1 octobre 2012
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Dans une conférence donnée le 3 octobre 2011, Patrice Gueniffey explique que "la Révolution est morte".
Extraits:
La Révolution française a échoué. Si la Révolution a fondé une nouvelle société, tout à fait différente de ce qu'était l'ancienne, néanmoins la Révolution s'est montré incapable de fonder un régime politique stable et durable. Et la preuve, c'est que depuis 1789, nous avons eu quinze constitutions successives. Et peut-être d'ailleurs aurons-nous bientôt une seizième avec une VIe République.
Dire que "la Révolution française est morte" aujourd'hui, c'est biensûr faire allusion au fameux "La Révolution française est terminée" lancé par François Furet en 1978. Proposition qui avait provoqué un grand scandale dans une historiographie qui était alors encore dominée, dans les années 70, par l'historiographie marxiste de la Révolution française, pour laquelle la Révolution française ne pouvait avoir de fin en terme politique, puisqu'elle était avant tout une promesse : une promesse de droit, de liberté, d'égalité, d'un ordre politique différent, une promesse de réorganisation sociale, qui appelait des changements qui iraient bien au-delà de ceux réalisés par les révolutionnaires eux-mêmes. De telle sorte que, pour cette historiographie, la Révolution française n'avait été que l'annonciation, ou le premier acte, d'une révolution bien plus large, bien plus globale, qui restait encore à faire. D'où le scandale provoqué par la phrase de Furet qui semblait mettre un terme à l'histoire posthume de la Révolution française, pour dire que nous étions entrés dans autre chose.
... C'est aussi qu'existe, à doses variables, le sentiment que la Révolution française, en temps qu'épisode historique de notre histoire, a subi une sorte de déclassement depuis quelques années, qui fait qu'elle n'occupe plus dans notre inconscient collectif, dans notre paysage politique, l'importance qui avait été la sienne pendant environ deux siècles. Disons de l'évènement lui-même, jusqu'à la veille du bicentennaire de 1989.
Il faut en effet se souvenir de ce qu'a été la Révolution française pour les générations qui ont vécu notamment sous la IIIe république, où la Révolution française passait pour la clé qui permettait d'accéder à une compréhension intime de ce qu'était l'histoire de France, qui passait pour un évènement qui avait recommencé l'histoire, qui avait inventé une France nouvelle, une société nouvelle, un monde nouveau et qui plus que cela même, restait une promesse d'avenir. Pour les petits français qui apprenaient l'histoire dans le Lavisse, vers 1920 encore, la Révolution française restait notre avenir collectif, ... ce que nous pourrions devenir. Tous étaient réunis autour du même culte de la Révolution française, comme donnant la clé de notre identité nationale, même si aujourd'hui il est difficile d'employer le terme. Mais néanmoins c'était bien de cela qu'il s'agissait: la Révolution était un élément central dans l'identité collective de la nation et du peuple français.
Il est sûr qu'aujourd'hui, la Révolution française n'occupe plus cette place prééminente, que elle évoque de moins en moins de choses à mesures que les années passent, à de moins en moins d'individus. Et que de moins en moins nombreux sont les Français qui diraient, non pas qu'elle a joué un grand rôle dans l'histoire, mais qu'elle a encore des choses à nous dire, soit pour comprendre notre situation présente, soit pour comprendre ce que nous allons devenir dans un futur proche ou à moyen terme. Bref, la Révolution française est en passe de cesser d'être un des mythes fondateurs de notre identité collective et de passer d'avoir la réputation d'avoir été l'acte inaugural de notre modernité politique et sociale ou l'année zéro de notre histoire moderne, réputation qu'elle a eu si longtemps.
Quand les choses ont basculé ?
En réalité, ce changement s'est fait progressivement et il a commencé il y plus d'une vingtaine d'années, on pourrait dire il y a trente ans, avant même le bicentenaire de 1989. Le premier signe sur la crise qui frappait le mythe de la Révolution française comme événément fondateur, a été le film d'Andrzej Wajda, "Danton" sorti en 1983, et qui a remporté à l'époque un très grand succès à l'époque. Ce film qui attaquait d'emblée la légende de la Révolution, en montrant que la Terreur, loin d'avoir été une épopée collective en réaction à une agression extérieure, que la Terreur avait été une époque très sombre, "criminelle à bien des égards" disait Wajda, cette attaque-là était tout à fait nouvelle dans la manière dont on présentait la Révolution jusqu'alors. Et après ce film, qui a mis d'ailleurs dans un grand embarras des responsables de gauche de l'époque, puisqu'on est dans le premier septennant de François Mittérand, a mis également dans un grand embarras les responsables de la commémoration du bicentenaire de 1989.
Si bien que ces célébrations de 1989 ont été d'un ton très différent de ce qu'avaient été les célébrations du centenaire de 1889 où l'on avait exalté la grandeur de la nation, soulevée pour la conquête de sa liberté et la défense de ses frontières. La IIIe république, en 1889, avait pris comme héros symbolique le personnage de Danton, c'est-à-dire l'homme de la levée en masse, et de la défense du territoire contre les ennemis et les monarchies coalisées. En 1989, les responsables des célébrations ont fini par opté pour la célébration la plus neutre possible, en choisissant comme symboles des personnages qui risquaient de ne choquer personne. Donc exit Robespierre, exit Saint-Just, exit Danton lui-même, dont il n'a plus été question. Et à la place on a vu émergé des personnages certes importants de l'évènement révolutionnaire, mais néanmoins de second rôle, comme Condorcet, ou l'abbé Grégoire...
Et c'était en quelque sorte logique dans une conjoncture des années 80 où la ferveur entourant l'évènement révolutionnaire commençait à disparaître, et où, corrélativement les Vendéens eux-mêmes, qui avaient combattu la république, devenaient presque aussi populaires que les soldats bleus qui avaient défendu la Révolution et combattu la Vendée. Aujourd'hui, ce changement est devenu irréversible. La magie du romantisme révolutionnaire s'est épuisé. Nous ne vibrons plus au récit des combats politiques de Robespierre, nous ne vibrons plus à la lecture des discours de Robespierre, ni même d'ailleurs de ceux de Danton, et les valeurs elles-mêmes qu'évoquaient Robespierre et Danton nous sont devenues en partie étrangères, indifférentes, ou plutôt sont entrées dans notre patrimoine, mais elles ne nous parlent plus.
... Pour les libéraux, la Révolution française c'est la fin de l'histoire : tout a été dit avec les Droits de l'homme et le régime constitutionnel. Pour les socialistes, la Révolution française devrait être le début de l'histoire, puisque les promesses de 89 n'ont pas toutes été réalisées et à leurs yeux, une autre révolution est nécessaire. Donc les libéraux célèbrent 89, les républicains 92 et la défense nationale, et les socialistes 93. Ce décor était encore celui des batailles politiques dans la France des années 1880-1900. Et d'une certaine façon, la révolution bolchévique de 1917 a permis de prolonger cette situation.
C'est avec la Révolution russe de 1917 que la Révolution française est devenue réellement un évènement de portée universelle... Pour Lénine, et pour les bolchéviques en général, la Révolution française a été un élément préparateur, c'est le premier acte de la révolution prolétarienne,... et il appartient aux bolchéviques, aux communistes, de réaliser toutes les promesses de la Révolution de 1789.
Les révolutionnaires français avaient cru dans l'universalité de leur message. D'ailleurs la Déclaration des droits de l'homme de 1789 est là pour en témoigner. Mais la Révolution française avait été néanmoins un évènement strictement national.
Mais si la Révolution française acquière alors une réputation mondiale, universelle, ... en même temps cela s'est fait au prix d'un appauvrissement terrible de l'écriture de son histoire. Puisque désormais, raconter l'histoire de la Révolution française consistait à valider la doctrine du matérialisme historique qui en faisait un épisode annonciateur d'une révolution bien plus large et bien plus définitive. Et donc a disparu tout ce qui faisait l'originalité, le sel aussi de la Révolution française, c'est-à-dire son incroyable volontarisme, sa foi dans le progrès, ses tentatives mêmes violentes pour déraciner le monde ancien..., de fonder réellement un monde nouveau. Désormais tout cela apparaissait comme l'écume d'un mouvement objectif de l'histoire, de telle sorte que les acteurs de la Révolution avaient cru faire une histoire, avaient cru s'engager dans une grande entreprise, et en fait, avaient fait une autre histoire que celle qu'ils croyaient faire. Ils avaient fait la révolution bourgeoise quand ils pensaient inventer un monde nouveau.
La chute du communisme en 1989-1991 a entraîné celle du mythe de la Révolution française en tant qu'annonciation d'une future révolution. La chute du communisme a eu des effets pires, plus graves, plus importants : elle a frappé de plein fouet l'idée même de révolution, y compris en France, où pourtant le répertoire politique, et surtout le répertoire rhétorique de la politique est rempli de référence à la Révolution. D'ailleurs chaque année ou presque nous avons droit à une sorte de mise en scène de la Révolution, mais à laquelle en réalité les acteurs ne croient pas ou croient de moins en moins.
Une illusion qui a dominé le début des années 1990 a été l'illusion que puisque le communisme était mort, s'était effondré, alors l'histoire était finie, et que désormais nous allions vers un avenir radieux, qui serait celui de l'universalisation de la démocratie à toute la planète. En réalité, cette illusion était fondée sur une lecture approximative d'un livre très important paru alors, un livre de Francis Fukuyama. Mais ce qui s'est effondré surtout avec le communisme c'est la croyance à un sens de l'histoire, la croyance que l'histoire aurait un sens, croyance qui avait occupé une place centrale dans la culture occidentale et pas seulement communiste, depuis plus de deux cents ans, puisqu'elle était née au XVIIIe siècle. Cette croyance avait pris des formes très différentes. Pour les uns, c'était le mouvement irrésistible de la civilisation. Demain serait forcément meilleur qu'hier. C'était pour les autres l'inéluctable triomphe de la Raison, l'ignorance, la bêtise, les préjugés finiraient par disparaître de la surface de la terre... D'autres voyaient ce sens de l'histoire dans le progrès moral et scientifique (pensons à Pasteur, par exemple). Et puis d'autres le concevaient sous la forme de l'espoir de l'avènement d'une société sans classes, et sans différences de fortune.
Mais partout, et chez tous, des Lumières aux libéraux, des libéraux à Marx et de Marx à ses rejetons, c'était chez tous la même foi dans l'histoire et dans une histoire qui était ordonnée, au moins tendanciellement, au progrès. L'Occident était porté par cette croyance que demain serait meilleure qu'hier. Et la philosophie libérale de l'histoire et son rejeton matérialiste, marxiste, se sont écroulés en même temps, il y a une vingtaine d'années.
Aujourd'hui, chacun se rend compte, chacun d'entre vous se rend compte, que l'histoire continue, qu'elle va continuer d'une manière indéfinie, mais personne ne peut lui donner un sens ou personne ne peut dire dans quelle direction elle va.
Les deux idéologies dont nous disposons aujourd'hui dans leurs variantes politiques (sans parler des autres) que sont l'écologie d'un côté et l'islamisme de l'autre, ne sont en rien des idéologies fondées sur la foi dans le progrès et l'avenir, mais au contraire des idéologies regressives qui veulent fuir l'avenir, se détourner de la vie et qui regardent vers le passé. Bref non pas des philosophies de l'histoire fondées sur la notion d'espoir, mais des philosophies de l'histoire absolument mortifères.
Cette crise est aussi une crise politique. Si les classes moyennes ont été jusqu'à une époque assez récente aussi bien traitées qu'elles l'ont été dans les pays occidentaux, c'était pour des motifs essentiellement politiques, puisqu'il s'agissait avant tout de les empêcher de basculer du côté des Rouges. Et la conséquence quasi immédiate de la fin de la Guerre froide, a été précisément que l'économie s'est émancipée par rapport à toute possibilité de contrôle politique. Et cet affranchissement de l'économie (qui est nouveau dans l'histoire) a fait naître à son tour un sentiment aujourd'hui dominant dans nos sociétés occidentales, l'idée que l'Etat, et que la volonté politique sont absolument impuissants face aux intérêts. Et aussi bien, le sentiment que les individus sont aliénés à l'économie, sans aucun moyen de peser sur la réalité des choses, et a fortiori de la transformer. Bref, ce qui domine, ce sont des sentiments de fatalité. Et ce qui a disparu c'est la croyance à l'efficacité de l'action politique qui se trouvait au coeur du message délivré par la Révolution française. Et plus généralement par l'histoire de l'avènements de nos Etats démocratiques. En effet, la Révolution française avait porté cette croyance à l'efficacité de la politique à un point de paroxysme. Elle avait cru que la volonté humaine a une efficacité illimitée, c'est-à-dire que l'on pouvait absolument tout changer. Les évènements se sont alors chargés de montrer qu'en réalité en politique on ne peut pas tout faire, que les choses résistent, ne se laissent pas faire sans limites.
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