La surveillance généralisée des télécommunications est aussi une réalité en France. Le Monde a publié aujourd'hui une enquête sous le tite "Révélations sur le Big Brother français" démontrant que les services de renseignements français interceptent toutes les communications téléphoniques en France, mais aussi celles opérées sur Internet, et stockent le tout dans de gigantesques serveurs situés dans les sous-sols du siège de la DGSE, boulevard Mortier, dans le XXe arrondissement de Paris.
- "Si les révélations sur le programme d'espionnage américain Prism ont provoqué un concert d'indignation en Europe, la France, elle, n'a que faiblement protesté. Pour deux excellentes raisons : Paris était déjà au courant. Et fait la même chose.
- Si cette immense base de données n'était utilisée que par la DGSE qui n'officie que hors des frontières françaises, l'affaire serait déjà illégale. Mais les six autres services de renseignement, dont la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), les douanes ou Tracfin, le service de lutte contre le blanchiment, y puisent quotidiennement les données qui les intéressent. En toute discrétion, en marge de la légalité et hors de tout contrôle sérieux. Les politiques le savent parfaitement, mais le secret est la règle." (2)
L'objet de cette surveillance n'est pas d'écouter ou de lire des échanges privés, mais de déterminer qui parle à qui, quand, combien de temps, et où. La DGSE a ainsi accès aux intitulés des courriers électroniques envoyés de France, aux requêtes Google, aux interactions sur Facebook… L'accumulation de ces données, au fil des années, permet de dresser la carte des interactions sociales de chaque citoyen. Si un individu est soupçonné, par exemple, de faire partie d'un groupe terroriste, les renseignements français pourront facilement retrouver avec qui cette personne a communiqué au cours des dernières années, et retrouver d'éventuels complices. À charge ensuite aux enquêteurs de lancer de véritables écoutes, qui requièrent l'autorisation des autorités.
Le Monde révèle que cette gigantesque base de données est accessible à la DGSE (sécurité extérieure), mais aussi à la sécurité intérieure (DCRI), à la Direction du renseignement militaire (DRM), à la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), à la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), et même à Tracfin (lutte contre les circuits financiers clandestins) ou à la police judiciaire. L'existence de cette mutualisation des renseignements est niée par les autorités.
Un système révélé en 2010 par la DGSE
Cette surveillance généralisée d'Internet avait été révélée par la DGSE elle-même en 2010, lors du Symposium sur la sécurité des technologies de l'information et des communications. Bernard Barbier, le directeur technique de la DGSE, y expliquait le fonctionnement de ce système, comme l'avait alors relaté le blogueur Jean-Marc Manach. «Toutes ces métadonnées, on les stocke, sur des années et des années. Quand on s'intéresse à une adresse IP ou à un numéro de téléphone, on va chercher dans nos bases de données. On retrouve la liste des correspondants (du suspect) pendant des années. On arrive à reconstituer tout son réseau», expliquait Bernard Barbier. Pourquoi s'intéresser à Internet et aux services grand public comme les messageries ou Facebook? «Parce que les réseaux grand public sont utilisés par les terroristes», qui, noyés dans la masse des échanges Internet classiques, espèrent ne pas être détectés.
Ces annonces étaient passées totalement inaperçues à l'époque. Mais l'éclatement du scandale Prism aux États-Unis, qui repose sur la même méthode, risque de changer les choses. Seule différence, de taille, avec les États-Unis (disposant du Patriot Act de 2001, NdCR.): la surveillance française ne repose sur aucun cadre légal. La loi française ne prévoit en effet rien quant à la légalité du stockage massif de données de connexion. Un vide juridique dans lequel se sont engouffrées les agences de renseignements.