Il faut avoir lu l'article d'Alain Duhamel paru dans le si mal nommé Libération du jeudi 12 juin pour bien saisir toute l'étendue et toute la profondeur du mépris que la caste des semi-intellectuels médiatiques, serviteurs empressés (et stipendiés) des oligarchies financières, voue aux peuples d'Europe.
Dans ce petit glaviot journalistique, qu'on imagine écrit avec la moue rageuse et le nez fiévreusement pincé du bon élève contrarié dans ses exercices de louange du maître par la gouaille bruyante et rebelle du cancre du fond de la classe, toutes les habituelles frontières du « politiquement correct » sont brisées par un auteur qui, ivre de la folle certitude d'incarner une vérité supérieure, laisse libre cours au plus infect des dédains de classe et à la plus nauséeuse des xénophobies.
Sous la plume de l'atrabilaire sectateur du marché déifié, le peuple irlandais est ainsi réduit à un ramassis de ploucs irrécupérables et ingrats, incapable de remercier par un vote positif le glorieux Léviathan bruxellois qui l'a arraché à une condition quasi-animale de conglomérat de buveurs de bières et de bouffeurs de patates étroitement cornaqués par la pesanteur obscurantiste d'un catholicisme de type inquisitorial .
(« Lorsqu'elle est entrée au sein de la Communauté le 1er janvier 1973, l'Irlande était pauvre et malheureuse. Son niveau de vie était l'un des plus misérables du monde occidental, sa société, l'une des plus archaïques. Une Église catholique tout droit issue de la Contre-Réforme y imposait une férule féroce en matière de moeurs. »)
Inapte à se réjouir suffisamment du passage de la lecture de James Joyce à celle du Wall Street Journal, et de la transformation des charrettes à boeufs en 4x4 Mercedes, le peuple irlandais incarne archétypalement tout ce que détestent Alain Duhamel et ses clones : une foule de petites gens arrimées à leur terre et à leur bon sens, incapables de se hisser à la vertigineuse hauteur d'intelligence et de clairvoyance de leurs élites.
Ainsi notre roquet de la démocratie totalitaire, sombrant dans le délire moderniste le plus complet, regrette-til que les arriérés irlandais ne soient pas reconnaissants à l'Union de les avoir arrachés à la poésie et au labeur pour les plonger dans les mirifiques délices de la consommation et de l'hédonisme.
(« Le pays s'est couvert de maisons neuves et peu poétiques en remplacement des chaumières aussi vétustes que virgiliennes. En trois décennies, on est passé de James Joyce aux 4X4. On rencontre même des Irlandais heureux. Malheureusement, rien ne prouve qu'ils soient devenus majoritaires. »)
S'il fallait encore une preuve du fait que leur prétendue « démocratie » ne sert que de cache-sexe à la plus vile et veule des ploutocraties, ce serait certainement cet invraisemblable article.
Comment, dans de telles circonstances, face à de telles pathologies modernistes, ne pas se ré jouir pleinement et bruyamment du résultat du référendum irlandais ? Même si ce vote ne change pas grand-chose sur le fond, ne résoud rien et nous maintient dans un statu quo bancal, même si ce cri du peuple n'empêchera sans doute pas les tripatouillages institutionnels que nous promettent l'Union européenne et son principal séide Nicolas Sarkozy, il n'en reste pas moins un gigantesque bras d'honneur adressé aux technocrates et aux politicards professionnels de tous poils.
Chaque fois que le système est contraint de laisser une petite fenêtre d'expression directe au peuple, celui-ci exprime sa défiance non pas vis-à-vis de l'Europe, entité historique, culturelle et civilisationnelle, mais de sa caricature bureaucratique, désincarnée, libérale et cosmopolite.
Le pays réel bouge donc encore un peu.
C'est pourquoi nous pouvons, et devons !, le crier bien haut aujourd'-hui : « Nous sommes tous des catholiques irlandais ! »
XAVIER EMAN
Aspects de la France