Benoît naquit dans une petite ville des montagnes de l'Ombrie (Italie), d'une des plus illustres familles de ce pays. Le Pape S. Grégoire assure que le nom de Benoît lui fut providentiellement donné comme gage des bénédictions célestes dont il devait être comblé.
Envoyé à Rome pour s'y instruire des arts libéraux, les désordres qu'il y constata l'amenèrent à réfléchir sur les dangers du monde et à se retirer dans la solitude.
Craignant la contagion du monde, il résolut donc à l'âge de quatorze ans de s'enfuir dans un désert pour s'abandonner entièrement au service de Dieu. Il parvint au désert de Subiaco, à quarante milles de Rome (75 km à l'Est de Rome), sans savoir comment il y subsisterait ; mais Dieu y pourvut par le moyen d'un pieux moine nommé Romain, qui croisant cet adolescent, l'interrogea, l'aida sans s'imposer, lui donna l'habit des solitaires et se chargea de lui faire parvenir sa frugale provision de chaque jour. Trois ans durant, le jeune Benoît vécut dans une grotte presque inaccessible, ignoré des hommes sauf du moine Romain, qui à jours fixes, faisait descendre jusqu'à lui du pain au bout d'une corde munie d'une clochette.
Saint Benoît en prière, 1530, huile sur bois, 106 × 75 cm, Maître de Meßkirch, Staatsgalerie (Stuttgart)
Un jour de Pâques, un prêtre de la région fut envoyé par Dieu pour partager son repas avec Benoît, qui ne savait même pas que c'était le jour de la Résurrection du Seigneur ! Puis des bergers le découvrirent au milieu des broussailles, le prenant d'abord, vêtu de peaux de bêtes, pour quelque animal sauvage. Dès lors affluèrent des visiteurs qui emportaient en échange des dons en nature les paroles de vie tombées de sa bouche.
Le signe de la Croix chasse le démon
Le jeune solitaire excita bientôt par sa vertu la rage de Satan ; celui-ci apparut sous la forme d'un merle et l'obséda d'une si terrible tentation charnelle, que Benoît fut un instant porté à abandonner sa retraite quand, éclairé de la grâce d'en-Haut, il chassa le démon d'un signe de la Croix et se roula nu dans un fourré d'orties et de ronces. "Par les blessures de la peau, il expulsa de son corps la blessure de l'âme." C'est de ce moment que fut domptée en lui la sensualité. Le buisson s'est changé en un rosier : de ce buisson, de ce rosier est sorti l'arbre immense de l'Ordre bénédictin, qui a couvert le monde.
Les combats de Benoît n'étaient point finis.
Au bout de dix ans environ, des moines du voisinage l'avaient choisi pour supérieur ; mais, révoltés par ses exigences, ils finirent cherchèrent à se débarrasser de lui, par le poison. L'épisode est raconté dans le dernier livre de Gabriele Amorth, exorciste défunt du diocèse de Rome (J'ai rencontré Satan, Le Combat du plus célèbre exorciste, Entretiens avec Slawomir Sznurkowski, Traduit de l'italien par Quentin Petit, EdN, Vendôme 2016) :
"Quand les moines de Subiaco ont essayé d'empoisonner S. Benoît, ils lui ont tendu un gobelet. Celui-ci l'a béni et le gobelet s'est brisé. Il est donc parti de Subiaco et s'est installé au Mont Cassin."
Il était dans l'ordre de la Providence que Benoît devînt le Père d'un grand peuple de moines et il ne put se soustraire à cette mission. Bientôt se joignirent à lui de si nombreux disciples qu'il fut amené à fonder douze monastères, dans chacun desquels il établit un abbé et plaça douze moines. Il en garda (selon A. de Vogüé) quelques-uns auprès de lui dans un monastère central situé au bord du lac. Les Dialogues montrent, priant ensemble et vaquant à des travaux manuels, des moines de toutes conditions. Parmi eux, un Goth zélé au coeur droit, et quelques jeunes patriciens, entre autres Maur, déjà remarquable par sa sainteté, et Placide, qui avait encore le naturel enfantin de son âge. Celui-ci, un jour, étant allé au lac puiser de l'eau, y tomba. Benoît donna à Maur l'ordre d'aller sauver l'enfant. Le moine y courut, s'imaginant être encore sur la terre, alors qu'il marchait sur l'eau. Il saisit Placide par les cheveux et revint en hâte. Cette course miraculeuse sur les eaux, inouïe depuis l'apôtre Pierre, illustre l'importance attachée à l'obéissance. L'aimable assaut d'humilité qui suivit entre Maur et Benoît eut comme arbitre le petit Placide : "Moi, quand je t'ai tiré de l'eau, j'apercevais au-dessus de ma tête la melote [sorte de manteau en peau de chèvre ou de mouton] de l'Abbé, et je voyais bien que c'était lui qui me sortait de l'eau."
De nombreux monastères se fondèrent sous sa direction, se multiplièrent dans toute l'Europe et devinrent une pépinière inépuisable d'évêques, de papes et de saints.
La réussite de Benoît porta ombrage au prêtre d'une église voisine, Florent, qui se mit à dénigrer l'homme de Dieu, puis tenta vainement, lui aussi, de l'empoisonner. S'en prenant alors à l'âme de ses disciples, "il envoya dans le jardin du monastère sept jeunes filles nues, qui, se tenant par la main, et dansant longtemps sous leurs yeux, devaient allumer dans leur âme la perversité du plaisir." La malveillance ne tarda pas à s'éteindre, car Florent mourut peu après, laissant les moines en paix. Néanmoins, Benoît fut amené à servir Dieu, non plus dans la solitude érémitique, mais en communauté. Sans pour autant se désintéresser de ses premières fondations, il quitta les gorges de l'Aniene, où il avait passé quelque trente-cinq ans, et, peut-être, fit de Maur son successeur à Subiaco.
Au Mont-Cassin
Longeant alors les Abbruzes en direction du midi pendant 150 kilomètres, il atteignit un site d'une majesté incomparable, le Mont-Cassin, situé aux confins du Samnium et de la Campanie. C'était sur le flanc d'une haute montagne, un haut lieu païen "[...] un vieux temple où Apollon était vénéré par les paysans d'alentour". Le premier soin de Benoît fut de détruire l'idole, de renverser l'autel et d'abattre le bois sacré. (Dictionnaire des saints et Grands témoins du christianisme, Sous la direction de Jean-Robert ARMOGATHE et André VAUCHEZ, CNRS Éditions, Paris 2019, pp. 135-136.) "Et du temple d'Apollon (il) fit une chapelle de Saint Martin. Là où se tenait l'autel profane, il construisit une chapelle de Saint Jean (Baptiste) et, par une prédication continuelle, il convertit un grand nombre des gens qui s'y trouvaient." (Saint Grégoire le Grand, Dialogues, II, 8 : PL 66, 152.)
Benoît semble n'avoir jamais quitté le Mont-Cassin, pas même pour visiter sa fondation de Terracine, éloignée de quelque 80 kilomètres.
Volontairement à l'écart du monde, il dut néanmoins recevoir des visiteurs de marque, dont Tolita, le redoutable roi des Goths. Celui-ci, voulant mettre à l'épreuve la perspicacité spirituelle de son hôte, donna l'ordre à l'un de ses écuyers de se présenter à sa place portant les habits royaux et accompagné de trois nobles personnages. Benoît découvrit immédiatement la supercherie, ce qui épouvanta l'écuyer ainsi que le roi; celui-ci, n'osant s'approcher, se prosterna. "Benoît, le serviteur du Seigneur Jésus-Christ, daigna s'avancer alors lui-même vers le roi pour le relever : "Vous faites, lui dit-il et vous avez beaucoup de mal; abstenez-vous enfin de l'iniquité. Vous entrerez dans Rome et passerez neuf ans et mourrez le dixième." Tolita s'amenda, se montra moins cruel; quant à la prophétie, elle s'accomplit à la lettre (Tolita, dit "l'Immortel" fut élu roi d'Italie en 541 et mourut en 552). Cette visite se placerait dans le deuxième moitié de l'année 546.
Parmi ses innombrables miracles, citons les deux suivants : un de ses moines avait, en travaillant, laissé tomber le fer de sa hache dans la rivière. Benoît prit le manche de bois, le jeta sur l'eau, et le fer, remontant à la surface, revint prendre sa place. Une autre fois, cédant aux importunes prières d'un père qui le sollicitait de ressusciter son fils, Benoît se couche sur l'enfant et dit : "Seigneur, ne regardez pas mes péchés, mais la foi de cet homme !" Aussitôt l'enfant s'agite et va se jeter dans les bras paternels.
La vertu du travail
"La croyance en la vertu du travail et d'une vie simple a bien accompagné la naissance du capitalisme, mais cela eut lieu des siècles avant que Martin Luther ne voie le jour (Lewis Mumford, The Myth of the Machine, vol. I, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1967, I : 272).
"[...] La vertu du travail fut mise en lumière au cours du VIe siècle par saint Benoît, qui écrivit dans sa célèbre règle : 'L'oisiveté est l'ennemie de l'âme. C'est pourquoi les frères devront avoir des périodes réservées au travail manuel comme aux lectures priantes. [...] S'ils vivent du travail de leurs mains, comme le faisaient nos pères et les apôtres, alors ils seront véritablement des moines.' (Ch. 40, Le travail manuel quotidien).
"[...] C'est cet engagement envers le travail manuel qui distinguent tant l'ascétisme chrétien de celui qu'on trouve dans les autres grandes cultures religieuses où la piété est associée au rejet du monde et de ses activités. Contrairement par exemple aux saints hommes de l'Orient, qui se consacrent à la méditation et vivent de la charité, les habitants des monastères du Moyen-Âge chrétien vivaient de leurs propres travail, entretenant des domaines hautement productifs.
"Cela empêcha non seulement que le 'zèle ascétique ne se pétrifie dans une fuite du monde' (Friedrich Prinz, dans la traduction de Lutz Kaelber, Schools of Ascetism : Ideology and Organization in Medieval Religious Communities, University Park, Pennsylvania State University Press, 1998 : 66), mais soutint aussi un saint intérêt pour les affaires économiques." (Rodney STARK, Le Triomphe de la Raison, Pourquoi la réussite du modèle occidental est le fruit du christianisme, Éditions Presses de la Renaissance, Paris 2007, p. 101-102.)
En introduisant une règle monastique fondée sur la réhabilitation du travail manuel et du travail intellectuel et en invitant aussi ses moines à redécouvrir l'héritage intellectuel de l'Antiquité, Saint Benoît a ouvert la voie à un monde nouveau : le pape Grégoire le Grand (590-604) s'emploiera à diffuser cette règle, ce qui contribuera au développement des abbayes bénédictines en Francie du Nord, ainsi que dans les chrétientés anglo-saxonne et irlandaise durant les VII et VIIIe siècles.
Charlemagne va largement promouvoir cette règle dans le but de pacifier et d'unifier son territoire. En 817 son fils Louis le Pieux imposera à tous les monastères d'occident de la respecter ; le nom de "Benoit" donnera naissance à l'ordre des "bénédictins", ordre d'appartenance des futurs clunisiens et cisterciens : il peut à juste titre être considéré comme le père du monachisme occidental. Cette performance est d'autant plus remarquable qu'elle intervient dans une société en décomposition où la paix romaine a depuis longtemps cédé la place aux guerres entre barbares. Il s'agit du legs spirituel le plus important que la période mérovingienne laissera aux siècles suivants.
Aujourd'hui, un autre leg de Saint Benoît est la Croix de Saint-Benoît, portant le recto et le verso de la "médaille de saint Benoît". Le célèbre exorciste romain, Don Gabriele Amorth, utilisait cette croix lors de ses exorcismes.
La vertu de la "médaille de saint Benoît" réside dans l'invocation du Christ par l'intercession de saint Benoît. Elle donne une protection particulière contre les attaques du démon, les tentations de toutes natures et les maladies. On peut porter la médaille sur soi ou la fixer sur la porte des maisons et des étables et dans l'auto. On évitera naturellement d'attacher une valeur superstitieuse à la possession de la médaille. Il ne suffit pas de la porter ou de la mettre dans un endroit que l'on veut protéger. Il faut avant tout vouloir conformer sa propre vie à l'Évangile.
Une curieuse histoire nous est rapportée à ce propos. On raconte qu'en 1647, on emprisonna quelques nécromanciennes en Bavière. En les interrogeant, elles déclarèrent que leurs agissements superstitieux étaient toujours restés sans effet aux endroits où se trouvait l'emblème de la sainte croix ; leur domination ne pouvant notamment atteindre le couvent de Metten, elles en conclurent que ces lieux étaient particulièrement protégés. Après des investigations faites audit couvent, on constata que plusieurs peintures de la croix appliquées de longue date sur les murs, portaient certaines lettres auxquelles on n'avait plus prêté attention. La signification de ces lettres ne put être trouvée que lorsqu'on découvrit dans la bibliothèque du couvent un manuscrit datant de 1415, dans lequel saint Benoît figurait portant dans la main droite une crosse se terminant par une croix. Sur cette crosse, on lisait le texte suivant: "Crux sacra sit M lux Non Draco sit Mihi Dux." Sa main gauche tenait un parchemin enroulé sur lequel figuraient les mots suivants: "Vade Retro Satana Nunquam Suade Mihi Vana. Sunt Mala Quae Libas Ipse Venena Bibas." Ce document révéla l'origine et le sens des lettres apposées aux murs; celles-ci formaient les initiales du libellé et du manuscrit. Ce fut à partir de cette époque que la médaille de saint Benoît commença de se répandre.
Saint Benoît est représenté habituellement la croix brandie comme une arme de défense sur une des faces de la médaille dans une main et dans l'autre un livre, la sainte Règle. Sur l'autre face de la médaille figurent en abrégé les inscriptions suivantes:
C S P B : Crux Sancti Patris Benedicti : Croix du saint Père Benoît.
Sur l'arbre de la croix, on lit de gauche à droite :
N D S M D : Non Draco Sit Mihi Dux : Le dragon ne doit pas être mon guide.
De haut en bas :
C S S M L : Crux Sacra Sit Mihi Lux : La croix doit être ma lumière.
Une inscription plus longue entoure la croix. Elle commençait autrefois par le nom de Jésus "IHS" (trois premières lettres de IHΣOYΣ, "Jésus" en grec, ultérieurement réinterprété comme "Ièsous hèmôn sôter", ou "Iesus Hominis Salvator", "Jesus Sauveur de l'homme".) Elle a été remplacée par le mot "PAX".
L'inscription qui entoure la médaille se poursuit par les initiales :
V R S N S M V : Vade Retro Satana, Numquam Suade mihi Vana : Arrière Satan, ne me tente jamais par la vanité.
S M Q L I V B : Sunt Mala Quae Libas, Ipse Venenum Bibas : Ce que tu offres, ce n'est que du mal, ravale ton poison.
La plus ancienne forme de la médaille de saint Benoît est ovale et porte le monogramme de Jésus à son sommet, comme il a été dit (IHS): la nouvelle forme de médaille, dans le style de Beuron, est ronde. Elle a été créée pour le Jubilé de saint Benoît de 1880, 1400ème anniversaire de sa naissance. Elle est aujourd'hui encore en usage sous le nom de médaille du Jubilé. Ainsi qu'il a été mentionné plus haut, à la place de "IHS", elle porte au-dessus de la croix de saint Benoît, la devise bénédictine "PAX", "Paix". C'était à l'origine un monogramme du Christ en lettres grecques Chi - Rho, qui a donné en latin XP, d'où PAX.
Cette devise fut d'abord celle de la Congrégation Bénédictine cassinienne avant de devenir celle de l'ordre bénédictin tout entier.
Saint Benoît détruit l'idole d'Apollon, Giuseppe Velasco, XVIIIème siècle, chiesa dell'Immacolata Concezione, Palerme
"Il n'est pas illégitime de faire de Benoît de Nursie l'un des pères de la culture européenne, tant la règle qu'il rédige au VIe siècle va devenir un modèle pour tous ces monastères qui, à côté de la prière, font aussi du savoir une de leurs tâches : les moines bénédictins éduqueront l'Europe." (Thomas TANASE, Histoire de la papauté d'Occident, Gallimard, Folio Inédit Histoire 2019, p. 103-104.)
Tolita et saint Benoît, vers 1400-1410, de Spinello Aretino, Abbaye territoriale Santa Maria de Monte Oliveto Maggiore, Florence
SOURCES : (1); (2); (3); (4); Gabriele AMORTH, J'ai rencontré Satan, Le Combat du plus célèbre exorciste, Entretiens avec Slawomir Sznurkowski, Traduit de l'italien par Quentin Petit, EdN, Vendôme 2016, p. 125 ; Dictionnaire des saints et Grands témoins du christianisme, Sous la direction de Jean-Robert ARMOGATHE et André VAUCHEZ, CNRS Éditions, Paris 2019.