Le Front National n’a pas récupéré Jeanne d'Arc. L’accusation est infondée. Surtout quand elle vient de ceux qui ont toujours estimé que ces célébrations étaient ringardes. On peut estimer que Jeanne d’Arc est un archaïsme dérisoire, mais sans enrager, en même temps, parce que certains se sont mis depuis longtemps sous sa bannière.
Le Pen a raison quand il dénonce l’amour nouveau, pour Jeanne, de ceux qui n’en avaient jamais parlé. Son FN s’est placé,naturellement depuis sa création, dans une tradition nationaliste, d’Extrême droite classique, d’exaltation de la libératrice du territoire d’une occupation étrangère, au nom de Dieu et du Roi. Une filiation traditionaliste, que certains membres du parti n’appréciaient, d'ailleurs, pas toujours.
Jeanne est soit une fille du peuple, avec un petit doute, imposant sa volonté aux puissants, soit une sainte inspirée, soit une guerrière excitée. On a le choix, mais pas celui d'en faire la sainte patronne des tolérances du temps. La récupération de Nicolas Sarkozy, ce 6 décembre, a été incongrue, ridicule ou indécente. Surtout, elle faisait preuve d’une méconnaissance totale de l'histoire. Qui s'en étonnera d'un président (pourtant inspiré par le national-républicain Henri Guaino), qui tolère qu’on n’étudie plus Napoléon et Louis XIV à l'école; école où d'ailleurs on ne sait si le destin de la brûlée vive pour l’amour de la patrie est évoqué autrement que pour rigoler sur le nom de l’évêque Cauchon. En une époque où le porc n'est plus à la fête. Misère des temps de bêtise et d'obscurantisme!
Même si la restauration de Jeanne vient de Jules Michelet, un de ses historiens du XIXème de prédilection, la Gauche s’est, quant à elle, toujours méfiée de Jeanne. Venue du peuple, incontestablement. Mais trop catho et royaliste. Quant aux féministes, elles n’aiment pas trop qu’une femme ait écrit l’histoire avant elles et sans leur consentement.
C'est l'Action Française qui a ré-veillé Jeanne d'Arc
C’est bien l'Action française qui, historiquement, a été la première formation, dans la famille politique des droites nationalistes, à mythifier le personnage de Jeanne d'Arc. L'origine? "L'affaire Thalamas", qui eut un retentissement national; en ces temps on se confrontait pour des idées et ce qu'on pensait de l'intérêt général. Elle a opposé, au début du XXe siècle, les Camelots du roi, mouvement de jeunesse de l'Action française, à Amédée Thalamas (1867-1953), professeur d'histoire qui professait, de façon provocatrice, son scepticisme quant aux idées "généralement admises sur le rôle historique de Jeanne d'Arc".
Aujourd'hui encore, l'Action Française célèbre, chaque deuxième dimanche de mai, Jeanne d'Arc, en défilant entre Saint-Augustin et la place des Pyramides, à Paris. Mais ce défilé est concurrencé par un autre, qui a lieu tous les 9 mai et réunit toutes les structures les plus radicales de l'Extrême droite: l'hommage à Sébastien Deyzieu, jeune militant qui chuta d'un toit le 7 mai 1994, après une course poursuite avec les forces de l'ordre lors d'une manifestation interdite par la préfecture de police. Depuis deux ans, son itinéraire reprend celui de l'Action française – ce sont deux manifestations différentes – et s'arrête devant la statue équestre de Jeanne d'Arc, face au Louvre.
Le Front National est habitué des défilé en l'honneur de Jeanne d'Arc. A partir de la fin des années 1970, il participe à celui de l'Action française. A cette époque, tout ce que la France comptait de partis politiques d'Extrême droite participait à ce défilé unitaire pour faire nombre.
Un personnage sur lequel gens d'esprit et de coeur n'ont cessé de s'interroger
Redevenue figure emblématique de l'histoire de France et sainte de l'Église catholique, Jeanne d'Arc est née vers 1412 à Domrémy. Elle est morte sur le bûcher, le 30 mai 1431 à Rouen. Elle a 19 ans. Un telle trajectoire, où se mêlent le mysticisme, le courage, l'intelligence, la pureté ne pouvaient susciter qu'une immense oeuvre (littéraire, historique, théâtrale, cinématographique) où se mêlent l'émerveillement, l'interrogation, la stupéfaction...
En 1412, à la naissance de la Vosgienne, à quelques lieues du Saint Empire romain-germanique, la France se démène avec la guerre de Cent Ans contre l'Angleterre. Le 25 octobre 1415, elle subit de lourdes pertes à la bataille d'Azincourt. La guerre s'achève, en 1420, avec la signature du traité de Troyes, qui impose le roi d'Angleterre comme successeur au roi de France, Charles VI, très malade. Le dauphin Charles gouverne toujours, néanmoins, la partie sud de la France.
Les rois d'Angleterre et de France meurent à quelques jours d'écart, en août et octobre 1422. Le fils d'Henri V est proclamé roi de France et d'Angleterre, à l'âge de dix mois; le duc de Bedford prend la régence de la France. Dernière ville au-dessus de la Loire encore fidèle à Charles VII, Orléans est assiégée par les Anglais, le 12 octobre 1428.
"J'avais treize ans quand j'eus une voix de Dieu pour m'aider à me bien conduire. La première fois, j'eus grand' peur", explique Jeanne, lors de son procès. "Deux ou trois fois par semaine, elle m'exhortait à partir pour la France." La voix lui dit également qu'elle ferait lever le siège d'Orléans.
Elle mène victorieusement les troupes françaises contre les armées anglaises, levant le siège d'Orléans, conduisant le dauphin Charles au sacre à Reims, contribuant à inverser le cours de la guerre de Cent Ans. Capturée par les Bourguignons (mais oui président, rien n’est jamais simple) à Compiègne, elle est vendue aux Anglais par Jean de Luxembourg, pour la somme de dix mille livres, et condamnée à être brûlée vive, en 1431, après un procès en hérésie. Car tout de même sur la vraie Jeanne les minutes du procès limitent la multiplication de thèses extravagantes sur la réalité de sa vie et de sa mort.
Entaché de nombreuses et importantes irrégularités, ce procès est cassé par le pape Calixte III, en 1456. Un second procès en réhabilitation conclut à son innocence et l'élève au rang de martyre. Elle est béatifiée en 1909 et canonisée en 1920. Elle est l'une des quatre saintes patronnes secondaires de la France..
Malmenée par Voltaire, qui ne voit en elle qu'une royaliste convaincue et n'a pas tort, Jeanne devient un symbole national au XIXème siècle. "Sainte laïque", pour l'historien républicain Jules Michelet, elle est la femme qui sait concilier amour de Dieu et de sa patrie, s'inscrit parfaitement dans le roman national, malgré la séparation de l'église et de l'Etat. Chantée par Charles Péguy, socialiste converti au catholicisme, elle est, en 1920, canonisée par l'Eglise et célébrée par l'Etat, qui instaure une fête nationale de Jeanne d'Arc, non fériée.
Oubliée puis marginalisée, pour cause de culte FN, la voilà à nouveau célébrée et choyée par des cyniques. Mais il est vrai que ce sont des spécialistes de bûchers, mais pas de leurs vanités. Se référer, avec impudeur, aux voix de Jeanne devrait, au bout du compte, leur en faire perdre…. C(o)auchon qui s'en dédie !
Source: http://metamag.fr/metamag-575-Jeanne-la-pucelle-outragee-L’histoire-de-Jeanne-merite-mieux-que-la-recuperation-politicienne.html