La "nouvelle politique économique de la Russie" soulève selon nous quelques dangers qui n'ont pas été relevés ni décrits par l'économiste Jacques Sapir dans son résumé de la « nouvelle politique économique de la Russie », qui fut, lundi 24 juin à Paris, le thème du séminaire Franco-Russe, sur les « problèmes financiers du développement de la Russie » présentée par Victor V. Ivanter, directeur de l’Institut de Prévision de l’Économie Nationale – Académie des Sciences de Russie.
Ce séminaire s'est fixé des objectifs de grande ampleur, comme «vaincre la pauvreté» par une « forte croissance » et une « hausse de la productivité pour amener la Russie à la hauteur des autres pays développés »... Déjà quand on nous annonce ça, c'est que cela ne sent pas très bon... Cet objectif de vaincre la pauvreté fait penser aux ambitions modernes d'élimination des inégalités par le totalitarisme jacobin ou bolchévique. Hors ces inégalités et les écarts de richesse n'ont jamais été aussi importants que depuis 1789 ! La pauvreté a toujours existé, jamais aucun système humain ne l'éradiquera. Et lorsque un système a tenté de le faire cela s'est toujours terminé par un génocide et la régression des droits de la personne. Tout au plus peut-on, à la suite du Christ, éduquer les riches à donner aux pauvres et axer la culture sur l'adage médiéval « Nos seigneurs les pauvres »...
D'autre part, quand on sait ce qu'est devenu la liberté en Occident (néo-esclavagisme par la dette, mères porteuses, destruction de la famille, néo-colonialisme...), il est capital que la Russie post-bolchévique ne suive pas le modèle emprunté par l'Occident consistant pour l'Etat à financer son fonctionnement (paiement du fonctionnement des services de l'Etat) par la dette et qu'elle ne suive pas non plus le mauvais exemple des interventions des banques centrales occidentales sur le marché qui ne diffèrent pas dans le principe des interventions soviétiques sur le marché durant l'Urss...
Ce séminaire a rappelé celui qui a été tenu en septembre 1998.
- « La Russie, à cette époque, avait connu le défaut et la dévaluation, mais aussi le début d’une nouvelle politique économique. Aujourd’hui nous allons aussi connaître une nouvelle politique économique mais heureusement sans crise majeure. Et cette nouvelle politique est d’une certaine manière le couronnement de celle qui l’a précédée. La Russie a vaincu durant ces dix dernières années la misère mais pas la pauvreté. L’objectif de vaincre la pauvreté est bien plus difficile et implique la poursuite d’une forte croissance et d’une hausse de la productivité pour amener la Russie à la hauteur des autres pays développés. »
Ce séminaire a
- « une certaine importance dans la définition de la nouvelle politique économique. Car, dans cette nouvelle politique, la dimension financière sera importante. En principe notre économie n’est pas différente dans ses principes des économies européennes. Mais, les caractéristiques de notre économie sont néanmoins différentes. Ainsi, le taux de chômage relativement faible en Russie ne signifie pas que notre situation soit bonne.
- Nous avons un problème de pauvreté qui touche les personnes ayant un emploi (salariés pauvres). Ceci s’explique par la différence de la productivité du travail entre la Russie et l’Europe et les États-Unis.
- Il y a 3 facteurs explicatifs :
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L’écart technologique dans le capital fixe. Cet écart peut être réduit relativement rapidement par l’investissement. Mais il implique aussi un effort d’investissement dans la formation des opérateurs des nouvelles machines. Il faut ici signaler qu’il y a un déficit de la main-d’œuvre qualifiée en Russie.
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La présence d’un emploi excédentaire dans les activités demandant peu de qualifications, lié à des salaires qui restent faibles. Ce niveau des salaires décourage l’introduction des nouvelles techniques. Ceci implique aussi que l’on améliore le niveau d’organisation du travail (au sens large) et ceci doit être mis en place par les entrepreneurs.
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Le facteur social est aussi important. Pour liquider le sur-emploi il faut dans le même temps créer de nouveaux emplois. Ceci implique aussi un fort niveau d’investissements, et une forte croissance. Or ceci se heurte à la volonté de thésauriser les revenus des exportations.
- La crise de 2008-2009 a été très différente en Russie, car les ménages ont été préservés de la crise. L’utilisation d’une partie des revenus a permis de traverser la crise. Aujourd’hui la situation est devenue en un sens plus sérieuse. La croissance est en train de s’arrêter. La croissance du passé a été payée par le déclin des dépenses de réparation. Et aujourd’hui nous n’avons plus le choix. Nous devrons remplacer une partie de nos infrastructures. Et ceci nous coûtera 2% du PIB. Si nous ne faisons rien, alors, à terme, le coût pour l’économie pourrait être plus élevé de 50%, soit être de l’ordre de 3% du PIB par an. Nous voyons bien que la question essentielle est celle des investissements. »
- Cette question est à la base de la nouvelle politique économique qui est discutée et qui sera mise en œuvre probablement à la fin de cette année. L’Institut est très engagé dans la définition de cette politique.
- Le départ de M. Koudrine du Ministère des Finances a signalé la fin de l’ancienne politique économique, mais n’a pas déclenché en tant que tel cette nouvelle politique économique. Ce n’est que depuis le début de 2013 que la décision a été prise. La décision a donc été prise d’utiliser l’argent du « Fonds pour les Générations Futures ».
- Ces dépenses devront et seront étroitement contrôlées par la Présidence dans le cadre de nos institutions.
- Lors du Forum de Saint-Pétersbourg il a été décidé d’engager des fonds importants (à hauteur de 13 milliards d’Euros) dans 3 projets qui ne sont que le début de cette politique :
- Restructuration du Transsibérien.
- La construction d’une ligne TGV Moscou-Kazan .
- Construction d’une 3ème périphérique autour de Moscou.
- Ces projets viennent s’inscrire dans la continuité avec des projets déjà en cours.
- Dans les projets liés aux Jeux Olympiques et à la Coupe du Monde sont parfois contestés mais il y a dans ces projets une très forte dimension d’investissements en infrastructures et pas seulement pour le sport. Donc, ces projets d’infrastructures seront faits et serviront l’économie dans son ensemble. Ils ne sont pas du gaspillage, même si des détournements de fonds peuvent survenir et sont survenus.
- La question se pose ensuite de l’investissement privé. Il dépend largement du taux de marge car les capacités d’emprunts des entreprises (sauf les plus importantes) sont relativement faibles. Les banques russes sont engagées dans des opérations d’investissement mais essentiellement au profit des très grandes entreprises, et elles empruntaient sur les marchés occidentaux dans ce but.
- Les banques semblent disposer à accroître leur niveau de crédit et à servir les entreprises de taille moyenne. Mais cela pose le problème des ressources financières des banques. Aujourd’hui les taux d’intérêts sauf présence de collatéraux à forte liquidité sont de l’ordre de 16-18%.
- Ces taux découragent la plus grande part des industries et des entreprises. Et l’on est toujours dans une situation très anormale pour le financement de l’activité économique. De plus la Banque Centrale de Russie (BCR, NdCR.) ne joue pas son rôle de « prêteur en dernier ressort ». Ceci est dû tant à la structure du système bancaire qu’au statut de la BCR.
- La question réelle posée est celle de la politique financière prise dans sa globalité. On a pris la décision d’autoriser le refinancement des obligations liées à l’économie par la BCR. Mais quels sont les obstacles ? Si l’on donne de l’argent à notre économie il faut que les banques puissent comprendre ce que sont les activités qu’elles financent. Or, les banques ont perdu cette capacité qui existait du temps soviétique.
Le séminaire préconise donc de
- « créer des structures d’évaluation des projets au profit des banques, que ces structures soient externes ou internes par rapport aux banques.
- La nouvelle politique économique, qui va être mise en place dans les mois à venir, et elle sera marquée par une priorité donnée à l’investissement. Mais il faudra en un sens planifier ce changement. Cette politique sera accompagnée d’une hausse modeste du revenu des ménages. Elle permettra cependant d’atteindre des niveaux de productivité comparables à ceux des principaux pays européens à l’horizon 2020 ce qui assurera par la suite une hausse bien plus forte du revenu réel des ménages dans les années 2020-2030 nous permettant d’éradiquer la pauvreté. »
(Fin de citation)
A ce rythme, la banque pourrait bien remercier Poutine ! A suivre...
- Empire: La banque s'inquiète du retour de Poutine (28 septembre 2011)