Saint Siméon ou Simon figure dans le martyrologe romain. Il est fêté dans le calendrier du "rite extraordinaire" (messe traditionnelle tridentine ou "de saint Pie V") à la date du 24 mars.
« Les Juifs de Trente, s'étant assemblés dans leur synagogue, le mardi de la semaine sainte de l'année 1472, pour délibérer sur les préparatifs de leur pâque, qui tombait le jeudi suivant, résolurent, pour assouvir leur haine contre Jésus-Christ et ses disciples, d'égorger un enfant chrétien le lendemain de leur fête, le vendredi saint. Un médecin d'entre eux se chargea du soin de fournir la victime. » [1]
Plus de cent miracles furent directement attribués au « petit saint Simon » dans l’année qui suivit sa disparition. [2]
Le culte du jeune Simon de Trente se propagea à travers l'Italie et l'Allemagne et fut confirmé (ce qui équivaut à une béatification) en 1588 par le pape Sixte-Quint (1585-1590), qui le proclame martyr et saint patron des victimes enlevées et torturées. La même année, Sixte V le canonise et approuve qu'une messe spéciale en l'honneur du « petit Simon » soit dite dans le diocèse de Trente. [3] [4]
En 1965, l'Église rouvre l'enquête et réexamine les dossiers. L'affaire est reconnue comme frauduleuse par la Congrégation pour les causes des saints et le pape Paul VI abolit le culte de Simon de Trente, qui dès lors ne fait plus partie des saints du catholicisme.
Voici son histoire avant 1965, telle que relatée par Mgr Paul Guérin, camérier de Léon XIII, connu par sa série Les Petits Bollandistes : vie des Saints [5] dont les quinze volumes (1866-1869) furent plusieurs fois réédités :
"Né comme par prédestination, un vendredi, le 26 novembre 1472, l'enfant d'une pauvre et pieuse famille de Trente jouait devant la porte de ses parents, beau comme un ange. Il avait vingt-neuf mois moins trois jours. Un juif, nommé Tobie, l'enleva sans bruit et l'emporta dans la demeure d'un autre juif appelé Samuel, où la communauté israélite était rassemblée pour célébrer la Pâque.
Dans la nuit du jeudi au Vendredi saint, l'innocente victime fut portée à la synagogue et dépouillée de ses vêtements; on lui entoura la bouche et le cou d'un mouchoir pour étouffer ses cris. Alors le chef de la synagogue, Moïse, après des cruautés qu'on ne peut décrire, lui coupa la joue droite, et chacun vint enlever quelque partie de sa chair vive.
Puis on le dressa à demi mort sur ses pieds, on lui plaça les bras en croix, et les assistants se mirent à percer tous ses membres, les uns avec des aiguilles, les autres avec divers instruments à la pointe acérée.
Pendant cet horrible supplice, qui ne dura pas moins d'une heure, ces forcenés hurlaient sans cesse contre ce tendre martyr: « Tuons-le comme Jésus, le Dieu des chrétiens, qui n'est rien, et qu'ainsi nos ennemis soient à jamais confondus ». Enfin le pauvre enfant, levant les yeux au ciel, laissa retomber sa tête et expira.
Ce crime atroce fut découvert, et les assassins condamnés à mort. L'évêque de Trente recueillit en grande pompe les restes du petit saint et les transporta dans l'église de Saint-Pierre, où ils opérèrent de nombreux miracles...
Le pape Benoît XIV (1740-1758) démontre, dans son traité de la Canonisation, que l'on ne doit point canoniser les enfants qui meurent après le baptême et avant l'usage de la raison, quoiqu'ils soient saints, parce qu'ils n'ont point pratiqué des vertus dans le degré d'héroïsme requis pour la canonisation. Mais il faut excepter les enfants, même non baptisés, qui ont été massacrés en haine du nom de Jésus-Christ: tels sont les saints Innocents, que l'Église honore comme martyrs; tel est aussi saint Siméon, dont le nom figure dans le Martyrologe romain."
(Mgr Paul Guérin, Vie des Saints pour tous les jours de l'année, Éditions D.F.T., Argentré-du-Plessis 2003, p. 179-180.)
L'"affaire Toaff"
Source: Wikipedia
En février 2007, le professeur et chercheur israélien Ariel Toaff publie un livre dont le titre est Pasque di sangue: Ebrei d'Europa e omicidi rituali (Pâques sanglantes : Juifs d'Europe et meurtres rituels). Il avance la thèse que la communauté juive de Trente aurait pu commettre le crime rituel dont elle était accusée, revenant ainsi sur les conclusions de tous les historiens du XXe siècle pour qui les meurtres rituels attribués aux Juifs étaient sans fondement.
Toaff ne pense pas que le crime rituel ait été une pratique généralisée, mais il estime que certaines communautés ashkénazes, hantées par le souvenir des massacres lors des croisades et de la peste noire, auraient pu pratiquer ce genre de crime comme une vengeance antichrétienne au moment de la Pâque. [6]
Le témoignage de Giovani da Feltre, le procès pour meurtre rituel à Endingen en Alsace en 1470, sont pour lui des indices concordants. [7]
Ariel Toaff considère que les aveux, même extorqués sous la torture, peuvent recéler une part de vérité. Celle-ci est mesurable dans l'écart entre les attentes du juge et les réponses des suppliciés.
Ariel Toaff affirme que les procédures judiciaires de la ville qui autorisaient la torture en présence d'indices graves et fondés, ont été respectées.
Le livre soulève un grand émoi aussi bien dans le monde des historiens que dans la communauté juive.
La première édition tirée à 1 500 exemplaires est épuisé en une semaine grâce à la publicité faite par la polémique. L’auteur, très affecté par l’ampleur prise par cette affaire, demande à son éditeur de ne pas procéder à une réimpression.
En février 2008, une nouvelle version de son ouvrage est enfin disponible. Dans certaines parties, le conditionnel remplace l'indicatif; certaines pages sont purement et simplement supprimées. Dans la postface l'auteur affirme que : « L'homicide rituel est et demeure un stéréotype relevant de la calomnie ». [8]
L'auteur juif Bernard Lazare (1865-1903), dans son ouvrage L'Antisémitisme, son histoire, et ses causes paru en 1894, n'écarte pas lui-même la possibilité que des "Juifs meurtriers" aient commis des meurtres d'enfants chrétiens; mais il ne s'agit pas de crimes rituels liés aux rites religieux juifs, il s'agit de crimes réalisés par des "Juifs magiciens" (je cite) :
« [A]ssurément, pendant le Moyen-Âge, il dut y avoir des Juifs meurtriers, des Juifs que les avanies, les persécutions poussaient à la vengeance et à l'assassinat de leurs persécuteurs ou de leurs enfants même.
[...] Or, il est fort probable, certain même, que des Juifs magiciens durent immoler des enfants ; de là, la formation de la légende du sacrifice rituel. On établit une relation entre les actes isolés de certains goëtes et leur qualité de Juif, on déclara que la religion juive, qui approuvait la mise en croix du Christ, recommandait en outre de répandre le sang chrétien, et on chercha obstinément des textes talmudiques et kabbalistiques qui puissent justifier de telles assertions. Or, ces recherches n’ont abouti que par suite de fausses interprétations, comme au moyen âge, ou de falsifications semblables à celles récentes du docteur Rohling que M. Delitzch a démenties. Donc quels que soient les faits énoncés, ils ne peuvent prouver que, chez les Juifs, le meurtre des enfants ait été ou soit encore rituel, pas plus que les actes du maréchal de Retz et des prêtres sacrilèges qui célèbrent la messe noire ne signifient que l’Église recommande dans ses livres l’assassinat et les sacrifices humains. Existe-t-il encore, dans des pays orientaux, quelques sectes où l’on pratique de telles coutumes ? C’est possible ; des Juifs font-ils partie de semblables associations ? rien ne permet de l’affirmer ; mais le préjugé général du meurtre rituel n’en reste pas moins sans fondement ; on ne peut attribuer les meurtres d’enfants, je parle des meurtres démontrés, et ils sont fort rares, qu’à la vengeance ou aux préoccupations de magiciens, préoccupations qui ne sont pas plus spécialement juives que chrétiennes. » [9]
Sources :
(1) Vies de Saints pour tous les jours de l'année, avec une pratique de piété pour chaque jour, Des instructions sur les fêtes mobiles, par F.D.B, approuvé par Monseigneur l'archevêque de Tours, 384 gravures d'après les dessins de M. Rahoult, Alfred Mame et Fils Éditeurs, Tours 1867, p. 83 ; (2) Wikipedia ; (3) A Blood Libel Cult:Anderl von Rinn, d.1462, Medieval Sourcebook ; (4) Marco Polo und Rustichello: „notre livre“ und die Unfaßbarkeit der Wunder https://refubium.fu-berlin.de/handle/fub188/1 ; (5) Mgr Paul Guérin, Vie des saints pour tous les jours de l'année, Editions D.F.T., Argentré-du-Plessis 2003, p. 179-180 ; (6) Giovanni Miccoli, Contre-enquête sur les meurtres rituels des Juifs, L'Histoire n°334, septembre 2008, p. 8 ; (7) Giovanni Miccoli, ibid., p. 14 ; (8) Giovanni Miccoli, ibid., p. 10 ; (9) Bernard Lazare, L'Antisémitisme, son histoire et ses causes, 1894, rééd. Documents et Témoignages, Vienne 1969, p. 173-175.