La réponse de la Russie a été« disproportionnée » et « brutale », a tonné Bush.
C’est vrai. Mais n’avons-nous pas autorisé Israël à bombarder le Liban durant 35 jours en réponse à une escarmouche frontalière où quelques soldats israéliens seulement avaient été tués et deux capturés ? N’était-ce pas infiniment plus « disproportionné » ?
La Russie a envahi un pays souverain, a fulminé Bush. Mais les Etats-Unis n’ont-ils par bombardé la Serbie durant 78 jours avant de l’envahir pour la forcer à rendre une province, le Kosovo, avec laquelle elle a des attaches historiques infiniment plus fortes que celles qui unissent la Géorgie à l’Abkhazie ou à l’Ossétie du Sud, ces deux dernières préférant Moscou à Tbilissi ?
L’hypocrisie occidentale n’est-elle pas stupéfiante ?
Lorsque l’Union soviétique s’est brisée en 15 nations, nous avons applaudi. Quand la Slovénie, la Croatie, la Macédoine, la Bosnie, le Monténégro et le Kosovo se sont détachés de la Serbie, nous nous sommes réjouis. Alors pourquoi, ensuite, nous indigner quand deux provinces, dont les peuples sont ethniquement différents des Géorgiens et qui ont combattu pour leur indépendance, parviendraient à leurs fins ?
Les sécessions et les dissolutions de nations ne sont-elles louables que lorsqu’elles concordent avec l’agenda des neocons ?
... la colère des Russes n’est-elle pas compréhensible ? Depuis des années l’Occident s’est moqué de la Russie en raison de sa défaite dans la Guerre froide et l’a traitée comme l’Allemagne de Weimar.
Quand Moscou a retiré l’Armée rouge d’Europe, fermé ses bases à Cuba, dissout l’Empire du Mal, laissé l’Union soviétique s’émietter en 15 Etats et envisagé l’amitié ainsi qu’une alliance avec les Etats-Unis, qu’avons-nous fait ?
Les carpetbaggers (2) américains ont comploté avec les scalawags (3) moscovites pour piller la nation russe. Brisant un accord conclu avec Mikhaïl Gorbatchev, nous avons fait avancer notre alliance militaire en Europe de l’est, jusqu’aux portes de la Russie. Six pays du Pacte de Varsovie et trois des anciennes républiques d’Union soviétique sont désormais membres de l’OTAN.
Bush, Cheney et McCain font tout pour intégrer l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN. Ce qui impliquerait pour les Etats-Unis d’entrer en guerre sur le lieu de naissance de Staline avec la Russie, laquelle exerce sa souveraineté sur la péninsule de Crimée et Sébastopol, port d’attache traditionnel de la flotte russe de la Mer noire.
Depuis quand ces zones constituent-elles des intérêts vitaux pour l’Amérique, justifiant une guerre avec la Russie ?
Les Etats-Unis ont unilatéralement abrogé le Traité ABM (Anti-Ballistic Missile) parce que leur technologie était désormais supérieure, ils ont prévu d’installer des sites de défense anti-missiles en Pologne et en République tchèque pour se protéger contre les missiles iraniens alors que l’Iran ne possède pas d’ICBM (4) ni de bombes atomiques. La contre-proposition russe d’installer ensemble un système anti-missiles en Azerbaïdjan a été balayée d’un revers de mains.
Nous avons construit l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, d’Azerbaïdjan jusqu’en Turquie en traversant la Géorgie, pour court-circuiter la Russie. Puis nous avons contribué à renverser des régimes amis de Moscou, au cours de « révolutions démocratiques », en Ukraine et en Géorgie ; et nous avons tenté de faire la même chose en Biélorussie.
... Imaginez un monde qui n’ait jamais connu Ronald Reagan, dans lequel l’Europe se soit désengagée de la Guerre froide après que Moscou ait installé ses missiles SS-20 à l’est de l’Elbe. Et que l’Europe soit sorti de l’OTAN, nous ait dit de rentrer chez nous et soit devenue vassale de Moscou.
Comment aurions-nous réagi si Moscou avait intégré l’Europe de l’Ouest dans le Pacte de Varsovie, bâti des bases au Mexique et à Panama, installé des radars de défense anti-missiles et des missiles à Cuba et se soit associée à la Chine pour construire un oléoduc afin d’acheminer le pétrole du Mexique et du Venezuela vers les ports du Pacifique afin de l’embarquer vers l’Asie ? Et ainsi nous court-circuiter ? Si des conseillers militaires russes et chinois entraînaient des armées sud-américaines, comme nous le faisons dans les anciennes républiques soviétiques, comment réagirions-nous ? Assisterions-nous sans réagir à un tel comportement ?
Depuis 10 ans, certains d’entre nous ont tiré la sonnette d’alarme au sujet de cette folie qui consiste à pénétrer dans l’espace russe et à vouloir affronter la Russie. Les poulets de l’impérialisme démocratique sont à présent rentrés chez eux tout rôtis… A Tbilissi.
Par Patrick J. Buchanan
Traduit de l’américain et annoté par G.W. Blakkheim pour Novopress France