Le livre dans lequel M. Peillon livre le plus sa pensée personnelle est La Révolution n’est pas terminée, publié au Seuil en 2008. Voici ce qu’il dit de l’école : « C’est à elle [l’école] qu’il revient de briser ce cercle [les déterminismes], de produire cette auto-institution, d’être la matrice qui engendre en permanence des républicains pour faire la République, République préservée, république pure, république hors du temps au sein de la République réelle, l’école doit opérer ce miracle de l’engendrement par lequel l’enfant, dépouillé de toutes ses attaches pré-républicaines, va s’élever jusqu’à devenir le citoyen, sujet autonome. C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle Eglise, avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi. La société républicaine et laïque n’a pas d’autre choix que de « s’enseigner elle-même » (Quinet) d’être un recommencement perpétuel de la République en chaque républicain, un engendrement continu de chaque citoyen en chaque enfant, une révolution pacifique mais permanente » (p. 17).
Le lien entre l’école et la laïcité apparaît clairement : l’école-église est le lieu de l’enseignement de la laïcité-religion. Il ajoute : « En voulant éliminer et le déterminisme religieux et le déterminisme scientifique, la synthèse républicaine se trouve obligée d’inventer une métaphysique nouvelle et une religion nouvelle, où c’est l’homme, …, qui va apparaître comme un infini qui sans cesse « s’échappe à lui-même » (J. Lagneau) Cette religion n’est pas une religion du Dieu qui se fait homme. Elle n’est pas davantage d’ailleurs une religion de l’homme qui se fait Dieu. Elle est une religion de l’homme qui a à se faire dans un mouvement sans repos. » (p. 141-142). Plus loin, il poursuit : « Ce qui manque au socialisme pour s’accomplir comme la pensée des temps nouveaux, c’est une religion nouvelle : « Donc un nouveau dogme, un nouveau régime, un nouveau culte doivent surgir, afin qu’une nouvelle société prenne la place de l’ancienne. » (Littré) » (p. 149). « La laïcité elle-même peut alors apparaître comme cette religion de la République recherchée depuis la Révolution. » (p. 162) « C’est au socialisme qu’il va revenir d’incarner la révolution religieuse dont l’humanité a besoin, en étant à la fois une révolution morale et une révolution matérielle, et en mettant la seconde au service de la première. » (p. 195).
Dans sa biographie de Ferdinand Buisson, il précise à propos de cette foi laïque que « toute l’opération consiste bien, avec la foi laïque, à changer la nature même de la religion, de Dieu, du Christ, et à terrasser définitivement l’Église. Non pas seulement l’Église catholique, mais toute Église et toute orthodoxie. Déisme humain, humanisation de Jésus, religion sans dogme ni autorité ni Église, toute l’opération de la laïcité consiste à ne pas abandonner l’idéal, l’infini, la justice et l’amour, le divin, mais à les reconduire dans le fini sous l’espèce d’une exigence et d’une tâche à la fois intellectuelles, morales et politiques. » (p. 277).
Ces citations (qui ne peuvent rendre totalement justice à l’intelligence de leur auteur) permettent d’entrevoir, pour les non-initiés, l’arrière fond idéologique sur lequel s’inscrit le projet d’enseignement moral et civique. Reste à connaître son contenu précis, et la façon dont les enseignants du public et du privé vont l’enseigner, à hauteur d’une heure par semaine « au minimum », selon les vœux du ministre.
On le voit, l’ambition et la foi du ministre sont considérables ; le défi posé par cette jeunesse à intégrer ne l’est pas moins. On peut néanmoins être sceptique face à cette foi laïque et à son efficacité… mais le peut-on encore ouvertement ? Son enseignement sera obligatoire pour tous, et les enfants seront notés.
Face à ce projet de refondation de la société par le biais de l’école, comment se situe l’enseignement privé ? A-t-il autre chose à proposer, aura-t-il autant de zèle missionnaire que Monsieur Peillon ? En tout cas, l’enseignement privé sous contrat se trouve dans la situation paradoxale d’être obligé d’enseigner cette morale laïque, tout en ayant interdiction d’imposer l’enseignement religieux à ses élèves.
Selon son contenu, cet enseignement moral sera susceptible de heurter non seulement le « caractère propre » de l’enseignement privé, mais aussi le droit naturel des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants « conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques », droit garanti notamment par la Convention européenne des droits de l’homme.
Pour finir, le projet de loi contient une disposition des plus symboliques ; il prévoit que « la devise de la République et le drapeau tricolore doivent figurer à la façade de tout établissement scolaire public ou privé sous contrat. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 doit être apposée au sein de tous ces établissements. » Il n’est pas précisé si les symboles de la République doivent être placés au-dessus ou au-dessous de la croix qui orne, parfois encore, les façades des écoles catholiques.
Grégor Puppinck
Source: http://www.ndf.fr/poing-de-vue/23-05-2013/lecole-du-petit-pere-peillon
Add. 13 juin. Dans un entretien aux Editions du Seuil, le 08 octobre 2008, pour la publication de son livre "La Révolution française n'est pas terminée", le franc-maçon Peillon, ministre de l'"Education nationale" avoue qu'il veut tuer le catholicisme : "On a laissé le moral et le spirituel à l'Eglise catholique. Donc il faut remplacer ça. On ne pourra jamais construire un pays de liberté avec la religion catholique."
Il dit également s'opposer à la vision de la Révolution "française" de l'historien François Furet "et tous les historiens qui l'ont accompagné, à qui il reproche d'avoir présenté, au moment de la commémoration du bicentennaire de la Révolution, en 1989 un récit historique de "l'histoire de France et de la pensée républicaine" avec lequel il est "en désaccord".
Source video: http://www.gloria.tv/?media=457883
Dans cette video, voici ce qu'il dit:
« L'idée qui est la mienne, et j'espère qu'elle est partagée par un certain nombre de gens, c'est que nous avons à écrire notre histoire. […] Chaque génération réécrit son histoire. Il faut s'enfanter soi-même et donc faire le propre récit de sa naissance. […] Et je pense que notre génération n'a pas écrit son propre récit. Et donc elle a du mal à écrire son propre présent. Et d'ailleurs on sent cette espèce de crise et de faiblesse dans le fond d'une génération, qui est encore dominée par des récits historiques, et qui font écran avec notre temps. Un de ces récits, peut-être le plus important, c'est celui de François Furet. Et François Furet, et tous les historiens qui l'ont accompagnés sont venus du marxisme. Et puis à un moment, au moment de la commémoration du bicentenaire de la Révolution, puis de la Première république (1792), ont donné une interprétation de l'histoire de France et de la pensée républicaine avec laquelle je suis en désaccord.
[…] Dans les fausses oppositions, il y a l'opposition 'laïcité-religions'. Car être laïc, être même anti-clérical – Eglise catholique, Eglise de servitude, de domination, avec le pouvoir royal, puis après avec la Contre-Révolution – cela n'est pas nécessairement être anti-religieux. Et on peut aller plus loin. Les premiers grands laïcs, ceux qui ont fondé la laïcité, et qui l'ont dans le fond imposer à l'école, puis étaient des artisans de la loi de 1905 (Jaurès, et Buisson) n'étaient pas anti-religieux. Du tout, loin de là. Et pour Jaurès et pour Buisson.
Alors la question, elle est à la fois historique et politique. Parce que très rapidement, la réflexion (elle vient d'Edgar Quinet), c'est la suivante : la Révolution française a échoué parce qu'on ne peut pas faire exclusivement une Révolution dans la matière, il faut la faire dans les esprits. Or on a fait une Révolution essentiellement politique, mais pas la Révolution morale et spirituelle. Et donc on a laissé le moral et le spirituel à l'Eglise catholique. Donc, il faut remplacer cela. Et d'ailleurs l'échec de (la Révolution) de 1848, où l'Eglise catholique et des prêtres sont venus bénir les 'arbres de la liberté' des révolutionnaires, c'est la preuve que l'on ne pourra jamais construire un pays de liberté avec la religion catholique. Mais, comme on ne peut pas non plus acclimater le protestantisme en France comme on l'a fait dans d'autres démocraties, il faut inventer une religion républicaine. Cette religion républicaine, qui doit accompagner la révolution matérielle, mais qui est la révolution spirituelle, c'est la laïcité. Et c'est pour cela d'ailleurs qu'on a a pu parlé, au début du XXe siècle, de foi laïque, de religion laïque, et que la laïcité voulait être la création d'un 'esprit public', d'une 'morale laïque', et donc l'adhésion à un certain nombre de 'valeurs'. Et donc je dis bien ce n'est pas la foi religieuse, mais c'est un type de foi. Et finalement la laïcité serait plus forte aujourd'hui si on ne la considérait pas simplement de façon négative – comme anti-religieuse -, mais comme une véritable adhésion et une véritable spiritualité en elle-même. Ce qui était la conception de Jaurès ou de Buisson. »
- (Date de publication de la video par Editions du Seuil : 08/10/2008)
Voici ce qu'écrivait Vincent Peillon dans La Révolution française n’est pas terminée (Le Seuil, Paris, 2008):
- « La révolution française est l’irruption dans le temps de quelque chose qui n’appartient pas au temps, c’est un commencement absolu, c’est la présence et l’incarnation d’un sens, d’une régénération et d’une expiation du peuple français. 1789, l’année sans pareille, est celle de l’engendrement par un brusque saut de l’histoire d’un homme nouveau. La révolution est un événement méta-historique, c’est-à-dire un événement religieux. La révolution implique l’oubli total de ce qui précède la révolution. Et donc l’école a un rôle fondamental, puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines pour l’élever jusqu’à devenir citoyen. Et c’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la loi.»
Et, le 2 septembre dernier, dans le Journal du dimanche, répondant à la journaliste Adeline FLEURY :
- « Le point de départ de la laïcité c’est le respect absolu de la liberté de conscience. Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel… »
Source : http://www.dailymotion.com/video/x704hn_la-revolution-fr-n-est-pas-terminee_creation#.UbeUQpygT44
Vincent Peillon peut bien vouloir "écrire notre histoire", "chaque génération réécrit son histoire..., pour s'accoucher dans le présent", dit-il, il n'en demeure pas moins qu'une nouvelle génération d'historiens avance, à la suite de François Furet, que "la Révolution est terminée". Lire: Patrice Gueniffey : "La Révolution est morte" (Conférence du 3 octobre 2011).
D'un point de vue sociétal, un marqueur fort indiquant la mort de la Révolution dans l'inconscient collectif de la jeunesse de France est celui des "Veilleurs" ("la démocratie est à recréer". Henri Hude).
Les Veilleurs sont ces jeunes qui au cours du Printemps français, se sont levés contre la tyrannie. Refusant la fin de l'histoire vue sous le simple angle de la dialectique marxiste matérialiste, ils prônent une autre société fondée sur le réel et non l'idéologie. A la violence révolutionnaire, ils opposent la douceur évangélique et le principe de non-violence, inscrit dans les principes mêmes du Printemps français. Ils s'opposent au "diviser pour régner" engendré et entretenu par la société révolutionnaire. Ils s'opposent à la repentance victimaire; ils s'opposent au creusement des inégalités engendré par la société dite "révolutionnaire" quand celle-ci n'est qu'un moyen de domination oligarchique au service des plus forts et des plus riches. Cette génération est là pour dire que notre présent se construit dans le réel et non dans l'idéologie, que la société se construit dans l'affirmation des principes de l'Ordre naturel et non dans l'agitation-propagande de la négation et de la déconstruction de tout repètre traditionnel. Leur altruisme sociétal s'oppose directement à l'égoïsme nihiliste économico-marchand de la société individualiste révolutionnaire. A l'horizontalisme d'une société morne et matérialiste faisant du passé table rase, ils opposent le verticalisme de la transcendance et du spiritualisme en prenant ce qu'il y a de meilleur dans notre passé. Ils sont là pour construire, quand les révolutionnaires de mai 68 étaient là pour détruire.
Historiquement, comme le dit Patrice Gueniffey dans sa conférence du 3 octobre 2011, disciple de François Furet :
- "a disparu tout ce qui faisait l'originalité, le sel aussi de la Révolution française, c'est-à-dire son incroyable volontarisme, sa foi dans le progrès, ses tentatives mêmes violentes pour déraciner le monde ancien..., de fonder réellement un monde nouveau.
- La Révolution française a subi une sorte de déclassement depuis quelques années, qui fait qu'elle n'occupe plus dans notre inconscient collectif, dans notre paysage politique, l'importance qui avait été la sienne pendant environ deux siècles. ...
- Ce changement s'est fait progressivement et il a commencé il y plus d'une vingtaine d'années, on pourrait dire il y a trente ans, avant même le bicentenaire de 1989. Le premier signe sur la crise qui frappait le mythe de la Révolution française comme événément fondateur, a été le film d'Andrzej Wajda, "Danton" sorti en 1983.
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En 1989, les responsables des célébrations ont fini par opté pour la célébration la plus neutre possible, en choisissant comme symboles des personnages qui risquaient de ne choquer personne. Donc exit Robespierre, exit Saint-Just, exit Danton lui-même, dont il n'a plus été question. Et à la place on a vu émergé des personnages certes importants de l'évènement révolutionnaire, mais néanmoins de second rôle, comme Condorcet, ou l'abbé Grégoire... - Et c'était en quelque sorte logique dans une conjoncture des années 80 où la ferveur entourant l'évènement révolutionnaire commençait à disparaître, et où, corrélativement les Vendéens eux-mêmes, qui avaient combattu la république, devenaient presque aussi populaires que les soldats bleus qui avaient défendu la Révolution et combattu la Vendée. Aujourd'hui, ce changement est devenu irréversible. La magie du romantisme révolutionnaire s'est épuisé. Nous ne vibrons plus au récit des combats politiques de Robespierre, nous ne vibrons plus à la lecture des discours de Robespierre, ni même d'ailleurs de ceux de Danton, et les valeurs elles-mêmes qu'évoquaient Robespierre et Danton nous sont devenues en partie étrangères, indifférentes, ou plutôt sont entrées dans notre patrimoine, mais elles ne nous parlent plus....
- ce qui s'est effondré surtout avec le communisme c'est la croyance à un sens de l'histoire, la croyance que l'histoire aurait un sens. Ce qui a disparu c'est la croyance à l'efficacité de l'action politique qui se trouvait au coeur du message délivré par la Révolution française. Et plus généralement par l'histoire de l'avènements de nos Etats démocratiques. En effet, la Révolution française avait porté cette croyance à l'efficacité de la politique à un point de paroxysme. Elle avait cru que la volonté humaine a une efficacité illimitée, c'est-à-dire que l'on pouvait absolument tout changer. Les évènements se sont alors chargés de montrer qu'en réalité en politique on ne peut pas tout faire, que les choses résistent, ne se laissent pas faire sans limites."
- Franc-maçonnerie "religion de la république" (Vincent Peillon)
- La morale "laïque" (Vincent Peillon) deviendrait-elle dogmatique ?