Nombreux sont les catholiques et/ou les monarchistes qui, par le biais du suffrage universel, espèrent restaurer la cité traditionnelle ― ou au moins freiner la révolution. Il suffirait pour cela d’une campagne électorale, ou d’un “lobbying” bien mené. Difficile en effet de résister à la tentation de prendre l’adversaire à son propre piège, en utilisant l’arme qu’il met à notre disposition : le vote. Et pourtant, ce serait se méprendre tragiquement sur la nature de cette arme.
Il faut reconnaitre dans le Berbère saint Augustin l’un des principaux artisans de l’Occident chrétien, et son chef d’œuvre La Cité de Dieu, reste une référence essentielle aux sciences politiques. Dans cet ouvrage, l’évêque d’Hippone distingue deux cités :
Deux amours ont bâti deux cités ; l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu fit la cité terrestre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi fit la cité de Dieu.
Le médiéviste Lemarignier commente :
La cité de Dieu, c’est la cité des justes qui cherchent le royaume de Dieu avant de faire partie, dans le ciel, du nombre des élus. À cette cité de Dieu, civitas Dei, saint Augustin oppose la cité terrestre, civitas terrena, qui groupe ceux qui ne cherchent pas le Royaume de Dieu. Aux uns et aux autres, il a donné le nom mystique de “cité”… [Jean-François LEMARIGNIER, La France médiévale, Édition A. Colin, Paris, 2002, p.37.]
Avec l’avènement de la Modernité, l’amour de soi prend sa revanche, les Lumières le dotent d’un corpus doctrinal et politique qui produit un type de société inédit dans l’histoire de l’humanité : Dieu y est absent des institutions et relégué dans la sphère privée.
Comme un écho à la vieille distinction augustinienne, et pour rendre compte de l’apparition cette nouveauté, les sociologues, historiens et philosophes ont introduit les concepts d’hétéronomie et d’autonomie :
- La société hétéronome trouve sa justification, sa légitimité hors d’elle-même, dans la divinité ; Jean-Luc Chabot, juriste et professeur à l’Institut d’Études Politiques de Paris, précise :
Les sociétés dites hétéronomes fonctionnent […] sur la base d’un système de valeurs découlant d’un principe qui leur est à la fois extérieur et supérieur […], elles sont marquées par la transcendance de la divinité au regard de la vie humaine et de son organisation sociale. [ Jean-Luc CHABOT, Le nationalisme, col. Que Sais-Je, 1997, p.14.]
Tel est le cas de France monarchique où Jésus-Christ est reconnu institutionnellement vrai Roi par son lieutenant lors de la cérémonie du sacre. Cette société chrétienne mérite donc pleinement la qualification de cité de Dieu.
- La société autonome trouve sa justification, sa légitimité, en elle-même et en fin de compte, dans l’homme.
Au sein [des] sociétés d’Europe occidentale s’est développé à partir du XVIe siècle un dessein d’autonomie, non pas seulement du pouvoir civil par rapport au pouvoir ecclésiastique, mais bien plus fondamentalement de la société humaine prétendant se constituer en principe d’elle-même. Un tel propos visait implicitement à opérer un transfert de l’absolu de la transcendance religieuse au profit de l’immanence politique et sociale, à substituer une normativité fondée sur l’altérité religieuse par une normativité purement humaine, ayant une prétention à s’autolégitimer soit par la raison individuelle, soit par l’ordre social. [Jean-Luc CHABOT, Le nationalisme, col. Que Sais-Je, 1997, p.15.]
C’est le cas des sociétés issues des trois idéologies révolutionnaires de 1789 : le libéralisme, le nationalisme et le socialisme. Nous appellerons cette société inédite la cité de l’homme-dieu.
Deux conceptions de l’homme
Essentiellement, l’objet du combat entre ces deux cités, est une conception radicalement opposée de ce qu’est l’être humain et de sa place.
Pour le chrétien :
- Il existe une seule nature humaine à travers les âges. De la lecture des textes bibliques en passant par ceux de l’antiquité jusqu’à l’époque contemporaine, on constate que l’homme ne change pas : il se pose toujours les mêmes questions, éprouve les mêmes sentiments, il est toujours le siège des mêmes passions, des mêmes détresses et des mêmes espoirs.
- La morale naturelle est une science fondée sur l’observation du comportement humain. Son principe part du constat ― énoncé entre autres par Aristote ― que « l’homme est par nature un animal politique. » [ Aristote, La Politique.] Cette science étudie la hiérarchie dans les actes humains pour parvenir au bonheur maximum.
- L’intelligence de l’homme a été obscurcie par le péché originel, et à cause de ses passions, il est souvent tenté de justifier ses actes mauvais contre la morale naturelle. Pour l’aider à se repérer et grâce à la Révélation, Dieu ― son créateur ― lui a fait cadeau des dix commandements résumés dans le commandement d’amour de Dieu et du prochain.
- En tant que créateur, Dieu est la source du pouvoir : Jésus dit à Pilate « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir, s’il ne t’avait été donné d’en haut. » [St Jean, XIX,10–11] Saint Paul confirme : « Tout pouvoir vient de Dieu. » [ St Paul, Épître aux Romains, XIII, 2]
- Dieu est le principe et la fin de toute chose : « Au commencement était le Verbe. » [St Jean, I,1]
- Si le sacrifice de Jésus Christ a permis la Rédemption du genre humain, le salut est individuel et réclame de nous une acceptation de notre nature. Dieu nous a voulus “animaux politiques” : or la vie en société n’est possible que parce que nous avons besoin les uns des autres, parce que nous sommes différents et donc inégaux.
Pour le révolutionnaire :
- Il n’existe pas de nature humaine, l’homme évolue continuellement à travers les âges vers quelque chose de supérieur. C’est la théorie de l’évolutionnisme, le mythe du progrès de l’humanité. Mais vers quoi l’homme peut-il progresser, si ce n’est vers une sorte d’état angélique puis divin ?
- Il ne saurait y avoir de morale fixe. Mieux ! l’homme moderne estime superbement qu’il est parvenu à la “phase adulte” de son évolution, il doit donc s’affranchir de cette morale d’un autre âge, élaborée par l’esprit archaïque, frustre et masochiste de nos ancêtres.
- L’évolution est inéluctable, c’est le fameux “sens de l’histoire”. La Révolution permet d’accélérer la prise de conscience par l’humanité de sa grande destinée. L’homme en marche vers la divinité peut enfin décider pour lui-même. Le philosophe hégélien allemand Feuerbach déclare : « L’être absolu, le Dieu de l’homme, c’est l’être même de l’homme. » [Ludwig FEUERBACH, Essence du Christianisme, Librairie Internationale, Paris, 1864, p.27.]
- L’homme de la modernité s’affirme désormais la source du pouvoir : on lit à l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1791 « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation », et à l’article 2 du titre III de la Constitution de 1791 : « La nation, de qui seule émanent tous les pouvoirs… »
- La Révolution se présente à elle-même comme un mouvement permanent et éternel : « Au commencement était l’action » [GOETHE, Faust, Partie I, scène 5] selon la parole célèbre de Faust dans la tragédie du franc-maçon Goethe.
- L’État révolutionnaire se pose en rédempteur et prétend apporter un salut collectif par la réalisation de l’égalité. Le ministre franc-maçon Jules Ferry déclare :
Qu’est-ce d’abord que l’égalité ? C’est la loi même du progrès humain ! c’est un fait social, c’est l’essence même et la légitimité de la société à laquelle nous appartenons. En effet, la société humaine n’a qu’une fin dernière : atténuer de plus en plus, à travers les âges, les inégalités primitives données par la nature. [ Jules FERRY, Discours sur l’égalité d’éducation, Discours et opinions de Jules Ferry, Paris , Armand Colin, 1893.]
Si la Révolution n’est pas naturelle,
- comment expliquer sa pérennité depuis plus de deux siècles ?
- comment se fait-il que le nombre de partisans de la cité de l’homme-dieu ne cesse d’augmenter ?
- comment expliquer ce mouvement artificiel et permanent de conversion des esprits de la cité de Dieu à la cité de l’homme-dieu ?
Or un mouvement artificiel et permanent ne peut être entretenu que par un moteur ; d’où cette idée de modéliser le phénomène révolutionnaire par un moteur.
Le moteur de la Révolution
Fonctionnement d’un moteur
La physique nous apprend que les moteurs fonctionnent grâce à deux types de grandeurs :
-
- une différence de potentiels (ou de pôles), c’est la ddp
- un courant (ou débit)
Donnons quelques exemples :
-
- Un moteur électrique fonctionne grâce à une tension (ou différence de potentiels électriques : pôles plus et moins) et à un courant qui passe d’un pôle à l’autre.
- Un moteur thermique fonctionne grâce à une différence de potentiels thermiques (source chaude, source froide) et à un courant thermique qui passe de la source chaude à la source froide.
- Un moulin à eau fonctionne grâce à une dénivellation (ou différence de potentiels d’altitude : le haut et le bas) et à un courant d’eau qui passe du haut vers le bas.
On peut donc supposer qu’il en va ainsi avec la Révolution qui est un mouvement d’idées. Selon ce schéma, le moteur révolutionnaire fonctionnerait grâce à :
-
- une différence de potentiels dans l’ordre des idées : THÈSE /ANTITHÈSE,
- un courant d’opinions qui passeraient de la thèse à l’antithèse, de la Cité de Dieu à la cité de l’homme-dieu.
Reste à préciser la ddp et le support ― ou le conducteur ― de ce courant.
La ddp révolutionnaire : la haine dans l’inégalité
Le révolutionnaire qui veut hâter l’évolution de l’homme se heurte d’abord à l’inertie de la nature humaine. Pour « changer les mentalités », « faire bouger la société », susciter le mouvement, la méthode consiste à :
- faire “prendre conscience” des inégalités (ddp) entre les personnes
- placer les individus dans une attitude mentale de révolte avec un argument moteur : INÉGALITÉ = INJUSTICE.
À cet effet, on cherche à mettre de la haine dans les différences qui existent naturellement entre les personnes (différences d’âge, de sexe, de classe sociale, de sagesse, de richesse, de connaissance…)
Vers 1840, à l’aube des systèmes démocratiques, Tocqueville s’étonne de cette passion pour l’égalité : « Le fait particulier et dominant qui singularise ces siècles, c’est l’égalité des conditions ; la passion principale qui agite les hommes dans ces temps-là, c’est l’amour de cette égalité. » [ Alexis de TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, t.II, ch. 1] Il en déduit ― comme conséquence logique ― cet individualisme qui ronge nos sociétés modernes et que tout le monde déplore sans en vouloir reconnaître l’origine : « L’individualisme est d’origine démocratique, et il menace de se développer à mesure que les conditions s’égalisent. » [Alexis de TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, t.II, ch. 2]
Alors que dans une société saine, les inégalités naturelles sont sources d’échanges et de richesses pour tout le monde, dans la société révolutionnaire, elles deviennent des facteurs d’oppositions, de luttes, de ddp thèse/antithèse. La haine, la jalousie, l’égoïsme de part et d’autre, creusent les différences jusqu’à les rendre insupportables. Alors la révolte éclate et conduit la plupart du temps à une égalité imposée et artificielle dans laquelle persiste l’état de haine. En effet, l’autre est toujours suspecté de vouloir jouir d’un avantage qu’on n’aurait pas soi-même, et cette idée est insupportable.
Souvenons-nous de ces paroles terribles du philosophe marxiste Marcuse :
II n’y a pas de doute qu’un mouvement révolutionnaire donne naissance à une haine sans laquelle la révolution n’est tout simplement pas possible, sans laquelle aucune libération n’est possible. Rien n’est plus révoltant que le commandement d’amour : « Ne hais pas ton ennemi » dans un monde ou la haine est partout institutionnalisée. Au cours du mouvement révolutionnaire, cette haine peut naturellement se muer en cruauté, en brutalité, en terreur. La limite est, en ce domaine, terriblement mobile. [Herbert MARCUSE, La fin de l’utopie, p.33, Éditions du Seuil, Paris, 1968.]
Les trois idéologies révolutionnaires présentent cette passion de l’égalité :
- Le socialisme oppose la classe prolétarienne déifiée à la classe bourgeoise de façon à aboutir à la dictature mondiale du prolétariat où est censée régner l’égalité. En fait, on sait ce qu’il en est : une élite non naturelle (la nomenklatura) opprime la cité.
- Le nationalisme oppose la nation déifiée aux autres peuples. Les révolutions nationalistes conduisent toujours à la guerre expansionniste. Ex : la Révolution française déclare la guerre à l’Europe, il en va de même pour les révolutions de l’Allemagne nazie, de l’Italie fasciste… à l’intérieur de la nation règne une égalité particulière : l’uniformité. On combat les minorités et les identités régionales car elles sont considérées comme facteurs de divisions.
- Le libéralisme oppose les individus-dieux entre eux. Chaque personne est libre absolument, l’individualisme triomphe : l’autre est celui qui vient limiter notre liberté. Il faut donc s’affranchir de son autorité naturelle que son égoïsme peut rendre odieuse. Des conflits artificiels sont ainsi créés entre homme et femme, parents et enfants, enseignant et élèves, prêtre et fidèles, patrons et ouvriers.
Quand on perd de vue le bien commun, la hiérarchie n’est plus justifiée, ce qui amène à la revendication de l’égalité absolue.
Le conducteur du courant révolutionnaire : le suffrage universel
L’expérience montre qu’établir de façon trop affichée, trop brutale ou trop autoritaire la cité de l’homme-dieu, aboutit à une panne du courant de conversion des esprits à la Révolution :
- échec de la Convention dans sa tentative d’imposer le culte de la déesse Raison,
- échec des révolutions socialistes avec leur matérialisme scientifique,
- échec des révolutions nationalistes quand la guerre tourne à leur désavantage.
La démocratie libérale, parce qu’elle contourne ces problèmes, se révèle être un moteur révolutionnaire bien plus performant que les idéologies nationalistes et socialistes :
- Afin de ne pas effaroucher l’opinion et pour réaliser l’égalité ― et la liberté ― elle s’attaque à l’ordre naturel par petites étapes. Par exemple, le divorce, l’avortement, le « mariage » des homosexuels, l’euthanasie ne seront pas légalisés en même temps mais peu à peu…
- Pour parer toute contestation, grâce au suffrage universel, elle laisse croire aux personnes qu’elles ont elles-mêmes souhaité ces changements. Il suffit pour cela de travailler l’opinion à grands coups de campagnes médiatiques en suscitant des ddp, puis d’invoquer les mythes de la volonté générale, du sens de l’histoire, du progrès de l’humanité.
- Pour détourner l’attention du véritable enjeu (la cité de l’homme-dieu contre la Cité de Dieu), elle crée une opposition artificielle, la ddp DROITE/GAUCHE dans laquelle elle occupe la place centrale ― celle de l’arbitre ― et place ses idéologies concurrentes (socialisme et nationalisme) ainsi que les formes bâtardes : social démocratie, libéral nationalisme, national socialisme…
À cause de leurs oppositions apparentes, on oublie que ces idéologies ont toutes pour finalité l’homme-dieu, et la Cité de Dieu perd ses combattants dans des batailles électorales qui ne les concernent pas.
Ainsi la démocratie ― grâce au suffrage universel et à la ddp DROITE/GAUCHE ― entretient un courant permanent de conversion des esprits à la Révolution : le moteur tourne, tourne, tourne.
L’épouvantable piège du suffrage universel
La démocratie est-elle une religion ?
La supériorité de la démocratie libérale, par rapport aux deux autres idéologies, tient à ce que sa finalité (la cité de l’homme-dieu) se réalise dans son fonctionnement même :
- Par le suffrage universel, indépendamment de l’âge, de la compétence, de la sagesse, tout individu est appelé à se prononcer sur la destinée de la Cité, en élisant des hommes qu’il ne connaît pas, et qui représentent des idéologies dont il ignore tout.
- Par référendum, on lui demande son avis sur ce qui relève de la morale naturelle (avortement, euthanasie…) ou de décider du sort de ce qui ne lui appartient pas comme la disparition du pays dans l’Europe.
Aucune référence morale n’est reconnue a priori, aucun ordre naturel ne sert de point de repère. En bon disciple du démocrate et sophiste grec Protagoras, le votant finit par penser que « l’homme est la mesure de toute chose. » [ Platon, Théétète, 152a]
Peu à peu et à son insu, par la pratique même du vote, il s’accoutume à l’idée qu’il est lui-même la source de la vérité, qu’il peut décider de ce qui est le bien et le mal. Or, ce privilège ne revient-il pas à l’Auteur de toutes choses, à Dieu Lui-même ?
De fait, objectivement, le votant se substitue à Dieu, il est l’homme-dieu. Souvenons-nous de la chute d’Adam : « Le serpent répliqua […] le jour où vous en mangerez [de ce fruit], vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal. » [Bible de Jérusalem, Cerf/Verbum Bible, 1988, Genèse, chapitre 3, verset 5]
Et le franc-maçon Oswald Wirth de s’en féliciter : « Le serpent séducteur symbolise un instinct particulier […] dont le propre est de faire éprouver à l’individu le besoin de s’élever dans l’échelle des êtres. Cet aiguillon secret est le promoteur de tous les progrès. » [Oswald Wirth, La Franc-Maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes, Tome I p.92, édition Dervy-Livres, Paris 86.]
Le péché originel fut le péché d’orgueil de l’homme qui voulait être maître du bien et du mal, qui refusait sa nature humaine. S’attribuer une compétence que l’on ne possède pas, n’est-ce pas là, la définition même de l’orgueil ?
À chaque fois qu’il vote pour ou contre quelque chose qui ne relève pas de sa compétence, le citoyen commet donc un acte d’orgueil. De cette façon, chaque votant constitue une pierre d’orgueil qui sert à l’édification d’une gigantesque tour d’orgueil : LA DÉMOCRATIE UNIVERSELLE, LA TOUR DE BABEL, LA TOUR DE L’HOMME-DIEU. [Remarquons bien que le vote n’est pas condamnable en lui-même : il est parfaitement légitime de voter lors d’élections professionnelles, de municipales dans une petite ville, etc. Nous le répétons : ce qui est visé ici, c’est le vote pour quelque chose qui ne relève pas de notre compétence.]
La démocratie s’identifierait-elle à donc la religion de l’homme ?
Comme une religion la démocratie n’a-t-elle pas :
- son dogme : le dogme de la volonté générale comme source du pouvoir. À l’instar d’un J-M. Le Pen, ne clame-t-elle pas : « Depuis que le pouvoir ne se fonde plus en Dieu mais dans le peuple, c’est lui qui doit faire l’objet de toutes nos considérations. » [Article « Entretien avec JMLP », Aspects de la France, jeudi 10 octobre 1991]
- son credo : la Déclaration universelle des droits de l’homme.
- son sacrement : la grand-messe du suffrage universel.
Augustin Cochin ne s’exprime pas autrement en commentant le Contrat social de Rousseau :
Nous serions perdus, dit le christianisme, sans un secours d’en haut, nous ne sommes pas de force à nous sauver à nous seuls ― et de même Jean-Jacques : nous sommes incapables de dégager de nous-mêmes la volonté générale et de la suivre. Il nous faut le secours extérieur de la loi (grâce), effet du vote (sacrement) qui crée en nous l’homme nouveau. […]
Ainsi le Contrat social n’est pas un traité de politique, c’est un traité de théologie, la théorie d’une volonté extranaturelle, créée dans le cœur de l’homme naturel, substituée en lui à sa volonté actuelle, par le mystère de la loi, accompli au sein de la société contractuelle, ou volontaire, ou de pensée, sous les espèces sensibles du sacrement de vote. [Augustin COCHIN, Le catholicisme de Rousseau, Conférence faite aux « Conférences Chateaubriand », le 15 mai 1912, Chapitre II (La mystique de la libre pensée) tiré du livre Les sociétés de pensée et la démocratie moderne,1921 (publication posthume).]
La solution suicide : Le parti catholique
La tentation est quelquefois grande de vouloir prendre la démocratie à son propre piège, de constituer un pôle catholique et de lutter contre la Révolution avec ses propres armes (campagnes, lobbying, slogans, élections, pétitions…) L’histoire nous montre pourtant que jamais aucune tentative n’a abouti, même avec des conditions favorables.
Souvenons-nous de cette funeste affaire du Ralliement de l’Église à la République en 1892. La France d’alors est catholique dans son immense majorité et pourtant, le pays est dirigé par la IIIe République violemment antichrétienne. L’élite catholique est monarchiste. Aussi le pape Léon XIII fait-il le calcul suivant : l’Église n’est tributaire d’aucun type de gouvernement (monarchie, aristocratie, république). Donc, si on oblige moralement les catholiques à voter, il est mathématique que leurs élus seront majoritaires et la République deviendra chrétienne.
De fait, après le ralliement, tous les catéchismes font du vote un devoir du chrétien. On connaît la suite : en 1893 le nombre des députés catholiques passe en effet à deux cents, mais six mois plus tard, il retombe à 97. Aucun ministère n’est concédé aux ralliés et les lois antireligieuses reprennent de plus belle.
Plus d’un siècle après, le bilan est accablant :
- la France est toujours révolutionnaire ;
- le parti catholique s’est évanoui dans la nature et on trouve des députés qui se prétendent “chrétiens” dans tous les partis de l’échiquier politique. Ils en ont épousé les idéologies respectives ;
- les catholiques en France sont devenus minoritaires.
Quelles sont les raisons de ce désastre ? Pourquoi le parti catholique soutenu par le pape, avec un rapport de forces écrasant, a-t-il échoué ? À la lumière de l’étude précédente, nous donnerons deux réponses liées :
- Créer un parti chrétien qui utilise les règles du jeu du système démocratique, rend à ce dernier l’éminent service d’apporter la contradiction, de susciter une nouvelle ddp. Cela engendre de nouvelles possibilités de mouvement d’idées. Grâce au vote chrétien, le moteur révolutionnaire se trouve alimenté par une nouvelle source de courant d’opinions.
- À la manière de Léon XIII, il serait dangereux de ne considérer dans la démocratie qu’un mode de gouvernement. Nous avons vu qu’elle était essentiellement une religion, celle de l’homme-dieu. Comprenons bien que le révolutionnaire se moque éperdument pour qui l’on vote, pourvu que l’on vote. L’important est de pratiquer (praxis) cet acte d’orgueil. Il sait qu’ainsi s’opérera dans les âmes une transformation intérieure à la manière de celle produite par un rite.
Par le suffrage universel, le membre du parti catholique est conduit à adopter l’attitude mentale du révolutionnaire qui n’a d’autre maître que lui-même. Il pratique l’acte révolutionnaire tout en prétendant lutter contre la Révolution. Alors, à son insu, il agit comme un homme-dieu, et si cette schizophrénie ne lui fait pas perdre la foi, les risques sont bien plus grands pour ses enfants. N’oublions jamais que l’on finit toujours par penser comme on agit, c’est d’ailleurs en cela que réside l’extraordinaire importance du rituel religieux.
Les deux exemples suivants ne sont-ils pas significatifs ?
- Se félicitant du taux participation record au référendum sur le traité de Maastricht, alors que le « oui » n’avait remporté qu’un tout petit 51 %, le quotidien Ouest-France annonçait en première page : « UNE GRANDE VICTOIRE POUR LA DEMOCRATIE. »
- Dans le Courrier de l’Ouest du 8 janvier 1988, le grand-maître du Grand-Orient, Jean-Robert Ragache, titrait ainsi son article : « UN SEUL MOT D’ORDRE POUR L’ELECTION PRESIDENTIELLE : VOTER ! » Traduisons : peu importe que vous votiez à droite ou à gauche, ou même à l’extrême-droite … nous voulons seulement que vous votiez !
Comment arrêter le moteur révolutionnaire ?
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Dire la vérité et dénoncer l’imposture de l’homme-dieu
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Il importe en premier lieu de rétablir les choses à leur juste place :
- Reconnaître notre condition de créature entièrement dépendante de Dieu.
- Accepter notre nature d’homme (animal politique) et essayer d’agir conformément à ce qu’elle réclame. C’est la condition pour accéder au bonheur maximum en ce monde et éternel dans l’autre. À cet effet, notre idéal doit être le respect des dix commandements et du commandement d’amour de Dieu et du prochain.
- Dénoncer cette imposture qui fait de l’homme le maître du bien et du mal. Dans la Cité de Dieu, à cause du péché originel, il y a toujours des fautes contre notre nature (et donc contre les commandements de Dieu) mais elles sont reconnues comme telles et regrettées. Dans la cité révolutionnaire, afin de donner libre cours à ses passions désordonnées et pour se donner bonne conscience, l’homme décide qu’il n’y a plus de péché. Il est à la fois juge et partie, sa morale est subjective et non plus objective (c’est bien pratique !). Or, le plus grand des péchés n’est pas tant d’aller contre une loi de Dieu, mais de dire que cette loi n’existe pas, car à partir de là, tout est permis.
- Dire la vérité haut et fort, sans concession : la vérité est une, on ne peut pas en prendre et en laisser à notre guise, nous n’en sommes pas maîtres. Or, dans le jeu démocratique, « il faut faire nombre si l’on veut faire entendre sa voix ». Aussi le chrétien entre-t-il dans le parti dont il juge l’idéologie la plus acceptable. Pour ne pas heurter ses nouveaux amis, il est conduit à faire des concessions, à taire certains points de la doctrine qui ne sont pas dans l’air du temps ; d’ailleurs il finit par oublier ces détails gênants. Il est remarquable que tous les partis comptent des catholiques parmi leurs membres, mais aucun n’affiche la doctrine du Christ-Roi dans son programme. On en déduit que ces chrétiens engagés ont honte d’une partie de la vérité révélée et qu’ils l’ont censurée. Par là, ils se rendent en quelque sorte maîtres de la vérité, ils savent mieux que Notre-Seigneur ce qui est bon pour nous : ils sont donc devenus, eux aussi des hommes-dieux.
À propos de cet œcuménisme qui consiste à abdiquer une partie de la foi sous prétexte de pratiquer une politique de moindre mal, Monseigneur Pie déclare :
Ne nous reprochez pas de revenir si souvent sur cette question des droits de Jésus-Christ sur la société ; le devoir du médecin spirituel, comme du médecin des corps dure aussi longtemps que le mal qu’il s’agit de déraciner […] Supposons qu’en temps d’épidémie le pharmacien de la cité ait la barbarie de couper de moitié eau l’antidote qui aurait besoin de toute sa puissance pour triompher du fléau mortel, cet homme serait-il moins criminel qu’un empoisonneur public ? Or, la société moderne est en proie à un mal terrible qui lui ronge les entrailles et qui peut la précipiter au tombeau. Le contre-poison ne sera efficace que s’il garde toute son énergie : il sera impuissant s’il est atténué. Ne commettons pas le crime d’obéir aux fantaisies, aux sollicitations même du malade. [Cardinal Pie, Instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.]
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Pour réduire la DDP : Mettre de l’amour dans les différences
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Si notre devoir exige de demeurer intransigeants avec les idées, il comporte aussi d’être indulgent avec les personnes et d’accepter les inégalités naturelles qui proviennent de ce que nous sommes limités : nous avons tous des défauts, des infirmités mais aussi des expériences, des compétences et un passé différents.
L’Évangile nous dit « Heureux les artisans de paix » [St Matthieu, V, 9.] : à l’inverse du révolutionnaire et conformément au commandement du Christ, le chrétien mettra de l’amour dans les différences naturelles et apaisera les tensions sociales. Il ne s’agit pas de faire disparaître les inégalités naturelles, et ceci précisément parce qu’elles sont dans notre nature. En effet, c’est grâce à ces inégalités que la vie sociale est possible. Tout au long de notre vie nous avons besoin des autres : dans l’enfance et l’adolescence pour notre éducation, à l’âge adulte car nous n’avons pas toutes les compétences, au soir de notre vie car nous sommes diminués. Ainsi c’est l’amour du prochain qui donne son bonheur, sa prospérité, sa richesse à la société.
Contrairement à ce que prétendent les “chrétiens libéraux”, Notre-Seigneur n’est jamais venu abolir les inégalités, Il affirme sa royauté et sa supériorité hiérarchique tout en donnant l’exemple à suivre : « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et Maître, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. » [St Jean, XIII,14.] Le devoir du chrétien est donc de servir ses frères dans l’amour du Christ, chacun à son niveau. De cette façon, il œuvre pour le bien commun qui consiste en l’unité de la paix entre les personnes, il réalise ainsi la Cité de Dieu.
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Pour tarir le courant : Cesser de voter
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Depuis deux cents ans les combattants de la Cité de Dieu s’épuisent dans les combats démocratiques et leur nombre ne cesse de diminuer. Nous en avons analysé la raison : la règle du jeu démocratique est truquée, elle est la machine à perdre les chrétiens. La pratique (praxis) du vote, sans les compétences requises, constitue un acte d’orgueil qui aboutit à une usurpation de la place de Dieu et à l’acceptation des idéologies.
Voter, c’est reconnaître la règle du jeu, la loi du nombre. C’est reconnaître la validité de la condamnation du Christ par la foule. Le Juste, le Doux, l’Innocent est mort par plébiscite, par la pression démocratique, parce que Dieu n’était pas à la hauteur des misérables ambitions des prêtres et des pharisiens. Ce qui est ignoble, ce n’est pas seulement le résultat du choix populaire ― la condamnation de Dieu ― mais c’est surtout le fait que ce choix ait été accordé au peuple. C’est d’ailleurs en cela que réside le crime du très libéral Pilate.
Mais de nos jours, ne sommes-nous pas confrontés à la même situation ? Par exemple, quand un pays organise un référendum sur l’avortement, voici ce que l’on entend parmi les catholiques conscients du caractère monstrueux de cette consultation électorale [L’avortement est contre-nature, que le peuple soit pour ou contre.] : « Je sais que voter dans cette situation est intrinsèquement mauvais mais si je peux grâce à ça sauver des vies… » Résultat : de toute façon le “oui” sera voté, sinon la Révolution répétera l’opération jusqu’à ce que le “oui” passe, et ce sera définitif, car on n’arrête pas le “sens de l’histoire”. Et nos bons catholiques de se lamenter et de lever les bras … Cette attitude réactionnaire est irresponsable : ce n’est pas contre l’avortement qu’il faut se battre, c’est contre les institutions politiques qui permettent que de tels choix soient possibles. Le devoir civique du citoyen chrétien n’est pas de voter mais de travailler de toutes ses forces à promouvoir une institution politique qui respecte l’ordre naturel.
La reconstruction de la Cité de Dieu passe d’abord par la préservation de ses combattants puis par l’affaiblissement de la cité de l’homme-dieu, donc par le refus des règles du jeu démocratique.
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Cessons de voter et le courant qui alimente le moteur révolutionnaire tarira, la Révolution tombera en panne et sera vaincue.
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En France, une institution politique ayant pour idéal la Cité de dieu a déjà existé : c’est la monarchie légitime. Elle est dépositaire de l’unique doctrine politique naturelle antérieure aux idéologies de 1789. La constitution de l’ancienne France était fondée sur deux principes inséparables :
- Une légitimité naturelle : le bien commun qui est l’unité de la paix n’est idéalement réalisé qu’avec le gouvernement d’un seul : « il est clair que ce qui est un par soi peut mieux réaliser l’unité que ce qui est composé d’unités » [St Thomas d’Aquin, De regno, ch.II, col. Les maîtres de la politique chrétienne, Éditions de la Gazette Française, Paris, 1926] dit saint Thomas dans son De regno. Le roi n’est pas désigné par les hommes mais par sa naissance, ce qui évite les querelles de succession et préserve l’unité.
- Une légitimité théologique : ce successeur n’est pleinement roi qu’avec le sacre quand il reconnaît devant son peuple la suzeraineté de Jésus-Christ Roi de France et quand il reçoit les grâces nécessaires pour gouverner en conformité avec les lois de Dieu et de l’Église.
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Ce combat ne s’impose-t-il donc pas ? N’est-il pas raisonnable ? N’en vaut-il pas la peine ? Lui préférerions-nous l’illusion d’un “bon gouvernement” inventé de toute pièce sans la tradition ? Mais à quelle civilisation chrétienne concrète St Pie X fait-il référence dans sa Lettre sur le Sillon ?
Non, Vénérables Frères — il faut le rappeler énergiquement dans ces temps d’anarchie sociale et intellectuelle, où chacun se pose en docteur et en législateur,— on ne bâtira pas la société autrement que Dieu l’a bâtie ; on n’édifiera pas la société, si l’Église n’en jette les bases et ne dirige les travaux ; non, la civilisation n’est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique. Il ne s’agit que de l’instaurer et la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et de l’impiété : « omnia instaurare in Christo ».
Quelle cité catholique non bâtie “dans les nuées” le saint pape évoque-t-il quand il s’adresse à notre pays, si ce n’est celle de notre monarchie traditionnelle ?
Source:
Viveleroy