Le pape François était ce mardi à Strasbourg une visite éclair de quatre heures pour s'exprimer devant le Parlement européen et le Conseil de l'Europe. Il a défendu la sacralité de la personne humaine, la promotion de la "dignité de la personne", et la "promotion des droits humains".
Dans l'Eglise, beaucoup attendaient de voir le Pape formuler des critiques contre les idéologies en vigueur, et pas simplement se contenter prudemment d'exhortations générales. Dommage qu'il n'ait pas eu un mot pour la défense des plus pauvres: les enfants, attaqués par le "mariage" homosexuel, le "droit" à l'adoption et les fascistes de la théorie du genre.
François a affirmé que sa visite, survenant "plus d’un quart de siècle après celle accomplie par le Pape Jean Paul II", "beaucoup de choses ont changé depuis lors, en Europe et dans le monde entier. Les blocs opposés qui divisaient alors le continent en deux n’existent plus." Il n'a sans doute pas dû suivre les évènements en Ukraine depuis un an où se commet un nouveau génocide soutenu et financé par l'Union européenne, les Etats-Unis et les organisations internationales (ONU, Banque mondiale, FMI).
François a néanmoins fait une critique implicite des atteintes à la liberté d'expression et à la dignité de la personne dont les droits sont mis "au bénéfice d'intérêts économiques."
"Quelle dignité existe vraiment, quand manque la possibilité d’exprimer librement sa pensée ou de professer sans contrainte sa foi religieuse ?
... Promouvoir la dignité de la personne signifie reconnaître qu’elle possède des droits inaliénables dont elle ne peut être privée au gré de certains, et encore moins au bénéfice d’intérêts économiques."
Il a précisé sa pensée, estimant que la liberté individuelle est indissociable du bien commun.
"Il y a en effet aujourd'hui la tendance à une revendication toujours plus grande des droits individuels, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, presque comme une « monade » (μονάς), toujours plus insensible aux autres « monades » présentes autour de soi. Au concept de droit, celui - aussi essentiel et complémentaire - de devoir, ne semble plus associé, de sorte qu’on finit par affirmer les droits individuels sans tenir compte que tout être humain est lié à un contexte social dans lequel ses droits et devoirs sont connexes à ceux des autres et au bien commun de la société elle-même."
...Parler de la dignité transcendante de l’homme signifie donc faire appel à sa nature, à sa capacité innée de distinguer le bien du mal, à cette « boussole » inscrite dans nos cœurs et que Dieu a imprimée dans l’univers créé (Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 37.) ; cela signifie surtout de regarder l’homme non pas comme un absolu, mais comme un être relationnel."
Dans un article « Le Pape François, la laïcité et les racines chrétiennes de l'Europe », le philosophe Thibaud Collin explique que Jean-Paul II, dans un discours un an jour pour jour avant la chute du mur de Berlin, dressait la carte de ce que serait un ordre politique juste pour une Europe des nations libres. Le pape philosophe affirmait ainsi avec force:
«La vie publique, le bon ordre de l'Etat reposent sur la vertu des citoyens, qui invite à subordonner les intérêts individuels au bien commun, à ne se donner et à ne reconnaître pour loi que ce qui est objectivement juste et bon. Déjà les anciens Grecs avaient découvert qu'il n'y a pas de démocratie sans assujettissement de tous à la loi, et pas de loi qui ne soit fondée sur une norme transcendante du vrai et du juste. Dire qu'il revient à la communauté religieuse, et non à l'Etat, de gérer «ce qui est à Dieu», revient à poser une limite salutaire au pouvoir des hommes, et cette limite est celle du domaine de la conscience, des fins dernières, du sens ultime de l'existence, de l'ouverture sur l'absolu, de la tension vers un achèvement jamais atteint, qui stimule les efforts et inspire les choix justes. Toutes les familles de pensée de notre vieux continent devraient réfléchir à quelles sombres perspectives pourrait conduire l'exclusion de Dieu de la vie publique, de Dieu comme ultime instance de l'éthique et garantie suprême contre tous les abus du pouvoir de l'homme sur l'homme.»
Jean-Paul II parlait donc l'Europe à partir de son expérience des deux totalitarismes et des défis inédits que la démocratie avait à relever dans une époque marquée par «la mort de Dieu».
Que peut donc signifier la venue du Pape dans une telle enceinte? Elle est en elle-même la révélation que l'Europe a encore quelque chose à recevoir de cette vieille religion dont elle est issue: l'espérance que la destinée des personnes et des sociétés passe par l'accueil d'un don plus grand qu'elles. En effet, si l'homme veut être sa propre mesure, il se replie sur lui-même et sème le désordre, l'égoïsme et ultimement la désolation.
L'eurodéputé Jean-Luc Mélenchon, franc-maçon qui a la haine de la loi naturelle et organise le diviser pour mieux régner plutôt que la défense du Bien commun, a adressé mardi matin sur son blog une lettre au pape François dans laquelle il a exprimé son désaccord sur la venue du souverain pontife:
"Monsieur le pape, votre place à la tribune du Parlement ne peut s'accepter dans le cadre d'une session officielle de notre assemblée", écrit le co-président du Parti de gauche.
"Cette impossibilité résulte de notre définition républicaine d'une assemblée de députés du peuple souverain. ... Vous avez la sagesse et la culture qui auraient dû vous permettre de prévoir que nombre d'entre nous seraient humiliés par un tel manquement aux règles de la laïcité indispensable d'un Parlement européen lorsqu'il inclut notamment des Français dont la loi interdit ce genre de confusion", précise-t-il.
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/11/24/01016-20141124LIVWWW00174-en-direct-suivez-la-visite-du-pape-en-france-a-strasbourg.php?pagination=1#nbcomments
Le Pape est le chef d'un état reconnu en tant que tel par l'Italie depuis 1929 avec la signature de l'accord de Latran (Le pape est reconnu comme le chef d'État temporel du Vatican, avec tous les pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire). Le "saint siège" dispose d'un siège d'État non membre observateur à l'ONU. C'est donc bien en référence à ce statut exceptionnel que le pape François s'exprime à Strasbourg. Aucune atteinte à la "laïcité" là-dedans comme le dit Jean-Luc Mélenchon.
Pour illustrer le vide et le défaut engendré par la société moderne qui ne conçoit l'homme que comme "un absolu", dépourvu de liens relationnels, François a pris l'exemple d'"une des maladies" qu'il voit la plus répandue aujourd'hui en Europe", "la solitude" et à critiqué le mode de vie moderne des occidentaux, qualifié d'"un peu égoïste" et "caractérisé par une opulence désormais insoutenable et souvent indifférente au monde environnant, surtout aux plus pauvres".
"Une des maladies que je vois la plus répandue aujourd’hui en Europe est la solitude, précisément de celui qui est privé de liens. On la voit particulièrement chez les personnes âgées, souvent abandonnées à leur destin, comme aussi chez les jeunes privés de points de référence et d’opportunités pour l’avenir ; on la voit chez les nombreux pauvres qui peuplent nos villes ; on la voit dans le regard perdu des migrants qui sont venus ici en recherche d’un avenir meilleur."
... A cela s’ajoutent des styles de vie un peu égoïstes, caractérisés par une opulence désormais insoutenable (applaudissements) et souvent indifférente au monde environnant, surtout aux plus pauvres. On constate avec regret une prévalence des questions techniques et économiques au centre du débat politique, au détriment d’une authentique orientation anthropologique[Evangelii gaudium, n. 55.].
L’être humain risque d’être réduit à un simple engrenage d’un mécanisme qui le traite à la manière d’un bien de consommation à utiliser, de sorte que – nous le remarquons malheureusement souvent – lorsque la vie n’est pas utile au fonctionnement de ce mécanisme elle est éliminée sans trop de scrupule, comme dans le cas des malades en phase terminale, des personnes âgées abandonnées et sans soin, ou des enfants tués avant de naître." (applaudissements)
... Affirmer la dignité de la personne c’est reconnaître le caractère précieux de la vie humaine, qui nous est donnée gratuitement et qui ne peut, pour cette raison, être objet d’échange ou de commerce.
François a estimé que l'Europe devra à l'avenir "redécouvrir" le lien "vital" entre la transcendance, "qui a depuis toujours caractérisé l'homme européen", et sa "capacité pratique".
"L’avenir de l’Europe dépend de la redécouverte du lien vital et inséparable entre ces deux éléments. Une Europe qui n’a plus la capacité de s’ouvrir à la dimension transcendante de la vie est une Europe qui lentement risque de perdre son âme, ainsi que cet « esprit humaniste » qu’elle aime et défend cependant.
Précisément à partir de la nécessité d’une ouverture au transcendant, je veux affirmer la centralité de la personne humaine, qui se trouve autrement à la merci des modes et des pouvoirs du moment."
Le pape a défendu la conception chrétienne de la laïcité où la contribution de l'Eglise à la "formation socioculturelle du continent" ... "n’est pas un danger pour la laïcité des États ni pour l’indépendance des institutions de l’Union, mais au contraire un enrichissement. Les idéaux qui l’ont formée dès l’origine le montrent bien: la paix, la subsidiarité et la solidarité réciproque, un humanisme centré sur le respect de la dignité de la personne."
Il a invoqué les " racines religieuses " de l'Europe.
"Je désire donc renouveler la disponibilité du Saint Siège et de l’Église catholique – à travers la Commission des Conférences Épiscopales Européennes (COMECE) – pour entretenir un dialogue profitable, ouvert et transparent avec les institutions de l’Union Européenne. De même, je suis convaincu qu’une Europe capable de mettre à profit ses propres racines religieuses, sachant en recueillir la richesse et les potentialités, peut être plus facilement immunisée contre les nombreux extrémismes qui déferlent dans le monde d’aujourd’hui, et aussi contre le grand vide d’idées auquel nous assistons en Occident, parce que « c’est l’oubli de Dieu, et non pas sa glorification, qui engendre la violence »"[ Benoît XVI, Discours aux Membres du Corps Diplomatique, 7 janvier 2013.].
François a dénoncé les "totalitarismes du relativisme" :
"On court ainsi le risque de vivre dans le règne de l’idée, de la seule parole, de l’image, du sophisme… et de finir par confondre la réalité de la démocratie avec un nouveau nominalisme politique. Maintenir vivante la démocratie en Europe demande d’éviter les « manières globalisantes » de diluer la réalité : les purismes angéliques, les totalitarismes du relativisme, les fondamentalismes anhistoriques, les éthiques sans bonté, les intellectualismes sans sagesse" [Evangelii gaudium, n. 231.].
Il a salué l'engagement de l'Europe pour l'écologie.
"L’Europe a toujours été en première ligne dans un louable engagement en faveur de l’écologie. (applaudissements) Notre terre a en effet besoin de soins continus et d’attentions ; chacun a une responsabilité personnelle dans la protection de la création, don précieux que Dieu a mis entre les mains des hommes. Cela signifie, d’une part, que la nature est à notre disposition, que nous pouvons en jouir et en faire un bon usage ; mais, d’autre part, cela signifie que nous n’en sommes pas les propriétaires. Gardiens, mais non propriétaires. Par conséquent, nous devons l’aimer et la respecter, tandis qu’« au contraire, nous sommes souvent guidés par l’orgueil de dominer, de posséder, de manipuler, d’exploiter; nous ne la “gardons” pas, nous ne la respectons pas, nous ne la considérons pas comme un don gratuit dont il faut prendre soin»[François, Audience générale, 5 juin 2013.].
Respecter l’environnement signifie cependant non seulement se limiter à éviter de le défigurer, mais aussi l’utiliser pour le bien. Je pense surtout au secteur agricole, appelé à donner soutien et nourriture à l’homme. On ne peut tolérer que des millions de personnes dans le monde meurent de faim, tandis que des tonnes de denrées alimentaires sont jetées chaque jour de nos tables. (applaudissements) En outre, respecter la nature, nous rappelle que l’homme lui-même en est une partie fondamentale. À côté d’une écologie environnementale, il faut donc une écologie humaine, faite du respect de la personne, que j’ai voulu rappeler aujourd’hui en m’adressant à vous."
Sur la question migratoire, le Pape a estimé qu'"il faut savoir agir sur les causes et non seulement sur les effets".
"[I]l est nécessaire d’affronter ensemble la question migratoire. On ne peut tolérer que la Mer Méditerranéenne devienne un grand cimetière ! Dans les barques qui arrivent quotidiennement sur les côtes européennes, il y a des hommes et des femmes qui ont besoin d’accueil et d’aide. L’absence d’un soutien réciproque au sein de l’Union Européenne risque d’encourager des solutions particularistes aux problèmes, qui ne tiennent pas compte de la dignité humaine des immigrés, favorisant le travail d’esclave et des tensions sociales continuelles.
L’Europe sera en mesure de faire face aux problématiques liées à l’immigration si elle sait proposer avec clarté sa propre identité culturelle et mettre en acte des législations adéquates qui sachent en même temps protéger les droits des citoyens européens et garantir l’accueil des migrants ; si elle sait adopter des politiques justes, courageuses et concrètes qui aident leurs pays d’origine dans le développement sociopolitique et dans la résolution des conflits internes – cause principale de ce phénomène – au lieu des politiques d’intérêt qui accroissent et alimentent ces conflits. Il est nécessaire d’agir sur les causes et non seulement sur les effets. (applaudissements)
François a évoqué "une histoire bimillénaire lie l’Europe et le christianisme", "non exempte de conflits et d’erreurs et de péchés, mais toujours animée par le désir de construire pour le bien."
"Nous le voyons dans la beauté de nos villes, et plus encore dans celle des multiples œuvres de charité et d’édification commune qui parsèment le continent. Cette histoire, en grande partie, est encore à écrire. Elle est notre présent et aussi notre avenir. Elle est notre identité. Et l’Europe a fortement besoin de redécouvrir son visage pour grandir, selon l’esprit de ses Pères fondateurs, dans la paix et dans la concorde, puisqu’elle-même n’est pas encore à l’abri de conflits."
Le Pape a terminé son discours en appelant à la construction d'une "Europe qui tourne non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine" :
L’heure est venue de construire ensemble l’Europe qui tourne, non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine (applaudissements), des valeurs inaliénables ; l’Europe qui embrasse avec courage son passé et regarde avec confiance son avenir pour vivre pleinement et avec espérance son présent.
Le moment est venu d’abandonner l’idée d’une Europe effrayée et repliée sur elle-même, pour susciter et promouvoir l’Europe protagoniste, porteuse de science, d’art, de musique, de valeurs humaines et aussi de foi. L’Europe qui contemple le ciel et poursuit des idéaux ; l’Europe qui regarde, défend et protège l’homme ; l’Europe qui chemine sur la terre sûre et solide, précieux point de référence pour toute l’humanité !
Après un discours d'une demi-heure, le Pape a reçu une ovation des députés européens.
Après son discours au Parlement européen, le pape François est arrivé au Conseil européen où il a prononcé son second discours autour des mêmes thèmes développés au parlement.
La religion et société peuvent s'appuyer l'une sur l'autre, s'apporter mutuellement, plutôt que de s'opposer entre elles.
"C’est dans cette logique qu’il faut comprendre l’apport que le christianisme peut fournir aujourd’hui au développement culturel et social européen dans le cadre d’une relation correcte entre religion et société."
Le pape François a demandé au Conseil européen de prendre en compte le "chômage des jeunes", "une vraie hypothèque pour l’avenir ".
Les défis du monde contemporain imposent "l'accueil des migrants, qui ont besoin d’abord et avant tout de l’essentiel pour vivre, mais principalement que leur dignité de personnes soit reconnue."
Les pauvres "demandent non seulement le pain pour survivre, ce qui est le plus élémentaire des droits, mais ils demandent aussi à redécouvrir la valeur de leur propre vie" "et à retrouver la dignité conférée par le travail".
Une fois de plus longuement applaudi, le pape a mis un point final à son discours en terminant sur le respect des pauvres et la dignité du travail.
- Texte du Discours du Pape au Parlement Européen - 25 novembre 2014