Saints Victorien et Frumence, martyrs à Carthage (Tunisie) en 484, sous le roi arien des Vandales d'Afrique, Hunéric.
Saint Victorien de Carthage. Vitrail de l'église Saint-Joseph. Jatibonico y Arroyo Blanco. Île de Cuba. XIXe.
Victorien, natif d'Adrumète, en Afrique, était proconsul de Carthage (Tunisie).
On célèbre ce jour le martyre de plusieurs chrétiens victimes de Hunéric, roi arien des Vandales d'Afrique du nord, et leur admirable constance.
Hunéric employa tous ses efforts pour détourner Victorien de la religion et lui fit les plus magnifiques promesses. Victorien, proconsul de Carthage, refusa de se plier à l'hérésie arienne du roi vandale et mourut dans d'atroces supplices.
Hunéric demanda à Victorien d'emprisonner les chrétiens qui n'embrassaient pas l'arianisme, à commencer par Victorien lui-même. Il refusa. La réponse de Hunéric fut de le mettre à mort, ainsi que 4 riches commerçants : deux frères de la ville d’Aquarège et deux autres marchands nommés tous deux Frumence (1), ainsi que douze enfants fouettés et battus à mort. (2) Ils souffrirent les plus cruelles tortures pour avoir confessé avec constance la foi catholique et reçurent la couronne de la gloire.
On commença par suspendre les deux frères avec de gros poids attachés à leurs pieds. Au bout d'un jour passé dans cette douloureuse situation, l'un d'eux, succombant à la douleur, demanda quelque répit. Son frère, craignant qu'il n'eût la faiblesse de renoncer à sa foi, lui cria du haut de sa potence:
"Gardez-vous bien de faiblir, mon frère; est-ce là ce que nous avons promis ensemble à Jésus-Christ? Si vous trahissez votre foi et votre serment, je serai moi-même votre accusateur au tribunal de Dieu."
Le pauvre martyr chancelant reprit alors courage et s'écria d'une voix forte: "Ajoutez les supplices aux supplices, je suis prêt à souffrir tout ce que souffrira mon frère."
Les bourreaux emploient alors contre ces deux héroïques martyrs les lames de fer rougies au feu, les ongles de fer et d'autres tortures non moins affreuses. Chose étonnante, on ne voyait sur eux aucune meurtrissure ni aucune trace des tourments qu'on leur faisait endurer.
À la fin, voyant que le courage des martyrs et les merveilles que Dieu opérait en leur faveur semblaient fortifier dans la foi ou convertir ceux qui en étaient les témoins, les bourreaux se hâtèrent d'achever leurs victimes, et les deux frères allèrent recevoir, avec Victorien, la palme due aux généreux soldats du Christ.
"Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux." Mt. 10, 32
Saint Victorien est devenu le Patron des commerçants.
Dicton du jour: "S'il pleut à la Saint Victorien, tu peux sûrement compter sur du bon foin."
Commémoraison des saints martyrs Victorien, proconsul de Carthage, et deux frères de la ville d’Aquarège; de plus, deux autres marchands nommés Frumence. Ces saints, à l’époque de la persécution des Vandales, sous le roi arien Hunnéric, en 484, souffrirent les plus cruelles tortures pour avoir confessé avec constance la foi catholique et reçurent la couronne de gloire. Martyrologe romain
Sa réputation de piété chrétienne était considérable. Hunéric, roi des Vandales (envahisseurs de l'Afrique du Nord) voulut le réduire, moyennant de superbes récompenses, à embrasser, semble-t-il, l'hérésie arienne en abjurant la religion catholique que ce Carthaginois avait professée jusqu'alors. Selon les historiens bénédictins, la réponse de Victorien fut négative quoique nuancée : « J'ai confiance dans le Christ, dit-il. Qu'on emploie les flammes, qu'on excite les bêtes contre moi, qu'on use contre mon corps des supplices les plus variés, jamais je ne consentirai à renier l'église chrétienne en laquelle je fus baptisé. » Et voici le passage important : « N'y aurait-il que la vie présente, et plus précisément encore si je n'espérais pas une vie éternelle, si je ne croyais pas dans l'existence de celle-ci [mais bien entendu, ici Victorien prend ses précautions, cette vie éternelle existe], même en ce cas, je ne consentirais pas à une gloire purement terrestre pour obtenir les bienfaits que me fait miroiter Hunéric en récompense de ma trahison ; je ne consentirais pas à me montrer ingrat envers le Christ qui m'a confié le précieux dépôt de la foi. » Victorien fut massacré en 484 sur ordre d'Hunéric par cruelles tortures...
Un commentateur du XIXe siècle remarque à juste titre que Victorien émettait ainsi l'hypothèse, à laquelle il ne se ralliait pas nécessairement, de l'inexistence du paradis et de l'enfer, en tant que récompense ou punition éternelle après la mort.
Méditons à notre tour sur cette brève incursion philosophique d'un « Tunisien » aujourd'hui méconnu. Elle revient à poser, quand on la développe, qu'il y a possiblement deux sortes de chrétiens : ceux qui adhèrent sans trop de complexes, à tous les dogmes essentiels de l'Église catholique, y compris aux thèses concernant la vie éternelle post mortem ; et ceux qui, éventuellement, sont parfois tentés par le scepticisme vis-à-vis de l'existence d'une survie bienheureuse ou malheureuse après la mort ; du coup, ils se rabattent sur ce qui leur paraît essentiel dans l'enseignement du Christ : les Évangiles, le sermon des Béatitudes, l'éminente dignité des pauvres, le mépris pour les biens de ce monde (même si l'autre monde en fait n'a pas lieu d'être), enfin la charité et l'amour du prochain. Ces chrétiens, en somme « périphériques », préfèrent les plus simples prières, où effectivement il n'est pas question de vie éternelle, le Pater noster, l'Ave Maria, par exemple, tout en s'intéressant à un moindre degré aux étonnantes constructions dogmatiques et symboliques du Credo, splendide architecture, mais parfois difficile à admettre en sa totalité. Disons à ce propos que le temps n'est plus des exclusions. Il y aurait donc, si l'on développe jusqu'à ses conséquences ultimes la pensée « victorienne », un centre et une périphérie dans l'Église. Avec tolérance réciproque, et nécessaire, de part et d'autre ; le centre pour les chrétiens dogmatiquement convaincus ; la périphérie pour ceux qui ne disposent pas de toutes les certitudes, mais demeurent fidèles à la prédication évangélique, celle qui parle au cœur et à la sensibilité de Tel ou Tel qu'on peut quand même appeler un bon catholique. N'est-ce pas en effet une description assez exacte de la situation dans l'Église actuelle ? Un noyau dur, une étoile ardente ; et des enveloppes planétaires ou coronaires, dont les adhérents sont séduits simplement par la fidélité aux pédagogies évangéliques les plus accessibles. Quoi qu'il en soit de telles options, qui ne sont pas crucifiantes, n'oublions pas d'allumer un cierge, le 23 mars prochain, en l'honneur de la fête annuelle du malheureux Victorien. Il méritait sans doute le Paradis, à défaut d'y croire en toute assurance.
LE ROY LADURIE, EMMANUEL - Le Monde des Religions n°21, Publié le 1 janvier 2007 (3)