La « bonne presse » s’est épuisée pendant des décennies à tenter d’épouser son temps. Elle semble aujourd’hui totalement dépassée sans être jamais parvenue à atteindre réellement son but...
Extrait du Permanences n°443.
Elle est le reflet de l’Eglise d’hier. De cette Eglise qui rassemblait dans sa nef la quasi-totalité de la population française. De cette Eglise déchirée par les combats de son rapport au monde.
Les grands journaux, La Vie catholique, Le Pèlerin, La Croix, Témoignage chrétien ont gagné la bataille de l’opinion et celle qui agitait les fidèles à l’époque. Leurs thèses l’ont emporté au point d’étouffer certaines vérités qu’ils redécouvrent aujourd’hui avec stupeur dans la bouche de Benoît XVI.
... L’avant-garde d’hier passe insensiblement à l’arrière-garde. Dans le même temps, cette presse fer de lance des réformes des années 1970, d’une certaine politisation du message de l’Eglise, n’en finit plus de gérer son déclin.
... La puissance de feu de la presse catholique ne cache plus l’évidence d’un déclin persistant qui finit par ressembler à la chronique d’une mort annoncée.
Créé en 1873 par la Congrégation des Assomptionnistes (dans le cadre de leur petite maison d’édition La Bonne Presse qui deviendra le groupe Bayard Presse), Le Pélerin était à l’origine un bulletin de liaison des catholiques qui avaient participé à leurs pèlerinages. Il s’est mué en magazine catholique destiné à toute la famille, parents et enfants, avec romans publiés par épisode, de petites bandes dessinées pour les jeunes et les programmes de la télévision. Le succès fut immense : Le Pélerin diffusait quelque 600 000 exemplaires après la guerre de 1939-45. La diffusion aujourd’hui d’un Paris Match.
La Vie catholique, créée aussi après guerre, cette fois par des fidèles proches de l’ordre des Dominicains, vendait en 1955, à son apogée, 564 000 exemplaires. Un peu moins que Télérama actuellement, un titre créé précisément dans le giron de La Vie.
La Croix, quant à lui, a beaucoup changé de ligne éditoriale mais n’a jamais obtenu de scores de diffusion très importants. Le titre n’a été rentable que de très rares années depuis sa création en 1880. Il n’en talonne pas moins aujourd’hui, à 20 000 exemplaires près, le quotidien Libération !
Le souci, c’est que ces chiffres racontent la France d’hier, dans laquelle on était pour ou contre les réformes mais où l’on se disait, d’abord, catholique.
Au terme de cette histoire grandiose, il y a ainsi quelque chose de pathétique dans les tentatives désespérées de ces journaux pour enrayer l’inexorable roue du temps, pour se donner les raisons de croire à un nouveau printemps, pour relancer leur diffusion. Tous sont en crise profonde, durable.
Les grands groupes de presse propriétaires des journaux catholiques, Bayard, les Publications de la vie catholique (aujourd’hui filiales du Monde) n’ont pas ménagé leurs efforts pour stopper la baisse.
En 2003, Pèlerin a dépensé 1,5 million d’euros en publicité, en nouvelle formule et en marketing direct pour relancer ses ventes.
En 2001, La Vie avait mis 2,5 millions d’euros sur la table. Deux « coups de pouce » parmi d’autres, restés sans effets. Ont-ils seulement ralenti un peu la chute ? Ces grands navires catholiques prennent l’eau, de manière irrémédiable.
Par rapport à son apogée, Pélerin a donc perdu plus de la moitié de ses lecteurs, La vie les a divisé par plus de trois. Le déclin continu de Pèlerin n’est pas pour rien dans les difficultés du groupe Bayard qui licencie actuellement après la publication de résultats financiers inquiétants.
Quant à La Vie, c’est depuis des années un gouffre économique. Mais Le Monde a racheté Télérama fort peu cher. Une belle affaire qui avait deux conditions : les vendeurs ont exigé que Le Monde achète aussi La Vie. Et qu’il soutienne le titre, quoi qu’il en coûte. Le Monde a jusqu’ici tenu parole. Jusqu’ici...
Les petits titres catholiques, ceux qui ont tant et tant vitupéré contre le vieil ordre d’Eglise ne vont guère mieux. Témoignage Chrétien, qui diffusa jusqu’à 100 000 exemplaires dans les années 1950, n’en vend plus que 8 000. Le titre n’a échappé au dépôt de bilan que grâce au secours du Monde, du Monde diplomatique, de Bayard Presse et surtout, du chrétien de gauche et fondateur de la société Nouvelles Frontières, Jacques Maillot, entré à plus de 30% dans son capital.
Quant à l’imprécateur et très gauchiste Golias, autoproclamé « empêcheur de croire en rond », sa revue ne paraît que tous les deux mois, à quelque 8000 exemplaires là-aussi.
Il faut traiter à part le cas de La Croix. Le titre a décliné en même temps que les autres, mais il s’est stabilisé à la faveur d’une nouvelle politique éditoriale, instituée par Bruno Frappat. Une ligne éloignée de la ligne de Permanences mais beaucoup plus « légitimiste » vis-à-vis du Vatican que celle qu’il a longtemps suivie. La Vie, par exemple, n’a pas fait cet aggiornamento. Hasard ? La Croix voit ses ventes progresser légèrement chaque année, le titre atteint même l’équilibre sur le plan financier ce qui ne lui est jamais arrivé. Une exception.
Pour autant, le quotidien n’échappe pas à la menace majeure qui pèse sur cette famille. Au-delà des tendances inquiétantes de ses ventes, un élément cristallise l’échec de cette presse catholique issue de l’après-guerre et obère son avenir. C’est l’âge de ses lecteurs.
Ceux de La Croix ou du Pèlerin atteindraient quelque 70 ans, ceux de La Vie environ 65 ans. Ce qui signifie que beaucoup se situent au-dessus de cette moyenne. Surtout, cet âge moyen avance régulièrement, année après année. Les lecteurs de la « grande » presse catholique sont de plus en plus âgés, ce qui n’a rien d’une tare en soi. Mais ce qui signifie que la presse catholique ne renouvelle plus son lectorat, qu’elle ne recrute plus dans les jeunes générations, qu’elle vieillit lentement avec ses lecteurs. Les titres catholiques ont échoué dans l’objectif qu’ils poursuivent depuis des décennies : « franchir la barrière du baby-boom ».
Un échec qui vaut condamnation à terme. Et les budgets des grands groupes, les campagnes de recrutement, les nouvelles formules, les changements de maquette ou de ligne éditoriale n’y font rien.
Elle est devenue ce que les éditeurs de presse appellent avec frayeur une « presse générationnelle », parce qu’elle correspond aux attentes d’une seule génération.
Une génération, celle de l’après-guerre, qui aura beaucoup reçu et... bien peu transmis. Elle n’aura en tous cas guère su transmettre ses lectures, pas plus que sa foi chrétienne.
Pourquoi ? Si elle ne lit pas les titres de ses parents, c’est parce que cette nouvelle génération, façonnée par eux, a fait un choix. Soit elle a quitté tout bonnement la foi chrétienne, soit elle l’a conservée mais sans le réformisme échevelé qui accompagnait les revendications de ses parents face à l’Eglise.
Les premiers, ceux qui ont jeté l’éponge, sont de loin les plus nombreux. Aujourd’hui 12% des Français pratiquent un culte chaque mois, selon l’INSEE. A 90% des catholiques. Mais seulement 9% des 15 à 39 ans. Ces catholiques n’ont pas le sentiment d’avoir à faire bouger l’institution Eglise, à la moderniser, l’adapter à l’époque.
C’était un sentiment de catholique majoritaire revendicatif face à un pouvoir qui défiait le temps et lui échappait. Un sentiment militant relayé alors dans la presse catholique. Aujourd’hui, le catholique ne peut que constater qu’il est très minoritaire, marginal dans une France devenue massivement laïque, en proie aux appétits d’autres religions, islam en tête. Il développe logiquement un réflexe d’assiégé.
Le catholique ne veut plus changer l’Eglise [attitude typiquement moderniste de l'adaptation de l'Eglise au temps], il mène le combat avec elle, pour elle, bien heureux de l’avoir à ses côtés. Il n’attaque plus la citadelle, il se place à l’abri de ses remparts. Il veut d’autres journaux, un autre discours. Ou il s’en fiche.
Cette presse catholique organe de combat des laïcs au sein de l’Eglise n’a donc plus de raison d’être. La ligne éditoriale qui a fait les beaux jours de La Vie, mais aussi, dans une moindre mesure, ceux de La Croix et du Pèlerin reste un instrument marqué par l’histoire. Un fusil Lebel parvenu au XXIème siècle.
Ces journaux s’aperçoivent bien tard qu’ils ont cédé à une mode et que les modes passent. L’Eglise, elle, demeure. Ils ont profité de cette ébullition passagère ? Ils souffrent du changement de souffle, du retour à ces fondamentaux qu’ils avaient enterré un peu vite, dans l’euphorie d’une créativité pas toujours maîtrisée.
C’est le syndrome bien connu de l’arroseur arrosé. La presse catholique a si bien rué dans les brancards, si bien participé aux luttes et aux polémiques d’une époque et d’une génération qu’elle a soigneusement scié la branche sur laquelle elle était assise. Elle meurt faute de combattants.
A nous, catholiques d’aujourd’hui, reste le mot rageur que Musset adressait à Voltaire : « Il est tombé sur nous cet édifice immense que de tes larges mains tu sapais nuit et jour ». A nous le soin de rebâtir, désormais sous vents contraires, tout ce qu’une génération conduite par ces journaux d’influence, a détruit, elle, par vents favorables : journaux, mais aussi écoles, patrie. « Nous partîmes à trente », raconte Le Cid... A nous de croire enfin, aussi humblement que possible, que telle était la volonté de Dieu.