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18 janvier 2024 4 18 /01 /janvier /2024 19:09

Si l'on distingue entre le pape en tant que titulaire de la charge pétrinienne avec ses pouvoirs spécifiques (infaillibilité pontificale ex cathedra) et le pape "en tant que chrétien individuel dans l’état de pèlerinage", il ressort d'un entretien avec le Cardinal Müller, ex préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de Benoît XVI, que les papes peuvent être hérétiques.

 

De même,"l 'Église catholique n'est pas l'Église du Pape et les catholiques ne sont donc pas des papistes mais des chrétiens". Les catholiques ne croient pas que le pape soit un oracle, ni un monarque absolu, l'hyperpapalisme n'est pas le catholicisme. 

Cf. https://crisismagazine.com/opinion/the-catholic-church-is-not-the-popes-church-and-catholics-are-therefore-not-papists-but-christians-an-exclusive-interview-with-cardinal-gerhard-muller

Cf. https://crisismagazine.com/opinion/the-catholic-church-is-not-the-popes-church-and-catholics-are-therefore-not-papists-but-christians-an-exclusive-interview-with-cardinal-gerhard-muller

(Traduction française Blog Christ Roi)

Dans cet entretien le cardinal Müller aborde la nature de l'infaillibilité papale, les limites de l'autorité papale et la possibilité d'un pape hérétique.

 

Cole DeSantis

PUBLIÉ LE  18 janvier 2024

 

J'ai récemment envoyé quelques questions au cardinal Gerhard Müller au sujet de l'infaillibilité pontificale et les récentes paroles du cardinal décrivant le pape François comme ayant approuvé l'hérésie matérielle. Le Cardinal a eu la gentillesse de répondre à mes questions lors de l'échange de courriels suivant.

 

Comment décririez-vous la nature de l’infaillibilité pontificale ?

Dans quelles circonstances l’infaillibilité papale s’applique-t-elle ?

 

Cardinal Müller : La nature, les conditions et les limites de l'infaillibilité pontificale en tant qu'expression de l'infaillibilité de toute l'Église sont définies au chapitre 4 de la Constitution dogmatique Pastor aeternus [traitant de la primauté pontificale, seule partie débattue et votée. Ndlr.] du Concile Vatican I (1870). En référence à l'intégration de l'autorité suprême dans le collège des évêques, dont il est le chef visible, Vatican II déclare :

 

Cette infaillibilité, dont le divin Rédempteur a voulu pourvoir son Église pour définir la doctrine concernant la foi et les mœurs, s’étend aussi loin que le dépôt lui-même de la Révélation divine (divinae Revelationis depositum) à conserver saintement et à exposer fidèlement. (Lumen Gentium 25)

 

Les évêques allemands, avec l’approbation du pape Pie IX, déclarèrent au chancelier allemand Bismarck, qui voulait abuser de Vatican I pour justifier la destruction de l’Église catholique dans le « Kulturkampf » : "... le magistère infaillible de l’Église est lié au contenu de l’Écriture Sainte et de la Tradition, ainsi qu’aux décisions doctrinales déjà données par le magistère ecclésiastique" (Denzinger-Hünermann, n° 3116). C'est aussi ce que dit Vatican II avec la plus haute autorité dans la Constitution dogmatique sur la Révélation divine Dei verbum art. 10. Il faut ajouter que les fidèles doivent rendre "un assentiment religieux de volonté et de compréhension" à leurs évêques et en particulier au magistère authentique de l'évêque de Rome, même s'il ne parle pas en vertu de la plus haute autorité magistrale (ex cathedra). Cela s'applique selon l'accent mis sur une doctrine particulière, qui doit cependant être contenue explicitement ou implicitement dans la révélation.

 

Qu’a traditionnellement enseigné l’Église sur les limites de l’autorité papale ?

 

Cardinal Müller : Selon l'autorité divine du Christ, la révélation de Dieu lui-même est la base et la limite de l'enseignement et du ministère pastoral de l'Église : "Allez vers toutes les nations… et apprenez-leur à obéir à tout ce que je vous ai commandé" (Matthieu 28 : 20). L’approche d’une ecclésiologie catholique est importante. Dans Lumen Gentium, Vatican II n'a pas commencé avec le Pape car, contrairement à ce que croyaient les polémiques protestantes traditionnelles, l'Église catholique n'est pas l'Église du Pape et les catholiques ne sont donc pas des papistes mais des chrétiens. Le Christ est le chef de l’Église et de Lui toute la grâce et la vérité divines passent aux membres de Son corps, qui est l’Église. Mais il l'a aussi constituée sacramentellement comme communauté visible de confession, de moyen de grâce et d'unité dans la direction épiscopale. C'est pourquoi les évêques et les prêtres enseignent, guident et sanctifient les fidèles au nom du Christ (et non du tout au nom du Pape). Mais les catholiques ne sont pas les sujets de supérieurs ecclésiastiques, auxquels ils doivent une obéissance caduque aveugle comme dans un système politique totalitaire. En tant que personnes dans leur conscience et leur prière, ils s'adressent directement à Dieu dans le Christ et dans le Saint-Esprit. L'acte de foi s'adresse directement à Dieu, tandis que le magistère des évêques n'a pour tâche que de conserver fidèlement et intégralement le contenu de la révélation (donné dans la Sainte Écriture et la Tradition apostolique) et de le présenter à l'Église tel qu'il a été révélé par Dieu. 

 

Le Magistère n’est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais il est à son service, n’enseignant que ce qui a été transmis, puisque par mandat de Dieu, avec l’assistance de l’Esprit Saint, il écoute cette Parole avec amour, la garde saintement et l’expose aussi avec fidélité... (Dei verbum 10)

 

Dans une culture éloignée du christianisme, il est important de ne pas interpréter l’autorité ecclésiale en termes de pouvoir politique et de manipulation médiatique de l’opinion, mais à la lumière de la révélation de Dieu dans le Christ comme lumière qui éclaire tout être humain et conduit à la vie éternelle (Jn 1, 1-18). Même les cardinaux de l’Église romaine ne peuvent pas promettre une obéissance absolue au pape et sacrifier leur conscience et leur expertise à un programme douteux, comme l’expert britannique du Vatican Christopher Lamb aimerait l'argumenter contre la soi-disant "opposition interne de l’Église" dans son livre The Outsider. Ceux qui ne respectent pas la foi et la discipline de l’Église doivent être remis sur le droit chemin par des moyens spirituels et des châtiments ecclésiastiques. Les dirigeants absolus qui ont éliminé leurs collègues indisciplinés dans un politburo communiste ou dans le Conseil privé royal anglais avec le bannissement, la privation de propriété et les procès-spectacles ne sont pas un exemple pour nous. L’histoire pontificale nous offre aussi des spectacles indignes de pouvoir triomphant de la loi.

 

Pourriez-vous décrire brièvement quelques opinions communes sur différentes opinions théologiques concernant la manière de répondre à un pape hérétique et dans quelle mesure ces opinions sont largement acceptées parmi les théologiens et les canonistes ?

 

Cardinal MüllerLe problème fondamental provient de la distinction entre, d’une part, le pape en tant que titulaire de la charge pétrinienne avec ses pouvoirs spécifiques et, d’autre part, le pape en tant que chrétien individuel dans l’état de pèlerinage, qui peut aussi perdre la grâce sanctifiante par le péché mortel ou qui peut intérieurement et extérieurement s’éloigner manifestement de la foi, contredire hérétiquement la doctrine de la foi, ou même se séparer schismatiquement de l'Église. En ce qui concerne l’apostasie, l’hérésie manifeste ou le schisme ouvert du pape en tant qu’individu, il s’agit plutôt d’une question théorique ou de l’évaluation historique et théologique de personnages douteux de l’histoire papale (la plus connue est la question de l’hérésie et de l’excommunication du pape Honorius I).

Saint Robert Bellarmin

Dans son grand ouvrage De Romano Pontifice (Livre II, 30e section), le Docteur de l’Église Robert Bellarmin a résumé les opinions théologiques exprimées jusqu'alors sur l’hérésie possible d’un pape et sa perte de charge. En tout état de cause, l’opinion selon laquelle une autorité ecclésiastique ou même laïque pourrait destituer le pape dans le cadre d’une procédure judiciaire est exclue (contre le conciliarisme, le gallicanisme, etc.). Il est en effet choisi par les cardinaux comme la personne qui doit occuper la Chaire de Pierre. En réalité, cependant, il est nommé par le Christ s’il a accepté l’élection et est évêque de Rome par consécration et donc successeur de Pierre. En cas de contradiction flagrante et notoire, à Dieu ne plaise, avec l’enseignement de l’Écriture Sainte ou les définitions dogmatiques de la doctrine de la foi, les fidèles ne seraient plus obligés de lui obéir et il perdrait, pour ainsi dire, sa charge elle-même. Dans la pratique, cependant, comme à la fin du Moyen Âge, cela diviserait l’Église en différentes obédiences, selon qui considère leur pape comme le successeur légitime de Pierre. Nous devons une discussion détaillée de cette épineuse question au professeur Arnaldo Xavier da Silveira (Se un Papa è eretico : che fare ? Rome 2019 ; "Un pape peut-il être hérétique ?"). J’ai moi-même publié un livre sur l’ensemble de la théologie de la papauté : Gerhard Cardinal Müller, The Pope : His Mission and His Task (Catholic University of America Press, Washington, DC, 2021).

 

Comme vous le savez, il existe une différence entre les opinions théologiques, même répandues ou probables, et l’enseignement officiel de l’Église. Quel est l’état actuel de l’enseignement de l’Église sur la manière de traiter avec un pape hérétique ? L’Église a-t-elle une vision officiellement définie ? Y a-t-il jamais eu un moment dans l’histoire de l’Église où l’Église avait une vision spécifique ou définie sur cette question ?

 

Cardinal Müller : Il ne peut y avoir de définition de ces cas limites parce que les définitions se réfèrent à la foi révélée. On peut le voir dans les tentatives des conciles de Constance et de Bâle, qui ont dû trouver une issue pratique au schisme occidental malgré la fausse doctrine de la supériorité du concile sur les papes et les antipapes de leur temps. Au-delà de la distinction susmentionnée (entre le pape dans sa fonction de successeur du Christ et le titulaire actuel de cette charge pendant son pontificat), il ne peut y avoir de procédure canonique (c’est-à-dire une loi ecclésiastique purement positive au-dessus de la loi divine) qui pourrait officiellement déclarer un pape régnant hérétique formel et le déposer légalement. Le charisme personnel de l’infaillibilité ex cathedra ne doit pas être confondu avec la grâce spéciale d’être sauf du péché et de l’apostasie dans l’état de pèlerinage. Ce fossé ne peut pas être comblé au sein de l’Église parce que l’autorité suprême ne peut pas être jugée indéfiniment par une autorité encore plus élevée et donc le seul juge du pape régnant est Dieu seul. Il veillera à ce que l’Église ne se détruise pas elle-même à la racine de son unité dans la vérité du Christ. C’est pourquoi notre humble prière et notre manière chrétienne de nous traiter les uns les autres sont d’autant plus nécessaires dans cette situation. 

 

Y a-t-il déjà eu un pape hérétique dans le passé, et si oui, quelle a été la réponse de l’Église ? Que pouvons-nous apprendre de ces événements historiques ?

 

Cardinal Müller : Au fil des siècles, le terme hérésie a été interprété de manière plus large et plus étroite. Dans le sens technique actuel de l’hérésie formelle, c’est-à-dire la négation directe d’une doctrine révélée dogmatiquement définie par l’Église, il n’y a pas eu un seul pape hérétique (pas même en tant que personne privée), même dans la rétrospective historique. Le fait que les évêques romains dans la succession de Pierre, soient toujours restés fidèles à la foi apostolique et l’aient activement présentée à toute l’Église est à la fois historiquement prouvable et un objet de la foi catholique et divine (Vatican I, Pastor aeternus, chapitre 4).

 

Cela semble être le cas même avec les déclarations plus problématiques ou trompeuses du pape François. Seriez-vous d’accord avec cette évaluation ? À cela s'ajoute l'idée, avancée par certains commentateurs, selon laquelle bon nombre des implications que les gens voient dans les paroles du pape François sont interprétées dans les paroles du pape François par certaines personnes dans les médias qui souhaitent que l'Église catholique change ses enseignements, et Si l’Église ne peut pas ou ne veut pas changer ses enseignements, elle peut au moins déformer les paroles du pape François pour donner l’impression qu’il va changer l’enseignement de l’Église. Selon vous, dans quelle mesure les éléments problématiques des enseignements du pape François découlent de cette dynamique ?

 

Cardinal Müller : Certes, à l’ère des médias hautement idéologisés, les différents groupes qui instrumentalisent les déclarations du pape François pour leurs propres intérêts doivent être remis à leur place. Nous devons aussi respecter la personnalité de la Chaire de Pierre. En termes de profondeur théologique et de précision d’expression, le pape Benoît XVI était une exception plutôt que la norme dans l’histoire mouvementée des papes. Mais les évêques et le Pape doivent aussi être conscients des limites de leur mission. Ils ne peuvent utiliser l’autorité que leur a donnée le Christ que pour conduire les gens au Christ par la Parole de Dieu et les saints sacrements (et ne peuvent en aucun cas nuire à la crédibilité de l’Église par le népotisme et le favoritisme, l’ingratitude de l’air du temps). 

 

Il faut également observer l'autonomie relative des différentes disciplines laïques (Gaudium et spes 36), dans lesquelles ils ne sont impliqués que dans la mesure où ils doivent défendre la dignité et la liberté de l'homme contre les empiétements politiques, idéologiques et médiatiques. Il ne peut pas non plus y avoir d’opposition absolue, ni même pragmatique, entre doctrine et pastorale, car le Christ lui-même est maître et pasteur en sa personne. La doctrine de l’Église aujourd’hui ne peut en aucun cas être considérée comme connue (malheureusement même par tous les évêques, dont il existe suffisamment d’exemples) pour se concentrer uniquement sur l’application pastorale à des personnes individuelles ou à des "groupes marginalisés". Il ne suffit pas d’être photographié avec des soi-disant "transpersonnes", mais il faut aussi avoir le courage de qualifier le changement de sexe hostile au corps, de péché grave contre la volonté du Créateur. En outre, "l'enseignement des apôtres" (Actes 2, 42) sous la forme de la confession de l'Église n'est pas n'importe quel système de pensée avec lequel le catholique normal n'a rien à voir, mais la Parole de Dieu qui crée le salut et éveille la foi, qui est donnée à l'Église dans la parole apostolique des évêques et des prêtres (cf. 1 Thessaloniciens 2, 13). Le format médiatique doit également être envisagé concrètement. Les entretiens papaux peuvent être utiles, encourager les gens dans leur foi et fournir une orientation. Ce ne sont pas des documents contraignants qui interprètent avec autorité la foi de l’Église. Alors que l’attention médiatique sur l’Église se concentre globalement sur le Pape, il convient de noter que les catholiques croient au Christ et ne peuvent attendre le salut que de Lui et que le Pape et les évêques ne sont que ses serviteurs. Parce qu'on oublie que l'Église, comme corps du Christ et temple du Saint-Esprit, est la communion de vie la plus intime avec le Dieu trinitaire, à qui la forme visible de l'Église ne sert que de médium ( Lumen Gentium 8), ils jugent mal les journalistes en utilisant des catégories politiques et idéologiques (gauche-droite, conservateur-moderniste, etc.). Une présentation et une formulation flatteuses de "l’Église du pape François" ou des évêques sur la "ligne de Bergoglio", qui révolutionne l’Église du Christ par des décisions "irréversibles", sont non seulement sous-exposées sur le plan théologique, mais sapent également la crédibilité de l’Église du pape François. L'Église comme sacrement du salut du monde en Jésus-Christ (1 Timothée 2 : 5).

 

Comment les fidèles catholiques devraient-ils réagir aux déclarations problématiques sur le plan théologique ou spirituel avancées par le pontife ? Comment doivent-ils maintenir la nécessité d’obéissance et de communion avec le pape et le besoin d’évangéliser en présence de déclarations problématiques ou difficiles à interpréter du pape ?

 

Cardinal Müller : Nous tirons notre foi des Saintes Écritures et des enseignements de l'Église tels que résumés dans le Catéchisme officiel basé sur les enseignements du Concile Vatican II. Nous vivons par la grâce du Christ dans les sacrements. La vie de l'Église se déroule dans les paroisses, les communautés de prière, les écoles et institutions catholiques. Aussi importante que soit l'orientation vers "Rome" en ce qui concerne l'unité de l'Église universelle dans la vérité du Christ, il ne faut pas confondre l'article de foi de l'enseignement et de la primauté juridictionnelle de l'évêque romain comme successeur de Pierre avec un culte de la personnalité, comme cela se produit également dans des contextes laïques. Le Christ est le chef de l’Église, de qui émanent toute grâce et toute vérité. Les apôtres, Pierre à leur tête, ne sont que ses témoins et ses hérauts. Ils se consacrent au "ministère de la parole et des prières", la liturgie (Actes 6 : 4). Ce n’est pas leur prestige social et leur présence dans les médias qui sont le critère pour les papes et les évêques de notre époque, mais la question de savoir s’ils rendent le Christ présent à notre époque. Le pape et les évêques servent de modèles à l’Église, à l’instar du bon berger qui a donné sa vie pour ses brebis (1 Pierre 5 : 1-4).

 

Merci à Son Eminence d'avoir pris le temps de répondre à ces questions.

 

Cf. https://crisismagazine.com/opinion/the-catholic-church-is-not-the-popes-church-and-catholics-are-therefore-not-papists-but-christians-an-exclusive-interview-with-cardinal-gerhard-muller

***

Mise à jour du 20 janvier 2024

 

"L'"ingratitude de l'air du temps", selon le philosophe Edward FESER, résume assez bien le dernier demi-siècle de l'histoire de l'Église. Pour chaque hérétique pur et dur, il y a probablement un millier de catholiques qui, au fond, veulent désespérément que le monde séculier moderne les aime..."

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