La démocratie : une pure illusion, une absurdité logique et une impossibilité théorique (Joseph de Maistre)
"À partir de l'exemple fourni par la Révolution française"..., Maistre "instruit le procès de la démocratie. Dès son Etude sur la souveraineté (livre II, chap. IV), il présente l'idéal démocratique comme une pure illusion.
[...] Les mirages de l'égalité, comme ceux de la souveraineté populaire, 'choquent le bon sens'.
Au nom d'une chimère - 'l'idée d'un peuple souverain et législateur' -, la démocratie menace les libertés individuelles et conduit au despotisme ou à l'anarchie.
"La démocratie est chimérique, pour Maistre, car elle ne saurait exister 'dans sa pureté théorique' : 'nul peuple comme nul individu ne pouvant posséder une puissance coercitive sur lui-même', l'ambition démocratique, si on la prend à la lettre, est incompatible avec la souveraineté, dès lors que celle-ci n'est pas autre chose qu''un pouvoir réprimant qui agit sur le sujet et qui ... est placé hors de lui'. La démocratie proprement dite est donc une absurdité logique et une impossibilité. Il est contradictoire de soutenir l'idée d'un 'peuple-roi', c'est-à-dire d'affirmer, au prix d'un fragile oxymore, que les sujets d'un pouvoir peuvent en être en même temps des souverains.
"... En démocratie représentative. ... Maistre se plait à observer que, dans les faits, l'une des conséquences de la délégation par laquelle le peuple est censé confier son pouvoir à des hommes dignes de le représenter est de tempérer la démocratie par un principe aristocratique. Le simple droit de voter ne doit pas faire illusion (l'aristocratie héréditaire est inévitable). ... Maistre dénonce les faux-semblants de l'égalitarisme démocratique, que contredisent, dans l'exercice effectif du pouvoir, les privilèges dévolus à une élite: 'La masse du peuple influe ... très peu sur les élections, comme sur les autres affaires. C'est l'aristocratie qui choisit...' On voit sans peine la conséquence d'un tel mode de gouvernement: le régime représentatif, en remettant le pouvoir réel entre les mains d'un petit nombre de délégués, est un système qui porte en lui l'inévitable 'oppression de la masse'.
"Pour qu'une république soit équitable, elle doit donc satisfaire à des conditions qu'il est fort difficile de remplir. Il faut, d'une part, que le peuple, renonçant à faire usage de la puissance qu'il tient de la constitution démocratique, s'en remette aux 'lumières' de ses dirigeants; et que, d'autre part, ces mêmes dirigeants, 'suffisamment contenus par la crainte de se voir privés du pouvoir', l'exercent avec une 'sagesse' qui justifie la confiance du peuple. Que ce 'respect', d'un côté, et cette 'crainte', de l'autre, viennent à manquer, alors, pronostique Maistre, l'Etat démocratique marchera 'à grands pas vers sa ruine', en dérivant vers le despotisme ou vers l'anarchie, car à la tentation despotique de ceux qui gouvernent répondront toujours des formes d'insurrection produisant 'les effets les plus terribles'.
"La démocratie, par conséquent, est un régime qui ne peut durer 'qu'à force de vertus, d'énergie et d'esprit public'. Comme tel, il est fait 'pour un peuple de dieux'. Maistre, qui reprend malicieusement l'idée à Rousseau, s'éloigne du philosophe genevois en tirant de cette formule une conclusion inverse à la sienne. Ce régime, qui n'a jamais existé dans l'histoire que par éclairs, doit rester selon lui ce qu'il a toujours été, c'est-à-dire l'exception : on ne saurait sérieusement le proposer à de simples hommes 'comme seul gouvernement légitime'.
(Source : Pierre Glaudes, Dictionnaire in Joseph de Maistre, Oeuvres, Editions établie par Pierres Glaudes, Bouquins Robert Laffont, p. 1154-1156).
Louis de Bonald, dès la préface de sa Théorie du Pouvoir, son premier ouvrage, s'inscrit en faux : 'Des hommes ont avancé que la souveraineté résidait dans le peuple. ... Il se trouve que le peuple n'a jamais été et qu'il ne peut jamais être souverain : car où seraient les sujets (les gouvernés) quand le peuple est souverain? ... Nulle part le peuple n'a fait de lois... il est même impossible qu'un peuple fasse des lois et il n'a jamais fait et il ne peut jamais faire que d'adopter des lois faites par un homme appelé pour cette raison législateur. Or adopter des lois faites par un homme, c'est lui obéir et obéir n'est pas être souverain, mais sujet et peut-être esclave... (Le Livre noir de la Révolution française, par Pierre Chaunu, Jean Tulard, Emmanuel Leroy-Ladurie, Jean Sévillia, Cerf, Paris 2008, p. 490).
D'autres auteurs (Antoine Blanc de Saint-Bonnet) ont pu dire que la démocratie était fondée sur une erreur sur la nature de l'homme. La société fondée sur le dogme du péché originel a été remplacée par la société fondée sur le dogme de 'l'homme né bon par nature'...
D'où l'expression largement répandue aujourd'hui : la démoncratie.
L'homme n'aurait plus en lui la tache de la Chute mais au contraire serait devenu par un tour de passe-passe 'bon par nature'. L'expression, de Rousseau a servi de soubassement idéologique à la construction utopique de la société moderne. La société est devenue un contrat entre les personnes, un contrat sur un modèle de société que ces mêmes personnes auraient librement choisi. ... On sait qu'il n'en est rien et que ce modèle a toujours été imposé par une minorité. Quoiqu'il en soit, la société-contrat n'est plus une donnée naturelle, mais une construction... De là, les dérives idéologiques et révolutionnaires que l'on connait depuis plus de deux siècles en vue de cette 'amélioration de l'homme et de la société' (but de la franc-maçonnerie). Et ce n'est pas fini... Nous vivons toujours en plein XVIIIe siècle sur ces purs intellectualismes que la nature contredit. Certains ont voulu et continuent de vouloir donner à la Société la vue des 'philosophes' bâtisseurs... En contradiction totale avec la loi naturelle, avec la nature, le contrat social, le 'vivre ensemble', aboutit à une impossibilité pratique. Et, comme leur société 'libérale' échoue, leur 'démocratie' devient une dictature. Logique. Une dictature qui se renforce chaque jour davantage, expose la société à l'anéantissement, les hommes à l'ensauvagement, puis à l'extermination les uns les autres. A l'issue, les bâtisseurs arrivent et proposent de passer à la démocratie n° 2. Etc.
"La civilisation occidentale, c'est-à-dire le génie de l'Antiquité et de la chrétienté, avait consisté à domestiquer l'hybris (la démesure) de l'individu (pour les classiques comme pour les chrétiens l'homme n'est pas né parfait, la liberté est un effort sur soi, un effort sur sa concupiscence, une conquête). Tout au contraire, la Protestation ruine ce progrès pour restaurer la barbarie qui sommeille par nature au fond de l'orgueil" (A. Blanc de Saint-Bonnet, La Restauration française, 1851, in Le Livre noir de la Révolution française, ibid.,, p. 571).
Un impérialisme maléfique
Sur les 'droits de l'homme', Maistre "est sensible à la contradiction qui apparaît d'emblée dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, lorsque son préambule affirme que c'est l'Assemblée nationale de la France qui proclame ces droits universels. Comment, en effet, une nation peut-elle ainsi se faire dépositaire de ce qu'elle présente par ailleurs comme un bien commun de l'humanité? En identifiant les intérêts nationaux à ceux du genre humain, les révolutionnaires français ne se sont nullement élevés à l'universalité d'un principe unificateur : ils ont surtout dévoilé les potentialités funestes d'un impérialisme portant en lui les germes de la division et de la violence. ... Maistre voit donc la conséquence directe de la proclamation de ces droits universels, qui ne sont rien d'autre, à ses yeux, que la 'guerre civile du genre humain' (Lettre du 25 avril 1814 à Mme de Constantin). 'Voilà les droits de l'homme et les dons de la France' (Lettre d'un royaliste savoisien).
La déclaration, loin d'avoir rendu les hommes plus libres et plus fraternels, a déchaîné la guerre et son cortège de malheurs dans l'Europe entière... C'est pourquoi la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne saurait représenter in fine pour Maistre un progrès de la civilisation. Tout indique au contraire qu'elle constitue à cet égard une terrible régression." (Source : Le Livre noir de la Révolution française, ibid., p. 473-482).
Pour cet autre contre-révolutionnaire qu'est l'écrivain Edmund Burke, à la souveraineté populaire et à la déclaration des droits universels, ces chimères qui mènent au despotisme, il faudrait opposer 'une conception de la liberté civile reconnaissant au peuple des droits relatifs, particuliers à chaque nation, qui ne légitiment pas pour autant la revendication d''une part de pouvoir et d'autorité dans la conduite des affaires de l'Etat'" (ibid., p. 472, note 2).