Cette histoire de la Révolution française n'a pas pour but de narrer à nouveau des événements ou des anecdotes mille fois ressassées. Son ambition ? Susciter une relecture complète de la Révolution nourrie par les recherches récentes publiées au cours de ces dernières décennies. Ces découvertes permettent d'affirmer que la Révolution a eu pour dessein essentiel la régénération de la société et de l'homme, la création d'un monde nouveau et d'un homme nouveau adapté à ce monde bâti par la mise en oeuvre des idées rationalistes, individualistes, contractualistes, matérialistes et laïcistes des Lumières. Comprendre ce qu'a été réellement la Révolution française semble dès lors indispensable pour saisir les enjeux de la politique contemporaine. Rédigé dans une langue claire, l'ouvrage est destiné au grand public.
Biographie de l'auteur
Philippe Pichot-Bravard est docteur en droit et maître de conférences en histoire du droit public. Il a publié notamment Le pape ou l'empereur : les catholiques et Napoléon III (Tempora, 2008); Conserver l'ordre constitutionnel (XVIe-XIXe siècle) (LGDJ, 2011); Histoire constitutionnelle des Parlements de l'Ancienne France (Ellipses, 2012).
Philippe Pichot-Bravard met en lumière quelques-unes des contradictions majeures de la Révolution
S'agissant par exemple de la Terreur, et plus généralement, du phénomène de la violence révolutionnaire, les historiens officiels se rendent compte que la version dorée de la Révolution qu'ils colportent depuis deux siècles est de moins en moins partagée. De plus en plus de gens savent par exemple que ce n'est pas les autres Etats européens qui déclarèrent la guerre à la France, mais la république qui déclara la guerre à l'Europe. Ils cherchent donc à défendre la Révolution en justifiant la violence révolutionnaire par le danger que représentait les contre-révolutionnaires. C'est la thèse de la « guerre défensive » à l'intérieur et à l'extérieur qui se résume grosso modo par l'adage illuministe d'un Adam Weishaupt « la fin sanctifie les moyens » (1). La Terreur n'aurait été qu'un réflexe défensif de la république contre la peur que lui aurait inspirée les insurrections populaires de 1793. Le peuple qui se souleva partout en France contre notamment la levée en masse de 300.000 hommes (décret du 23 février 1793) suscita lui-même les mesures de violence que le gouvernement révolutionnaire décréta contre lui. Aux insurrections spontanées à Marseille, Lyon, Toulon, Bordeaux, et en Vendée, la république répondit par la force armée et la « Terreur » au nom du « Peuple souverain » et la « Liberté » ! Les républicains ne craignent pas la contradiction :
« Nombre d'historiens ont expliqué, et implicitement justifié, la Terreur par le péril qui menaçait la patrie, et par conséquent la Révolution, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Ainsi Jean-Clément Martin, fait de la Terreur le fruit conjugué du péril extérieur et de la faiblesse de l'Etat. « Plus qu'un excès d'Etat, […] c'est au contraire le manque d'Etat, […] qui explique cette explosion de violence » (J.-C. Martin, La Révolution française (1789-1799), une histoire socio-politique, Paris, Belin, 2008, p, 207. Du même auteur : Une nouvelle histoire de la Révolution française, Paris, Perrin, 2012). » (2) « Cette affirmation n'a qu'un but, explicitement assumé : dédouaner le gouvernement révolutionnaire de 1793 de toute parenté avec les expériences totalitaires du XXe siècle » (3).
Parmi ces historiens, Jean-Clément Martin est « l'auteur, l'acteur et le continuateur de la politique de mémoricide » (4). Le mémoricide étant « un crime contre l'humanité qui consiste à concevoir, réaliser, être complice, tant dans la conception que dans la réalisation partielle ou totale, d'une volonté ou d'un acte dont la finalité est de nier, relativiser, justifier, partiellement ou totalement dans le temps, un acte premier de génocide. » (5)
P. Pichot Bravard explique que les colonnes exterminatrices dites « infernales » du général Turreau en Vendée commencèrent alors que les armées vendéennes avait été vaincues et le gouvernement révolutionnaire ne pouvait donc plus justifier le génocide au nom d'un pseudo « salut public » :
Tout indique que la Révolution en 1793-1794 ne fut rien d'autre qu'une guerre de la république contre les Français. « [L]es impératifs du salut public... ne permettent pas de comprendre la prolongation de la Terreur après l'automne 1793, après la prise de Bordeaux, de Lyon, de Toulon, après la déroute de l'armée vendéenne au Mans (12 décembre) et à Savenay (23 décembre), après les victoires de Wattignies (16 octobre), du Geisberg et de Wissembourg (26-27 décembre).
Or, c'est précisément après ces victoires, alors que le danger s'éloignait, que la Terreur atteignit son apogée. Ainsi, les colonnes du général Turreau entreprirent l'extermination de la Vendée et de ses habitants après la destruction de l'armée vendéenne à Savenay, en application d'un plan général approuvé par le Comité de Salut public de la Convention.
La loi de prairial an II aggrave à Paris la Terreur, alors que tout danger a disparu depuis plusieurs mois déjà, tant sur le théâtre extérieur que sur le théâtre intérieur. » (6)
Le génocide en Vendée démarre à l'automne 1793 par un décret-loi voté à l'unanimité par la Convention, le 1er octobre 1793, relatif à la création de l'armée de l'Ouest et à l'"extermination des brigands vendéens". "Il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin du mois d'Octobre : le salut de la Patrie l'exige." (7)
« Le Comité de salut public [11 novembre 1793],... a arrêté un plan vaste général tel que les brigands doivent disparaître en peu de temps non seulement de la Vendée mais de toute la surface de la république » (8)
« Le Comité de salut public [17 décembre 1793] La Convention nationale vous appelle à l'honneur d'exterminer les brigands fugitifs de la Vendée. (9)
Le général Turreau, organisateur des colonnes "infernales" |
Le général Turreau, "bon républicain", propose par écrit, le 24 janvier 1794, un nouveau plan d'extermination et d'anéantissement de la Vendée basé sur les colonnes mobiles dites "infernales" et espère ainsi sous quinze jours, avoir exterminé tous les habitants de la Vendée. (10)
Le 6 février 1794, le député Lazare Carnot, au nom du Comité de salut public, donne son accord à ce nouveau plan dit "Turreau"... (11)
La thèse de la « guerre défensive » est développée dans l'ouvrage collectif qui vient d'être publié « « La Révolution française », Préface de Michel Winock », dans le chapitre signé par Virginie Martin intitulé « La République a-t-elle voulu la guerre ? » : « La guerre votée à la quasi-unanimité au printemps 1792 par l'Assemblée législative ne procède pas d'une ambition prosélyte mais d'un réflexe défensif. » (12) « Pour gagner la paix, la République doit donc gagner préalablement la guerre. » (13)
Nous retrouvons l'argument de la guerre défensive dans la justification le 15 avril 2014 de la « réponse » violente soutenue par la diplomatie d'Obama conseillant au gouvernement par interim de Kiev de répondre aux soulèvements de séparatistes anti-Maidan dans l'est russophone de l'Ukraine, pendant qu'on demandait la « déescalade » de la part des Russes et des est-Ukrainiens. La Maison-Blanche affirmait qu'il était « approprié» pour le gouvernement de Kiev « de prendre des mesures pour rétablir l'ordre », dans une situation « intenable », et qualifiait les opérations militaires de Kiev contre les anti-Maidan de « mesurées » ! Ces opérations ont, à ce jour, fait des centaines de victimes civiles, pour certaines abattues froidement dans la rue. Le 19 mars 2014, le gouvernement par interim de Kiev autorisa les soldats ukrainiens à tirer sur d'autres Ukrainiens, c'est-à-dire qu'il prit des mesures de violence terroriste contre le «peuple souverain», en Ukraine aussi...
Et le 15 avril, à 17h00, en réponse au conseil de la Maison Blanche, le général Valeri Kroutov, numéro deux des services spéciaux ukrainiens (SBU) qui commandait "l'opération antiterroriste » annonça logiquement au nord de Slaviansk, que les séparatistes qui ne se rendraient pas seraient «liquidés»... Par cet échange d'ordres et de réponses de généraux, ce qui se passe en Ukraine ressemble étrangement à tout ce qui s'est passé en Vendée. Il ne faut bien évidemment y voir là qu'un pur hasard...
« Dès lors (en 1792), on les entend dire dans leur club, ce que Brissot écrivait aux généraux de sa Révolution : "Il faut incendier les quatre coins de l'Europe, notre salut est là" (Considér. sur la nature de la Révol. par M. Mallett du Pan, p. 37). ... Louvet, journaliste, conventionnel régicide, député aux Cinq-Cents déclara : "nous la voulions (la guerre), nous autres jacobins, parce qu'à coup sûr la paix tuait la république..."» (14)
« Il est... un autre argument que (le girondin) Brissot ne cessa d'opposer à ses détracteurs : ... le salut public. Et Brissot d'invoquer l'autorité de Machiavel : "Rappelez-vous, rétorqua-t-il à Clermont-Tonnerre, l'axiome si trivial et si vrai : 'qui veut la fin, veut les moyens'" » (15).
Le dernier bilan des victimes de la Terreur en vue de leur « salut public » oscille entre 117 000 et 200 000 :
« Dans sa thèse d'Etat, Reynald Secher... affirme qu'il y en a eu "au moins 117 257 (R. Sécher, Le Génocide franco-français, La Vendée-Vengé, Paris, PUF, 1986, 2è éd., Perrin 2006) Il s'agit d'un minimum. Le chiffre réel est sensiblement plus élevé, avoisinant les 200 000, ce qui représente le quart ou le tiers de la population des paroisses insurgées. » (16)
Pour Patrice Gueniffey : « Terreur : Combien de morts ? Le bilan estimé des morts liées à la Révolution demeure toujours incertain, peut-être impossible. On s'en remet souvent aux calculs de Donald Greer en 1935 qui recense 30 000 à 40 000 victimes des procédures juridiques (fusillées et guillotinées). Il s'agit d'une base minimale à laquelle il faut ajouter environ 170 000 victimes vendéennes et sans doute 20 000 à 30 000 soldats républicains morts dans l'Ouest. » (17)
Fait méconnu, les lois génocidaires (1793) n'ayant jamais été abrogées sont toujours en vigueur.
Des centaines d'Oradour-sur-Glane furent commis...
Notes :
(1) Augustin Barruel, Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, 1797, réed. Editions de Chiré, Poitiers 2005, tome II, p. 102.
(2) Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana, 2014, p. 208
(3) Philippe Pichot-Bravard, ibid., p. 209
(4) Reynald Sécher, Vendée: Du Génocide au Mémoricide, Mécanique d'un crime légal contre l'Humanité, Editions du Cerf, Paris 2001, p. 247
(5) Reynald Sécher, Vendée: Du Génocide au Mémoricide, Mécanique d'un crime légal contre l'Humanité, Editions du Cerf, Paris 2001, p. 267.
(6) Philippe Pichot-Bravard, ibid., p. 210
(7) Reynald Sécher, ibid., p. 241.
(8) Reynald Sécher, ibid., p. 81.
(9) Reynald Sécher, ibid., p. 88.
(10) Reynald Sécher, ibid., p. 140.
(11) Reynald Sécher, ibid., p. 141.
(12) La Révolution française, Préface de Michel Winock, L'Histoire Editions, p . 159.
(13) La Révolution française, Préface de Michel Winock, L'Histoire Editions, p . 164.
(14) Jean-Baptiste Louvet dit Lovet de Couvray, cité in A. Barruel, ibid., p. 473.
(15) J. P. Brissot, À Stanislas Clermont, sur la diatribe de ce dernier contre le comité des recherches, et sur son apologie de Mme Jumilhac, et des illuminés, Paris, Buisson, 28 août 1790, p. 12-13, in P. Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 89.
(16) Philippe Pichot-Bravard, ibid., p. 222.
(17) La Révolution française, Préface de Michel Winock, L'Histoire Editions, p . 119-120.
. Conférence de Philippe Pichot-Bravard : Fondements idéologiques et légitimité du pouvoir
. Quand la République française massacre, noie, brûle vif, viole, torture son peuple !