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22 février 2008 5 22 /02 /février /2008 23:11
Portrait posthume de Nicolas Machiavel (détail), par Santi di Tito"Ancêtre moderne du républicanisme et du nationalisme (la nation entendue ici comme une idolâtrie placée au-dessus de tout : nationalisme républicain), ce par quoi il [Machiavel] marque sa différence avec la pensée politique traditionnelle c’est dans son refus catégorique de considérer que la morale puisse avoir un rôle à jouer dans le domaine des affaires politiques. La politique doit être pour lui une activité pleinement autonome, tant à l’égard du religieux que de la morale courante. Si dans ses discours publics, le Prince peut invoquer des principes moraux, ce n’est que pour asseoir sa légitimité aux yeux du peuple ou pour tromper ses ennemis.
 
En matière politique, donc, tous les moyens sont bons dès lors qu’ils sont efficaces et permettent d’atteindre à moindres frais les buts recherchés. Cette autonomie radicale de la politique - totalement étrangère à la pensée des Anciens comme à celle des grands docteurs scolastiques - ne fait que traduire l’apparition avec Machiavel d’une nouvelle conception de l’État. Celui-ci est désormais considéré comme une valeur en soi, indépendante des fins poursuivies, et une valeur absolue. Et si l’État apparaît ainsi comme une fin en soi, c’est que, pour Machiavel, on ne peut rien construire de durable avec des hommes foncièrement mauvais, aux fidélités toujours vacillantes et aux égoïsmes individuels toujours vigilants et agissants. Envieux, jaloux, cupides et fourbes, les hommes sont aussi des lâches et, seules la crainte de la puissance publique, la soumission à la raison d’État peut les amener à participer au bon fonctionnement de la Cité. Or, tout doit être subordonné à la survie de la Cité, à
sa puissance, à son prestige, dussent les hommes y perdre leur âme, ou ce qu’ils s’imaginent
être leur âme. Pour autant, et bien que discrètement incroyant, Machiavel s’accommode fort bien
d’une religion d’État, celle qui domine dans l’État considéré, mais c’est à la condition que la religion soit une force morale placée elle-même au service de l’État : une religion civile en quelque sorte.

Ainsi, deux choses inédites apparaissent dans la pensée politique occidentale et sonnent les trois coups de la Modernité.
 
D’une part, une conception irréductiblement pessimiste de l’homme - Rousseau et ses successeurs préciseront plus tard : de l’homme tel qu’il est dans une société corrompue. L’homme cesse d’être considéré comme l’ami spontané d’un autre homme, pour être perçu désormais comme étant un loup pour l’homme.

D’autre part, apparaît ce qui deviendra un mot d’ordre célèbre, bien plus tard, avec Autrement dit : abandonnant le principe de finalité, l’homme moderne estime qu’il ne faut plus chercher à organiser le monde de façon à ce qu’il soit le plus conforme au modèle divin que montre le cosmos. Il convient de prendre le monde et les hommes tels qu’ils sont et de chercher à les conduire là où ils ne voudraient pas aller s’ils étaient conscients de ce qui les attend. C’est l’avènement du réalisme politique, lequel ne connaît en fin de compte que des rapports de force dans le cadre de relations entre égoïsmes nationaux aussi peu moralement légitimes les uns que les autres.Charles Maurras, “Politique d’abord”.
 
L’influence de la pensée de Machiavel, le “ machiavélisme ”, sera considérable aussi bien auprès des philosophes comme Descartes (avec quelques réserves), Hobbes ou Rousseau, qu’auprès d’hommes politiques comme Bismarck ou De Gaulle, pour ne citer que ces deux noms. Certes, les bonnes intentions ne font pas nécessairement une bonne politique et la tâche d’un responsable politique n’est pas la même que celle d’un moraliste.
 
Néanmoins la grandeur d’un chef d’État est précisément de savoir décider et agir au coeur même d’une tension permanente et inévitable entre les contraintes immédiates qui exigent des solutions efficaces et ce que requiert la loi morale." (La Gazette Royale, fichier pdf, N° 112, août-septembre 2007, p. 6).

___________

Machiavel est aussi l'ancêtre d'un Jacques Chirac qui, alors qu’il était candidat à la présidence de la République en 1995, déclara à propos de l’avortement et de la Loi Veil : "Non à une loi morale qui primerait la loi civile..." (Journal du Dimanche", 2 avril 1995)

image: Adam_Weishaupt.JPGSi l'on s'arrête sur ce mot de Jacques Chirac, on s'aperçoit qu'il résume toute la métaphysique de la république maçonnique et "laïque", déjà incarnée au XVIIIe siècle par le fondateur de l'illuminisme allemand, Adam Weishaupt auteur de la formule "la fin justifie les moyens", (in Augustin Barruel, Mémoires pour servir à l'histoire du Jacobinisme, 1798, tome III) - formule qui servira à justifier les pires horreurs au XXe siècle -, et en 1789 par le franc-maçon "Illuminé" Mirabeau (1749-1791).

image: Comte_de_Mirabeau.JPG"Aucune barrière ni droit naturel ni règle constitutionnelle" ne devait s'opposer, selon Mirabeau, à une majorité législative (en l'occurence ici issue d'une minorité activiste dans le pays...) 

Ce régime n'est qu'une forme de la tyrannie. Sous l'angle de l'Etat de droit, elle marque une régression par rapport à la pratique, au XVIIIe siècle, de l'Ancien Régime. C'est ce que Hayek appelle une 'démocratie illimitée', et ce que Benjamin Constant avait stigmatisé comme une 'souveraineté illimitée'" (Le Livre noir de la Révolution française, Cerf, Paris 2008, p. 14) 

"En démocratie, ... [l]e peuple souverain peut manquer aux lois de la morale et même à celles de la raison sans enfreindre aucune loi politique" (ibid., p. 497). 

Sous l'angle de la philosophie et de l'histoire, cette évolution marque une rupture avec la philosophie classique et thomiste pour laquelle la loi de la société doit être en conformité avec celle du ciel (
Antigone contre Créon), sous peine de ruiner la cité et la civilisation.
 Elle constitue une nouveauté radicale jusque-là inédite puisqu'elle tire un trait sur deux millénaires de civilisation occidentale classique et chrétienne...


Surtout on doit retenir qu'un régime qui bafouerait la loi morale ou simplement le droit naturel devient ipso facto illégitime et tombe dans la tyrannie. Il est dès lors, - selon la philosophie classique et thomiste -, un droit et un devoir pour le peuple tyrannisé de se révolter et de renverser le tyran... Le régime républicain relativiste et athée en place ferait bien d'y songer.
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