Les batailles du Pont Milvius (312) et de Tolbiac (496) marquent la naissance de la civilisation chrétienne et française. Au moment où l'oligarchie se pique de parler d'"identité nationale", il est bon d'y revenir.
La bataillle du Pont Milvius (312) vit deux visions du monde s'affronter, les légions gauloises et chrétiennes de Constantin face aux légions païennes de Maxence. Les premières invoquaient déjà le Dieu inconnu dont parlait Saint Paul à l'Aéropage d'Athènes, et devant chaque légion flottait un mystérieux étendard, d'une forme nouvelle, qui devait, disait-on, assurer la victoire aux soldats de Constantin. L'autre était l'armée du paganisme, et les prêtres de Jupiter offraient aux dieux des sacrifices pour le succès de Maxence, le tyran de Rome et l'ennemi des Chrétiens.
Deux empires, deux mondes s'affrontaient devant les siècles : l'empire des Césars et la monarchie chrétienne, le monde païen et le monde chrétien. Cette bataille, dit Chateaubriand, était du petit nombre de celles qui, expression matérielle de la lutte des opinions, deviennent, non un simple fait de guerre, mais une véritable révolution. Les anciens dieux du Janicule avaient, rangées autour de leurs autels, les légions qui avaient en leur nom conquis l'univers; en face de ces soldats étaient ceux du Christ. C'est pourquoi cette journée devait avoir une si grande importance sur le sort de la civilisation et de l'humanité.
Face à la monarchie païenne, la véritable nouveauté au plan politique était le christianisme. La religion nouvelle annonçant un Dieu unique au milieu des autels innombrables du polythéisme, prêchant la pureté, le renoncement et la charité dans un siècle abandonné à la luxure et à l'égoïsme, relevait la dignité de la femme et de l'esclave dans un monde qui reposait sur le droit de vie et de mort reconnu à l'époux et au maître, proclamait l'égalité des hommes devant Dieu au sein d'une société où tous les empereurs étaient inscrits au nombre des dieux, inventait une révolution laïque du pouvoir où l'empereur n'était plus un dieu incarné, cette nouvelle religion déplut aux césars et fut vouée à la proscription.
Jusqu'à Constantin, l'empereur était à la fois César aux plans temporel et spirituel (Souverain Pontife), les deux pouvoirs étaient confondus et reposaient sur une même tête (le césarisme est depuis le "moyen Âge" cette prétention politique des rois à dominer le spirituel). Cette confusion de l'Eglise et de l'Etat sur une même tête était la caractéristique de la tyrannie antique, et la caractéristique du totalitarisme du Bas-empire romain.
Constantin n'était pas aussi confiant que Maxence dans le résultat de la bataille. Le petit nombre de ses troupes l'effrayait. Il recruta des forces parmi les Germains et les Gaulois, ainsi que les hommes rassemblés en Bretagne au nombre d'environ 90.000 fantassins et 8.000 cavaliers. En face, Maxence avait des forces considérables : 90.000 Romains et Italiens, des Tyrrhéniens, Siciliens et Carthaginois au nombre de 170.000 fantassins plus 18.000 cavaliers. (Zosime, Histoire nouvelle, II, XV, 1-3.)
Constantin avait fait d'avance le sacrifice de sa vie; mais il ne pouvait penser sans inquiétude au sort qui attendait ses légions dans le cas d'une défaite. Pas un homme ne regagnerait les Gaules et ne reverrait ses foyers. Il sentait vaguement, c'est Eusèbe qui nous le dit, la nécessité d'un secours plus efficace que celui de ses soldats pour combattre les prestiges et les ressources de l'art magique dont le tyran s'environnait. Il voulait s'appuyer sur une force plus grande encore que celle de son armée : il comprenait que Dieu seul donne la victoire. Mais quel Dieu invoquerait-il ? Il se rappelait que son père Constance Chlore, seul entre tous les Césars, avait abjuré les traditions idolâtriques. En honorant le Dieu qui est au-dessus de tout, Constance avait trouvé en lui un sauveur, le gardien de son règne et le dispensateur de tout bien. Cette conduite avait été récompensée par une prospérité sans nuage, tandis que les autres empereurs, livrés à toutes les passions, avaient fini déplorablement leur vie, sans laisser à leurs descendants une seule des couronnes qu'ils avaient portées. Il se rappelait aussi les expéditions de Galérius et de Sévère contre Maxence. Entreprises toutes deux sous les auspices de l'idolâtrie, l'une avait échoué honteusement, l'autre avait entraîné la mort de son chef. A mesure qu'il déroulait ses souvenirs, il arrivait à se convaincre que les dieux de l'empire étaient de vains fantômes et le Dieu de son père le seul Dieu véritable. (Informations tirées de Eusèbe de Césarée, Vie de Constantin, I, XXVII)
Telles étaient les préoccupations et les prières de l'empereur lorsqu'un prodige surnaturel vint frapper ses regards. "Si le récit que je vais faire, dit Eusèbe, m'eût été transmis par une autre bouche, il pourrait trouver des auditeurs incrédules. Mais je le tiens de l'auguste prince lui-même. Bien des années après, quand j'eus l'honneur d'être admis dans son intimité, il me raconta le fait et m'en attesta plusieurs fois par serment l'authenticité. C'est sa narration que je vais reproduire, et bien téméraire serait celui qui oserait s'inscrire en faux contre un pareil témoin, au sujet d'un prodige que les évènements survenus depuis ont d'ailleurs suffisamment confirmé". (Eusèbe de Césarée, Vie de Constantin, I, XXVII-XXX)
Le récit que nous donne Eusèbe est confirmé implicitement par Nazarius, l'orateur païen chargé du panégyrique de Constantin neuf ans après la bataille. Le prodige eut lieu devant l'armée entière; de nombreux témoins vivaient encore, et toute supercherie eût été vivement relevée et raillée par les auteurs païens.
C'était quelques jours avant la bataille. L'empereur, sachant que le combat était prochain, sortit du camp un peu après midi et gravit une colline, pour étudier la situation de l'ennemi. Ses officiers l'entouraient. Longtemps le prince demeura à la même place, examinant avec soin la plaine et le cours du Tibre. Déjà le soleil s'abaissait sur l'horizon. Tout à coup les officiers jetèrent un cri de surprise. Constantin leva les yeux et resta stupéfait. Une croix lumineuse se détachait dans les airs, au-dessus du soleil : une inscription en lettres grecques se lisait distinctement sur la croix : In Hoc Signo Vinces, tu vaincras par ce signe !
L'armée entière aperçut le signe céleste et l'étonnement fut au comble. La croix n'était point encore un symbole connu de l'empire, et l'inscription paraissait inexplicable. Longtemps l'empereur, silencieux, chercha la signification d'un évènement si extraordinaire. Constantin était encore plongé dans ses réflexions, quand la nuit vint le surprendre et l'obliger à descendre de la colline et à rentrer au camp. La nuit, le prodige fut expliqué. Le Christ, Fils de Dieu, apparut au prince, pendant son sommeil, avec le même signe qu'il avair vu resplendir dans les airs, et lui ordonna de faire reproduire cette image sur les drapeaux, comme un gage certain de la victoire. Constantin n'hésita pas. Dès son réveil, il appela des orfèvres et leur décrivit l'étendard sacré. Ils en exécutèrent un modèle enrichi d'or et de pierreries.
C'était une haste allongée, munie d'une antenne transversale à l'instar de la croix; au sommet de la haste était une couronne portant en son milieu le monogramme du Christ, que l'on appelle aussi "chrisme", un X traversé d’un P, (chi) et Ρ (rhô), la première apposée sur la seconde. Il s'agit des deux premières lettres du mot Χριστός (Christ).
L'antenne soutenait un tissu de pourpre, formant un carré parfait, sur lequel l'empereur fit graver son buste et plus tard celui de ses enfants. Chaque légion reçut un étendard dessiné sur ce modèle : Lactance nous dit que le signe céleste fut reproduit sur le casque et le bouclier de chaque soldat.
Tel était le labarum ! Après tant de persécutions et d'outrage, la croix, réservée jusque-là comme instrument de supplice pour les criminels, triomphait du monde et devenait l'étendard des légions romaines. "Quand, après trois siècles de tortures, dit le P. Lacordaire, du haut du mont Mario, Constantin vit dans l'air le labarum, c'était le sang des chrétiens qui avait germé dans l'ombre, qui était monté comme une rosée jusqu'au ciel, et qui s'y déployait sous la forme de la croix triomphante !"
La bataille s'engagea le 28 octobre 312. C'est alors que Constantin put admirer pour la première fois cette protection merveilleuse que le labarum accordait à ses troupes, et dont l'empereur racontait plus tard les effets à Eusèbe, après la défaite de Licinius : en tous les endroits où paraissait l'étendard de la Croix, les ennemis prenaient la fuite. L'empereur, s'en étant aperçu, le fit porter à la tête des troupes qui commençaient à plier et à lâcher pied, et à l'heure même elles reprirent courage et se sentirent animées d'une ardeur toute divine. "Constantin, nous dit Eusèbe, avait choisi parmi ses gardes environ cinquante de ceux qui surpassaient les autres en force de corps, en grandeur de courage et en piété, et il les chargea de garder continuellement l'étendard et de le porter tour à tour. Le désordre s'étant mis dans l'armée au milieu de la chaleur du combat, celui qui portait le labarum eut peur et le donna à un autre pour éviter le péril. Mais il n'en fut pas sitôt déchargé qu'il reçut un trait dans le corps dont il mourut sur-le-champ en punition de sa lâcheté et de son infidélité. Celui qui s'étant chargé de l'étendard en sa place en fut protégé. Quelque quantité de traits que jetassent les ennemis, aucun ne tomba sur lui. C'était une chose merveilleuse à voir que tous les traits demeuraient dans le bois de la croix, quoiqu'il fût fort étroit, et qu'aucun ne toucha jamais ceux qui portèrent le signe de notre rédemption. Ce récit, ajoute l'historien, n'est pas de moi, il est de l'empereur, de la bouche duquel je l'ai appris.
Cependant, les heures s'écoulaient, l'inquiétude saisit Maxence. Le peuple, réuni à l'amphithéâtre commençait à croire que les dieux se déclaraient contre le tyran. Le bruit du combat, l'arrivée des messagers, leur allure précipitée, excitèrent les esprits. On oublia les jeux du cirque et... une émeute éclata à l'intérieur de la ville. Le peuple, dit Lactance, cria : "On ne vaincra pas Constantin!" On entoura le tyran: on lui reprocha de n'être pas avec les combattants, et son abstention fut traitée de trahison ouverte. Maxenxe éperdu, sentant sa couronne lui échapper, et n'osant cependant désobéir à l'oracle qui lui avait défendu de quitter Rome, réunit à la hâte quelques sénateurs dévoués à sa cause et fit consulter les Livres sibyllins. Leur réponse fut celle-ci : "En ce jour, l'ennemi du peuple romain doit périr". Maxence interpréta à son avantage cette parole ambiguë. Dans l'espérance d'une victoire, il sortit de Rome, franchit le Tibre et rejoignit l'armée. Le pont fut coupé derrière lui.
A l'arrivée de Maxence, la lutte redoubla d'ardeur, et Constantin put juger, en entendant les cris poussés par l'ennemi, que son adversaire venait de prendre le commandement. Il invoqua de nouveau le labarum, et, décidé à en finir, il rallia ses légions et s'élança avec elles sur le point où se trouvait Maxenxe. Le choc fut formidable; mais alors se réalisa l'inscription merveilleuse : In hoc signo vinces. L'armée de Maxenxe, saisir d'une panique singulière à la vue du labarum qui flottait devant l'armée de Constantin, culbutée par les légions gauloises, fut mise en déroute. Maxence lui-même, entraîné par les soldats et contraint de fuir, se précipita vers le pont rompu. Une multitude immense en encombrait déjà l'abord. Maxenxe, pressé par la foule des fuyards, fut précipité dans le fleuve, il périt noyé dans le Tibre à l’instar du Pharaon poursuivant les Hébreux, qui s’était trouvé englouti par la Mer Rouge. Le détail est d’Eusèbe qui n’est jamais en retard d’un symbolisme biblique. La guerre était finie, la bataille gagnée. Le labarum dominait les aigles. Le Dieu des Chrétiens avait tenu parole à Constantin. La civilisation chrétienne allait succéder au paganisme.
La véritable gloire de Constantin fut de comprendre et de remplir à merveille le rôle de l'empereur chrétien qu'il définissait lui-même comme une pratique laïque du pouvoir distinguant pouvoirs temporel et pouvoir spirituel. Il s'adressa aux Pères du Concile de Nicée (325) en ces termes : "Vous avez été établis par Dieu évêques pour le dedans de l'Eglise, et moi, je l'ai été pour le dehors". Cette notion si juste de la monarchie chrétienne fut celle qui le guida dans ses réformes législatives et celle qui caractérisera la civilisation occidentale jusqu'au XXe siècle où une conception déformée de la laïcité vient prétendre que le pouvoir spirituel doit rester dans la sphère privée. Ce qui est non pas laïcité mais laïcisme de droit occulte; le "Grand Orient de France" fut le concepteur occulte de la loi dite de "laïcité" de 1905.
Une des lois révolutionnaires de Constantin punissait de mort comme "homicide" le maître qui avait mis à mort son esclave. Un édit supprimait la prison et la flagellation pour dettes; un autre interdisait les combats de gladiateurs: "Il ne convient pas que le sang humain soit versé en pleine paix comme un passe-temps à l'usage des oisifs".
En même temps, Constantin commençait à saper la pratique de l'esclavage avec prudence et habileté : il proclamait d'abord le principe éminemment chrétien, que même soixante ans de servitude ne pouvaient prescrire contre la liberté humaine. Il levait tous les obstacles qui avaient été apportés par la législation païenne à l'affranchissement, et permettait de rendre aux esclaves leur liberté dans l'Eglise en présence du peuple et des évêques. Il défendait aux juifs d'avoir des esclaves chrétiens car il n'était pas juste que ceux qui avaient été rachetés par le Sauveur demeurassent sous la puissance de ceux qui l'avaient tué; et enfin, il ordonnait à ceux qui connaîtraient des personnes injustement retenues en servitude d'en avertir les magistrats.
En l'année 316, l'empereur alla plus loin, il sanctionna l'observation du dimanche pour tout l'empire. Les tribunaux durent vaquer le premier jour de la semaine, dies dominica, et les travaux industriels et commerciaux durent être interrompus. Bienfait immense que l'on doit au christianisme. Une autre loi abolissait le supplice de la Croix. L'homme recouvrait enfin sa dignité et sa liberté. La civilisation naissait au moment où l'Eglise sortait radieuse des catacombes.
Tolbiac
Tolbiac vient sceller la nouvelle vision du monde initiée par Constantin, et chez nous, l'alliance des Gallo-Francs avec le Christ. Après Tolbiac tous les peuples reçoivent tour à tour le baptême, et ceux qui étaient ariens renoncent à leurs erreurs pour redevenir catholiques.
Le peuple romain était resté sourd à l'appel du Christ et de ses apôtres, les merveilles du Pont Milvius ne l'avaient pas éclairé. Les successeurs de Constantin, Constance, Julien l'Apostat et Valens, se livrèrent à l'hérésie ou à l'impiété et persécutèrent l'Eglise. En vain le grand Théodose fit-il renaître un instant les jours de Constantin et offrit-il après le massacre de Thessalonique l'admirable exemple de la pourpre impériale s'humiliant devant saint Ambroise, la coupe d'iniquité était pleine.
Ce furent d'abord les Wisigoths qui franchirent le Rhin et les Alpes, ravagèrent les Gaules et pénétrèrent en Italie. Une force inconnue poussait leur chef : "Une voix intérieure, disait-il, me crie sans cesse : Marche et va saccager Rome!" En 410, la ville éternelle fut pour la première fois vaincue, prise et pillée. Plus heureux qu'Annibal, Alaric entra dans la cité de Romulus. L'empereur Honorius, indigne fils de Théodose, s'enfuit à Ravenne, et Rome fut mise à feu et à sang; mais le pape, saint Innocent (pape 401-417) resta à son poste et les barbares s'inclinèrent devant la majesté du souverain pontife.
L'empire n'existait plus; mais l'Eglise, après avoir été persécutée par lui pendant trois siècles, se tenait debout sur ses ruines.
En 481, un jeune homme de quinze ans, Clovis fils de Childéric, était élu roi des Francs saliens et montait sur le pavois. La grande vertu des Francs était la fidélité aux traditions nationales, et ces traditions relevaient toutes du culte d'Odin. Abandonner devant les guerriers qui tant de fois avaient versé leur sang pour sa gloire, les dieux scandinaves, et se courber devant le dieu des chrétiens, c'était, aux yeux de Clovis, renier les ancêtres, s'aliéner le coeur des Francs et le soutien de son armée.
Pour raconter Tolbiac, il suffirait presque de traduire Grégoire de Tours. L'objectivité et la sincérité de cet historien qui écrivait déjà vers 580 est admise et reconnue aussi bien par les adversaires que par les amis de l'Eglise : "Une guerre éclata, dit-il, entre les Alamanni et les Francs. Clovis fut alors contraint par les évènements de faire ce qu'il avait toujours refusé jusque-là. Au moment où les deux armées étaient aux prises, les troupes franques furent repoussées en tel désordre, que les bataillons refoulés les uns sur les autres se donnaient mutuellement la mort. A ce spectacle, Clovis ne put retenir ses larmes. Le coeur brisé, il leva les yeux au ciel et s'écria : "Jésus-Christ, vous que Clotilde appelle le Fils du Dieu vivant, s'il est vrai que vous protégez ceux qui vous invoquent et donnez la victoire à vos serviteurs, j'implore votre assistance. Si vous me faites triompher de mes ennemis, si vous étendez sur moi cette puissance, dont votre peuple reconnaît l'efficacité, je jure de croire en vous et de me faire baptiser en votre nom. J'ai prié mes dieux : ils ne m'ont point écouté. J'en ai la preuve. A vous de m'arracher au péril !"
A peine eut-il parlé ainsi, que le combat changea de face. Les Francs reprirent une ardeur nouvelle. Bientôt les Alamanni plièrent et se mirent en pleine déroute. Leur roi fut tué. Les vaincus implorèrent alors la clémence du roi des Francs. "Faites cesser le massacre, lui dirent-ils. Nous sommes prêts à reconnaître votre autorité et à devenir votre peuple". Clovis donna aux siens l'ordre de cesser le carnage et ramena ses troupes sous la tente. Au retour, il raconta à la reine comment il devait la victoire à l'invocation du nom de Jésus-Christ. Dans ce récit si simple et si plein de grandeur est renfermée toute la tradition française. C'est tout ce qui nous reste de l'un des plus graves évènements qu'ait vus l'histoire; mais ces quelques lignes suffisent pour nous permettre de louer à jamais le Dieu des Armées, Deus Sabaoth, qui exauça les prières de Clotilde et prêta l'oreille au cri du chef barbare.
C'est depuis ce jour et cette heure que nous sommes une nation chrétienne et que notre patrie, la patrie qui donna à Constantin les légions gauloises du Pont Milvius, est devenue la fille aînée de l'Eglise.
Saint Rémi l'attendait à Reims avec Clotilde. "Père saint, lui dit Clovis, je suis prêt. Pourtant une considération me retient encore. Le peuple qui me suit ne veut pas qu'on abandonne ses dieux. Je vais convoquer les Francs, et je leur parlerai dans le sens de vos instructions". L'assemblée eut lieu. Sans doute le projet royal était connu de tous, car avant même que Clovis eût pris la parole, aussitôt qu'on le vit paraître, une acclamation générale se fit entendre :
"Pieux roi, dirent les Francs, nous abjurons le culte des dieux mortels, nous voulons servir le Dieu immortel que Remi adore!" Le bienheureux évêque, en apprenant la décision nationale, fut rempli d'une grande joie, et prépara tout pour le baptême solennel.
Le jour choisi pour le baptême était le jour de Noël 496. Rémi, pendant qu'il parlait, une lumière céleste éclata soudain dans l'église, effaçant la lueur des cierges allumés, et une voix se fit entendre qui disait : "La paix soit avec vous ! C'est moi, ne craignez point. Persévérez dans mon amour". Après ces paroles, la lumière surnaturelle disparut et un parfun d'une suavité céleste se répandit dans l'enceinte. Le roi et la reine se précipitèrent aux genoux du saint pontife, en versant des larmes d'émotion et de joie. L'homme de Dieu, illuminé lui-même par l'esprit prophétique, s'écria :
"Apprenez, mon Fils, que le royaume de France est prédestiné par Dieu à la défense de l'Église romaine qui est la seule véritable Église du Christ ...
"Ce royaume sera un jour grand entre tous les royaumes, il embrassera les limites de l'empire romain et il soumettra tous les peuples à son sceptre... Il durera jusqu'à la fin des temps !
"Il sera victorieux et prospère tant qu'il sera fidèle à la foi Romaine, mais il sera rudement châtié toutes les fois où il sera infidèle à sa vocation. " (d'après Flodoard, Historia Ecclesiae Remensis)
La prière de l'évêque de Reims à l'autel de Marie est gravée dans la mémoire nationale : regnum Galliae, regnum Mariae ! Royaume de France Royaume de Marie. Nos plus chères traditions sont établies sur ces journées de décembre 496.
Source:
Ferdinand Hervé-Bazin, Les Grandes Journées de la Chrétienté, Librairie Victor Lecoffre, Paris, 1887, rééd. Editions Saint-Rémi.