Diacre et martyr espagnol du IVe siècle, Vincent est l'un des plus illustres martyrs de Jésus-Christ.
Saint Vincent de Saragosse en prison. Peinture à l'huile. Auteur anonyme, école de Francisco Ribalta
Saint Vincent est né à Saragosse, en Espagne, où il fut diacre de l'évêque Valère. Ce dernier vieillissant souffrait d'un défaut d'élocution, aussi conféra-t-il à Vincent le diaconat et le chargea-t-il de sa mission de prêcher et d'instruire les fidèles, fonction normalement dévolue à l'évêque. Vincent se fit remarquer par son souci des pauvres, des veuves et des orphelins.
Lorsque vinrent les persécutions sous Dioclétien et Maximien, l'évêque et le diacre furent arrêtés et emprisonnés. Le procurateur Dacien les fit comparaitre, et Vincent prit la parole pour confesser leur foi commune. Dacien condamna alors Valère à l'exil et Vincent à la torture, en exemple. Ce dernier conserva un calme inaltérable, se réjouissant même selon la Légende dorée, avant de mourir le 22 janvier 304 (ce jour étant devenu celui de sa fête).
Jacobus de Voragine avec son ouvrage La Légende dorée entre les mains, œuvre de Ottaviano Nelli, Foligno, Italie.
Vincent, en latin Vincentius, signifie étymologiquement "vainqueur". Par son nom, Vincent symbolise la victoire du martyr chrétien. Dans son cas, Vincent a même remporté une double victoire puisqu'il a triomphé d'un double martyr : vivant, il triomphe des flammes et des diverses sortes de torture; après sa mort, son cadavre résiste victorieusement à l'acharnement du bourreau qui cherche en vain à l'éliminer en le donnant en pâture aux fauves, puis en l'immergeant dans les flots.
Il a été torturé sur une maie de pressoir, ce qui pourrait expliquer le fait qu'il soit saint patron des vignerons (symbolique du sang ayant coulé dans le pressoir à la place du vin, etc.)
Les membres du diacre sont distendus et écartelés par le chevalet; ses chairs sont déchirées par un ongle de fer.
Saint Vincent, Diacre et Martyr, consolé par des Anges.
Le martyr reste serein et joyeux parce qu'il "voit la présence du Christ" et il encourage même les bourreaux, qui s'épuisent en vain. Datien suspend momentanément les tortures.
Le supplice de l'ongle reprend; mais comme il n'obtient aucun résultat, Datien décide de passer à de nouvelles tortures : "le feu, le gril et les lames ardentes". En effet, raffinement par rapport au supplice habituel du gril qu'avait subi un autre diacre célèbre, le martyr romain Laurent, les barres du gril sont découpées en lamelles de scie, et les bourreaux jettent des pincées de sel ou versent de la graisse fondue pour rendre les brûlures encore plus douloureuses. Pourtant, Vincent était allé de lui-même au-devant du supplice, et il le supporte avec joie : il ne sent pas la douleur et regarde fixement le ciel. saint Augustin dit que loin de le brûler, la flamme le durcissait : elle transformait la molle argile de son corps en brique réfractaire. Vainqueur du tyran, Datien suspend à nouveau le supplice, et fait jeter Vincent en prison. Pour empêcher le détenu de dormir, le sol de la cellule a été parsemé de débris de poteries. Mais la prison tout à coup s'illumine.
Au milieu de la nuit, les anges viennent le consoler et le libèrent de ses entraves :
"Réjouis-toi, lui disent-ils, bientôt ton âme, libre du joug de la chair, va prendre place parmi nous !"
Le gardien de la prison voit cette clarté divine et il entend le martyr chanter des hymnes; il rapporte ce miracle au préfet Datien. Un peu plus tard, il se convertira.
Datien décide de faire soigner Vincent avant de le soumettre à de nouveaux supplices. Il le fait étendre sur des coussins moelleux afin de lui retirer la gloire d'avoir péri dans les souffrances. Toujours est-il que, lorsque le corps de Vincent se trouve allongé sur le lit, son âme s'élance vers le ciel. Jean-Baptiste, jadis emprisonné comme lui, et des chœurs de saints l'accompagnent au ciel.
Datien ne s'avoue pas pour autant vaincu : il veut poursuivre Vincent après sa mort, en jetant son cadavre aux bêtes : ainsi il ne pourra pas être enseveli et les chrétiens n'auront pas la possibilité de vénérer son tombeau. Mais Dieu envoie un corbeau qui protège le corps du martyr, et ce faible volatile met en fuite un loup, ainsi que des oiseaux de proie, ajoute la Passion.
Furieux, Datien décide de noyer le cadavre. Il ordonne à un soldat nommé Eumorphion de mettre le corps dans un sac (ou dans un filet), d'y attacher une lourde pierre et de le jeter dans la mer.
Le corps de Saint Vincent jeté à la mer.
Mais le corps de Vincent regagna le rivage plus vite que les marins qui avaient été chargés de cette tâche.
Vincent apparut alors en vision à une dame, à qui il indiqua la position de sa dépouille.
Le corps de Saint Vincent défendu par un corbeau.
Selon Prudence, Les chrétiens recueillent le corps de Vincent et lui dressent un tertre, sur le rivage, près de Sagonte-Murviedro, au nord de Valence.
Ses restes auraient pu, selon certaines sources, être transportés à l'abbaye Saint-Benoît de Castres en 855 et à la Sé de Lisbonne en 1173. On raconte que durant ce dernier trajet, le navire les emportant aurait été escorté par deux corbeaux.
Selon d'autres, ils auraient été transportés en 779 au cap Saint-Vincent en Algarve (Portugal)
Saint Vincent est nommé dans le canon romain de la messe et son culte est universel. Il est fêté le 22 janvier.
Une "passion" en prose raconte le martyre de saint Vincent ; elle est mentionnée par saint Augustin, qui atteste que dès la fin du IVe siècle, son culte était célébré dans toutes les églises de la chrétienté. (Dictionnaire des saints et Grands témoins du christianisme, Sous la direction de Jean-Robert ARMOGATHE et André VAUCHEZ, CNRS Éditions, Paris 2019, p. 1175.) On a conservé cinq sermons de S. Augustin en l'honneur de ce martyr.
Saint Vincent est notamment célébré pour la première fois par une hymne du poète Prudence (348-405) dans son Peristephanon. Prudence compare le martyr espagnol aux Maccabées de l'Ancien Testament, famille juive qui mena la résistance contre la politique d’hellénisation forcée menée par les Séleucides au IIe siècle av. J.-C.
Il est également mentionné par saint Paulin de Nole (353-431) et des poèmes lui ont été consacrés par Pierre Damien (1007-1072), Hildebert de Lavardin (1056-1133), Adam de Saint-Victor († 1146) notamment.
Son culte est largement répandu en France au VIe siècle.
Une relique (peut-être une étole) de saint Vincent fut rapportée d'Espagne en France, vers 543, par le roi mérovingien Childebert Ier (511-558), 4e fils de Clovis, à la suite d'une campagne au-delà des Pyrénées contre les Wisigoths. La ville de Saragosse assiégée l'aurait cédée pour éviter d'être prise. Le roi fit édifier une église, aux portes du Paris de l'époque, près de la voie romaine de Sèvres, pour l'honorer ainsi qu'une abbaye à proximité. Initialement dédiée à saint Vincent, l'abbaye prendra le nom d'un évêque qui l'administra, saint Germain, pour devenir l'abbaye de "Saint-Germain-des-Prés".
En 864, des reliques de Vincent solennellement transférées à Castres, des miracles se produisent. Cette translation se fêtait le 27 octobre, mais les reliques furent détruites au XVIe siècle par les calvinistes, de même que le cœur de Vincent que l'on disait conservé dans une châsse à Dun-le-Roi en Berry, brûlé en 1562.
Plusieurs miracles accomplis en Espagne par Vincent ont été rapportés dans un poème de Guarnerius et dans une lettre d'Hermann, abbé de Saint-Martin de Tours (1143).
Chaque année, en Côte-d'Or, la Confrérie des Chevaliers du Tastevin intronise de nouveaux membres, à l'occasion d'une fête viticole nommée La Saint-Vincent Tournante. Cette fête a lieu à chaque premier week-end suite au 22 janvier (voir à partir du 22 janvier même, s'il s'agit d'un samedi), et dont la responsabilité est chaque année donnée à une ville ou un village différent de Côte-d'Or. Cette tradition est également perpétrée en Champagne mais à la différence que chaque confrérie se rassemble le week-end précédant dans une ville donnée: un an sur deux à Épernay et en alternance un an sur deux à Reims, Château-Thierry ou à Troyes. Ensuite les vignerons organisent cette manifestation pour chaque village viticole le 22 janvier.
Une tradition similaire se perpétue dans le terroir des vins de l'Orléanais. Ainsi, la culture de la vigne et l'élevage du vin ayant depuis longtemps marqué les communes de Bou, de Mardié et de Chécy, on y célèbre vers le 22 janvier, la Saint-Vincent, fête religieuse, et la Fête des vignerons, fête laïque.
La popularité de Vincent explique les nombreux patronages qui lui ont été attribués. Le martyr espagnol a même été revendiqué par la corporation des tuiliers et couvreurs, en souvenir du lit de tessons sur lequel Vincent fut étendu.
Sources: Dictionnaire des saints et Grands témoins du christianisme, Sous la direction de Jean-Robert ARMOGATHE et André VAUCHEZ, CNRS Éditions, Paris 2019