Anne Dolhein a produit hier pour "Reinformation.tv", une remarquable synthèse des "premières escarmouches" lors de l'ouverture du Synode sur la famille et les manoeuvres de la "mafia" pour "changer la pastorale de l'Eglise au nom de la miséricorde" .
Mgr Forte a déclaré : « Nous ne nous sommes pas réunis ici pour ne rien dire. ... [L]es temps changent. »
Toute la question est de savoir si un changement de la pastorale n'affecte pas la doctrine ?
L’homélie d’ouverture du synode sur la famille 2015, prononcée en la basilique Saint-Pierre de Rome, dimanche (4 octobre Ndlr.), par le pape François, a été interprétée par un grand nombre comme la preuve de sa volonté de ne pas changer la doctrine de l’Eglise. D’ailleurs, il ne le peut pas. Mais même le cardinal Kasper, qui veut ouvrir l’accès à la communion à certains couples divorcés « remariés », affirme avec les siens qu’il n’entend pas du tout changer la doctrine de l’Eglise sur l’indissolubilité du mariage ; mais seulement la pastorale, au nom de la miséricorde.
Ce n’est pas manquer de respect filial que d’analyser les mots du pape. François veut une Eglise « hôpital de campagne », ouverte à tous, ne faisant barrage à aucun (comme si l’Eglise faisait barrage aux pénitents) : c’est un leitmotiv de son pontificat depuis le début. Lorsqu’il parle de miséricorde, il l’oppose souvent à la loi en ce sens qu’il raille et accuse les « docteurs de la loi » qui ne savent pas porter l’amour du Christ au monde. Tout cela mériterait d’être précisé, mais les faits et gestes du pape parlent en ce sens, que ce soit dans l’accueil sans « rappel à la loi » d’un couple d’homosexuels à la nonciature à Washington, celui d’un transsexuel et de son partenaire à Rome au début de l’année, ou ses louanges appuyés aux écrits du cardinal Kasper.
Le pape recadre le synode… dans le flou
C’est le pape encore qui a choisi de maintenir à leurs postes aux commandes du synode le cardinal Baldisseri, kaspérien, et Mgr Bruno Forte, qui avait été désigné l’an dernier par le cardinal Erdö comme responsable de l’inclusion de paragraphes sur les homosexuels dans le scandaleux rapport d’étape. C’est le pape qui en a exclu le canoniste hors pair, le cardinal Burke, faisant au contraire sortir de sa retraite le cardinal Danneels, qui ne cache ni sa préférence pour les thèses kaspériennes ni son action passée pour tenter d’éviter l’élection du cardinal Ratzinger dans le cadre de la petite « Mafia » des cardinaux, le groupe de Saint-Gall. Le sobriquet est de lui.
Ceux qui ont été rassurés par l’homélie du pape François ont constaté qu’il a tenu à y glorifier le mariage indissoluble, et c’est en effet heureux. On reste un peu interdit cependant devant cette affirmation : « C’est seulement à la lumière de la folie de la gratuité de l’amour pascal de Jésus que la folie de la gratuité d’un amour conjugal unique et jusqu’à la mort apparaîtra compréhensible. » Cela semble nier le caractère naturel, et donc rationnel de l’indissolubilité conjugale qui est pourtant inscrite dans la loi donnée à tout homme et jusque dans la loi mosaïque. Bien sûr la connaissance de l’amour du Christ pour son Eglise – jusqu’à donner sa Vie – fait mieux comprendre le mystère. Mais pour le peuple hébreu, fondé sur des alliances, ce mystère était déjà une réalité.
Rien dans l’homélie du pape, citant ses prédécesseurs, n’expose une quelconque volonté de contredire cette doctrine et peut être lue de la manière la plus traditionnelle qui soit : puisque l’Eglise a toujours cherché à annoncer le salut à tous. C’est plutôt le ton qui laisse la porte ouverte aux tenants du changement, par exemple quand le pape dit :
« L’Église est appelée à vivre sa mission dans la charité qui ne pointe pas du doigt pour juger les autres, mais – fidèle à sa nature de mère – se sent le devoir de chercher et de soigner les couples blessés avec l’huile de l’accueil et de la miséricorde ; d’être “hôpital de campagne” aux portes ouvertes pour accueillir quiconque frappe pour demander aide et soutien ; de plus, de sortir de son propre enclos vers les autres avec un amour vrai, pour marcher avec l’humanité blessée, pour l’inclure et la conduire à la source de salut. »
Premières escarmouches dès l’ouverture du synode : les défenseurs de la doctrine ont ouvert le feu
Lundi, le cardinal Erdö, rapporteur général a livré un long discours à l’ouverture du synode où il a martelé les vérités que l’Eglise ne peut laisser de côté : sa « relation introductive » a sonné comme une offensive. Il avait été pris de court l’an dernier lors de la présentation du rapport d’étape, cette fois il a parlé des divorcés « remariés » en rappelant la voie de retour à la pratique qui leur est traditionnellement ouverte : la conversion, la continence, et la communion dans la mesure où elle ne provoque pas le « scandale ». En l’absence de cette conversion, pas de communion, dont le refus « n’est pas un interdit arbitraire mais un enseignement intrinsèque ».
Pas de gradualité de la loi non plus : « Même si certaines formes de vie commune comportent en soi certains aspects positifs, cela ne veut pas dire qu’elles peuvent être présentées comme un bien. »
En fait, ce sont tous les éléments dits « controversés » qui sont détricotés un à un dans ce texte qui vaut le détour. [Extrait: La miséricorde offre pardon mais réclame la conversion. « La miséricorde de Dieu offre au pécheur le pardon mais réclame la conversion ». ... la « voie pénitentielle » ... peut se référer aux divorcés remariés qui pratiquent la continence et qui « pourront accéder même aux sacrements de la pénitence et de l’eucharistie, évitant seulement de provoquer le scandale ». Cette voie peut aussi faire référence à la pratique traditionnelle de l’Eglise latine qui permettait aux prêtres d’entendre en confession les divorcés remariés, donnant l’absolution seulement à ceux qui, de fait, promettaient de changer de vie. Les homosexuels ... doivent être accueillis « avec respect et délicatesse », évitant toute discrimination injuste. Mais il (le cardinal) rappelle qu’il n’existe « aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, pas même éloignées, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille ». Il dénonce par la même occasion les pressions exercées sur les évêques et « les organisations internationales qui conditionnent leurs aides financières aux pays pauvres à l’introduction de lois qui instituent le mariage entre personnes de même sexe ». Ndlr.]
... Lors de la conférence de presse de lundi, le président délégué du synode, le cardinal Vingt-Trois, a déclaré aux journalistes : « Si vous vous attendez à un changement spectaculaire de la doctrine de l’Eglise, vous allez être déçus. »
Mais dans la foulée, la contre-offensive s’est mise en place. Mgr Forte a déclaré : « Nous ne nous sommes pas réunis ici pour ne rien dire. » Evoquant de « nouvelles modalités d’approche parce que les situations et les temps changent », il a ajouté : « Des défis pastoraux, il y en a. »
Et la presse progressiste à balayé l’intervention du cardinal Erdö en disant qu’il aurait pu la faire il y a 30 ou 40 ans…
Le cardinal Reinhard Marx a lui aussi tenu une conférence de presse, pour dire : « Comment peut-on dire à celui qui vit un deuxième mariage : “Tu appartiens à l’Eglise mais tu vis de manière constante dans le péché ? »
Le deuxième jour, ce mardi, s’est ouvert avec une homélie du pape à Sainte-Marthe, reprenant un de ses thèmes favoris, la miséricorde, contre la « rigidité ». C’est bien de miséricorde que le monde a besoin, mais en prenant l’exemple de Jonas, « dur de cœur », qui n’a pas accepté le pardon de Dieu à Ninive, comme l’a montré François, on perçoit tout de même une vérité moins présente aujourd’hui : Jonas avait tempêté contre les hommes de Ninive en leur rappelant la loi de Dieu, et ils s’étaient convertis.
... Quant à Erdö, il a été désavoué par Mgr Celli pour qui « le panorama est totalement ouvert quant aux divorcés remariés » : « Si la discussion était finie avec la relation d’hier matin, que ferions-nous ici ? » Le briefing des journalistes a laissé l’impression d’une destruction systématique des propos d’Erdö…
Et pour que tout soit bien clair, le père jésuite Spadaro a déclaré en fin de journée : « En parlant de la famille, nous parlons en réalité de Gaudiem et Spes, c’est-à-dire des rapports entre l’Eglise et le monde. » (Voir ici et là Ndlr.)
Dans l’esprit de certains, là est bien l’objectif du synode.
Anne Dolhein
Source: Ouverture du synode sur la famille 2015 : premières escarmouches, Anne Dollhein, Reinformation.Tv, 6 octobre 2015 22 h 33 min·
On a vu qu'il ne suffit pas de dire que l'on ne va pas toucher à la doctrine, mais seulement à la pastorale au nom de la miséricorde, pour que la doctrine ne soit pas affectée. Concrètement c'est l'évolution que l'on observe en comparant par exemple la position de prélats "doctrinaux" comme celle du Cardinal Leo Burke qui entend garder la même pastorale sur l'interdiction de communier pour les divorcés remariés, et celle d'évêques "pastoraux" qui se déniant le droit de juger de la licéité des actes, reconnaissent ne pas refuser la communion à des divorcés remariés.
"La question posée n'étant pas de modifier, effectivement, la doctrine de «l'indissolubilité» du mariage - il y a unanimité sur ce point - mais de voir comment elle peut être «adaptée» pour des «raisons pastorales» aux différentes situations concrètes. «Nous devons être concrets» a plaidé le cardinal Marx.
Et c'est ainsi que l'évêque d'Anvers, Mgr Johan Bonny - connu pour ses positions ouvertes sur le mariage gay - a proposé que «le synode reconnaisse aux évêques locaux la responsabilité de formuler des réponses adéquates aux questions pastorales». Un autre ayant même avancé l'idée que des commissions d'études soient lancées «par continent» ou par «grandes régions culturelles» dès la fin du synode, de façon à réfléchir et mettre en place une décentralisation géographique et culturelle de la pratique pastorale catholique sur la question des divorcés remariés. L'un des chargés de communication pour le monde anglophone, le Père Rosica, ayant de fait, affirmé mardi: «Il sera difficile de trouver une solution universelle».* Cette idée aurait l'avantage d'éviter une guerre de positions au sein du synode en repoussant la question qui fâche dans l'espace et dans le temps mais elle ouvrirait une première historique de décentralisation touchant la doctrine, et donc de divisions potentielles, dans l'Église catholique." (Source : Synode : l'intervention inhabituelle du Pape, Le Figaro, Par Jean-Marie Guénois, Mis à jour le 07/10/2015 à 11:39 Publié le 07/10/2015 à 10:11)
* "Il sera difficile de trouver une solution universelle" : est-ce la fin de l'Eglise catholique universelle du Christ?
Dans la nouvelle pastorale, la doctrine de l'Eglise, confession, pénitence et communion, n'est plus prise en compte, elle est tout simplement annulée de fait, au nom d'une soit-disant "miséricorde" qui ne viendrait donc plus de Dieu mais de l'homme. Et la doctrine de l'Eglise se trouve ainsi affectée, contournée. Décentralisée dans les diocèses, dans le vécu quotidien des fidèles, sous la "responsabilité" des évêques, elle se retrouve fragmentée. L'universalité de la vérité se trouve annulée avec la bénédiction de ceux qui étaient chargés de garder la foi. L'Eglise elle-même se retrouve divisée.
Nous assistons là au processus subversif bien connu de la brèche dans laquelle s'engouffrent tous les groupes de pression. Il y a en effet une analogie à faire entre cette méthode et ce qui s'est passé pour les messes en langue vernaculaires où l'Eglise a laissé toute latitude aux évêques dans les diocèses d'autoriser les messes en langues locales. [1] Le résultat a été la disparition du latin et des chants grégoriens dans toutes les paroisses, alors que le Concile recommandait l'inverse, de conserver "l'usage de la langue latine" "dans les rites latins" (Sacrosanctum concilium, # 36,1). De même s'agissant de la distribution de la communion, l'indult de Paul VI de 1969 dans l'Instruction Memoriale Domini a conduit à une explosion des communions dans la main, alors que 88% du volume de cette instruction était consacré à confirmer la réception de la communion à genoux et sur les lèvres. [2]
Dans ce qui nous préoccupe aujourd'hui, ce serait, avec cette décentralisation dans les diocèses, qui serait là encore comme en 1969 assortie d'une "tolérance restreinte, encadrée, assortie d'un contrôle strict", etc., une nouvelle brèche et une porte grande ouverte vers une explosion des divorces, alors que l'indissolubilité du mariage serait rappelée dans le même temps. L'important, ce n’est pas le barrage doctrinal qui est solide en tous points sauf un, c’est la brèche.
Add. 8 octobre 2015. Un article de Sandro Magister du 8 octobre confirme l'analyse de Jean-Marie Guénois d'une "décentralisation géographique et culturelle de la pratique pastorale" et mon analyse sur la "brèche" ouverte dans laquelle pourront s'engouffrer les novateurs:
"lors de la conférence de presse, Bruno Forte, le secrétaire spécial du synode, n’a pas manqué de contrebalancer les propos d’Erdö, ouvrant ainsi une brèche aux innovations que le cardinal hongrois avait exclues :
"Étant entendu que l’on ne doit pas attendre de ce synode des modifications de la doctrine, il convient de dire avec beaucoup de clarté que ce synode ne se réunit pas pour ne rien dire. Ce n’est pas un synode doctrinal, mais un synode pastoral. Traiter les questions pastorales et chercher de nouvelles approches rend l’Église plus proche des femmes et des hommes de notre temps".
Et, en séance, de nombreux intervenants ont demandé non pas des réponses "universelles" aux problèmes en discussion, mais la liberté de chercher des "solutions régionales, nationales ou continentales permettant de relever des défis très différents", comme c’est d’ailleurs déjà le cas, en fait, dans certaines régions de l’Église, en particulier celles de langue allemande."
L'Eglise ne devrait donc pas changer la pastorale dans une sorte d'assouplissement pratique de la doctrine, car cette pastorale avec ses limites est thérapeuthique et libératrice. Cf "Béatrice Bourges, catholique divorcée remariée : "Finalement, ces règles (de l'Eglise), au lieu de m’enchaîner, me libéraient", elle devrait au contraire approfondir davantage cette pastorale (la définition de la famille et du mariage) en présentant l'alliance des époux comme une alliance avec le Christ.
Ainsi, lors d'une émission de KTO pour l'ouverture du Synode le 4 octobre, le cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques à Rome depuis 2010, ancien Archevêque du Québec, ancien Primat du Canada, a expliqué (à partir de 32:05 dans la video ci-dessous):
"il ne faut pas oublier que dans une pédagogie d'accompagnement, il ne faut pas non plus cacher la vérité. Vérité et charité. Parce qu'autrement on n'aide pas la personne, on l'enlise dans ses propres difficultés. Parce que Jésus sait très bien que pour arriver au bonheur il faut arriver à une relation de parfaite communion avec lui."
Interpellé par le journaliste de KTO sur le fait que l'Eglise ne saurait plus aujourd'hui "parler de la vérité sur la question du mariage et de la famille", le cardinal a répondu :
"Voyez-vous, ce qui nous manque dans notre pastorale c'est de faire comprendre que l'alliance des époux est une alliance avec le Christ. Cela n'est pas même catéchisé.
Et de comprendre le mariage comme un échange de dons. (Les époux) sont baptisés, poursuit le cardinal, ils appartiennent au Christ, ils vont offrir au Christ leur amour, leur famille, ce qu'ils veulent fonder. En réponse, le Christ s'engage avec eux. On dit qu'Il consacre leur union, et Il leur donne une infusion du Saint-Esprit. Cela est un échange de dons extraordinaire. Il ne faut pas que nos baptisés se privent de cela. Il faut que l'Eglise leur dise qu'il se passe quelque chose dans une célébration du mariage. Que (le mariage) est le symbole de toute la vie, de cet échange entre le Christ et les époux avec l'Esprit-Saint qui est au milieu et qui les fait progresser vers la sainteté, avec des hauts et des bas que nous connaissons."
Le Synode sur la "famille" travaillera-t-il sur un approfondissement de la catéchèse du mariage "alliance des époux, alliance avec le Christ" ?
Notes
[1] « [I]l revient à l’autorité ecclésiastique qui a compétence sur le territoire, … (même, le cas échéant, après avoir délibéré avec les évêques des régions limitrophes de même langue), de statuer si on emploie la langue du pays et de quelle façon. » (Paul VI, Constitution sur la Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, 4 décembre 1963, n° 36,3)
[2] 88% du volume de l’instruction Memoriale Domini du 29 mai 1969 était consacré à confirmer la réception de la communion à genoux et sur les lèvres, mais l'indult ouvrit la brèche qui a conduit à faire de la règle une exception et de l'exception la règle.