Nous portons une grande estime à Pierre Hillard pour avoir été un des rares intellectuels à dénoncer le projet du nouvel ordre mondial ces dernières années, à travers ses nombreux ouvrages ou videos.
Nous partageons son point de vue sur l'existence d'une attaque en règle des grandes religions du monde par la franc-maçonnerie (l'abbé Barruel en 1798 dans ses Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme l'avait déjà précisé).
Néanmoins, nous nous voyons contraint de rectifier des positions erronées de sa part lorsqu'il parle des papes Jean XXIII et Benoît XVI.
Le premier, le pape Jean XXIII est accusé dans son dernier texte intitulé "Le Nouvel ordre mondial à l’assaut de l’islam" (1), d'être - nous résumons sa pensée - un fomenteur du "Nouvel ordre mondial", partisan d’un « pouvoir supranational ou mondial » "pas institué de force" permettant, « l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté mondiale ».
Pourtant, Jean XXIII dans son encyclique Pacem in terris (1963), au paragraphe 138, nous lisons plutôt un avertissement des dangers du Nouvel ordre mondial, ce qui n'est pas la même chose : "Cet organisme de caractère général, dont l'autorité vaille au plan mondial et qui possède les moyens efficaces pour promouvoir le bien universel, doit être constitué par un accord unanime et non pas imposé par la force. La raison en est que l'autorité en question doit pouvoir s'acquitter efficacement de sa fonction ; mais il faut aussi qu'elle soit impartiale envers tous, absolument étrangère à l'esprit de parti et attentive aux exigences objectives du bien commun universel. Si ce pouvoir supranational ou mondial était instauré de force par les nations plus puissantes, on pourrait craindre qu'il soit au service d'intérêts particuliers (Ndlr. maçonniques) ou bien qu'il ne prenne le parti de telle ou telle nation ; ce qui compromettrait la valeur et l'efficacité de son action. En dépit des inégalités que le développement économique et l'armement introduisent entre les communautés politiques, elles sont toutes très sensibles en matière de parité juridique et de dignité morale. C'est la raison très valable pour laquelle les communautés nationales n'acceptent qu'à contrecœur un pouvoir, qui leur serait imposé de force, ou aurait été constitué sans leur intervention ou auquel elles ne se seraient pas librement ralliées".
Pierre Hillard continue son texte par une troncation, cette fois au sujet de Benoît XVI, nous citons : "Cette affirmation (Ndlr. d’un « pouvoir supranational ou mondial ») fut reprise par Benoît XVI qui n’hésita pas à encourager l’humanité à s’engager « dans l’édification d’un nouvel ordre mondial » dans son message de Noël en 2005[27].
Certes, Benoît XVI écrit dans ce message : "La force vivifiante de sa lumière (Ndlr. l’Enfant de Bethléem) t’encourage à t’engager dans l’édification d’un nouvel ordre mondial", mais il ajoute aussitôt en suivant (bout de phrase supprimé par Pierre Hillard qui ôte tout son sens) : "fondé sur de justes relations éthiques et économiques."
Léon XIII avait lui aussi indiqué par exemple qu'il fallait s'engager en politique (encyclique Rerum novarum, 1891) et certains ont fait passer ce texte comme un "ralliement" sans condition à "république française" ou à la démocratie, alors que Léon XIII avait au contraire dénoncé l'erreur d'un pouvoir s'originant en l'homme et non en Dieu dans l'encyclique Libertas, 1888 : "préférer pour l'Etat une constitution tempérée par l'élément démocratique n'est pas en soi contre le devoir, à condition toutefois qu'on respecte la doctrine catholique sur l'origine et l'exercice du pouvoir public."
Le mécanisme consistant à tirer d'un texte papal un bout de phrase que l'on tronque de son contexte pour faire dire au pape ce qu'il ne dit pas est ici identique.
Pierre Hillard termine par le même procédé : "Ce pape (Ndlr. Benoît XVI) réitéra son engagement, dans son encyclique Veritas in caritate de 2009, en appelant à créer une « autorité politique mondiale » en liaison avec l’ONU[28]." Point, et Pierre Hillard n'écrit rien d'autre, laissant le lecteur sur sa faim, ou sur son doute.
Pourtant, dans son encyclique sociale Veritas in caritate (2009), Benoît XVI n'appelle pas simplement à créer une "autorité politique mondiale" en liaison avec l'O.N.U., il dit autre chose, surtout l'avertissement du monde contre les dangers d'un Nouvel Ordre mondial athée, la complexité et la gravité de la situation économique actuelle (§ 21, Caritas in veritate), l'augmentation des inégalités (§ 22), la dénonciation du relativisme culturel qui conduit "les groupes culturels à se rapprocher et à coexister, mais sans dialogue authentique et, donc, sans véritable intégration" (§26), la dénonciation de "crises alimentaires", provoquées par des causes naturelles ou par l’irresponsabilité politique nationale ou internationale... (§27) ; la dénonciation de "convictions" qui "à la longue" "ont conduit à des systèmes économiques, sociaux et politiques qui ont foulé aux pieds la liberté de la personne et des corps sociaux et qui, précisément pour cette raison, n’ont pas été en mesure d’assurer la justice qu’ils promettaient (§ 34) ; la dénonciation du marché comme n'allant "pas de soi" et ne devant pas devenir le "lieu de la domination du fort sur le faible" (§ 36), la dénonciation de la "croissance d’une classe cosmopolite de managers qui, souvent, ne répondent qu’aux indications des actionnaires de référence, constitués en général par des fonds spéculatifs anonymes qui fixent leurs rémunérations..." (§40) ; la dénonciation d'une aliénation de "l'humanité tout entière quand elle met sa confiance en des projets purement humains, en des idéologies et en de fausses utopies" (§ 53), la dénonciation d'un syncrétisme comme "effet négatif possible du processus de mondialisation". "La liberté religieuse" ne signifiant pas "que toutes les religions soient équivalentes" (§ 55) ; la dénonciation de l’exclusion de la religion du domaine public" favorisant un appauvrissement de la "vie publique" et de "la politique" qui "devient opprimante et agressive" (§56), la dénonciation d'un "développement économique" "factice et nuisible, s’il s’en remet aux 'prodiges' de la finance"... (§ 68), la dénonciation de l'engendrement d'un "dangereux pouvoir universel de type monocratique", la « gouvernance » de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux, [...] cette autorité devra être exercée de manière subsidiaire et polyarchique" (§ 57) ; l'affirmation que "la sagesse et la prudence nous suggèrent de ne pas proclamer trop hâtivement la fin de l’État" ... dont le "rôle semble destiné à croître, tandis qu’il récupère nombre de ses compétences". Il y a aussi des nations pour lesquelles la construction ou la reconstruction de l’État continue d’être un élément clé de leur développement" (§ 41); Conclusion ."[L]a fermeture idéologique à l’égard de Dieu et l’athéisme de l’indifférence, qui oublient le Créateur et risquent d’oublier aussi les valeurs humaines, se présentent aujourd’hui parmi les plus grands obstacles au développement. L’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain (§ 78).
Bref, un bout de phrase tronquée ("fondé sur de justes relations éthiques et économiques"), plusieurs autres supprimées, des papes doublant la franc-maçonnerie par la droite mais critiqués, pour en réalité s'être risqués à faire des propositions sociales, dénonçant les grands maux de notre temps (capitalisme sauvage, politiques économiques et financières apatrides inhumaines, esclavage moderne, etc.), afin de l'améliorer par des actions concrètes, voilà des jugements à l'emporte-pièce, relevant plus de l'affectif émotif que de la réflexion et de la pensée, voilà comment prospèrent les pires faussetés sur les "papes du concile".
Sources:
- Publication de l'encyclique de Benoît XVI Caritas in veritate
- La franc-maçonnerie : "une religion emblématique qui réunit toutes les sectes" (abbé Lefranc)