[...] [I]l y a une autre question importante que devrait garder Hollande à l’esprit, ou au moins un élément qui le fasse réfléchir si jamais personne ne l’a encore mis en garde. Lorsque le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale [CPI] a été négocié (en 1998 NdCR.), certains États occidentaux avaient insisté sur un moratoire de sept ans avant que le « crime d’agression » ne soit ajouté aux crimes pour lesquels la CPI serait compétente, si ce crime ont été commis par un État faisant partie de la CPI ou à partir de son territoire. Ce moratoire avait donné effectivement aux agresseurs habituels et potentiels une fenêtre d’opportunité pour continuer à commettre des actes d’agression, en particulier l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair, dont le pays est un État ayant intégré la CPI mais qui a donc bénéficié d’ une immunité et d’une impunité (au moins du point de vue de la compétence de la CPI) pour à son rôle dans le crime d’agression contre l’Irak en 2003.
Toutefois, cette fenêtre d’opportunité a été fermée le 11 juin 2010, lorsque le crime d’agression a été inséré dans le Statut de Rome comme l’un des crimes relevant de la CPI et pour lequel s’exerce sa compétence.
Bien que ni la Syrie ni les États-Unis ne soient parmi les 122 États ayant intégré la CPI (de sorte que seul un renvoi par le Conseil de sécurité des Nations Unies peut donner une compétence à la CPI sur leurs citoyens ou les crimes commis sur leur territoire), la France en tant qu’État fait partie de la CPI.
L’article 8 bis (1) du Statut de Rome , ajouté en 2010, se lit comme suit : « Aux fins du présent Statut, le ’crime d’agression’ signifie la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure d’exercer un contrôle ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies. »
Sont inclus à l’article 8 bis (2) ( b ) et dans la liste suivante les actes constituant une ’agression’ : « le bombardement par les forces armées d’un État contre le territoire d’un autre État ou l’ emploi de toutes armes par un État contre le territoire d’un autre État ».
En l’absence d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU autorisant « l’action militaire » contre la Syrie, ces dispositions correspondent « comme un gant » à l’agression en cours de planification par les présidents Obama et Hollande. Même l’avocat de la défense le plus imaginatif aurait du mal à imaginer un moyen de défense.
La CPI est naturellement très gênée par le fait très dérangeant que, après plus d’une décennie d’existence, elle n’a mis en accusation que des Africains. Pour une question d’impératif institutionnel et pour la propre crédibilité de la cour, il y a une nécessité impérieuse de mettre en accusation des non-Africains dès que le champ de compétence de la cour, la gravité et l’exemplarité d’un crime le permettront. Rien ne pourrait autant renforcer la crédibilité de la cour qu’un acte d’accusation contre un chef d’État ou de gouvernement de l’une des grandes puissances occidentales. Dans le même temps, rien ne pourrait mieux contribuer à renforcer le concept et la stature du droit international, la conviction que le droit international n’est pas simplement (comme il a tendance à l’être) un bâton avec lequel les riches et les puissants frappent les pauvres et les faibles, mais que même les riches et les puissants ne jouissent pas de l’immunité et de l’impunité devant les règles du droit international.
En effet, rien ne pourrait améliorer de façon plus efficace les chances de voir un jour un monde plus pacifique.Pour toutes sortes de bonnes raisons, il est à espérer que, en fin de compte, François Hollande ne fasse pas le choix de participer à la « planification, la préparation , le déclenchement ou l’exécution » du crime d’agression contre la Syrie. Mais si jamais il passait outre, alors son transfert devant le tribunal de La Haye pourrait être le seul résultat positif d’une telle folie.