Il y a plusieurs manières d’aborder l’histoire :
- par l’approche scientifique, par l’historiographie, la critique de texte et la libre révision des acquis
- par le mythe fondateur.
« Sainte Geneviève, patronne des Parisiens : entre histoire et merveilleux » appartient à la deuxième catégorie. C’est une des grandes figures féminines de l’histoire de France avec Jeanne d’Arc et Jeanne Hachette. A mi-chemin de la Sainte et de la déesse guerrière, ces Athéna christianisées font partie de la mémoire française. En ces temps de débat sur l’identité française, ces figures de résistantes sont à redécouvrir entre histoire et légende.
Sainte Geneviève, patronne des Parisiens : entre histoire et merveilleux
Une femme de noble origine
Genovefa serait née vers 412 – 423, soit environ 1000 ans avant Jeanne d’Arc, de l’union de la gallo-romaine Gerontia et du franc romanisé Severus, ancien officier de l’état-major impérial devenu membre du conseil municipal (curia) de Lutèce. L’image de la bergère gardant ses moutons qui lui est souvent associée relève plus de la légende poétique que de la vérité historique, car notre sainte patronne appartenait, par ses origines et par les fonctions qu’elle exerça après avoir succédé à son père, à l’aristocratie gallo-romaine. Elle avait au préalable pris le voile dès l’adolescence, exerçant au sein de l’Eglise la charge de catéchumène des femmes en tant que diaconesse.
Des troubles dans la cité.
L’invasion des Huns allait révéler les charismes religieux et politiques exceptionnels de Geneviève. Poursuivant vers l’ouest une avance foudroyante, Attila traverse le Rhin en 451 ; son immense armée composée de nomades asiatiques aux mœurs barbares et cruelles, suivis de peuples germaniques acquis à leur vainqueur, prend Metz le 7 avril, jour de vendredi saint, et soumet la ville au pillage et au massacre. La nouvelle sème la panique dans la Gaule du nord, et les Parisiens, se sentant menacés, cherchent à fuir leur ville par tous les moyens. C’est alors que Geneviève se dresse face à une foule en délire qui veut la lapider; elle affirme que Dieu sauvera la ville si ses habitants osent prendre leur sort en mains et résister. Les femmes se laissent gagner par la ferveur de son espérance et la suivent dans le baptistère Saint-Jean-Le-Rond, au cœur de l’île de la Cité : leurs ardentes prières finissent par convaincre les hommes de ne pas déserter et de défendre leur ville.
451 : Attila vaincu aux Champs catalauniques
Finalement Attila épargna Paris : son objectif principal était d’arracher au roi des Wisigoths la ville de Toulouse, et pour atteindre ce but il lui fallait au plus vite gagner Orléans afin d’y franchir la Loire, en empruntant les voies romaines menant de Troyes à Sens passer par Lutèce l’eût obligé à faire un crochet inutile. L’échec du roi des Huns à Orléans défendue par son vaillant évêque Saint Aignan, le 14 juin, suivie d’une défaite plus cuisante encore aux Champs Catalauniques six jours plus tard, retourna complètement la situation de Geneviève, désormais parée d’un prestige exceptionnel.
Une Sage administratrice
Elle passera le reste de sa vie à la tête de sa bonne ville de Lutèce dans d’impressionnantes dévotions, priant, jeûnant, soignant les malades, mais aussi dans l’exercice de l’autorité municipale. Elle employa sa considérable fortune à servir les pauvres, notamment quand la famine sévissait. Elle accomplit de périlleux voyages sur la Seine et la Marne, à la recherche de blé pour ravitailler son peuple affamé alors que Clovis assiégeait sa ville en 486. Le roi des Francs restait alors fidèle à ses dieux païens, et Geneviève ne lui ouvrit les portes qu’après sa conversion au catholicisme et son baptême, en 496. Elle serait morte le 3 janvier 502, vénérée de tout son peuple, honorée de l’amitié de la reine Clothilde et du roi Clovis. Celui-ci plaça le tombeau de la sainte dans la basilique Saint Pierre et Saint Paul qu’il faisait construire sur le mont Leucotitius. L’afflux des pèlerins dès le VIème siècle, alors que Geneviève venait à peine d’être canonisée, et tout au long du Moyen Age fut tel que l’on ne désigna plus l’église et la colline sur laquelle elle avait été érigée que du nom de la patronne de Paris.
Sainte Geneviève au long des siècles
Durant les treize siècles qui séparent Clovis de Louis XV, les rois prodiguèrent leurs largesses à la patronne de leur capitale en protégeant l’ordre des Génovéfains, établis sur la rive gauche, non loin de l’Université, de même que le bon peuple de Paris processionnait derrière la châsse de la sainte en cas de catastrophe naturelle : inondations, sècheresse, épidémies, ou lorsque la ville était assiégée par l’ennemi comme en 885 : les reliques de Sainte Geneviève, écrit le chroniqueur Abbon (*), firent reculer les Vikings en un point névralgique des combats, sur la pointe orientale de l’île de la Cité, là où s’élève depuis 1920 la statue de Landowski, sur le bord méridional du Pont de la Tournelle, face à l’Institut du Monde arabe… La Révolution voulut briser le lien unissant le peuple de Paris à sa patronne : les Jacobins, après s’être emparés de la précieuse châsse, brûlèrent ses reliques en Place de Grève, puis désaffectèrent l’église Sainte Geneviève que Louis XV avait fait construire en style néo-classique en remplacement de l’ancien sanctuaire qui tombait en ruine, pour le transformer en temple néo-païen voué au culte des grands hommes de la patrie, qu’ils dénommèrent Panthéon. En plein siècle de rationalisme, le malheur des temps réveilla les coutumes ancestrales : les 5 ,6 et 7 septembre 1914, un triduum de prières attira une foule considérable sur le tombeau de pierre de la Sainte en l’Eglise Saint-Etienne-du-Mont. Ces dates coïncident avec le début de la bataille de la Marne, qui éloigna le danger d’une défaite imminente. Il est troublant de constater que le point extrême de l’avancée allemande se situe à Barcy, village bâti sur des terres ayant appartenu à Geneviève, et qu’à l’autre extrémité du front l’armée d’occupation s’était arrêtée à Ste-Geneviève de Lorraine… Il est peut-être aussi troublant d’apprendre que le Pape Jean XXIII, en 1962, confia la gendarmerie française à la sainte patronne des Parisiens, comme s’il prévoyait l’insécurité à venir.
Que reste-t-il de sainte Geneviève en ce début de XXIe siècle, temps de dérision à l’égard du surnaturel chrétien? Une grande figure de résistante, puisant sa force et sa tendresse miséricordieuse toute féminine dans sa foi. Une merveilleuse héroïne pour la mémoire vivante de notre peuple. Qui sait si nos reniements actuels ne seront pas effacés par sa puissante intercession ?
« Et quand aura volé la dernière hirondelle,
Et quand il s’agira d’un bien autre printemps »
(Charles Péguy, Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanned’Arc, 1912).
Claire Magnard
Source : Correspondance Polémia
27/12/2009
(*) Note de la rédaction de Polémia :
Abbon de Saint-Germain-des-Prés (né vers 850 en Neustrie, mort vers 922) était moine de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Il est l’auteur vers 897, d’un poème intitulé à l’origine De la guerre de Paris, mais plus connu sous le titre Histoire du siège de Paris par les Normands, la principale source sur cet événement qui vit les Vikings aux portes de Paris. Il s’agit d’une Relation en vers latin du siège de Paris par les Normands en 886, dont Abbon avait été témoin.
Image : La Gaule chrétienne
Sainte Geneviève protège Paris
Illustration tirée du livre Histoire de France pour les cours élémentaires en 1960
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L’association Paris-Fierté organise dimanche 3 janvier 2010 (départ 17h du parvis de Notre Dame) une marche de la Fierté parisienne et d’hommage à Sainte Geneviève : http://www.parisfierte.com/