République Bananière d’Ukraine, épisode 4
Publié par Xavier Moreau le 2 mars 2014 dans Éditoriaux
L’évolution de la situation politique à Kiev nous révèle chaque jour les nouveaux concepts démocratiques de l’Union Européenne. Désormais, avant d’être validé par le parlement, le gouvernement ukrainien doit être acclamé par le « soviet de Maïdan ». Ce dernier est constitué par la foule rassemblée pour l’occasion sous la surveillance démocratique des milices de « Pravy Sektor », le bras armé de « Svoboda ». Anne de Tinguy a appelé cela sur BFMTV, dans une extase pas même feinte, une nouvelle « gouvernance ». L’avantage des anglicismes est que l’on peut y mettre n’importe quoi, en ayant l’air sérieux. Chère Anne, Abraracoursix porté sur son bouclier est également une forme de gouvernance, mais ce n’est pas la démocratie. La démocratie, c’est lorsque les gens choisissent leurs gouvernants par le suffrage, si possible universel, et à bulletins secrets. Un exemple de gouvernance à la « Pravy sektor » se trouve ici : la brute épaisse, Alexandre Muzitchko, qui agresse un employé du parquet de Rovno, a également combattu les Russes en Tchétchénie et fut le garde du corps de Doudaiev. On retrouve là, deux des quatre piliers de l’influence américaine, islamisme et fascisme (pour mémoire les deux autres piliers sont la mafia et le trotskisme).
Au côté d’Anne de Tinguy, pour raconter n’importe quoi, nous trouvons un pseudo « homme d’affaires français en Ukraine » écrivant pour l’Express, Clément Chenaux. Il s’agit sans doute d’un pigiste, qui tente de se doter d’une crédibilité que les journalistes français ont définitivement perdu.
... Tout comme Nicolas Domenach, dont la niaiserie a atteint des sommets vendredi dernier, Anne de Tinguy s’est réjouie bien trop vite du putsch de Kiev. Comment nos deux atlantistes ont-ils pu croire, que la Russie resterait l’arme au pied, tandis que les occidentaux soutenaient un gouvernement choisi par acclamation des bandes armées, et validé par un parlement sous la menace des armes de « Pravy Sektor » ?
En outre, « Svoboda » et encore plus son bras armé, « Pravy Sektor », sont devenus incontrôlables, sauf peut-être par l’administration américaine, qui a fait le choix de la guerre civile depuis sa défaite de décembre dernier. La transcription, à prendre avec prudence, d’une conversation entre Tiagnibok et Iarosch (chef de « Pravy Sektor ») confirme ce que nous expliquions dans nos précédents articles. Iarosch demande à Tiagnibok ne lui faire attribuer la direction du ministère de l’intérieur et des services secrets (SBU) pour faire la chasse aux opposants, et ce, afin de construire une Ukraine sans « Jid » (youpins) et sans Russes. Tiagnibok et Iarosch sont conscients que le temps ne joue pas pour eux, et que la seule solution est de s’emparer du pouvoir. C’est une véritable fuite en avant qui consiste à instaurer un régime policier, le plus vite possible, pour contenir l’exaspération inévitable de la population, même à l’ouest. Il s’agit également d’attaquer les villes de l’est du pays, ce qui donnerait pourtant à l’armée russe le prétexte pour intervenir. La vérité est que les pro-UE ne contrôlent plus du tout les demi-dingues sur lesquels ils se sont appuyés depuis le début. Iarosch a récemment appelé le terrosiste tchétchène Doku Oumarov à attaquer la Russie, et dans le même temps il menace d’envoyer entre 5 à 7000 hommes à Kharkov. Dans la mesure où les États-Unis ont mis officiellement Doku Oumarov sur la liste des terroristes liés à Al Qaïda, il va être intéressant d’observer leur réaction. Le leader tchétchène, Ramzan Kadyrov a apporté son soutien aux Russes, y compris aux cosaques, et a promis un « billet aller simple au chef terroriste ». Du côté de Svoboda, ça ne va pas mieux, Mikhail Golovko, rendu célèbre pour ses attaques contre les fidèles orthodoxes dans l’ouest de l’Ukraine, veut désormais se doter de l’arme nucléaire en six mois, comme quoi on peut être nazi, cinglé et avoir de l’humour.
Considérations tactiques
Au sein de ce conflit, la Crimée est un problème à part. Nous ne parlons pas dans ce cas d’une province russophone, mais de Russes ethniques. Les journalistes français ayant, une fois n’est pas coutume, travaillé un minimum le sujet, nous n’y reviendrons pas. Une autre spécificité de la Crimée est sa situation géographique. Le corridor qui relie la presqu’ile au continent est très facile à contrôler. En outre la flotte russe permet le contrôle des côtes. A l’heure où nous écrivons ces lignes, l’ensemble des structures de force de Crimée sont sous le contrôle des pro-russes. La seule frégate ukrainienne et son navire amiral, le « Hetman Sahadachny » a même décidé de rejoindre la flotte russe, après avoir participé à un exercice OTAN dans le Golfe d’Aden. Le navire arbore désormais la croix de Saint André. Des défections au sein de l’armée sont encore à attendre, le Président légal étant toujours Viktor Yanoukovitch. Il est important de souligner que l’essentiel des forces ukrainiennes se trouvent à l’est. Leur loyauté au pouvoir auto-proclamé de Kiev est loin d’être assurée.
André Paroubi, le chef du conseil de sécurité national ukrainien, a étrangement appelé à la mobilisation sur sa page facebook. Il s’agit d’un test pour observer la réaction des Ukrainiens et des forces armées. Rappelons enfin que l’essentiel que les forces permanentes ukrainiennes regroupent moins de soldats que la Russie n’en fait manœuvrer en ce moment à ses frontières, soit moins de 150 000 hommes.
En Russie, Vladimir Poutine peut compter sur le soutien du parlement, du sénat et de la population, qui manifeste aujourd’hui à Moscou et dans les grandes villes de Russie. Après les jeux de Sotchi, le Président russe avait atteint près de 68% d’opinion favorables. La crise ukrainienne ne fait que conforter la position de celui qui paraît avoir quasiment toutes les cartes en mains.
... Que faut-il retenir de la situation actuelle ?
- La Crimée est entre les mains des Russes et à moins d’une troisième guerre mondiale, cela ne changera pas. La Russie a donc enregistré un premier succès définitif grâce à cette crise. Même si les États-Unis activent les groupes terroristes tatars sur place, cela ne changera pas la donne.
- Il y a désormais deux légitimités en Ukraine.
- Celle de Maïdan pro-occidental, qui ne contrôle que l’ouest de l’Ukraine et qui vit sous l’étroit patronage des radicaux. Sa crédibilité sera jugée dans les jours qui viennent sur sa capacité à mobiliser l’armée.
- Celle de Ianoukovitch, élu démocratiquement et protégé par la Russie. La perte de ses avoirs en Autriche et à Vienne, immédiatement après son discours de Rostov sur le Don, confirme la raison qui l’a fait laisser massacrer ses « Berkout » sur Maïdan. Discrédité, il reste une carte maîtresse de la Russie.
- La Russie détient désormais la quasi-totalité des cartes militaires, économiques et politiques, surtout si les radicaux lui donnent le prétexte pour intervenir dans l’est. Derrière cette intervention, nous retrouvons le précédent kosovar sur lequel la Russie ne manquera pas de s’appuyer comme en 2008, lors de la tentative de nettoyage ethnique américano-géorgienne en Géorgie.
- Les États-Unis souhaitent envoyer des représentants de l’OSCE, sans doute pour organiser sur place leur propagande de guerre, comme ce fut le cas lors du conflit au Kosovo. Le chef de l’OSCE et agent de la CIA, William Walker, avait alors fabriqué notamment le faux massacre de Racak.
Xavier Moreau
Source: http://www.realpolitik.tv/2014/03/republique-bananiere-dukraine-episode-4/