Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
24 juin 2015 3 24 /06 /juin /2015 08:01
La république dite "française" ou la loi du plus fort

La Volonté générale envisagée comme la source de tout droit et de tout pouvoir implique une masse d’individus ayant des droits absolument égaux en dehors de toute hiérarchie naturelle ou sociale, en dehors du respect de leurs droits naturels ; l’État impose à tous Sa Volonté de Leviathan ; aucun organisme intermédiaire entre l’individu et l’État n'est toléré, aucune loi morale ne prime la loi républicaine émanant de la Volonté générale : c'est l’oppression en haut, la servitude en bas, l’antagonisme partout et l’union nulle part...

L'objectif ? Diviser pour régner... Supprimer les droits et garanties des faibles contre les forts, des petits contre les grands ; mettre les pauvres et les faibles à la discrétion des riches, la loi du plus fort.

L’idée fondamentale de la Révolution française en matière économique est contenue dans cette maxime économique de Turgot, tant applaudie à la fin du siècle dernier

La source du mal est dans la faculté même accordée aux artisans d’un même métier de s’assembler et de se réunir en corps.

Turgot, Édit du 12 mars 1776

On croit rêver en lisant aujourd’hui de pareilles inepties tombées de la plume d’un homme d’esprit. Ce que Turgot, fidèle interprète des opinions de son temps, appelait la source du mal n’est autre chose qu’un principe rigoureux de droit naturel. Car il est dans la nature des choses que les artisans d’un même métier et les ouvriers d’une même profession aient la faculté de s’assembler pour débattre et sauvegarder leurs intérêts ; ou bien il faut renoncer à toutes les notions de la solidarité et de la sociabilité humaines.

 

C’est ce qu’on avait parfaitement compris jusqu’à la veille de 1789. Après avoir proclamé les principes qui devaient amener graduellement l’esclavage au colonat et au servage, puis enfin à l’affranchissement complet du travailleur, l’Église avait fini par faire triompher dans la classe ouvrière, comme ailleurs, la loi si éminemment féconde de l’association.

 

Sous l’influence des idées de rapprochement et de charité fraternelle qu’elle répandait dans le monde, il s’était opéré pour chaque métier, pour chaque profession, un groupement des forces et des volontés individuelles autour d’un seul et même centre d’action. L’on avait senti que pour être fort, il fallait s’unir, et que, dans cette union morale des travailleurs d’un même ordre, il y avait une garantie et une protection pour tous : Vincit Concordia fratum, selon l’antique devise des arts et métiers de Paris. Sans absorber l’individu dans le corps social et tout en lui laissant la liberté de se mouvoir et d’agir à son gré, le travail devenait plus ou moins une chose commune à laquelle chacun apportait son énergie propre, en même temps qu’il y trouvait sa fortune et son honneur. Des hommes aussi étroitement unis par les liens professionnels ne pouvaient qu’être solidaires les uns des autres, soit que leur intérêt fût en jeu ou leur réputation.

 

Dans un tel état de choses, il y avait place pour les faibles à côté des forts ; et la richesse ou l’intelligence, au lieu d’être une cause de ruine pour personne, tournait au profit de tout le monde. Bref, le même métier était dans une même ville, pour ceux qui l’exerçaient, un signe de ralliement et le principe d’une association où tous se rencontraient, se respectaient et s’aimaient. Tel a été, six siècles durant l’aspect de cette grande et belle institution qui s’est appelée, dans l’histoire de l’économie politique et sociale, la corporation ouvrière.

 

Les corporations sacrifiées sur l’autel de l’égalité

 

À vrai dire, — et c’est la condamnation la plus formelle des doctrines économiques de la Révolution française, — ils ne pouvaient agir autrement sans renoncer à tout ce qui fait le fond du système. Appliquant avec une rigueur de logique que je suis loin de méconnaître, les idées du Contrat social de Rousseau, la Révolution française ne conçoit que deux facteurs dans l’ordre économique comme dans tout le reste : l’individu et l’État. Pas de corps intermédiaires entre l’un et l’autre, pas de groupes particuliers possédant leur autonomie, pas d’organismes sociaux vivant de leur vie propre, pas d’associations autres que celles qui émanent de la volonté générale envisagée comme la source de tout droit et de tout pouvoir, en d’autres termes, une masse d’individus ayant des droits absolument égaux, en dehors de toute hiérarchie naturelle ou sociale, et l’État leur imposant à tous sa volonté ; voilà toute la théorie imaginée et formulée en 1789 et en 1791.

 

La Révolution crée l’oppression de la classe ouvrière

 

Les conséquences allaient en découler d’elles-mêmes ; et nous les avons sous les yeux. Oubliant que le principe de la liberté du travail, appliqué d’une façon absolue, sans le complément et le correctif de l’association, dans laquelle Turgot plaçait « toute la source du mal », ne saurait avoir d’autre résultat que de mettre, les pauvres et les faibles à la discrétion des riches et des forts, les théoriciens de 1789 s’étaient absolument mépris sur les conditions du problème social.

 

Sous une apparence de liberté, c’est l’isolement qu’on apportait à l’ouvrier, et, avec l’isolement, la faiblesse. L’individu seul restait en face de lui-même, n’ayant plus aucune des ressources matérielles ou morales qu’il tirait auparavant d’un corps dont il était le membre.

 

Dès lors, plus une ombre de hiérarchie ; plus de paternité sociale ; plus de charge d’âmes ; plus de fraternité professionnelle ; plus de règles communes ; plus de solidarité d’intérêt, plus d’honneur et de réputation plus de rapprochement entre les maîtres, les ouvriers et les apprentis ; plus de garanties pour les faibles contre les forts ; plus de protection des grands à l’égard des plus petits.

 

Une concurrence effrénée, une lutte pour la vie où chacun, réduit à ses seules forces, cherche à l’emporter sur les autres, au risque d’entraîner leur ruine ; une mêlée où l’on se coudoie, où l’on s’écrase, où l’on se foule aux pieds, c’est-à-dire, en résumé, l’oppression en haut, la servitude en bas, l’antagonisme partout et l’union nulle part : telle est la situation que la Révolution française est venue créer à la classe ouvrière.

 

Des tentatives de résistance

 

Oui, malgré les anathèmes de Turgot et des autres économistes de 1789 contre le régime corporatif, nous avons vu se former successivement des sociétés de secours mutuels, des caisses de pension de retraite, des banques populaires, des associations coopératives, et même des syndicats professionnels, forçant, pour ainsi dire, la tolérance des pouvoirs publics en attendant la sanction légale. Puis, enfin, nous avons vu un parlement obligé, sous la pression de l’opinion, d’abroger la loi du 27 juin 1791 et de rétablir le principe de l’association dans la loi du 21 mars 1884.

 

Mais toutes ces réactions en faveur du principe d’association si étrangement méconnu en 1789 sont autant de conquêtes sur la Révolution française dont c’est l’erreur fondamentale de ne concevoir et de n’admettre aucun organisme intermédiaire entre l’individu et l’État.

 

Le sophisme de l’amélioration des conditions matérielles

 

[…] Voyez, nous dira-t-on, quel progrès économique s’est réalisé depuis la fin progrès du siècle dernier : l’ouvrier est mieux vêtu, mieux nourri, mieux logé que par le passé : pur bienfait de la Révolution française.

 

Pur sophisme, dirons-nous à notre tour ! Si les conditions économiques, du temps actuel sont meilleures à certains égards que celles de l’âge précédent : cela est dû à des causes toutes différentes : cela est dû au progrès des sciences naturelles, physiques et chimiques, aux inventions et aux découvertes de l’industrie, à l’application de la vapeur et de l’électricité aux diverses catégories du travail humain, à une plus grande facilité dans les moyens de communication, à la multiplication des relations commerciales, à l’amélioration des routes, à la création des chemins de fer, au mouvement général de l’art et de la pensée.

 

[…] Laissons donc là ce sophisme et disons ce qui est l’évidence même : la Révolution française n’a rien fait pour améliorer la condition des classes laborieuses ; bien au contraire, elle a jeté le trouble et la confusion dans le monde du travail ; elle a détruit, sans y rien substituer, ces corporations ouvrières, ces groupes sociaux si bien organisés, où petits et grands, faibles et forts, pauvres et riches étaient unis entre eux par les mêmes liens professionnels, dans une vaste hiérarchie de services et de fonctions ; elle n’a pas su donner à la liberté du travail, dans la liberté d’association, un correctif et un complément indispensables ; elle a désagrégé les masses ouvrières, en les soustrayant à la direction de leurs chefs naturels, pour les livrer sans défense à l’action des sociétés secrètes, de ces ligues ténébreuses où elles deviennent la proie de politiciens sans aveu et sans scrupule ; elle a créé l’antagonisme du capital et du travail, cette grande plaie des temps modernes ; et chaque fois qu’il est question de remédier à un état de choses si lamentable, on est obligé de remonter le courant de la Révolution, pour reprendre une à une les œuvres qu’elle a détruites, et pour corriger les erreurs de son symbole économique et social.

 

Source : Mgr Freppel, La Révolution française, à propos du centenaire de 1789, A.Roger et F.Chernoviz éditeurs, 7 rue des grands-augustins, Paris 1889. 23e édition. Vive le Roy

via Démocratie royale

Partager cet article
Repost0

commentaires

Articles RÉCents

  • Saint Damase Ier, Pape (366-384)
    Fils de prêtre, Damase naît à Rome vers 305. Les souvenirs et l'engagement de sa famille dans l'église chrétienne remontent à la période pré-constantinienne, celle qui a connu la Grande persécution. Il compte au nombre des diacres de Libère (Pape 352-366)...
  • O viens, O viens, Emmanuel
    " O viens, O viens, Emmanuel " (en latin : "Veni, veni, Emmanuel") est un hymne chrétien pour l'Avent, qui est également souvent publié dans des livres de chants de Noël. Hymne pour l'Avent/Noël ici joué sur l'orgue Conacher à 3 claviers de l'église All...
  • Saint Romaric, abbé († 653)
    Père de famille, ancien courtisan du roi d’Austrasie Théodebert (VIIe siècle) il était leude de la Cour de Metz (haute aristocratie). Tous ses biens furent confisqués par la reine Brunehaut. (1) Revenu à la Cour, il resta convaincu de l’instabilité des...
  • Lourdes reconnaît officiellement le 71e miracle : la guérison de John Traynor (1883-1943)
    Le miracle de la guérison d'un blessé grave de la Première Guerre mondiale n'a été annoncé qu'hier, 101 ans après sa guérison. Lourdes (kath.net/pl) kath.net documente le communiqué de presse du 8 décembre 2024 du Sanctuaire de Lourdes sur la reconnaissance...
  • Solennité de l'Immaculée Conception de la Vierge Marie
    En 2024, parce que le 8 décembre tombe un dimanche, la fête de l’Immaculée Conception est reportée au 9 décembre. ( https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/connaitre-et-aimer-dieu/marie/371604-la-fete-de-limmaculee-conception/ ) Sur notre route...
  • (Le livre) Paradise Cancelled (Paradis annulé) explore le fossé entre le christianisme et le postmodernisme
    Anthony Schratz analyse habilement les défauts de "l’individualisme expressif" et aborde directement ce que les chrétiens devraient faire dans la situation difficile actuelle. Nous vivons dans un monde devenu fou. Cette folie a été annoncée il y a un...
  • Sainte Valérie, vierge, martyre et disciple de Saint Martial (Ier siècle)
    Sainte Valérie, figure emblématique de l’Église primitive à Limoges, incarne la pureté, le dévouement et le courage des premiers chrétiens. Issue d’une famille noble et aisée, elle renonça à toutes les richesses et aux honneurs pour se consacrer entièrement...
  • Saint Pierre Fourier, fondateur († 1640)
    C´est à Mirecourt, en Lorraine indépendante, que naquit le 30 novembre 1565, Pierre Fourier, de parents foncièrement chrétiens. Ceux-ci voulurent nommer leurs trois fils, Pierre, Jacques et Jean, "afin qu´autant de fois ils se souviendraient d'eux-mêmes,...
  • C’est ainsi que l’hérésie gnostique a façonné la modernité (Roberto Marchesini, philosophe)
    https://lanuovabq.it/it/ecco-come-leresia-gnostica-ha-plasmato-la-modernita Le philosophe italien Roberto Marchesini démasque la première des hérésies, la gnose, qui trouve sa présence dans la modernité, de l'art contemporain à la bande dessinée, du corps...
  • Saint Ambroise de Milan, évêque et docteur de l'Église († 397)
    Ambroise convertissant Théodose, Par Pierre Subleyras, 1745 Ambroise, né en 339 à Augusta Treverorum dans l'Empire romain (aujourd'hui Trèves), fils d'un préfet des Gaules et d'Occident, était gouverneur de Milan. Sa grand-tante, la belle Aurelia Sotheris,...