Jean de Damas (ou Jean Damascène) naît à Damas en 650 dans une famille arabe et chrétienne de fonctionnaires. Damas était la résidence des califes, le centre de l'empire musulman de l'époque. Lui-même, après de brillantes études, il prend la suite de son père au service du calife ommeyade Abd al-Malik. Membre de l’entourage du Calife, peut-être son ami personnel, il connait bien l’islam de l’époque. Mais les discriminations envers les chrétiens, l'islamisation de l'administration allant se renforçant, l'amènent à quitter sa charge de notable, plutôt que d’avoir à renier son christianisme pour l’islam, vers 720.
Il distribue alors tous ses biens aux pauvres et entre au monastère de Saint-Sabas, en Palestine, près de Jérusalem. Il y demeure jusqu'à sa mort en 749, se consacrant 'à l'ascèse et à l'étude, sans dédaigner l'activité pastorale dont témoignent ses nombreuses homélies', racontre le pape Benoît XVI.
Devenu prêtre, il écrit un résumé de la théologie byzantine, La source de la connaissance, de nombreux hymnes, et se fait le grand défenseur des images saintes à l'époque de la première crise iconoclaste :
Ce n'est pas la matière que j'adore, mais le Créateur de la matière, qui, à cause de moi, s'est fait matière, a choisi sa demeure dans la matière.
Un des plus grands théologiens de l'Incarnation
Jean a insisté sur la compénétration des deux natures du Christ et sur ses conséquences. Le corps terrestre et mortel du Christ, rempli "de l'intérieur" par la divinité, "fait sourdre" ou "fait jaillir" la gloire de la divinité, devient fontaine de gloire divine. Il s'agit d'une "compénétration" qui va si loin que "la gloire de la divinité doit être dite aussi gloire du corps" (P.G. 96, col. 564 cité par Vladimir LOSSKY, Vision de Dieu, Delachaux & Niestlé, 1962, p. 115.)
Jean insiste constamment sur cet aspect : "La nature de la chair est déifiée, mais elle ne 'carnifie' pas la nature du Verbe." (P.G 94, col 1461 C, cité par Jean MEYENDORFF, Le Christ dans la théologie byzantine, Le Cerf 1969, p. 231); "la nature divine communique au corps quelques-uns de ses privilèges, mais elle ne participe pas en retour aux passions de la chair" (p.G. 94, col 1057 C) ; "la compénétration vient de la divinité", non de l'humanité. (P.G. 94 col 1461 C). Au terme de ce processus d'osmose, c'est notre chair qui est déifiée, non pas la divinité qui se trouve limitée par la chair.
Au cours de sa vie monastique, Jean rédige un traité des hérésies, dont le "Chapitre 100", classe l'islam parmi les hérésies, la centième hérésie.
C'est un écrit d’importance car c’est un des plus long témoignage non musulman sur le proto-islam.
Dans la présentation de l’Islam par Jean de Damas, cette nouvelle religion est appelée "religion des Ismaélites" ou "religion des Agarènes". Il appelle ceux qui suivent cette religion des sarrasins, par référence à Sarah (Le rapprochement du nom de sarrasin et de Sarah, femme d’Abraham et mère d'Isaac est cependant contestable).
Jean explique que l’islam a été adressé à un peuple primitivement idolâtre qui adorait entre autre Chabar (= la grande) et l’étoile du matin. Mahomet, son fondateur s’est inspiré du judaïsme et du christianisme et a fréquenté un moine arien. Dans cette hérésie, le Christ est certes Verbe et Esprit de Dieu, mais il est une créature de Dieu, serviteur et prophète de Celui-ci. Il est né de Marie, sœur de Moïse et d’Aaron (alors que la Vierge Marie est la fille d'Anne et Joachim et que Moïse qui conduisit l'exode des Hébreux hors d'Egypte et Aaron vécurent quinze siècles auparavant.) Il n’aurait pas été tué sur la croix car seule son ombre aurait été crucifiée [variante dans le coran : un autre a été crucifié.].
Jean demande où la venue de Mahomet est prophétisée dans les Ecritures, sous-entendant : "On ne l’y trouvera nulle part". En revanche, il souligne que Moïse et les prophètes ont annoncé le Christ, sa divinité, sa mort et sa résurrection.
Il critique le mode de révélation de la nouvelle religion de deux manières :
- En la contrastant avec la réception de la Loi par Moïse à la vue de tout le peuple, dans le feu et la nuée, les ténèbres et la tempête gage absolue de son origine divine. Où sont les signes divins attestant la révélation de Mahomet demande-t-il ?
- En soulignant une contradiction : la nouvelle religion demande des témoins pour tout ce qui important, et demande de ne rien recevoir sans témoins ; or pour ce qui est de plus important, à savoir la descente du texte sacré, aucun témoin ne peut être produit : n’y a-t-il que la foi et l’Ecriture qui doivent être acceptés sans témoins ?
Il répond aux accusations des musulmans :
L’associationnisme. Les ismaélites traitent les chrétiens d’"associateurs" car ils disent que le Christ est fils de Dieu. Jean répond à l’accusation d’associationnisme de deux façons :
- Premièrement, cela est conforme à ce qu’avaient annoncé les prophètes, et que eux aussi, les musulmans, disent accepter l’autorité des prophètes. Mais Jean sait que les musulmans affirment que les Ecritures juives et chrétiennes sont trafiquées.
- Deuxièmement, puisque que les musulmans disent que Jésus est le Verbe et l’Esprit de Dieu, Jean fait cette remarque : le Verbe et l’Esprit d’une personne sont inséparables de cette personne. Si donc le Christ est le Verbe et l’Esprit de Dieu, il est inséparable de Dieu, c’est à dire incréé. Par conséquent, il est Divin lui aussi. Ainsi, il retourne la charge : Puisque les Agarènes retirent à Dieu son Verbe et son Esprit éternel, ce sont eux qui "déforment" Dieu et l’on devrait les appeler "mutilateurs" de Dieu.
L’idolâtrie. Jean se fait l’écho de l’accusation d’idolâtrie portée contre les chrétiens parce qu’ils se prosternent devant la croix que les ismaélites ont en horreur. Pour Jean, si l’on doit traiter les chrétiens d’idolâtres parce qu’ils vénèrent la croix, à plus forte raisons ses accusateurs sont-ils idolâtres en raison de la manière dont ils traitent la Kaaba. De plus, la croix est le symbole de la victoire sur Satan pour les chrétiens ; L’origine de l’importance de la Kaaba pour les agarènes est bien moindre selon les récits rapportés par Jean.
A propos de quelques sourates. Jean passe en revue quelques sourates incompatibles avec la révélation chrétienne ; il pense qu’ elles ne peuvent en aucun cas avoir de caractère prophétique ou sacré. L’idée même qu’on puisse leur accorder crédit suscite chez Jean du sarcasme. Exemples :
Sourate IV : les femmes. Jean raille en les citant ou évoquant les passages qui autorisent le concubinage, la répudiation, l’épisode au cours duquel Dieu donne à Mahomet la femme de Zayd après qu’il l’eut répudiée, et enfin le verset stipulant que les femmes sont un champ pour les hommes, un champ qu’ils peuvent cultiver de la manière dont ils le veulent.
Sourate : la Chamelle de Dieu. Ici Jean évoque une sourate qui n’est pas dans le Coran actuel. L’histoire de la chamelle est racontée dans le Coran, fractionnée dans plusieurs sourates. Jean est peut-être le témoin d’une version du Coran adopté par les Califes de l’époque qui a disparu aujourd’hui.
Sourates la Table et la Vache. Elles sont justes mentionnées. Prescriptions particulières.
Jean termine la présentation de la nouvelle religion en en rappelant quelques interdits : ne pas observer le Shabbat, ne pas se faire baptiser, ne pas manger certaines nourritures et ne pas boire de vin.
On trouvera une très belle présentation commentée des écrits sur l’islam de Jean Damascène comprenant "L’hérésie 100" et une "controverse entre un musulman et un chrétien" aux éditions du Cerf : Ecrit sur l’islam, Jean Damascène, coll. sources chrétiennes. Ces deux textes font connaître la toute première prise de position des chrétiens face au mouvement né de l'enseignement de Mahomet. Et c'est l'auteur de la « Source de la Connaissance », sorte de « Somme théologique » avant la lettre, qui s'engage ici dans le débat.
Jean mourut le 4 décembre 749, jour de la Sainte-Barbe.
Léon XIII le proclame docteur de l'Église en 1890.
Sources: Missel du Dimanche 2020, Nouvelle traduction liturgique, Année A, Artège Bayard Éditions, p. 81 ; (2) Les saints du jour; (3) wikipedia