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25 mai 2009 1 25 /05 /mai /2009 06:59

Mis à jour le 28/12/2019.

Saint Grégoire VII, l'un des plus grands Papes que Jésus-Christ ait donnés à Son Église, fut au XIe siècle, l'homme providentiel destiné à combattre tous les grands abus de cette époque si troublée ("réforme grégorienne") : les empiètements des empereurs d'Allemagne, la vente des dignités ecclésiastiques, la contagion des mauvaises moeurs du clergé et dans le peuple. Il fut un homme fort instruit, très vertueux, surtout un grand caractère.

Il se réclamait de son grand prédécesseur saint Grégoire Ier († 604.)

Rome, la Romanitas, un principe universel porté d'abord au temps des Césars par un empire, avant que la papauté ne s'en fasse la dépositaire au nom de l'Église catholique ("universelle" en grec). Mais ce que l'on dit moins c'est que cet ensemble de valeurs universelles héritées de la pensée gréco-romaine et de la Bible ne nous pas été transmis, à travers les siècles, sans difficultés. Les empereurs ont d'abord endossé la dignité du Souverain pontificat (pontifex maximus). Dans toutes les civilisations antiques, la religion et l'État ne font qu'un. 

La papauté est devenue presque malgré elle, de manière accidentelle, un pouvoir impliqué dans les querelles de ce monde. Tout débuta avec Jésus : "Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu" (Mt 22,21). C'est la papauté qui permit ensuite la distinction et l'autonomie des deux pouvoirs temporel et spirituel jusqu'ici intriqués, notamment avec Grégoire VII, et avant lui, avec Gélase Ier, qui écrivit à l'empereur Anastase au Ve siècle une lettre pour le réprimander en 494, lui précisant une idée vieille de deux siècles (à partir du moment où Constantin a commencé à convoquer des conciles), selon laquelle les empereurs ne peuvent pas faire le dogme et décider pour l'Église.


Hildebrand (tel était le nom de famille de notre réformateur Grégoire VII) eut pour père un charpentier de Toscane.

Il était encore enfant, sans aucune connaissance des lettres, lorsque, jouant dans l'atelier de son père, il forma avec des débris de bois ces mots du Psalmiste, présage de l'autorité que plus tard il devait exercer dans le monde : Dominabitur a mare usque ad mare : "Sa domination s'étendra d'un océan à l'autre."

Après une première éducation chrétienne, le jeune Hildebrand acheva de se former et de se préparer à la mission que Dieu lui réservait, dans le célèbre monastère de Cluny, foyer de sainteté et de science qui fournit alors tant de grands hommes.

Outre, le choix des évêques ou la convocation des conciles, "l'empereur germanique passe par-dessus le peuple romain et les notables pour nommer directement les papes.

De même, "le roi et les grands estimaient pouvoir investir les évêques dans leur charge, [...] parce que la fonction épiscopale restait conçue [...] comme un prolongement naturel du pouvoir du princeps." (Florian MAZEL, 888-1180 Féodalités, Histoire de France, sous la direction de Joël Cornette, Folio, Gallimard, Trebaseleghe, Italie 2019, p. 281.)

 

"[...] Le parti réformateur autour d'Hildebrand et de Pierre Damien fait nommer l'évêque de Florence, qui prend le nom de Nicolas II. Celui-ci convoque un synode au Latran en 1059, qui aboutit au décret In nomine Domini : dorénavant, l'élection des papes sera réservée aux cardinaux, c'est-à-dire aux titulaires des principales églises romaines, constituant ainsi ce qui va devenir le Sacré-Collège. L'élection des papes sera de la sorte dégagée autant que possible des influences extérieures, celle des empereurs comme celle des grandes familles et des partis romains." (Thomas TANASE, Histoire de la papauté d'Occident, Gallimard, Folio Inédit Histoire 2019, p. 135, 146.)

 

Grégoire VII, Pape

Le courage avec lequel, simple moine, il osa dire au Pape Léon IX (1048-1054) que son élection n'était pas canonique fut l'occasion de son élévation aux plus hautes dignités de l'Église. Ce saint Pape avait été élu par l'empereur d'Allemagne ; mais son élection fut ratifiée ensuite par le clergé et le peuple de Rome. En 1049, charmé de la franchise d'Hildebrand, Léon IX le fit venir près de lui et le regarda comme son meilleur conseiller pendant les cinq ans de ce pontificat. Après la mort de Léon IX, quatre Papes successifs lui conservèrent une pleine confiance. Hildebrand continua à servir Victor II (1055-1057), puis Étienne IX (1057-1058). À la mort de ce dernier, ses conseils firent désigner Nicolas II (1059-1061) et avec le cardinal Humbert et le moine ermite Pierre Damien, il inspira le décret de 1059 sur la liberté de l'élection pontificale. (Jean CHELINI, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Pluriel, Millau 2012, p. 275-276.)

 

"Pendant toutes ces années, l'homme clé de la Curie romaine est le cardinal Hildebrand, qui devient en 1073 le pape Grégoire VII. Avec lui, la lutte pour la 'liberté' de l'Église permet au pape d'affirmer son droit d'intervention canonique dans une mesure jamais atteinte. Il va jusqu'à s'en prendre au contrôle impérial sur les églises, ce qui l'amène à un conflit ouvert avec l'empereur Henri IV: c'est ce que l'on a appelé la 'Querelle des Investitures'. Le pape interdit l'investiture laïque, notamment par l'empereur, des évêques et des principaux titulaires de charges ecclésiastiques. [...] Henri IV décide de réunir son clergé pour déposer Grégoire VII en 1075. Celui-ci répond en excommuniant l'empereur et en déliant ses sujets du serment d'obéissance." (Thomas TANASE, Histoire de la papauté d'Occident, Gallimard, Folio Inédit Histoire 2019, p. 148.)

 

La réforme grégorienne

 

"Hildebrand n'apportait pas sur le trône de Pierre une doctrine toute élaborée. Intelligent et instruit ce n'était pas un intellectuel spéculatif, mais beaucoup plus un homme d'action.

"En dehors de l'Écriture, l'Ancien Testament surtout, il connaissait très bien le droit canon, un peu les Pères. Par là, il se rattachait plus à la mentalité clunisienne qu'à la tradition dialectique.

"Au cardinal Humbert et à Pierre Damien il avait emprunté nombre d'idées essentielles. Au premier, la volonté d'indépendance absolue de la papauté, au second, celle de gouverner seul. (En 1057, Humbert publie l'Adversus simoniacos, Contre les simoniaques, dans lequel il rappelle que dans la coopération entre empire et sacerdoce c'est l'Église, âme du corps ecclésial dont le roi est la tête, qui détermine ce qu'il faut faire. Il reconnaît que le roi prend part à l'élection des prélats, mais souligne que cela ne signifie pas qu'il lui revient de les choisir et encore moins de les investir...)

"Grégoire considérait que l'essentiel de sa tâche était de rétablir l''ordre juste' qui, selon saint Augustin, était la condition même de l'installation du royaume de Dieu sur terre.

La justice étant la vertu qui rend à chacun ce qui lui appartient..., "le maître mot de son vocabulaire fut [...] justitia.

"L'établissement de la justice sur la terre devait produire la paix.

"Les thèmes grégoriens n'avaient rien de très original; on les retrouve six siècles avant chez saint Augustin." (Jean CHELINI, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Pluriel, Millau 2012, p. 277.) 

 

"La réforme [...] met l'accent sur la purification morale et disciplinaire du clergé. [...] [U]ne rupture se dessine au fur et à mesure que la papauté s'émancipe de la tutelle impériale sous les pontificats d'Étienne IX (1057-1059) et Nicolas II (1059-1061). La décision de confier aux cardinaux l'élection du pape, en 1059, enlève à l'empereur le choix du souverain pontife; elle marque un tournant majeur.

[...] Il y a [...] au fondement de l'exigence réformatrice une conscience accrue du péché, vécu sur un plan d'abord ecclésiologique. [...] La réforme se pense comme un retour aux origines, à la 'forme primitive de l'Église' (Ecclesiae primitivae forma), à la communauté des apôtres évoquée dans les Évangiles ou le livre des Actes." (Florian MAZEL, 888-1180 Féodalités, Histoire de France, sous la direction de Joël Cornette, Folio, Gallimard, Trebaseleghe, Italie 2019, p. 265-266.)

En effet, au IVe siècle, l'empereur Constantin se convertissant, il fit des évêques 'de hauts dignitaires, sur un pied d'égalité avec les sénateurs les plus aisés' (DUFY, 1997, 27). [...] Les postes ecclésiastiques [...] furent bientôt pris d'assaut par les fils de l'aristocratie, dont certains étaient nommés évêques avant même d'avoir été baptisés. Par la suite, l'accès une position importante au sein de l'Église fut principalement une question d'influence, de marchandage et, à l'occasion, d'hérédité. La simonie devint la règle: on assista à un trafic complexe et onéreux des postes ecclésiastiques, comprenant non seulement la vente de positions éminentes comme celle d'évêque, mais aussi celle de modestes fonctions paroissiales." (Rodney STARK, Faux Témoignages, Pour en finir avec les préjugés anticatholiques, Salvator, Paris 2019, p. 209.)

De nombreux conciles à partir du IVe siècle avaient condamné la simonie et déposer les clercs impliqués; seules les offrandes spontanées des fidèles étaient acceptées. Au Haut Moyen-Âge, on dénonçait surtout la simonie-achat dans les élections épiscopales et les ordinations (conciles mérovingiens d'Orléans en 533, 549, Clermont en 535, Paris en 614; Grégoire le Grand, Isidore de Séville, etc.).

Les pratiques simoniaques semblent particulièrement développées du IXe siècle au XIe siècle, et touchent toutes les fonctions religieuses. Le trafic des évêchés et des abbayes apparaît le plus scandaleux et certains souverains en tirent des revenus (Rodolphe II de Bourgogne 912-937, Henri Ier de France 1031-1060, Otton III 983-1002, Conrad II 1027-1039, Henri IV 1054-1105, etc.) ("SIMONIE" dans Dictionnaire du Moyen-Âge, sous la direction de Claude GAUVARD, Alain de LIBERA, Michel ZINK, Quadrige Puf, Paris 2002, p. 1335-1336.)

"Cette connivence de la féodalité occidentale et du clergé simoniaque et incontinent fit toucher du doigt à Grégoire VII la source profonde du mal, l'investiture laïque qui, avec elle, avait introduit dans le clergé le goût de l'argent et des femmes." (Jean CHELINI, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Pluriel, Millau 2012, p. 279.)

"L'action des réformateurs pèse surtout sur les prêtres, auxquels il s'agit d'imposer le célibat et la chasteté, seuls en mensure de leur conférer la pureté nécessaire à l'exercice de leur fonction. [...] La situation était plus délicate dans les campagnes où le concubinage des prêtres était largement pratiqué et toléré. Il était fréquent que les prêtres aient des enfants et il arrivait même que la cure d'une paroisse se transmette de père en fils. [...] [L]'efficacité du programme grégorien reste impossible à mesurer. Mais [...] les réformateurs sont bel et bien parvenus à créer chez de nombreux clercs un sentiment de culpabilité et à imposer un nouveau modèle." (Florian MAZEL, 888-1180 Féodalités, Histoire de France, sous la direction de Joël Cornette, Folio, Gallimard, Trebaseleghe, Italie 2019, p. 308-309.)

"Au fondement des principes grégoriens figure la séparation entre clercs et laïcs. [...] [C]ette conception implique [...] la désacralisation de tous les pouvoirs laïques. [...] [E]lle inspire, à la fin du XIIe siècle, les théories ministérielles de la royauté d'un Thomas Becket ou d'un Jean de Salisbury. [...] Animés de ces principes, les réformateurs considèrent que l'ensemble des fonctions, des biens, des lieux et des droits définis comme ecclésiastiques ou considérés comme tels doivent être attribués, possédés et exercés par les clercs eux-mêmes, de manière autonome. [...] La désignation des évêques doit revenir au 'clergé et au peuple' de chaque cité épiscopale, bientôt incarnés par le collège des chanoines de la cathédrale, ou de manière exceptionnelle à la papauté ou à ses représentants; la désignation des abbés doit quant à elle revenir au chapitre de l'abbaye ou à l'évêque selon les lieux et les circonstances. L'investiture des évêques [...] par un laïc, fût-il roi, est dénoncée avec vigueur.

"[...] Une telle redéfinition de l'Église et de sa place [...] représente une complète rupture par rapport à la tradition carolingienne. [...] À ce titre aussi la réforme 'grégorienne' apparaît comme une révolution culturelle." (Florian MAZEL, 888-1180 Féodalités, Histoire de France, sous la direction de Joël Cornette, Folio, Gallimard, Trebaseleghe, Italie 2019, p. 264-268.)

"Grégoire VII [...] condamna l'investiture laïque lors des synodes de 1075-1078 et 1080, excommuniant les contrevenants." (Dictionnaire du Moyen-Âge, sous la direction de Claude GAUVARD, Alain de LIBERA, Michel ZINK, Quadrige Puf, Paris 2002, p. 1336.)

Dans le domaine des miracles, "Grégoire VII, [...] se montre favorable au renforcement des contrôles des faits jugés 'miraculeux'." (Patrick SBALCHIERO, Enquête sur les miracles dans l'Église catholique, Artège, Paris 2019, p. 67.)

"Au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle, les évêques mendiants pourront se généraliser. Il y aura des cardinaux, voire des papes dominicains et franciscains." (Thomas TANASE, Histoire de la papauté d'Occident, Gallimard, Folio Inédit Histoire 2019, p. 182.)

"Au Concile de Trente (1551-1552; 1562-1563), l'Église interdit définitivement la simonie, c'est-à-dire la vente de fonctions ecclésiastiques, [et] imposa le célibat des prêtres." (Rodney STARK, Faux Témoignages, Pour en finir avec les préjugés anticatholiques, Salvator, Paris 2019, p. 252.) "Le concile insiste [...] sur la réforme du clergé afin de mettre fin aux abus les plus criants de la Renaissance." (Thomas TANASE, Histoire de la papauté d'Occident, Gallimard, Folio Inédit Histoire 2019, p. 285.)

 

"La vision pontificale est mise en forme dans un document célèbre, les Dictatus Papae, une liste de points à défendre.

. Puisque l'Église romaine a été fondée par le Seigneur seul (article premier),

. seul le pontife romain peut être considéré comme universel (article 2),

. ce qui lui donne le droit de déposer ou absoudre tous les évêques (article 3),

. tandis que ses légats sont au-dessus de tous les évêques (article 4).

. Toutes les charges ecclésiastiques dépendent du pontife, qui, seul, peut redécouper les diocèses, nommer, déposer ou transférer les évêques, convoquer les conciles ou même 'proclamer de nouvelles lois selon les besoins du temps' (article 3-7 et 13-17).

. Le pape ne peut être jugé par personne (article 19),

. mais il peut juger n'importe quelle église (article 21).

. [...] Le titre de 'pape' lui est désormais réservé (article 11), parce que sa dignité est unique au monde. L'Église ne Rome n'a jamais erré et n'errera jamais, tandis que le pontife romain est 'sanctifié par les mérites de saint Pierre.'

Toute Église en désaccord avec Rome ne peut être catholique.

[...] Le monde, voué au péché, ne peut être libéré du mal que par l'obéissance au Christ; or, celle-ci ne peut que consister à suivre l'autorité de l'Église, c'est-à-dire du pape.

[...] [L]es pouvoirs laïcs ont leur autonomie, de la même manière que le corps a son autonomie par rapport à l'âme; mais c'est quand même l'âme qui doit fournir ses règles de comportement au corps et le contrôler. [...] En ce sens, la réforme grégorienne ne propose pas une théocratie [...] : le pape ne prétend pas se substituer aux pouvoirs laïcs.

 

"La réforme grégorienne va [...] en fait bien au-delà de la simple 'liberté' ou de la volonté de dégager les Églises des jeux politiques et de la corruption. La papauté grégorienne, [...] veut rompre avec les conceptions sacrées du pouvoir monarchique, ou avec l'association organique des empereurs avec leurs évêques. [...] Ce faisant, la réforme grégorienne commence à poser en des termes nouveaux la question des rapports entre pouvoir laïc et pouvoir religieux. Elle amorce à terme, [...] une forme de séparation avec les pouvoirs politiques et une laïcisation de ces derniers.(Thomas TANASE, Histoire de la papauté d'Occident, Gallimard, Folio Inédit Histoire 2019, p. 146-150.)

 

"La réforme grégorienne fut une révolution qui agita l'Église durant un siècle et remit totalement en causes ses rapports avec le système politique.

"[...] Ainsi, bien avant la séparation de 1905, le principe de l'autonomie des pouvoirs séculier et spirituel était acquis, et ce en raison de l'insistance de la papauté." (L'Église en procès, La Réponse des historiens, sous la direction de Jean Sévillia, Tallandier, Le Figaro, Paris 2019, p. 80.)

 

L'abondante législation est confirmée par le premier concile oecuménique de Latran en 1123. La simonie perdit de son acuité au XIIe siècle. Mais, paradoxalement, "du XIIIe au XVIe siècle, c'est sous la plume des opposants à la monarchie pontificale que revient de manière récurrente l'accusation de simonie au sujet de la vente des indulgences" (Dictionnaire du Moyen-Âge, sous la direction de Claude GAUVARD, Alain de LIBERA, Michel ZINK, Quadrige Puf, Paris 2002, p. 1336), expression de la protestation luthérienne, l'évolution du concept et de la pratique de la pénitence ayant vu progresser l'idée d'une tarification des peines imposées en ce monde, aux confessés repentants.

 

"Dans l'empire, les évêques allemands conscients de l'importance politique que leur conféraient la nomination impériale et le rôle d'évêques-fonctionnaires, tenaient à conserver le statu quo... Ces prélats proches du trône..., ne voulaient pas renoncer à leur pouvoir politique. Grégoire VII eut donc à lutter à la fois contre l'empereur et, à quelques exceptions près, contre l'épiscopat allemand. (Jean CHELINI, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Pluriel, Millau 2012, p. 281.)

 

La croisade. "Grégoire VII avait pensé organiser une campagne pour aider Byzance contre les Turcs, avec l'idée de faire revenir Constantinople dans le giron romain." (Thomas TANASE, Histoire de la papauté d'Occident, Gallimard, Folio Inédit Histoire 2019, p. 153)

 

Le roi des Romains Henri IV agenouillé devant Mathilde de Toscane en présence de l'abbé Hugues de Cluny, miniature de la Vita Mathildis (xiie siècle).

La pénitence de Canossa (1077)

 

"Au départ, les projets grandioses de Grégoire VII ne donnent que peu de résultats. Dans un premier temps Henri IV, grâce à l'intercession de la puissante comtesse de Toscane, Mathilde, semble faire amende honorable. En janvier 1077, l'empereur vient en tenue de pénitent, pieds nus dans la neige devant les murailles de la citadelle de Canossa en Italie du nord, où s'est réfugié le pape. [...] Canossa ne peut qu'obliger le pape à pardonner et se réconcilier. [...] Cependant l'affrontement ne cesse pas, et Henri IV ne tarde pas à réaffirmer son indépendance. Grégoire VII l'excommunie de nouveau en 1080, mais cette fois-ci, Henri IV qui a éliminé ses adversaires peut descendre en Italie et occuper Rome où il installe un antipape. Grégoire VII doit s'enfuir de Rome sous la protection des troupes normandes, qui en profitent pour piller la ville." (Thomas TANASE, Histoire de la papauté d'Occident, Gallimard, Folio Inédit Histoire 2019, p. 151-152)

 

Henri à Canossa, toile d'Eduard Schwoiser, 1862.

L'absolution de Canossa montre l'impossibilité pour le roi d'être prince et prêtre à la fois.

 

"[L]es Dictatus Papae ont indiqué ce qui fera la force de l'institution pontificale : une vision portée par une administration, un droit et une diplomatie. La scène de l'humiliation vécue par l'empereur à Canossa, [...] devient un symbole puissant : le pouvoir impérial a bien reconnu et mis en scène l'autorité des papes." (Thomas TANASE, Histoire de la papauté d'Occident, Gallimard, Folio Inédit Histoire 2019, p. 152.)

 

Yves de Chartres

"En France, ... [a]près de longues négociations, Philippe Ier et les grands du royaume renoncèrent à l'investiture laïque par la crosse et l'anneau en 1098. Mais ils conservèrent le droit d'agrément à l'élection canonique, et continuèrent d'investir les prélats du temporel de leur église, en échange du serment de fidélité. Cet accommodement [...] devait servir à l'élaboration du concordat de Worms, [...] conçu par Yves de Chartres, [...] canoniste (1010-1116) qui lutta avec énergie pour le triomphe de la réforme. [...] Sa thèse distinguait fortement les deux pouvoirs spirituel et temporel, ce qui séparait les deux investitures, l'une ecclésiastique pour la fonction spirituelle, l'autre laïque pour le gouvernement temporel et les biens (regalia ou temporalia) liés à la fonction épiscopale. Dans l'esprit d'Yves de Chartres, les difficultés [...] devaient être résolues par la collaboration active des deux pouvoirs. [...] Au milieu du XIIe siècle, dans ce domaine, la réforme grégorienne avait triomphé en France.

En Angleterre, l'évolution fut moins favorable. [...] Le souverain (Guillaume le Roux, fils de Guillaume le Conquérant) poursuivit de sa vindicte Anselme, le nouvel archevêque de Cantorbéry, partisan de la réforme, qui dut se réfugier auprès d'Urbain II en 1097. Mais Henri Ier Beauclerc, frère de Guillaume le Roux, conclut un accord avec l'archevêque en 1105. Henri Ier renonça à l'investiture par la crosse et l'anneau et Anselme accepta le serment de vassalité. (Jean CHELINI, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Pluriel, Millau 2012, p. 286-287.)


Grégoire VII fut atteint d'une maladie qui le réduisit à la dernière extrémité. La Sainte Vierge lui apparut et lui demanda s'il avait assez souffert : "Glorieuse Dame, répondit-il, c'est à vous d'en juger." La Vierge le toucha de la main et disparut. Le Pontife était guéri et put célébrer la Sainte Messe le lendemain en présence de tout le peuple consolé.

Grégoire, un an avant sa mort, dut fuir en exil à Salerne; il prédit le triomphe de son Église et rendit son âme à Dieu, le 25 mai 1085, en prononçant ces mots : "J'ai aimé la justice et j'ai haï l'iniquité; c'est pour cela que je meurs en exil."

 

Au concordat de Worms signé avec l'empereur germanique le 23 septembre 1122, selon le précédent inspiré d'Yves de Chartres, l'investiture épiscopale est scindée en deux. L'empereur renonçait à la cérémonie par la crosse et l'anneau et s'engageait à laisser librement se dérouler les élections épiscopales. En échange, le pape accordait à l'empereur ou à son mandataire le droit d'être présent à l'élection, et en cas de contestation, d'arbitrer en faveur du candidat le plus digne. (Jean CHELINI, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Pluriel, Millau 2012, p. 291.) L'original de l'acte de l'empereur Henri V est conservé aujourd'hui aux archives du Vatican. 

"Le concordat de Worms et le premier concile oecuménique du Latran mettaient un terme définitif au fonctionnement du césaropapisme." (J. CHELINI, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, ibid., p. 293), hérité de l'empire romain.

Néanmoins, la querelle des investitures rebondira en Angleterre sous le règne d'Henri II Plantagenêt (1154-1189) qui voulut exercer le plus strictement possible la tutelle royale sur l'Église d'Angleterre. Le nouvel archevêque de Cantorbéry, l'ami du roi et ancien chancelier du royaume, Thomas Becket, s'éleva contre les prétentions d'Henri II et fut obligé de s'exiler en 1164. Rentré en Angleterre en 1170, il sera assassiné dans sa cathédrale par quatre chevaliers croyant exécuter le voeu secret du roi. Le pape prononça aussitôt l'excommunication contre les meurtriers et canonisa Thomas comme martyr en 1173. Henri II s'humiliera publiquement auprès du tombeau du saint. Son attitude sera ici à rapprocher de celle d'Henri IV d'Allemagne à Canossa. Sous Jean sans Terre (1199-1216), celui-ci refusa de reconnaître l'élection du cardinal Etienne de Langton, au siège primatial de Cantorbéry. Après avoir interdit ce royaume (1208), le pape excommunia le souverain en 1209. Devant la menace de la déposition, Jean capitula, craignant que son seigneur pour les fiefs normands et aquitains, le roi de France Philippe Auguste, ne fût chargé d'exécuter la sentence. (J. CHELINI, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, ibid., p. 309.)

La querelle des investitures rebondit également sous l'empereur germanique Frédéric Barberousse (1155-1190) qui reprit l'habitude de disposer des évêchés. La lutte entamée marquera l'apogée de la querelle du Sacerdoce et de l'empire. Le pape Alexandre III (1159-1181) fut obligé de se réfugier en France. En 1167, Barberousse s'emparera de Rome et pillera la ville, après avoir attaqué Saint-Pierre au feu grégeois et massacré, sur le tombeau même de l'Apôtre, ceux qui résistaient. La lourde défaite qu'il subit le 29 mai 1176 à Legnano devant les troupes de la Ligue lombarde l'obligera à composer en 1177 et, par la paix de Venise, à reconnaître Alexandre III, en abandonnant son dernier antipape et en renonçant à se mêler de l'élection pontificale. Alexandre III sera ramené à Rome par les troupes allemandes en 1178. (Jean CHELINI, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Pluriel, Millau 2012, p. 302.) Barberousse mourra le 10 juin 1190, durant la croisade, noyé dans un petit fleuve de Cilicie, le Sélef, dans les valons du Taurus, aux portes de la Syrie.

 

En France, la collaboration des deux pouvoirs spirituel et temporel, dans le respect de l'indépendance mutuelle caractérisera au XIIIe siècle la royauté chrétienne de saint Louis. Ainsi, s'affirmera dans l'Occident chrétien une monarchie, absolument indépendante du pape au temporel, qui poursuivra aussi bien que la papauté les exigences de la justice et de la paix. 

 

"Les siècles de la féodalité, longtemps définis comme des siècles de fer', correspondent en réalité au moment du 'décollage' européen." (Jean-Louis Biget, Préface dans Florian MAZEL, 888-1180 Féodalités, Histoire de France, sous la direction de Joël Cornette, Folio, Gallimard, Trebaseleghe, Italie 2019, p. 10.)

 

"[...] À partir du milieu du XI siècle, la rupture grégorienne, mais aussi l'essor urbain, l'affirmation de la seigneurie castrale et les transformations des campagnes ouvrent la voie à l'émergence de nouveaux horizons politiques [...], dont le regain de puissance du roi et l'épanouissement de la culture chevaleresque constituent les aspects significatifs." (Florian MAZEL, 888-1180 Féodalités, Histoire de France, sous la direction de Joël Cornette, Folio, Gallimard, Trebaseleghe, Italie 2019, p. 22.) 

L'ordre créé par la réforme grégorienne ne sera fondamentalement remis en question que huit siècles plus tard, par les révolutionnaires français, réactualisant la confusion antique du politique et du spirituel, avec "la constitution civile du clergé du 12 juillet 1790" qui "instaure une désignation aux charges ecclésiastiques par le vote des citoyens. Les religieux deviendront des fonctionnaires de l'État. Les évêques seront consacrés sans intervention du pape." (Thomas TANASE, Histoire de la papauté d'Occident, Gallimard, Folio Inédit Histoire 2019, p. 337-338.) On revient au césaropapisme le plus antichrétien.

Paradoxalement au XXe siècle, c'est la papauté elle-même qui reviendra sur la réforme grégorienne, avec "un concile très occidental, dont le tempo sera donné par un épiscopat nord-européen, pour ne pas dire carolingien", qui "voit arriver à maturité [...] la nouvelle théologie, très critique envers l'incapacité du monde curial romain à se rendre compte des défis posés par l'areligiosité du monde contemporain", et qui "adopte le 21 novembre 1964 la constitution Lumen gentium, qui pose les principes fondamentaux de ce que sera l'enseignement du concile."

[...] "[C]omme tous ses fidèles ont été régénérés par le Saint-Esprit, ils sont tous appelés à un 'sacerdoce commun'. [...] En d'autres termes, cette constitution cherche à revenir sur la séparation entre clercs et laïcs progressivement montée en puissance depuis la réforme grégorienne, pour affirmer au contraire la participation de tous dans un rapport d'égalité à la vie de l'Église. " (Thomas TANASE, Histoire de la papauté d'Occident, Gallimard, Folio Inédit Histoire 2019, p. 422-429.) 

Jean XXIII, dans l'encyclique Pacem in terris, le 11 avril 1963, dit "explicitement que les États sont dépassés et incapables d'assurer le bien commun, et appelle "à la constitution d'une autorité publique de compétence universelle", dont les rapports avec les États, "les citoyens, les familles et les corps intermédiaires doivent être régis par le principe de subsidiarité", un avenir préfiguré par les Nations-Unies et la Déclaration universelle des droits de l'homme. Tous les catholiques sont appelés à s'engager pour cette tâche." (Thomas TANASE, Histoire de la papauté, ibid., p. 425.)

"La constitution Gaudium et spes, [...] reprend les principes de Pacem in terris ou du discours à l'ONU de Paul VI. (Thomas TANASE, Histoire de la papauté, ibid., p. 430.)

"L'encyclique Populorum progressio de 1967 complétera Gaudium et spes", avec un "un idéal ecclésial fait désormais d'engagements, de mobilisations et de participation de tous." (Thomas TANASE, Histoire de la papauté, ibid., p. 431.)

En confondant clercs et laïcs (le "sacerdoce commun" de LG 34), en associant étroitement tous les croyants à la vie politique, en s'engageant résolument pour un modèle global qui sert de base au nouvel ordre international, cette nouvelle orientation revenant sur mille ans de distinction des clercs et des laïcs de la réforme grégorienne est-elle la plus adaptée pour précisément lutter contre "l'areligiosité" du monde contemporain? C'est cela, la question qui demeure.

 

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Sources : (1) Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l'année, Tours, Mame, 1950. Les saints du jour; (2) Thomas TANASE, Histoire de la papauté d'Occident, Gallimard, Folio Inédit Histoire 2019 ; (3) Florian MAZEL, 888-1180 Féodalités, Histoire de France, sous la direction de Joël Cornette, Folio, Gallimard, Trebaseleghe, Italie 2019.

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