La Chasse aux sorcières et l’Inquisition
Entretien avec Marion Sigaut
Propos recueillis par Kontre Kulture
Marion Sigaut présente son ouvrage La Chasse aux sorcières et l’Inquisition, publié par les éditions Kontre Kulture et second opus de la collection « Les manuels d’histoire de Marion Sigaut ».
Extrait :
« La chasse aux sorcières est un phénomène qui a suivi le schisme protestentant. C'est-à-dire que la chasse aux sorcières est un phénomène de la Renaissance. La Renaissance est après le Moyen Âge. Le Moyen Âge n'a pas brûlé de sorcières. Et c'est le début de la période dite "moderne", c'est-à-dire entre grosso modo 1550 et 1650 qu'on a brûlé les sorcières : ce n'est pas le Moyen Âge.
[...] L'Inquisition, c'est un tribunal ecclésiastique, un tribunal de l'Eglise.
Déjà, en pays protestants, en Allemagne, en Suisse, dans les pays du nord, les pays scandinaves, il n'y avait pas d'Inquisition puisque c'étaient des pays protestants. Et un pays protestant n'obéissant plus à la loi de l'Eglise ne peut pas faire fonctionner un tribunal ecclésiastique...
D'autre part, qui a poursuivi les sorcières ?
Par exemple, au royaume de France, c'étaient les tribunaux laïques, les juridictions locales. Et pas du tout les juridictions ecclesiastiques.
Et de toutes façons, l'Inquisition ne s'est pas penché sur les procès en sorcellerie puisque l'Inquisition s'occupait d'hérésie, et pas de sorcellerie. Ce n'est pas la même chose.
L'hérésie c'est la déviance par rapport au dogme. La sorcellerie ce sont des choses très précises, des invocations du diable, des messes noires, etc. Cela n'a rien à voir avec l'hérésie... Donc la Sainte Inquisition, le Tribunal ecclésiastique, chargé par le pape de poursuivre l'hérésie, n'a pas poursuivi de sorcières.
Les sorcières ont bel et bien été poursuivies par des tribunaux laïques qui n'obéissaient en aucun cas à l'Eglise.
[...] Il y a eu des pics de bûchers abominables.
Cela a été une période sombre, noire, dont je crois que l'on peut véritablement, sans risque de se tromper, dire qu'elle a été la conséquence du schisme, la conséquence des guerres de religion.
L'Eglise n'avait plus l'autorité qu'elle avait.
Jusqu'au schisme, jusqu'au protestantisme, qui fait suite à toute une série d'abus, il y a eu un certain délitement de l'autorité du pape, mais pendant le Moyen Âge l'Eglise est précisément toute puissante et c'est là qu'il n'y a pas de chasse aux sorcières : on ne peut pas faire ces choses là !
Et la chasse aux sorcières se déclenchent quand pratiquement on donne, on laisse à des autorités locales le loisir de décider de ce qui est bien et ce qui est mal en lieu et place de l'autorité qui précédemment s'en chargeait et dont on a décidé de s'émanciper.
Donc vraiment, la chasse aux sorcières est fille directe des guerres de religion. »
![]() |
Norman COHN, "Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Âge, Fantasmes et réalités" (Payot, 1981) |
Marion Sigaut cite un ouvrage d'un historien anglais, Norman COHN, "Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Âge, Fantasmes et réalités" (Payot), livre à partir duquel elle a réussi à comprendre énormément de choses sur ce qu'était véritablement les procès en hérésie "à mettre en prallèle avec ce qu'était les procès en sorcellerie" :
« Norman Cohn a également étudié les grands menteurs qui nous ont induit en erreur, parce que comment croit-on connaître en France ce qu'a été la chasse aux Sorcières ? On a, explique Marion Sigaut, « les grands menteurs devant l'Eternel qui sont Voltaire, Jules Michelet, Etienne Langon de Lamothe qui sont des Français qui ont oeuvré véritablement pour tromper le peuple. Michelet a écrit un livre qui s'appelle "La Sorcière" : c'est une série de contre-vérités absolument ahurissante. Mais ce n'est pas de l'histoire. Il ne s'est pas appuyé sur des sources premières, il a truqué les dates. C'est complètement ahurissant de bêtises, de mensonges, de contre-vérités. Et Michelet passe pour un historien ! ... Il (Michelet) n'a jamais fait d'études d'histoire et il n'a pas fait un travail d'historien, ... qui consiste à aller chercher dans les archives ce qu'il y a et de raconter ce qu'on y trouve.»
Marion Sigaut mentionne alors qu'
![]() |
Robert Mandrou, "Magistrats et Sorciers en France au XVIIe siècle" |
« il y a un historien français qui a fait un travail extraordinaire sur les véritables procès en sorcellerie, c'est-à-dire ceux qui se sont déroulés à peu près entre 1550 et 1650/60 : Robert MANDROU, qui a écrit "Magistrats et Sorciers en France au XVIIe siècle".
Et lui, explique Marion Sigaut, a raconté les véritables procès en sorcellerie. C'est-à-dire qu'il les a situés dans le temps, dans l'espace. Il est allé dans les archives. C'est un excellent ouvrage, que je recommande, facile à trouver. »
--------------------------------------
. Inquisition : rareté des exécutions des peines capitales (10 à 12.000 en trois siècles)
. Marion Sigaut : "L'Eglise a été victime d'une campagne de calomnie à grande échelle"
. Marion Sigaut et Claire Colombie sur l’enseignement de l’histoire à l’Université
. Entretien avec Marion Sigaut : De la centralisation monarchique à la révolution bourgeoise