En 1790, il y avait 21 soeurs au Carmel de Compiègne dont la plus âgée avait 75 ans et la plus jeune 26 ans.
Chassées de leur Carmel en 1792, elles s'installèrent dans 3 maisons voisines.
Lors d'une perquisition des révolutionnaires, ceux-ci trouvèrent des images du Sacré-Coeur (emblème vendéen et royaliste) ainsi que des lettres destinées à des prêtres réfractaires. Arrêtées, elles furent escortées jusqu'à Paris et là, jugées sommairement et guillotinées sur la Place du Trône (aujourd'hui, Place de la Nation).
Arrivée à Paris la brutalité s'abat sur soeur Charlotte ; infirme, âgée, les mains ligotées derrière le dos depuis le début du voyage, harassée par ce trajet sous un soleil ardent, ballottée dans une mauvaise charrette, elle ne sait descendre. Deux sans-culottes montent alors dans la charrette et la projettent brutalement sur le pavé. Son visage est en sang. Elle se relève péniblement, sans une plainte, remerciant même ses bourreaux de ne pas l'avoir tuée, préférant s'offrir en martyre.
Le cachot où elle est jetée est répugnant et comble car chaque jour les exécutions laissent la place libre pour les nouveaux arrivants mais dans sa bonté, elle prodigue soins et courage à chacun et chacune. Elle suit plus que jamais la Règle, récite tous les offices et prie.
Le 17 juillet 1794, l'affaire, jugée grave, est portée devant le Tribunal révolutionnaire de Paris présidé ce jour-là par leur concitoyen Scellier, le frère du maire de Compiègne. (Mis en jugement le 28 mars 1795, ce dernier sera condamné à son tour le 6 mai et exécuté le lendemain, en même temps que Fouquier-Tinville !)
Le citoyen Fouquet-Tinville tient le siège d'accusateur. Après un semblant de procès factice et rapide, la condamnation est prononcée. Moins d'une heure après la levée de l'audience la sentence sera exécutée place de la Nation pour le seul motif de "machiner contre la République".
Lorsque les exécuteurs l’aident à monter les marches de l’échafaud, sœur Charlotte ne peut s’empêcher de leur dire d’une voix douce : « Mes amis, je vous pardonne de tout mon cœur ».
En montant sur l'échafaud, les religieuses chantaient le Veni Creator et la mère supérieure donna la bénédiction à chacune avant d'être elle-même guillotinée. Seule une soeur en réchappa, absente le jour de l'arrestation, et publia un récit en 1836, basé sur de nombreux témoignages. Elles furent béatifiées en 1905 par Pie X.
Ces morts tragiques ont alimenté au XXe siècle toute une œuvre tant littéraire avec la pièce de Georges Bernanos appelée « le dialogue des Carmélites », cinématographique avec le film du même nom du Père Bruckberger, que musicale avec l’opéra de Francis Poulenc ou artistique avec Molineri peignant en 1906 un tableau appelé « les Carmélites montant à l’échafaud » et qui se trouve au Carmel de Compiègne.

Hymne du Veni Creator et Séquence de la Pentecôte "Veni Sancte Spiritus", en grégorien.
- Latin
- Veni, creator, Spiritus,
- Mentes tuorum visita,
- Imple superna gratia
- Quae tu creasti pectora.
- Qui diceris Paraclitus,
- Altissimi donum Dei.
- Fons vivus, ignis, caritas
- Et spiritalis unctio.
- Tu septiformis munere,
- Digitus paternae dexterae.
- Tu rite promissum Patris,
- Sermone ditans guttura.
- Accende lumen sensibus
- Infunde amorem cordibus,
- Infirma nostri corporis
- Virtute firmans perpeti.
- Hostem repellas longius
- Pacemque dones protinius;
- Ductore sic te praevio
- Vitemus omne noxium.
- Per te sciamus da Patrem,
- Noscamus atque Filium;
- Teque utriusque Spiritum
- Credamus omni tempore.
- Deo Patri sit gloria,
- Et Filio, qui a mortuis
- Surrexit, ac Paraclito
- In saeculorum saecula.
- Amen.
- Français
- Viens, Esprit Créateur,
- visite l'âme de tes fidèles,
- emplis de la grâce d'En-Haut
- les cœurs que tu as créés.
- Toi qu'on nomme le Conseiller,
- don du Dieu très-Haut,
- source vive, feu, charité,
- invisible consécration.
- Tu es l'Esprit aux sept dons,
- le doigt de la main du Père,
- L'Esprit de vérité promis par le Père,
- c'est toi qui inspires nos paroles.
- Allume en nous ta lumière,
- emplis d'amour nos cœurs,
- affermis toujours de ta force
- la faiblesse de notre corps.
- Repousse l'ennemi loin de nous,
- donne-nous ta paix sans retard,
- pour que, sous ta conduite et ton conseil,
- nous évitions tout mal et toute erreur.
- Fais-nous connaître le Père,
- révèle-nous le Fils,
- et toi, leur commun Esprit,
- fais-nous toujours croire en toi.
- Gloire soit à Dieu le Père,
- au Fils ressuscité des morts,
- à l'Esprit Saint Consolateur,
- maintenant et dans tous les siècles.
- Amen.
Les 16 religieuses Carmélites guillotinées à Paris le 17 juillet 1794.
Noms, dates et lieux de naissances :
1 - Mère Thérèse de St. Augustin : Madeleine-Claudine Lidoine, 1752, Paris, St Sulpice
2 - Sœur Saint Louis : Marie-Anne-Françoise Brideau, 1751, Belfort
3 - Sœur de Jésus Crucifié : Marie-Amie Piedcourt,1715, Paris, St. Innocents
4 - Sœur Charlotte de la Résurrection : Anne-Marie-Madeleine-Françoise Thouret, 1715, Mouy (Oise)
5 - Sœur Euphrasie de l’Immaculée Conception : Marie-Claude-Cyprienne Brard, 1736, Bourth (Eure)
6 - Mère Henriette de Jésus : Marie-Françoise de Croissy, 1745, Paris, St. Roch
7 - Soeur Thérèse du Cœur de Marie : Marie-Anne Hanisset, 1742, Reims
8 - Sœur Thérèse de St. Ignace : Marie-Gabrielle Trézel, 1743, Compiègne, St. Jacques
9 - Sœur Julie-Louise de Jésus : Rose Crétien de Neuville, 1741, Évreux (Eure)
10- Sœur Marie-Henriette de la Providence : Anne Pelras, 1760 Cajarc (Lot)
11 - Sœur Constance de Jésus : Marie-Geneviêve Meunier, 1765, St. Denis
12 - Sœur Marie du Saint-Ésprit : Angélique Roussel, 1742, Fresne-Mazancourt (Somme)
13 - Sœur Ste Marthe : Marie Dufour, 1741, Bannes (Sarthe)
14 - Sœur St. François-Xavier : Elisabeth-Juliue Verolot, 1764, Lignières (Aube)
15 - Sœur Catherine : Marie-Anne Soiron, 1742, Compiègne, St. Jacques
16 - Sœur Thérèse : Marie-Thérêse Soiron, 1748, Compiègne, St. Jacques
(source : site du Carmel)

Autres martyrs de la Révolution dite "française" : Les martyrs des Pontons de Rochefort (1794-1795)

LECTURES AUTOUR DES CARMELITES DE COMPIEGNE
Gertrud von Le Fort: La dernière à l'échafaud
Adaptation de Jean-Dominique Hamel
Lu par Nathalie Hamel
1792, la révolution gronde. Les vœux monastiques sont supprimés. Au Carmel de Compiègne, les religieuses doivent se séparer.
Absente de Compiègne lors de l'arrestation de ses soeurs, Soeur Marie de l'Incarnation sera la seule rescapée de l'exécution des carmélites de Compiègne à la barrière du Trône renversé (actuellement place des Antilles à la Nation) le 24 juillet 1794. Vers 1830, peu de temps avant sa mort, elle écrit ses mémoires qui sont un témoignage unique sur la Terreur. Ces mémoires de l'unique survivante des Carmélites de Compiègne ont inspiré à Gertrud von Le Fort sa nouvelle: la dernière à l'échafaud.
"La crainte est quelque chose de plus profond que le courage". Écrite en 1931, cette nouvelle raconte l'histoire des seize carmélites de Compiègne guillotinées le 17 juillet 1794. C'est sur cette nouvelle que Georges Bernanos s’appuiera pour écrire ses "Dialogues de carmélites".
Préparons-nous à la victoire
Sous les drapeaux d'un Dieu mourant ;
Que chacun marche en conquérant ;
Courons tous, volons à la gloire !
Ranimons notre ardeur :
Nos corps sont au Seigneur.
Montons, montons
À l'échafaud, et Dieu sera vainqueur.
Franck Ferrand raconte l'histoire des carmélites de Compiègne sur Radio Classique, avec un extrait de l'opéra Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc. (GloriaTv)
Extrait :
« C'est donc au printemps 1794 que la liberté déjà relative des Carmélites de Compiègne est brusquement remise en cause. Et ce, pour des raisons qui ne sont pas claires. Je cite Jacques Bernet : "Croyant avoir à se dédouaner d'accusations bien imprécises de modération et de laxisme auprès des Comités de salut public et de sûreté générale, les autorités jacobines compiégnoises apeurées inventèrent de toute pièce un complot fanatique qui aurait été ourdi par les religieuses du Carmel." [...] Les forces de l'ordre sont là qui de nouveau vont frapper aux portes des Carmélites. Des perquisitions sont organisées et les 16 religieuses qui sont encore là ne peuvent rien faire, sinon regarder ces hommes armés qui sont en train de semer un désordre total dans leurs logements. On retourne leurs maisons de fond en comble. Et que vont trouver ces fins limiers ? Quelques lettres qui critiquent la révolution, une image de Louis XVI, qui a été guillotiné un an plus tôt, des représentations du Sacré-Coeur de Jésus, trop semblables leur dit-on aux fameux symboles des insurgés vendéens. Et cependant le 24 juin, les Carmélites sont arrêtées sans jugement. [...] Celui qui se charge de l'accusation est Fouquier-Tinville. "Elles auraient, relève Jacques Bernet, formé des conciliabules de contre-révolution." Peu importe, les preuves sont très faibles, mais toutes sont condamnées à mort, et toutes vont être exécutées.
[...] Elles sont conduites en charrettes à la barrière de Vincennes où les attend la machine, la guillotine. Et sur le chemin, les religieuses que l'on reconnaît avec leur grandes capes blanches, chantent, implorent le Seigneur, et prient la Vierge marie.
De façon inhabituelle, leur arrivée va imposer à la foule qui est là et qui attend, le plus grand calme, un silence qui répond à leurs psalmodies.
Et il faut le dire. Au moment de cette exécution, ils 'est passé quelque chose. Soeur Constance et ses soeurs mettent pieds à terre, sous les yeux de la foule, et s'installent près de la guillotine. Moment d'une intensité extraordinaire, elles décident à ce moment-là de réitérer leurs voeux ! Et pour soeur Constance qui à ce moment-là était novice, c'est le moment tant attendu, celui qui lui avait été interdit cinq ans plus tôt au moment où il aurait dû avoir lieu. Les Carmélites vont à Dieu. Leurs chants reprennent, la peur s'éloigne, la foule est complètement sonnée, stupéfaite. Même le bourreau Sanson est décontenance par cette fermeté mêlée d'allégresse, presque joyeuse. Et c'est à la plus jeune maintenant d'aller affronter son sort, puisque c'est elle qui va être exécuter en premier, soeur Constance salue la prieure. Elle chante encore le Laudate Dominum, Loué le Seigneur. le choeur des religieuses l'accompagne alors qu'elle monte à l'échafaud. Et la jeune fille ne faiblit pas ! Elle paraît nous rapporte-t-on une reine allant recevoir un diadème.
Dix jours plus tard, nous dit Jacques Bernet, c'était la chute de Robespierre, qui devait ultérieurement être interprété par les catholiques comme le miracle accompli par les Carmélites compiégnoises qui auraient versé leur sang en holocauste pour arrêter la Terreur. Le spectacle de leur mort inique et de leur courage devant l'échafaud aurait en effet retourné l'opinion populaire parisienne contre le gouvernement révolutionnaire, lui faisant prendre conscience de l'horreur et de l'absurdité de la force coactive de la Révolution comme de la nécessité urgente d'en arrêter l'emballement sans contrôle. Je crois monsieur Bernet sur parole, on aimerait tellement que le grand sacrifice n'ait pas été vain. »
En 1792 la république du soupçon des "Argus, Surveillants, Dénonciateurs, Sentinelles et Aveugles clairvoyants" (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 70) repose tout entière et seulement dans l'exercice du soupçon ! « L'idéologie révolutionnaire est à la recherche d'auteurs, de responsables, d'un ou plusieurs "individus" à désigner. » (Lucien Jaume, Le Discours jacobin et la démocratie, Fayard, Saint-Amand-Montrond 1989, note 65, p. 170.) « La recherche et la dénonciation nominale des ennemis de la Nation ou du Peuple n'a pas été le propre des Jacobins; il s'agit d'une conduite généralisée dès le début de la Révolution... » (Lucien Jaume, Le Discours jacobin, ibid., p. 192.)
« L'imaginaire du complot remplit une autre fonction encore. La crainte du "complot aristocratique" est en effet le vecteur par lequel la nation se constitue. [...] La nation [révolutionnaire. Ndlr.] se définit par ce qu'elle rejette; elle prend forme forme matérielle, consistance et réalité, à travers la mobilisation qu'entraînent les rumeurs sur les complots qui le menacent. » (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 65.)
Francis Poulenc, Dialogues des Carmélites, Finale & Salve Regina
***
Le film de 1983 "Dialogues des Carmélites de Georges Bernanos", d'après la nouvelle de Gertrud von Lefort et le scenario du R.P. Bruckberger, dominicain (Source GLORIA.TV) :