Extrait d'un article publié sur Le Rouge et le Noir :
La violence d’Antigone
Si on parle de "radicalisation", c’est que l’action s’oriente vers la racine. C’est pourquoi les tenants du système politico-médiatique pressentent -avec raison - qu’il y a là un vrai danger pour eux. Plutôt que de guerre civile, on pourrait parler d’une guerre de religions. Les partisans de la loi Taubira plaident en sa faveur en disant qu’elle ne modifiera en rien les droits de ceux qui sont déjà mariés ; et ils ont raison. Mais si les Français se sont mobilisés contre le mariage unisexe, ce n’est pas pour défendre quelques privilèges, c’est parce que cette transgression abîmait des valeurs fondamentales (les valeurs sont des dieux disait Nietzsche).
Réciproquement, les tenants du système voient les fondements de la religion républicaine menacés.
Je ne parle pas ici de la république comme "chose publique", comme un mode procédural particulier pour désigner les dirigeants ; je parle de la "religion républicaine" (l’expression est de Vincent Peillon) telle qu’elle a pris forme dans l’histoire française. Le régime joue de cette ambiguïté : tantôt procédure neutre où chacun peut concourir, tantôt idéologie totalitaire.
Cette idéologie est d’autant plus flagrante aujourd’hui que, (ayant abandonné son alliance, passée au début du XXe siècle, avec la classe ouvrière) elle apparaît à nouveau à l’état pur : celle d’une révolte prométhéenne contre l’ordre de la Création.
Cette religion républicaine est fondée sur le primat de la volonté sur la vérité. Il faut donc rejeter toute référence externe ("hétéronomie") celle des ancêtres et des dieux, celle de la Révélation, celle des coutumes et des traditions, celle de l’ordre naturel lui-même (cf. théorie du gender) pour que triomphe l’autonomie de l’individu (cf. les utopies de Francis Jeanson ou de Cornélius Castoriadis). Dès lors, seul le contrat peut servir de norme, le contrat d’un libre marché des biens (libéré des superstitions du "juste prix" ou de l’interdiction du travail le dimanche) et d’un libre marché des personnes (fond du mariage gay et de la GPA).
Bien sûr, une volonté qui ne s’enracine pas dans des réalités supérieures et antérieures est fragile et malléable ; ce que la seule volonté fait, la volonté peut le défaire. L’individu, libéré des contraintes des coutumes, des mythes et des traditions, libéré de la tribu, du lignage, des corporations, du village, des paroisses et finalement de la famille nucléaire, présente l’avantage d’être très malléable aux influences des marchands, des idéologues révolutionnaires et des manipulateurs en tout genre. On peut la « conditionner » par la mode, la publicité ou la propagande. Très logiquement, Vincent Peillon ministre de l’Éducation nationale révèle son programme : « il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel ».
Contre les présupposés moraux des adversaires, le sénateur Jean-Pierre Michel, rapporteur de la loi "mariage pour tous" au Sénat affirme : "Ce qui est juste, c’est ce que dit la loi, un point, c’est tout. Et la loi ne se réfère pas à un ordre naturel, elle se réfère à un rapport de forces à un moment donné". Il n’y a pas à tenter de convaincre de tels adversaires par des arguments moraux, il faut les vaincre par un rapport de forces favorable.
Sans doute les manifestants contre le mariage homo n’ont pas une claire conscience de ces principes de philosophie politique ; pour beaucoup, ils ne contestent pas (encore) le régime. Mais ils sentent qu’une loi aussi fondamentale ne peut s’abstraire de la révélation religieuse, des coutumes et de l’ordre naturel. Si certains ont proposé de faire appel au référendum, c’était une position tactique car si le "peuple souverain" s’était prononcé en faveur du mariage homo, la plupart des manifestants seraient restés sur leur position.
Qu’après le vote et bientôt la promulgation de la loi Taubira, la plupart des réseaux continuent l’agitation, qu’ils se perçoivent comme des résistants et qu’ils proclament fièrement "nous ne lâcherons rien", tout cela manifeste la conscience que la loi, même élaborée selon des procédures légales, la loi est injuste. Et si la loi est injuste, la révolte est un devoir.
Comment accepter que les traditions qui dans l’intimité de la famille ont bâti l’identité de chacun (les culturalistes parlent d’institutions primaires) puisse s’effondrer devant une majorité de circonstance ? Comment peut-on encore croire à cette démocratie représentative si peu représentative ? Peut-on encore parler de démocratie quand la majorité anti-européiste de 2005 au référendum a été superbement ignorée ?
La famille est le bien propre de la société civile, que l’Etat n’y touche pas ! Les adversaires de cette loi se retrouvent dans la situation des vendéens et des chouans obligés de choisir entre leur Foi traditionnelle et les lois de l’Etat variant selon les circonstances (clergé jureur, culte de la Déesse Raison, culte de l’Etre suprême ou athéisme militant).
L’Etat devrait être au service de la société civile et de ses coutumes ; mais s’il prétend la changer au nom de quelque valeur idéologique (ici l’égalité entre hétéros et homos) alors il fait violence à la société. On connaît le destin totalitaire de ces courants héritiers du jacobinisme, socialisme, national-socialisme, communisme, où s’agitent des "hommes petits qui crient de grands mots"...
Lorsque la légitimité s’oppose à la légalité, alors seuls les rapports de force (la violence) peuvent résoudre la contradiction. Dès lors, la révolte est juste et nécessaire.
- Créon : Et ainsi tu as osé violé mes lois ?
- Antigone : C’est que Zeus ne les a point proclamées, ni la justice qui siège auprès des Dieux souterrains. Et je n’ai pas cru que tes édits pussent l’emporter sur les lois non écrites et immuables des Dieux, puisque tu n’es qu’un simple mortel. Ces lois-là ne datent pas d’aujourd’hui ni d’hier, elles sont éternellement puissantes, et nul ne sait depuis combien de temps elles sont nées. Je n’ai pas voulu, par crainte des ordres d’un seul homme, mériter d’être châtiée par les Dieux." (Antigone, Sophocle)
Créon ne peut supporter la désobéissance d’Antigone, c’est pour lui une violence intolérable qui mine les fondements mêmes de son autorité. Qu’il y ait des lois non-écrites supérieures à la loi est un véritable blasphème pour les tenants de la religion du "contrat social". C’est pourquoi les politiciens qui sont si à l’aise sur la scène de la légalité parlementaire, n’ont pas tort de craindre l’irruption de la rue (en tout cas de cette rue). Manuel Valls ("ça gaze Manuel ?") dénonce une agitation susceptible de "déstabiliser la République".
Et Jean-Marc Ayrault, au Sénat rameute les politiciens de tout bord pour défendre la cosa nostra de l’éternelle alternance : Il appelle « du fond du cœur » les responsables de l’UMP à ne pas se laisser « entraîner, comme ils le font, dans la voie de la radicalisation qui serait dangereuse pour la République ». Et encore il évoque "les pires menaces sur la démocratie et la République".
« On ne lachera pas »
Frigide Barjot a souvent semblé effrayée par l’impétuosité du mouvement qu’elle a contribué à mobiliser et comme les syndicalistes débordés par la base, passent une part importante de leur activité à freiner leurs troupes, elle a tenté de les remettre dans des rails politiquement corrects. Une attitude qui n’est pas sans analogie avec celle du Parti Communiste en 1968 qui, pour contrer l’effervescence gauchiste, a tenté de canaliser le mouvement sur le terrain syndical bien balisé.
A présent que les objectifs formels (empêcher la loi Taubira de passer) sont dépassés, que va-t-on faire de ces masses qui se sont soulevées ?
Frigide Barjot semble vouloir orienter le mouvement sur la scène électorale. Je ne vois pas quel serait l’intérêt de créer un doublon du parti de Mme Boutin pour gagner quelques strapontins... A moins que chaque élection s’accompagne d’émeutes, ne serait-ce que pour éliminer de la vie politique tous les sortants UMP ou UDI qui ont voté en faveur de la loi Taubira ou se sont abstenus... Mais les prochaines élections, les municipales, ne se prêtent pas à ce genre passionné. Peut-on espérer la jonction entre les revendications sociales (grévistes et futurs chômeurs) et les protestations sociétales ? Les idéologues trotskistes feront tout pour empêcher cette synergie, mais on peut l’espérer.
Je ne sais quelles seront les formes d’action à venir ; ce que je sais est d’ordre stratégique plus que tactique : si l’on ne veut pas que la force sociale des braves gens qui se sont mis en mouvement comme l’eau dans les sables du désert, disparaissant aussi mystérieusement qu’elle est apparue, il faut étendre le champ du combat : à la réaction à une loi conjoncturelle injuste, doit succéder la défense plus générale de notre civilisation et la lutte contre la religion du "meilleur des mondes" et le Régime qui en est l’instrument.
Léon Trotski écrivait que "la Révolution est un coup de poing donné à un paralytique" ; l’image n’est pas très élégante, mais on constate que la paralysie s’étend : le situation économique et sociale est désastreuse, le régime voit sa base se réduire aux bobos à qui il a dû donner satisfaction par le mariage gay, la confiance vis-à-vis du pays légal (et de la nomenklatura médiatique) dégringole à grande vitesse, le chef de l’Etat (Flamby) et tous ses acolytes sont déconsidérés (Cahuzac comme sommet émergé de l’iceberg des corruptions) ? "Quand les hommes cessent d’estimer, il cessent d’obéir" disait Rivarol... Bref le pédalo navigue sur un volcan...
Tout Régime s’appuie sur le "vouloir vivre" de la population. Mais quand les catégories sociales les plus tranquilles, elles-mêmes s’indignent et se mettent en mouvement contre le gouvernement, alors le "vouloir vivre" se retourne contre le Régime.
Dans cette situation de blocage, un renversement du système sera perçu (et de plus en plus) comme une délivrance. Pour le préparer, il semble que ce soit le moment de radicaliser le mouvement des braves gens en évitant de les perdre en route.
Michel MICHEL, sociologue
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