, qui relataient en détail l’histoire des spéculations chronologiques et révélaient la source véritable du calcul des 2520 ans et de la date 1914. Chaque membre du Collège reçut une copie. A part un commentaire en passant, ils ne jugèrent pas nécessaire d’en discuter.
Lyman Swingle, chef du Service Rédaction, était déjà familiarisé avec ces données. Il attira l’attention du Collège sur quelques-unes des déclarations dogmatiques et appuyées qui étaient parues en 1922 dans plusieurs numéros de La Tour de Garde, et en lut quelques passages à haute voix à tous les membres. Il dit qu’il était trop jeune en 1914 (seulement 4 ans) pour s’en souvenir [Des membres du Collège central à l'époque, seulement Fred Frantz (maintenant décédé) était sorti de l'adolescence en 1914, il avait alors 21 ans. Quant aux membres, Karl Klein (décédé en 2001) et Carey Barber avaient 9 ans, Lyman Swingle (également décédé en 2001) avait 4 ans, Albert Schroeder 3 ans, Jack Barr 1 ans. Quant à Lloyd Barry (décédé en 1999), Dan Sydlick, Milton Henschel, Ted Jaracz et Gerrit Lösch, ils n'étaient pas encore nés, leur naissance ayant eut lieu après 1914. Il en est d'ailleurs de même pour les quatre nouveaux membres du Collège central]. Mais qu’il se rappelait parfaitement des discussions qui avaient eu lieu chez lui à propos de 1925. Et qu’il savait aussi ce qui s’était passé en 1975. Il dit que personnellement il ne souhaitait pas être induit en erreur à propos d’une autre date.
Au cours de la session, j’ai fait ressortir que 607 avant notre ère, la date de départ des calculs de la Société, n’était soutenue par aucune preuve historique. En ce qui concerne 1914 et la génération vivant alors, je posai la question suivante : Si l’enseignement traditionnel de l’organisation est exact, comment est-il possible d’appliquer les paroles de Jésus aux personnes qui vivaient en 1914? Il a dit: “Quand vous verrez ces choses arriver, sachez qu’il est proche,” et “quand ces choses commenceront à arriver, redressez-vous et relevez la tête, parce que votre délivrance approche”. Les publications affirmaient régulièrement que le début de l’application de ces paroles était l’année 1914, et qu’elles concernaient les Chrétiens qui vivaient en 1914. Mais si c’est le cas, à qui, parmi eux, s’adressaient-elles ? A ceux qui avaient alors 50 ans? Ces personnes, si elles sont encore en vie auraient (au moment de la discussion en 1979) 115 ans. A ceux qui avaient 40 ans? Ils auraient 105 ans. Même ceux qui avaient 30 ans auraient 95 ans, et ceux sortant juste de leur adolescence auraient 85 ans en 1979. (Et même ceux-là auraient plus de 100 ans s’ils vivaient encore aujourd’hui).
Alors si ces paroles grisantes, ‘redressez-vous et relevez la tête, parce que votre délivrance approche, aux portes’ s’appliquaient vraiment aux personnes vivant en 1914, et que cela voulait dire qu’elles pourraient espérer voir la fin, raisonnablement, cette annonce excitante devrait être tempérée en disant : “Oui, vous la verrez, peut-être—à condition que vous soyez maintenant très jeunes et que vous viviez une très, très longue vie”. Je leur ai donné l’exemple de mon père qui était né en 1891 et qui n’était qu’un jeune homme de 23 ans en 1914. Il a vécu non pas 70, ou 80 ans, mais 86 ans. Il y avait deux ans qu’il était décédé à ce moment-là, et était mort sans avoir vu se produire les choses prédites.
J’ai demandé au Collège: si les paroles de Jésus s’appliquaient à 1914, est-ce que les seules personnes qui pouvaient espérer les voir s’accomplir étaient des adolescents ou des enfants encore plus jeunes?
Je n’ai reçu aucune réponse précise.
Plusieurs d’entre eux cependant, ne cessèrent d’exprimer leur appui pour les enseignements relatifs à “cette génération” et la date de 1914. Lloyd Barry dit sa consternation de voir des doutes persister au sein du Collège au sujet de cet enseignement. Quant aux déclarations que Lyman Swingle avait lu dans les Tour de Garde de 1922, il dit qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter, qu’elles étaient “la vérité présente” pour les frères à cette époque. (L’expression “vérité présente” était populaire au temps de Russell et de Rutherford et trouvait sa source dans une traduction incorrecte de 2 Pierre 1 :12. La Traduction du Monde Nouveau donne une version plus exacte, “la vérité qui est présente en vous”.)
En ce qui concernait l’âge avancé de la génération de 1914, il indiqua que dans certaines régions de l’Union Soviétique, il y avait des gens qui vivaient jusqu’à 130 ans. Il insista sur la nécessité de présenter un front uni devant les frères pour qu’ils continuent d’entretenir le sentiment de l’urgence. D’autres exprimèrent le même point de vue.
Plus tard, lorsque le Président de la réunion me donna la parole, je fis remarquer que nous ne devrions pas oublier que ce qui est enseigné aujourd’hui comme “vérité présente” pourrait, avec le temps, devenir une “vérité passée”, et que la “vérité présente” qui remplace cette “vérité passée” pourrait être elle-même remplacée par une “vérité future”. Il me semblait que le mot “vérité” employé ainsi était dénué de sens.
Un ou deux membres du Collège dirent que si l’explication actuelle n’était pas juste, quelle était alors l’explication des paroles de Jésus?
Comme la question semblait m’être adressée, je répondis que je pensais qu’il y avait une explication en harmonie avec les Ecritures et les faits, mais que si quelque chose devait être présenté, ce ne pouvait être simplement une idée “sous l’impulsion du moment”, mais quelque chose de soigneusement recherché et pesé. Je dis que je pensais qu’il y avait des frères capables d’accomplir ce travail, mais qu’ils auraient besoin de l’autorisation du Collège Central. Le Collège Central souhaitait-il que ce soit fait? Il n’y eut pas de réponse, et la question en resta là.
A la fin de la discussion, à l’exception de quelques-uns, les membres du Collège firent savoir qu’ils pensaient que la date de 1914 et l’enseignement qui en découle concernant “cette génération” devraient continuer à être mis en avant. Le Coordinateur du Comité de Rédaction, Lyman Swingle, fit le commentaire suivant: “D’accord, si c’est ce que vous voulez faire. Mais vous savez bien, pour finir, que pour tout ce qui concerne 1914, les Témoins de Jéhovah ont tout reçu—sans exception—des Seconds Adventistes”.
L’une des choses les plus troublantes peut-être pour moi, était de savoir que l’organisation encourageait les frères à garder une confiance inébranlable dans cette interprétation, et qu’il y avait à la tête de l’organisation, des hommes qui eux-mêmes avaient révélé qu’ils n’avaient pas entière confiance dans les prédictions basées sur la date de 1914.
Pour donner un exemple notable, lors de la session du 19 février 1975, au cours de laquelle le Collège Central écouta un enregistrement d’un discours de Fred Franz à propos de 1975, une discussion suivit concernant l’incertitude des prophéties chronologiques. Nathan Knorr, Président à l’époque, dit ceci:
- Je sais certaines choses—Je sais que Jéhovah est Dieu, que Jésus-Christ est son Fils, qu’il a donné sa vie en rançon pour nous, qu’il y a une résurrection. Il y a d’autres choses dont je ne suis pas aussi sûr. 1914—Je ne sais pas. Il y a longtemps que nous parlons de 1914. Nous avons peut-être raison, et j’espère que c’est le cas. (Cela ne semble pas avoir été une simple pensée passagère de la part du Président Knorr, car ce même point de vue avait été exprimé avec pratiquement les mêmes mots par l’un de ses proches parmi les plus intimes, George Couch. Les connaissant tous les deux, il est plus vraisemblable que Couch ait acquis ce point de vue de Knorr plutôt que le contraire.)
Pendant cette session, la discussion portait principalement sur la date de 1975, il était donc surprenant que la date beaucoup plus fondamentale de 1914 soit citée dans ce contexte. La remarque a déjà été faite: les paroles du Président n’ont pas été prononcées au cours d’une conversation privée, mais devant le Collège Central réuni en session.
Avant la discussion majeure concernant 1914 (durant la réunion plénière du 14 novembre 1979), le Comité de Rédaction du Collège, au cours d’ une réunion de comité, avait discuté de l’opportunité de continuer à mettre l’accent sur 1914 (Le Comité de Rédaction était alors composé de Lloyd Barry, Fred Franz, Raymond Franz, Karl Klein et Lyman Swingle). Pendant la discussion du comité, il fut suggéré que nous pourrions, au moins, nous abstenir “d’imposer” cette date. Je me souviens que Karl Klein nous rappela qu’il était parfois d’usage tout simplement de ne plus mentionner un certain enseignement pendant quelques temps, de ce fait si on faisait un changement, cela ne ferait pas une aussi forte impression.
Fait remarquable, le Comité de Rédaction vota à l’unanimité de suivre ce conseil dans les publications au sujet de 1914. Toutefois, cette position a été de courte durée, puisque la réunion plénière du Collège Central du 14 novembre 1979 avait bien fait comprendre que la majorité préférait continuer de mettre l’accent sur cette date.
Lors d’un voyage en Afrique Occidentale en 1979, j’ai réalisé que les questions soulevées sur cette doctrine ne se limitaient pas à Brooklyn. Au Nigéria, deux membres du Comité de la Filiale du
Nigéria et un missionnaire de longue date m’emmenèrent voir un terrain que la Société avait acheté pour y construire un nouveau Bureau de Filiale. Durant le trajet de retour, j’ai demandé quand ils comptaient pouvoir emménager dans le nouveau bâtiment. Ils répondirent, qu’avec le défrichage du terrain, l’approbation des plans et l’obtention des permis nécessaires, et ensuite la construction elle-même, l’aménagement ne pourrait pas se faire au moins avant 1983.
J’ai demandé alors, “est-ce que les frères locaux posent des questions au sujet du temps écoulé depuis 1914?” Il y eut un moment de silence, et le Coordinateur de Filiale répondit : “Non, les frères nigérians posent rarement des questions de ce genre. Mais NOUS, nous le faisons.” Presque aussitôt, le missionnaire dit, “Frère Franz, se pourrait-il que la référence à “cette génération” faite par Jésus, s’adressa seulement aux personnes du temps passé, qui ont vu la destruction de Jérusalem? Si c’était le cas, tout semblerait correspondre.
Il était évident que dans son esprit, la doctrine enseignée ne semblait pas être aussi claire. J’ai seulement répondu que cela pouvait être une possibilité, mais qu’il n’y avait pas grand-chose de plus à ajouter. A mon retour, j’ai rapporté cette conversation au Collège Central car pour moi c’était la preuve que les questions existaient dans les pensées d’hommes à travers le monde, des hommes respectés et occupant d’importantes positions d’autorité. Les commentaires faits par ces hommes au Nigéria et la façon dont ils les ont faits, indiquaient clairement qu’ils avaient discuté de ce point entre eux bien avant ma visite.
Peu de temps après mon retour d’Afrique, au cours d’une session du Collège Central, le 17 février 1980, Lloyd Barry exprima encore une fois ses sentiments sur l’importance de la doctrine concernant 1914 et “cette génération”. Lyman Swingle dit que les explications publiés en 1978 dans une “Questions des lecteurs”, n’avait pas résolu le problème dans l’esprit des frères. Albert Schroeder rapporta que dans l’école de Galaad et certains séminaires de Comités de Filiales, des frères disaient qu’on avançait à présent 1984 comme nouvelle date possible, 1984 venant soixante-dix ans après 1914 (on accorda une signification spéciale au nombre 70). Le Collège décida de débattre encore de 1914 lors de la session suivante. (Contrairement à ce que certains prétendent, le Collège Central lui-même n’a jamais donné d’importance à la date de 1984, et si je me souviens bien, cette occasion fut la seule où cette date a été mentionnée, et uniquement suite à des rumeurs.)
Le Comité du Président composé d’Albert Schroeder (président), Karl Klein et Grant Suiter produisit un document très insolite. Ils en distribuèrent une copie à chaque membre du Collège. En bref, ces trois hommes suggéraient que, plutôt que de s’appliquer à ceux qui vivaient en 1914, l’expression “cette génération” commençait à s’appliquer en 1957, quarante-trois ans plus tard!
Voici le document tel qu’il nous fut soumis par ces trois membres du Collège Central :
TRADUCTION :
Aux membres du Collège Central - - A l’ordre du jour, mercredi 5 mars 1980
Question : Qu’est “cette génération (genea’)”? (Mt. 24 :34; Mr. 13 :30; Luc 21 :32)
TDNT (nombreux commentaires) dit : genea’“emporte principalement le sens de
contemporains”. Vol.1, p. 663
La plupart disent que genea’ diffère de genos; genos signifie progéniture, peuple, race. Voir TDNT Vol. 1 p. 685 (genos dans 1 Pierre 2 :9)
La réponse peut être liée à la question dans Mt. 24 :33. Quelle est la signification de “Quand vous verrez toutes ces choses”?
Le Commentaire de Lange (Vol.8) suggère que “ces choses” ne font pas allusion à 70 de notre ère, ni à la parousia en 1914, mais aux versets 29, 30, le phénomène céleste que nous voyons maintenant a commencé avec l’âge spatial à partir de 1957. Dans ce cas, ce serait la génération contemporaine vivant depuis 1957.
Trois Sections
Le Commentaire de Lange divise le chapitre 24 de Mathieu en “trois cycles”
Son 1er cycle—Mat. 24 :1-14
2e cycle—Mat. 24 :15-28
3e cycle—Mat.24 :29-44 (synteleia ou conclusion)
(Voir Vol. 8, p. 421, 424 et 427)
Basé sur Mathieu 24 :3, question en trois parties.
La Tour de Garde et Le Royaume millénaire de Dieu s’est approché (ka) ont maintenant aussi divisé Mat. 24 en trois parties, si l’on peut dire.
(1) Mat. 24 :3-22. A des accomplissements parallèles dans le premier siècle et à notre époque depuis 1914. (Voir TdG 75 p. 273, ka p. 205)
(2) Mat. 24 :23-28. Période menant à la parousia du Christ en 1914. (Voir TdG 75, p.
275)
(3) Mat. 24 :29-44. “Phénomènes célestes” ont une application littérale depuis le début de l’âge spatial en 1957 et comprend erkhomenon du Christ (qui vient comme exécuteur des hautes oeuvres au début de la “grande tribulation”.
(Voir TdG 75, p.276, par.18; ka pages 323 à 328.
“Toutes ces choses” devrait être placé dans le contexte des articles les plus proches indiqués dans le signe composite, c’est-à-dire, les phénomènes célestes des versets 29 et 30.*
Si cela est vrai :
“Cette génération” ferait référence à l’humanité contemporaine assez âgée pour être informée à partir de 1957.
* Confirmé par les pensées de C.T. Russell dans le Commentaire Beréen, page 217 :
“Genea, personnes contemporaines témoins des signes mentionnés” ci-dessus. Vol. 4, p. 604
Comité du Président, 3/3/80
1957 fut l’année marquée par le lancement du premier Spoutnik russe dans l’espace, Manifestement, le Président du Comité eut le sentiment que cet événement pourrait être accepté comme le début de l’accomplissement de ces paroles de Jésus:
Le soleil sera obscurci, et la lune ne donnera plus sa lumière, et les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébrnlées,Le soleil sera obscurci, et la lune ne donnera pas sa lumière, et les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées. (Matthieu 24 :29)
Leur conclusion, basée sur l’application de ces paroles, était :
Donc, “cette génération” ferait référence à l’humanité contemporaine, assez âgée pour être informée, à partir de 1957.
Les trois membres du comité ne suggéraient pas d’abandonner 1914. Cette date continuerait à représenter “la fin du temps des Gentils”. Mais “cette génération” ne commencerait pas avant 1957.
Etant donné la diminution rapide du nombre de ceux qui formaient la génération de 1914, cette nouvelle application de la phrase s’avérerait certainement plus utile que le fait de savoir qu’il y a des personnes qui vivent 130 ans dans certaines régions de l’Union Soviétique. Comparée à la date de 1914, cette nouvelle date de départ ajouterait 43 ans à la période comprise dans l’expression “cette génération”.
Pour qu’une recommandation puisse être présentée devant tout le Collège, les usages du Collège Central imposent que les membres du Comité devaient être d’accord à l’unanimité, (sinon, le point de vue litigieux devait être soumis au Collège pour être tranché). Les trois membres du Comité du Président, Schroeder, Klein et Suiter ont donc dû adopter cette idée originale à l’unanimité.
Si aujourd’hui on posait des questions sur cette présentation, je pense que la réponse serait, “Oh, c’était seulement une suggestion”. C’est possible, mais c’était une suggestion faite très sérieusement. Et pour qu’Albert Schroeder, Karl Klein et Grant Suiter la présentent au Collège Central, il fallait qu’ils soient profondément résolus à voir ce changement s’effectuer. Si leur croyance et leur conviction dans cet enseignement de longue date de la Société au sujet de “cette génération” avaient été fortes, fermes et sans équivoque, ils n’auraient certainement jamais présenté cette nouvelle interprétation.
Le Collège Central n’a pas accepté ce nouveau point de vue proposé par ces membres. Les commentaires montraient que la plupart le jugeait fantaisiste. Cependant, il n’en reste pas moins que des membres du Collège Central, Schroeder, Klein et Suiter, avaient présenté leur idée comme une proposition sérieuse, révélant qu’eux-mêmes manquaient de conviction quant à la solidité de l’enseignement existant à ce propos.
Malgré toute cette évidence démontrant que l’opinion était partagée quant à la légitimité des affirmations concernant 1914 et la “génération de 1914”, l’organisation “prophète” continua de publier des déclarations hardies, positives et énergiques sur ce sujet, comme s’il s’agissait d’ un fait biblique établi. Et tous les Témoins de Jéhovah étaient encouragés à placer toute leur confiance dans ce message et à le transmettre à d’autres dans le monde entier. Dans un effort évident pour calmer l’inquiétude provoquée par la diminution dans les rangs de la génération de 1914, la même Tour de Garde (15 janvier 1981, page 31) qui donnait à entendre que l’âge limite des membres de cette génération pouvait être réduit à dix ans, disait aussi :
Et même si le système méchant du présent monde se prolongeait jusqu’à la fin du siècle – ce qui est fort improbable quand on considère les tendances mondiales et la façon dont les prophéties se réalisent –il resterait encore des représentants de la génération de la Première Guerre Mondiale. Cependant, le fait que leur nombre diminue est une preuve de plus que la “conclusion du système de choses” avance à grands pas vers son point final.
Cela avait été écrit en 1980. Vingt ans plus tard, au tournant du siècle, ceux qui avaient dix ans en 1914 auraient eu 96 ans ; néanmoins, certains d’entre eux pourraient encore être en vie, et manifestement, cela suffisait à satisfaire aux paroles de Jésus—si on acceptait l’idée que Jésus adressait en particulier ses paroles aux enfants de dix ans.
Ceci illustre à quelles extrémités l’organisation était prête, afin de s’en tenir à sa définition de la “génération de 1914”. D’autres années passèrent et on ne parlait plus maintenant de “ceux qui avaient dix ans”, mais on se référait simplement “à ceux qui vivaient en 1914”, ou quelque chose d’approchant. Cela bien sûr permettait d’inclure des nouveaux-nés dans la “génération de 1914”. Mais avec l’arrivée des années 1990 et le troisième millénaire à la porte, même cet “ajustement dans la compréhension” n’offrait qu’un répit passager au problème. Même un nouveau-né en 1914 friserait les 90 ans en l’an 2000.
Une chose est certaine, je trouvais personnellement incroyable le raisonnement employé au sein du Collège Central. Je trouvais tragique qu’une prophétie chronologique puisse être annoncée au monde comme un fait solide auquel les gens pouvaient et devaient se fier en toute confiance, sur lequel ils devaient fonder leurs espoirs et leurs projets d’avenir, alors que ceux qui la publiaient, savaient que dans leur collège collectif, il n’y avait pas l’unanimité ou une conviction ferme et véritable quant à la véracité de cet enseignement. Peut-être leur attitude devient-elle plus compréhensible quand on connaît entièrement le contexte des décennies d’établissement et déplacement de dates par l’organisation.
Ce que je trouve encore plus incroyable, c’est que les membres du Comité du Président, Albert Schroeder, Karl Klein et Grant Suiter, moins de deux mois après avoir soumis leur nouvelle idée pour “cette génération”, décidaient que l’enseignement concernant le début de la présence du Christ en 1914 était une des doctrines décisives pour déterminer si des individus (y compris les membres du personnel du siège mondial) étaient coupables d’apostasie et méritaient donc l’exclusion. Et cela tout en sachant parfaitement qu’à peine quelques mois auparavant, ils avaient eux-mêmes remis en question la doctrine corollaire sur “cette génération”. Mais ce point sera traité dans le chapitre suivant.
Pendant un demi-siècle, l’organisation avait promulgué le concept d’une “génération de 1914”, et durant toute cette période, on était conscient que la longueur de “cette génération” était comme un lit trop court pour être confortable, et les raisonnements dont on se servait pour couvrir ce “lit” doctrinal ressemblaient à un drap tissé trop étroit et incapable de chasser les froides vérités de la réalité.
Les dirigeants avaient fait de nombreux ajustements, et maintenant il ne leur restait que peu d’options. La date de 1957 marquant le début de “cette génération”, proposée par Schroeder, Klein et Suiter, semblait être un choix improbable. Il y avait l’idée d’Albert Schroeder d’appliquer cette expression à la classe des “oints” (idée qui courait dans l’organisation depuis longtemps), et qui offrait certains avantages—il y a toujours de nouvelles personnes (parfois assez jeunes) qui chaque année décident pour la première fois d’appartenir à la classe des “oints”. Cela offrirait donc une extension de temps pratiquement illimitée pour l’enseignement de “cette génération”.
Il y avait une autre option. Ils pourraient reconnaître l’évidence historique plaçant la destruction de Jérusalem vingt ans plus tard que la date de la Société en 607 avant notre ère. Ainsi le Temps des Gentils se terminerait vers 1934 (si on se sert de leur interprétation des 2520 ans). Mais on avait accordé une telle importance à 1914, et comme je l’ai indiqué, une si grande partie de la superstructure doctrinale y était attachée, que cela semblait être une mesure peu probable.
Les signes inévitables d’un autre “ajustement de compréhension” commencèrent à paraître dans La Tour de Garde du 15 février 1994. Le début de l’application des paroles de Jésus à propos des “signes dans le soleil, la lune, et les étoiles, et sur la terre angoisse des nations”, était déplacé de 1914 à un point situé après le début de la “grande tribulation”. De même, ‘le rassemblement de ceux qu’il a choisi depuis les quatre vents`, dont le commencement était annoncé pour 1919, était maintenant transféré à une date future, après le début de la “grande tribulation”. Chacune des positions abandonnées avaient été enseignées pendant environ cinquante ans. (Voir La Tour de Garde du 15 juillet 1946 (anglais), un exemple parmi tant d’autres.)
Bien qu’annoncés comme une “nouvelle lumière”, les changements ne faisaient que rapprocher les enseignements de la Watch Tower de la compréhension présentée il y a très longtemps par ceux que l’organisation nomme avec dédain “les exégètes de la Chrétienté.”
En septembre 1994, le huitième tirage de Crisis of Conscience discutait de La Tour de Garde du 15 février 1994 et de l’application de certaines parties de Mathieu 24 qui avait été déplacée au début de la “grande tribulation”. Dans cette discussion, j’avais inclus les pensées suivantes :
Ce qui est peut-être le plus remarquable, c’est que l’expression “cette génération” –sur laquelle La Tour de Garde attire constamment l’attention et que l’on trouve dans Mathieu 24 :34 et Luc 21 :32 – n’est citée nulle part dans ces articles, et brille par son absence. Il est difficile de dire si l’organisation va maintenant être en mesure de transférer Mathieu 24 :29-31 sur un point
après le début de la future “grande tribulation” et quand même continuer à appliquer la déclaration
de Jésus, trois versets plus loin, à propos de “cette génération”, à la période de temps commençant en 1914. Mais comme cela a été démontré, il est raisonnable de penser que le Collège Central serait heureux d’avoir un moyen de se dérober à cette position de plus en plus difficile à soutenir, créée par la liaison de l’expression “cette génération” (et les paroles qui l’accompagnent disant “qu’elle ne passera pas avant que tout cela ne soit arrivé”), à la date de 1914 qui s’éloigne de plus en plus.
Il reste à voir si cette nouvelle interprétation sert simplement à préparer le terrain pour un changement crucial dans l’application de l’expression “cette génération”. Sans doute la façon la plus souhaitable de s’en sortir, serait de trouver une explication qui maintient à la fois 1914 comme “le début des derniers jours” et en même temps séparer l’expression “cette génération” de cette date. Comme je l’ai noté, l’organisation ne peut sûrement pas abandonner complètement 1914 sans ébranler une multitude d’enseignements basés sur cette date. Mais si l’expression “cette génération” pouvait être détachée de 1914 et appliquée à une date non précisée dans une période future, alors le passage du temps, l’arrivée du troisième millénaire en l’an 2001, et même l’approche de l’année 2014, ne seraient peut-être pas trop difficile à expliquer, surtout à des membres habitués à accepter tout ce que la classe de “l’esclave fidèle et avisé” et son Collège Central peuvent leur présenter.
Comme je le disais, cette information avait été publiée en septembre 1994. A peine treize mois plus tard, La Tour de Garde du 1er novembre 1995 publiait des articles où on trouvait à peu de chose près ce qui avait été avancé dans l’édition de 1994 de Crisis of Conscience. Comme prévu, ils détachaient l’expression “cette génération” (Mathieu 24:34) de la date de 1914, mais conservaient à cette date une signification biblique marquée.
Dans ce texte, on l’a fait en donnant une nouvelle définition au sens du mot “génération” . Il y a environ soixante-quinze ans, le périodique L’Age d’Or du 20 octobre 1926 (anglais) associait les
paroles de Jésus sur “cette génération” à la date de 1914 (comme d’autres Tour de Garde l’ont fait par la suite). Quelque vingt-cinq ans plus tard, le 1er juin 1951, La Tour de Garde, page 235, (anglais) disait à propos de 1914, “En conséquence, notre génération est la génération qui verra
le début et la fin de toutes ces choses, y compris Harmaguédon”. Dans la publication du 1er juillet 1951, page 404, (anglais) “cette génération” était à nouveau associée à 1914. On disait de Mathieu 24:34 :
Voici la signification véritable de ces mots, sans doute possible : elle garde son sens habituel comme dans Marc 8 :12 et Actes 13 :36 ou concerne ceux qui vivent au cours de la période donnée.
Et on ajoutait :
Cela signifie donc qu’à partir de 1914 une génération ne passera pas sans que tout soit accompli et dans une grande période de trouble.
Par la suite, pendant plus de quarante ans, les publications de la Watch Tower ont continué à attribuer un sens temporel à la “génération” de Mathieu 24:34. La génération vieillissante de 1914 était sans cesse donnée en exemple comme preuve du peu de temps qui reste.
Cependant, dans la définition révisée, on explique que la “génération”, plutôt que d’avoir des paramètres de limitation dans le temps, ou un point de départ fixe, est plutôt identifiée, non par rapport au temps mais qualitativement par ses caractéristiques, semblable à la “génération méchante et adultère” du temps de Jésus. On dit aujourd’hui que “cette génération” est composée de “ceux qui sur terre voient le signe de la présence du Christ, mais refusent de changer leur conduite”.
Toutefois 1914 n’est pas abandonné ; l’organisation ne pourrait le faire sans démanteler la structure théologique majeure et les doctrines distinctives de la religion. 1914 demeure la date prétendue de l’intronisation du Christ dans les cieux, le début de sa seconde présence invisible, et aussi le commencement des “derniers jours”. Et cette date se trouve toujours, quoique d’une façon indirecte, dans la nouvelle définition de “cette génération”, puisque le “signe de la présence du Christ”—que ceux qui sont condamnés voient mais rejettent ou ignorent—a commencé à être soi-disant visible dans le monde entier après 1914.
Quelle est donc l’importante différence? Maintenant, pour qu’une personne puisse prétendre faire partie de “cette génération”, elle n’a plus besoin d’avoir été en vie en 1914. N’importe qui peut voir les signes supposés de la présence du Christ n’importe quand, même si c’est pour la première fois dans les années 1990, ou pendant le troisième millénaire et tout de même revendiquer son appartenance à “cette génération”. Cela donne à l’expression la possibilité d’une date de départ fluctuante, et réduit considérablement la nécessité d’expliquer la période de temps embarrassante qui s’est écoulée depuis 1914, et la rapide diminution dans les rangs des personnes qui étaient en vie à cette date.
L’évidence la plus représentative de ce changement peut être observée dans le but du périodique
Réveillez-vous! Jusqu’au 8 octobre 1995 on pouvait lire:
« Le but de Réveillez-vous !Réveillez-vous !S'adresse à chaque membre de la famille. Il montre comment faire face aux problèmes de notre époque. Il informe, parle des usages propres à divers peuples et traite de sujets religieux et scientifiques. Mais il ne s'en tient pas là. Il va au fond des choses et dégage le sens réel des évènements, tout en gardant sa neutralité politique et son impartialité radicale. Par dessus-tout, ce périodique donne de solide raisons de croire que le Créateur réalisera ses promesses en instaurant, avant la fin de la génération qui a vu les évènements de 1914, un nouveau système de choses où régneront la paix et la sécurité véritables »
La mention “ce périodique donne de solides raisons de croire que le Créateur réalisera ses promesses en instaurant, avant la fin de la génération qui a vu les événements de 1914” apparu chaque année à partir de 1982 jusqu’au 8 octobre 1995.
Le 22 octobre 1995 l’énoncé fut modifié comme suit:
« Le but de Réveillez-vous !Réveillez-vous !S'adresse à chaque membre de la famille. Il montre comment faire face aux problèmes de notre époque. Il informe, parle des usages propres à divers peuples et traite de sujets religieux et scientifiques. Mais il ne s'en tient pas là. Il va au fond des choses et dégage le sens réel des évènements, tout en gardant sa neutralité politique et son impartialité radicale. Par dessus-tout, ce périodique donne de solide raisons de croire que le Créateur réalisera ses promesses en instaurant très bientôt un monde nouveau de paix et de sécurité qui remplacera l'actuel système de choses méchant et sans loi. »
Toute référence à 1914 est maintenant supprimée, preuve probante de ce changement crucial, et qui indique aussi que “le Créateur” a manqué à sa “promesse” liée à la génération de 1914.
Il reste à voir l’effet que ce changement produira. J’imagine que ceux qui vont en ressentir le plus amplement les effets, ce sont les membres les plus anciens et les plus âgés qui avaient embrassé l’espoir de ne pas mourir avant que leurs espérances d’un accomplissement total des promesses faites par Dieu se réalisent. Proverbe 13 :12 dit :“l’espoir différé [attente différée TMN] rend le cœur malade, le désir comblé, c’est un arbre de vie !” TOB. Quelle que soit la profondeur de la déception que ces personnes éprouvent aujourd’hui, la responsabilité du Créateur n’est pas en jeu, mais elle relève d’hommes qui ont implanté et nourri en eux de faux espoirs liés à une date.
Les plus jeunes, ou ceux qui sont arrivés récemment, ne vont probablement pas ressentir aussi sévèrement l’impact de ce changement. Il est enveloppé dans un langage qui ne fait aucun aveu d’erreur de la part de l’organisation, mais qui voile ce changement par des expressions telles que “compréhension progressive” et “lumière avancée”. Ceux qui sont arrivés récemment ne sont peut-être pas au courant de la forte insistance avec laquelle, pendant des décennies, le concept de “la génération de 1914” a été avancé, et à quel point on le présentait positivement, comme une indication certaine de “la proximité de la fin”. Ils ne peuvent réaliser la manière dont l’enseignement de “la génération de 1914” était présenté sans appel, non comme d’origine humaine, mais d’origine divine; non des prédictions chronologiques basées sur des promesses humaines, mais sur les “promesses de Dieu”. Ce lien implicite, pendant quarante ans, de Dieu et de sa Parole, un concept qui, maintenant s’est avéré faux, ne fait qu’augmenter la responsabilité. Ce qui fait penser aux paroles de Jéhovah dans Jérémie 23:21:
Je n’ai pas envoyé les prophètes [et] pourtant ils ont couru. Je ne leur ai pas parlé, [et] pourtant ils ont prophétisé.
Seule une décision du Collège Central a pu opérer ce changement. Comme je l’ai montré, le point essentiel avait déjà été soulevé dans les années 1970. On peut se demander quelles sont les pensées du Collège Central aujourd’hui, et s’ils se sentent responsables. Chaque membre du Collège connaissait à l’époque, comme maintenant, les antécédents de l’organisation en ce qui concerne les indications de dates et les prédictions. L’excuse invoquée au fil des publications, c’est le “fervent désir des Témoins de Jéhovah de voir se réaliser l’accomplissement des promesses de Dieu de leur vivant”, comme s’il n’était pas possible d’éprouver un aussi fort désir sans présumer de l’emploi du temps de Dieu, ou faire des prédictions et les attribuer à Dieu, en les basant sur sa Parole. Ils savent aussi que malgré des erreurs répétées, les dirigeants de l’organisation ont continué à donner de nouvelles prédictions à leurs membres. Les dirigeants savent qu’ils ont régulièrement refusé d’endosser l’entière responsabilité de leurs erreurs, et d’admettre qu’ils avaient purement et simplement tort. Ils ont cherché à protéger leur image et leur autorité en s’efforçant de faire croire que les erreurs étaient commises par l’ensemble des membres.
Dans un article intitulé “Les promesses de Dieu sont-elles dignes de confiance” paru dans le Réveillez-vous! du 22 juin 1995, page 9, on pouvait lire:
« Les Étudiants de la Bible, connus depuis 1931 sous le nom de Témoins de Jéhovah, ont pensé également que de merveilleuses prophéties bibliques se réaliseraient en 1925. Ils présumaient que cette année-là débuterait la résurrection sur la terre et que reviendraient ainsi à la vie des hommes fidèles du passé, tels Abraham, David et Daniel. Plus récemment, beaucoup de Témoins ont conjecturé que 1975 verrait peut-être se déclencher les événements devant marquer le début du Règne Millénaire du Christ. Leur attente reposait sur l’idée que le septième millénaire de l’histoire de l’humanité commencerait cette année-là. »
La Tour de Garde du 1er novembre 1995 qui révélait le nouvel enseignement quant à “cette génération” suivait la même tactique et disait (page 17):
« Impatients de voir la fin du système inique, les serviteurs de Jéhovah se sont parfois perdus en conjectures sur le moment où surviendrait la “grande tribulation”, ce qui les a amenés à chercher à calculer la durée de vie d’une génération existant depuis 1914. Toutefois, ce n’est pas en nous livrant à des conjectures sur le nombre d’années ou de jours que compte une génération que nous ‘introduirons un cœur de sagesse’, mais plutôt en réfléchissant à la façon de “compter nos jours” en louan joyeusement Jéhovah (Psaume 90 :12). Le mot “génération” tel que Jésus l’a utilisé ne fournit pas un étalon servant à mesurer le temps, mais désigne avant tout les gens vivant à une certaine époque historique et les traits qui les caractérisent. »
Les dirigeants rejettent donc vraiment leur responsabilité et donnent de pieux conseils aux adeptes au sujet de leurs perspectives spirituelles, comme si c’était leur point de vue spirituel erroné qui était à l’origine du problème. Ils ne veulent pas avouer que les adeptes n’y sont pour rien et qu’ils mettent leurs espoirs dans certaines dates, uniquement parce que les dirigeants de l’organisation leur fournissent des informations clairement destinées à attiser de tels espoirs, et que les dates mentionnées, toutes les ‘suppositions’, les ‘conjectures’, les ‘spéculations’ et les ‘calculs’ liés à ces dates, provenaient, non pas des adeptes, mais des dirigeants. C’est comme si une mère disait de ses enfants qui ont une indigestion, “Ils n’ont pas fait attention à ce qu’ils mangeaient”, alors que les enfants ont simplement mangé ce que leur mère leur a servi. Et elle ne les a pas seulement servi, mais aussi insisté afin qu’ils reconnaissent que cette nourriture est saine et relève d’une alimentation supérieure, qui ne pouvait être obtenue nulle part ailleurs, au point que tout signe de mécontentement quant à ce qu’on leur donnait à manger susciterait des menaces de punition.
Les hommes qui composent aujourd’hui le Collège Central savent tous que depuis que les divers enseignements de l’organisation liés à la date de 1914 ont été en vigueur, toutes questions ou désaccord pouvaient entraîner et entraînaient l’exclusion. Ils savent que ce “cœur de sagesse”, sur lequel on met à présent l’accent dans les articles de La Tour de Garde—une sagesse qui évite les spéculations basées sur des dates et qui se concentre plutôt pour vivre simplement chaque jour qui passe pour Dieu—est exactement cette même sagesse que certains membres du personnel du siège mondial de Brooklyn ont essayé de communiquer, et que c’est leur prise de position dans ce domaine qui a été la base principale de l’accusation qui les a conduit à être déclarés “apostats”. Je ne sais pas ce qu’en pensent aujourd’hui les membres du Collège Central impliqués. Je peux seulement dire que si j’avais pris part à la présentation de cette nouvelle interprétation, et au refus manifeste de reconnaître la responsabilité d’avoir sérieusement induit en erreur et mal jugé d’autres Chrétiens sincères, je ne vois pas comment je pourrais ne pas ressentir un sentiment de lâcheté morale.
Il est difficile de ne pas être frappé par le contraste entre cette attitude et celle adoptée par une autre religion coupable d’avoir fait des prédictions chronologiques semblables, l’Eglise Universelle de Dieu. Suite au décès de son leader de longue date, Herbert W. Armstrong, vers la fin des années 1980, la nouvelle direction publia un article dans le magazine principal de la religion, La pure Vérité dans l’édition de mars/avril. L’article était intitulé “Pardonne-nous nos offenses” et commençait ainsi : “l’Eglise Universelle de Dieu, l’éditeur de La pure Vérité, a changé sa position concernant de nombreuses croyances et pratiques durant les quelques années passées”.
Elles étaient énumérées et l’article (anglais) continuait ainsi :
« En même temps, nous étions vivement conscients du lourd héritage de notre passé.
Notre compréhension doctrinale défectueuse voilait le simple Evangile de Jésus-Christ et a conduit à diverses conclusions erronées et à des pratiques non scripturales. Nous avons bien des raisons de nous repentir et de présenter des excuses.
Nous portions jugement et étions satisfaits de nous – condamnant d’autres Chrétiens, les traitant de “soi-disant Chrétiens” et “instruments de Satan”.
Nous imposions à nos membres une méthode de vie chrétienne basée sur les œuvres. Nous exigions l’adhésion à des réglementations accablantes du code de l’Ancien Testament. Nous gouvernions l’Eglise d’une façon extrêmement légaliste.
Notre ancienne approche de l’ancien testament entretenait des attitudes d’exclusion et de supériorité plutôt que l’enseignement du nouveau testament sur la fraternité et l’unité.
Nous accordions trop d’importance aux prédictions prophétiques et aux spéculations prophétiques, minimisant le véritable évangile de salut par Jésus-Christ.
Ces enseignements et ces pratiques sont cause d’immense regret. Nous sommes douloureusement conscients de la peine et de la souffrance qui en ont résultées.
Nous étions dans l’erreur. Nous n’avons jamais eu l’intention de tromper qui que ce soit. No