Mis à jour le 14-07-2023
"Le bonheur est inséparable de la possession de la vérité" (Saint Augustin, Les Confessions, liv. Xe, chap. XXIII)
III - La représentation de la société par corps plutôt que par têtes
(1) Le mensonge de la démocratie "gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple" : la démocratie n'a jamais existé nulle part
Contrairement à la légende, dans l'Antiquité, à Athènes, la démocratie n'existait pas. Celui qui dirigeait Athènes, Périclès, le pseudo-inventeur de la "démocratie", dirigeait la foule, il ne se laissait pas diriger par elle. L'historien Thucydide écrit: "au lieu de se laisser diriger par elle, il la dirigeait. [...] Sous le nom de démocratie c’était en fait le premier citoyen qui gouvernait » (Thucydide, Guerre du péloponnèse, II, 65).
"Le despote démocratique est proche des philosophes. 'Périclès [...] apprit la philosophie d'Anaxagore; et il confia au sophiste Protagoras une charge importante'. (Histoire universelle de la Philosophie, Nagel, Genève, 1962, p. 73, in Alain PASCAL, L'Intelligence du christianisme, tome1, L'Humanité en quête de Dieu, éd. Du Verbe haut 2022, p 356.)
Périclès "est issu d'une famille puissante et riche et il devient le chef du parti démocratique. L'argent est ainsi pour quelque chose à l'établissement de la démocratie en Grèce. [...] Les philosophes ont provoqué la chute de la Grèce, mais aussi la Démocratie. [...] Après la victoire des Athéniens sur les Perses (en - 480 à Salamine), Athènes devient la première des cités grecques et Périclès accède au pouvoir, hélas, pour la Grèce. En effet, Périclès inaugure la Démocratie et est à l'origine de la guerre du Péloponnèse, donc est doublement responsable de la disparition de la civilisation grecque. [...] Périclès commence la guerre contre Sparte en - 431 et Sparte triomphera d'Athènes en - 404. [...] C'est après la mort de Périclès, lors de la troisième guerre du Péloponnèse, mais le chef démocrate est responsable d'avoir commencé la guerre, et pas uniquement pour des questions de rivalités citadines, de doctrines politiques aussi. Sous Périclès, la démocratique Athènes attaque une rivale aristocratique. Or, la Démocratie, c'est la fin de la grandeur d'Athènes, et bientôt de la Grèce entière.
"[...] Cette démocratie est bien entendu un mensonge, parce que, [...] Périclès est un démagogue et un despote. Ainsi, après la mort de Cimon (450), il frappe l'historien Thucydide d'ostracisme, car il veut que l'on assure sa gloire personnelle et que l'on vante la Démocratie.
"[...] La démocratie à Athènes est une ploutocratie, donc déjà l'avènement du Dieu Argent.
"La Grèce traditionnelle était une société religieuse et aristocratique, et le Ve siècle est celui de la désacralisation, mais aussi de la décadence, en grande partie par la faute de Périclès, car il substitue la Démocratie à un régime aristocratique qui honorait les héros des guerres contre la Perse. [...] Et le peuple n'y a rien gagné, ni la liberté, ni la paix. Car, hors l'imagerie de l'histoire officielle, la Démocratie n'a jamais offert la liberté au peuple. La Démocratie à Athènes, ce n'est plus le pouvoir de quelques-uns, les aristocrates, mais celui d'une minorité active, quarante mille citoyens mâles qui tiennent sous leur coupe quatre cent mille habitants. Ce ne sont plus des héros guerriers, ce sont des riches qui imposent leur loi et exploitent le peuple. La première Démocratie est une ploutocratie. La foule des citoyens se réunit sur l'agora. Le pouvoir n'est plus aux chefs valeureux, mais aux hâbleurs. Il n'y a plus de légimité et la foule abusée s'en remet au plus menteur, à celui qui a gagné le plus de clients par l'argent, mais aussi par le soutien d'artistes et la complicité d'intellectuels. Avec la Démocratie, le grand nombre est soumis au petit nombre qui sert un despote, le plus à même de perpétuer le 'Système', et ce petit nombre n'est plus au service d'une nation sacrée, car le pouvoir est devenu profane.
"[...] Au Ve siècle, [...] la guerre part d'Athènes contre Sparte, et elle est perdue par Athènes, car le peuple ne peut pas mourir pour ses exploiteurs. Cependant, la victoire de Sparte n'est pas suivie de lendemains qui chantent parce que le virus démocratique est entré dans les esprits. Partout, c'est déjà la nouvelle 'religion'.
"La grandeur de la Grèce était liée à l'Olympe. [...] Quand la philosophie supplante la religion, la décadence et la violence suivent. L'anthropocentrisme privilégie la satisfaction des désirs individuels et exclut le sacrifice de la communauté. [...] Et la Grèce va subir l'invasion macédonienne puis romaine.
"[...] La Démocratie s'accompagne d'un monopole culturel d'Initiés (d'Eleusis) qui provoquent la mise à mort de la civilisation occidentale en la rendant apostate de sa religion. La comparaison du Siècle de Périclès avec le Siècle des Lumières s'impose donc plus que jamais !
"[...] Le premier à l'illustrer est Eschyle (v. 525 - 456), dans la mouvance de Pythagore (et probablement membre de sa secte). Eschyle naît à Eleusis, donc prédestiné à être initié à l'orphisme, dont ses tragédies se font l'écho. Par exemple, dans son Prométhée enchaîné, il fait un portrait de Prométhée très différent de celui d'Hésiode. Pour Eschyle, Prométhée n'est pas responsable du malheur de l'humanité (celui qui est puni par Zeus pour avoir volé la connaissance aux dieux), mais 'le plus grand héros civilisateur' (Eliade). Eschyle fait de Prométhée l'héritier des initiés aux secrets de métiers et ceux qui possèdent la 'science', donc un Initié, ce pourquoi aussi il l'innocente du Mal. Et si le Mal n'est plus le fait de l'homme, il faut qu'il soit en Zeus. Voilà une accusation qui n'a pas fini de nuire (on la retrouvera portée contre le dieu chrétien dans la gnose avant l'Humanisme)." (Alain PASCAL, L'Intelligence du christianisme, tome1, L'Humanité en quête de Dieu, éd. Du Verbe haut 2022, p 342, 349-355.)
"La démocratie peut bien établir une égalité de droit et d'influence entre les membres du corps politique, elle ne peut supprimer l'inégalité que la nature a établie entre les hommes.
... Athènes considérait ses citoyens si égaux que de nombreuses charges étaient conférées par la voie du tirage au sort, mais le gouvernement réel n'en était pas moins l'affaire de Périclès" (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 106.)
La démocratie athénienne n'avait guère la côte cher les auteurs antiques. Elle était accusée de corrompre les masses (déjà...) en rétribuant les services publics.
Les poètes comiques, tel Aristophane se moquaient de l'"Olympien" Périclès.
"La très grande majorité des penseurs grecs ont été hostiles à ce système" (Yves-Marie Adeline, Histoire mondiale des idées politiques,Ellipses, Paris 2007, p. 94.)
Platon, dans Gorgias (qui n'est certes pas le Platon de La République, présentant l'état d'un collectivisme parfait, sorte d'ancêtre de l'Etat totalitaire) met en effet en scène son maître Socrate aux prises avec le sophiste relativiste Calliclès (sorte d'ancêtre de nos actuels francs-maçons). Calliclès tentait de convaincre Socrate de l'illégitimité de la morale. Pour Calliclès, la morale objective n'existait pas, chacun pouvait se constituer sa propre morale, une morale subjective.
Socrate, scandalisé par ce relativisme aboutissant à une remise en question de la vérité et à une réduction de la pensée à un simple utilitarisme, lui répondit qu'il avait entendu "dire que Périclès a rendu les Athéniens paresseux, lâches, bavards et avides d'argent, en établissant le premier un salaire pour les fonctions publiques" (Gorgias 515 b-515e), et qu'il avait livré Athènes à la canaille, démoralisé les honnêtes gens et préparé ainsi la ruine de la cité..."
Que de ressemblances avec 1789 ! "Tu vantes, lui dit-il, des hommes qui ont régalé les Athéniens en leur servant tout ce qu'ils désiraient... Mais, ... ils (ces hommes) n'avaient point en vue la témpérance et la justice. ... Quand viendra l'accès de faiblesse, les Athéniens accuseront ceux qui se trouveront là et donneront des conseils, mais ils n'auront que des éloges pour les Thémistocle, les Cimon, les Périclès, auteurs de leurs maux" (Gorgias, 518 e - 519 a.)
Le platonisme définissait de cette manière l'idée du bien comme principe de l'être intelligent par quoi il découvrait Dieu, c'est-à-dire qu'il définissait l'existence d'une morale objective tendant à la ressemblance à Dieu, donc la vérité. Le platonisme constituait la première énonciation d'un système spiritualiste complet, qui devait être aussi le modèle classique antigonien d'une vérité et d'une morale objective à rechercher et à découvrir, sans quoi nous tombons dans la tyrannie. Sur le caractère réellement oligarchique de la démocratie athénienne (d'oligarchia, "gouvernement du petit nombre, gouvernement d'une minorité), voir Mogens H. Hansen, La Démocratie athénienne à l'époque de Démosthène, Structure, principes et idéologies , 1991, trad. S. Bardet et Ph. Gauthier, Les Belles Lettres, Paris 1993, p. 307-330.)
Le philosophe et historien Xénophon, autre élève de Socrate, encouragé par l'enseignement qu'il reçut de son maître, s'opposait par principe au démocratisme. La condamnation de Socrate par le régime démocratique ne fit que le confirmer dans ses sentiments. En quoi cette condamnation était-elle juste ? Parce que la démocratie serait juste ?
Reprenant la technique socratique du dialogue, Xénophon se paie la tête de Périclès. Dans les Mémorables, il imagine un Périclès vieilli aux prises avec le jeune Alcibiade. Ce dernier lui demande une définition précise de la loi. Périclès répond :
- 'La loi est toute délibération en vertu de laquelle le peuple assemblé décrète ce que l'on doit faire ou non'.
- Alcibiade glisse malicieusement : 'Et qu'ordonne de faire le peuple ? Le bien ou le mal ?'
- Périclès s'indigne de cette insolence: 'Voyons jeune homme! Le bien, naturellement! Voudrais-tu que le peuple ordonne le mal ?'
- Non bien sûr... Alcibiade demande : 'à propos, si l'autorité qui prescrit la loi n'est pas le peuple, mais seulement une oligarchie, est-ce encore la loi ?
- Oui reconnaît... Périclès. Dès que le gouvernement ordonne quelque chose, cela s'appelle une loi.
- Bien. Mais si cette autorité n'est même plus une oligarchie, mais seulement un tyran ? Ce qu'il ordonne mérite-t-il encore le nom de loi ?
Périclès est un peu gêné, mais objectivement il estime que, en dehors de ce que l'on pense du contenu même de cette loi, si c'est le pouvoir, quel qu'il soit, qui a prescrit cette loi, il faut bien l'appeler une loi.
Sur le fond, l'auteur (Xénophon) soulève une vraie question : le nombre suffit-il à fonder la raison ? Le nombre suffit-il à garantir que la loi veut le bien ?" (Cf. Yves-Marie Adeline, Histoire mondiale des idées politiques,Ellipses, Paris 2007, p. 107-108.)
De même en 1789, les lointains descendants de Périclès, inventaient l'idée de vertu, sorte de conscience civique rousseauiste, non comme obéissance à une majorité (système électoral) ou à des représentants parlant au nom de la nation ou du peuple (députés), mais comme obéissance à la loi, considérée comme bonne et juste dès lors que partant de tous les individus elle s'applique à tous (peu importe si la loi est juste ou injuste, bonne ou pas. Tel est le vrai sens de la souveraineté populaire chez Rousseau.)
"Les principes expliqués par Périclès triomphent au Ve siècle av. J.-C., échouent, disparaissent, connaissent une éclipse de vingt siècles." (Y.-M. Adeline, ibid., p. 464.)
À Rome, la "république romaine", fondée par les Etrusques, était d'abord une dictature plus oligarchique que monarchique, avec un roi. Suite au coup d'Etat de Pélopidas qui chassa les oligarches, s'instaura une démocratie populaire. La "république romaine" devenait un régime d'assemblée unique (le Sénat de Rome) que dirigeait la caste fermée des patriciens au détriment de la plèbe (le peuple). Cette assemblée se livra à de redoutables combats d'influences aboutissant à des guerres civiles et armées mobilisant les légions des généraux-sénateurs. L'empire y mit un terme...
La république romaine qui était théoriquement une démocratie, puisque les lois devaient être approuvées par une assemblée de citoyens, était en fait "organisée en aristocratie, ou oligarchie à base élargie", puisqu'elle était "gouvernée par un assez petit groupe de gens appartenant à une cinquantaine de familles (comme à Athènes, ndlr.), détenant régulièrement toutes les magistratures... Durant toute l'époque républicaine, les plus hautes charges politiques, militaires et religieuses étaient monopolisées par les nobles." (Dictionnaire de l'Antiquité, mythologie, littérature, civilisation, sous la direction de M.C. Howatson, Bouquins Robert Laffont, Turin 1998, p. 857.)
Rome demeure [...] une sorte de république oligarchique. [...] Au IIe siècle, un tiers des consuls sont issus de seulement six familles. [...] Ce pouvoir endogame est monopolisé par quelques familles qui sont toutes alliées entre elles. Ces hommes se nomment les optimates - on parlerait aujourd'hui de cartels ; la République, avec tous ses rouages politiques, militaires en quête de pouvoir, d'argent et de gloire. Au début de la révolte de Spartacus, le Sénat de Rome compte 600 membres, mais parmi eux seule une élite très étroite détient la réalité du pouvoir. (Eric TEYSSIER, Spartacus, Entre le mythe et l'histoire, Perrin, Tempus, Paris 2012, p. 19-26.)
En 1789, comme sous Périclès, "dans le régime démocratique, ... (e)n théorie, le nouveau citoyen se voit reconnaître un pouvoir de contribuer à la formation des décisions, ... Mais en réalité, il a moins de prise sur la décision qu'il n'en a jamais eu (Voir P. Gueniffey, Le Nombre et la raison, p. 208-213). En effet, la participation démocratique" transfère "le pouvoir théoriquement possédé par les individus à une oligarchie composée de professionnels de la politique. Cette oligarchie trie les problèmes et définit les termes dans lesquels ils peuvent être résolus, médiation indispensable pour transmuer la poussière des volontés individuelles en 'volonté collective'. La toute-puissance de la 'machine', ou du parti, est la réalité de la liberté du citoyen moderne. ...[L]e pouvoir réel se trouve entre les mains du 'cercle intérieur'. ... [L]e peuple est réellement dépossédé de son pouvoir au profit du parti indispensable au fonctionnement de la démocratie. ... [L]e mensonge: la dictature d'une minorité prétendant énoncer la Volonté générale au nom du peuple mais à la place du peuple" (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 206-207).
Les "élections" de juin 1791 se traduisirent par une forte abstention. "La participation avait atteint son étiage; elle ne devait plus remonter de façon significative, les consultations organisées les années suivantes,... n'ayant jamais mobilisé plus du cinquième des électeurs. ... En l'absence de votants, le système électif se transforme très vite en un système de cooptation, les uns accédant aux charges que les autres viennent de quitter, et réciproquement. La promotion aux responsabilités se fait en circuit fermé : les fonctionnaires peuplent les assemblées chargées d'élire les fonctionnaires. ...La réalité du système répondait à un besoin, celui de la formation d'une classe politique ... qui soit assurée de la continuité en étant délivrée de l'incertitude inséparable du suffrage universel. Mais l'oligarchie née de ces pratiques n'était pas moins un démenti des attentes. On imaginait en effet avec une certaine ingénuité que la vertu première d'un système électif consistait à assurer le renouvellement permanent du personnel dirigeant et l'élargissement constant de son recrutement. On n'imaginait pas que l'élection puisse conduire à la formation d'une 'classe' politique distincte du reste de la société" (Patrice Gueniffey, Histoire de la Révolution et de l'Empire, Perrin, Collection Tempus, Paris 2011, p. 86-88).
"L'exercice du suffrage, quel qu'en fût le régime, censitaire ou universel, a été l'affaire de minorités dont les 'candidats' se disputaient les voix" (François Furet, Mona Ozouf, Dictionnaire critique de la Révolution française, Champs Flammarion, Manchecourt 1992, p. 127.)
"Ce qu'il y a de sûr, c'est que le régime représentatif exclut directement l'exercice de la souveraineté, surtout dans le système français où les droits du peuple se bornent à nommer ceux qui nomment; où non seulement il ne peut donner de mandats spéciaux à ses 'représentants', mais où la loi prend soin de briser toute relation entre eux et leurs provinces respectives, en les avertissant qu'ils ne sont point envoyés par ceux qui les ont envoyés, mais par la Nation; grand mot infiniment commode parce qu'on en fait ce qu'on veut. En un mot, il n'est pas possible d'imaginer une législation mieux calculée pour anéantir les droits du peuple. Il avait donc bien raison, ce vil conspirateur jacobin [Ndlr. Gracchus Babeuf 1760-1797, ce révolutionnaire fut arrêté le 10 mai 1796 et guillotiné un an après le 27 mai 1797], lorsqu'il disait rondement dans un interrogatoire judiciaire: Je crois le gouvernement actuel usurpateur de l'autorité, violateur de tous les droits du peuple qu'il a réduit au plus déplorable esclavage. C'est l'affreux système du bonheur d'un petit nombre, fondé sur l'oppression de la masse. Le peuple est tellement emmuselé, tellement environné de chaînes par ce gouvernement aristocratique, qu'il lui devient plus difficile que jamais de les briser (Interrogatoire de Babeuf, juin 1796)." (Joseph de Maistre, Œuvres, Edition établie par Pierre Glaudes, Bouquins Robert Laffont, Paris 2007, p. 222-223.)
"Jusqu'au bout, les hommes de la Révolution auront refusé de faire des électeurs, même au second degré, les arbitres de la dévolution du pouvoir" (François Furet, préface in Patrice Gueniffey, Le Nombre et la Raison, La Révolution française et les élections, préface de François Furet, Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales, Paris 1993, p. XI.)
"Délibérer, légiférer, dire et incarner ... la volonté 'nationale' ... telle est la vaste prérogative donnée par la Révolution - Assemblée constituante, Assemblée Législative, et Convention ensemble - à la représentation nationale, à l'abri de tout contrôle d'en bas; si vaste que Carré de Malberg l'a analysée comme un 'absolutisme parlementaire', et Marcel Gauchet, comme un 'rousseauisme à représentants'" (François Furet, préface in Patrice Gueniffey, Le nombre et la raison, ibid., p. V-VI.)
Au fil du temps, "les Français voient fleurir de nouveaux partis et de nouveaux sigles qui n'ont pas toujours de sens bien précis et changent au gré des modes. L'art consiste, pour les uns, à maintenir une référence au "socialisme", présenté comme un garant de la justice sociale, des privilèges et des monopoles; pour les autres, à fondre en un seul titre et quel que soit l'ordre plusieurs mots porteurs de grands symboles: Démocratie, Peuple, France ou Français, plus rassemblement ou Union. Ces partis décident de tout et tiennent d'une main ferme les ressorts des scrutins. [N]i le président ni même les députés, représentants du Peuple, ne sont désignés par les seules élections. Les citoyens n'ont pas le libre choix des candidats; ceux-ci leur sont dictés, imposés, par des instances où ils n'ont pas la parole et par des stratèges que, généralement ils n'ont pas nommés" (Jacques Heers, Un Homme un vote? Editions du Rocher, Monaco 2007, p. 188-189).
"On ne choisit pas, on ne délègue personne: on se borne à approuver un choix déjà fait par d'autres. Un choix fait par qui? Eh bien, par les dirigeants du parti, par le comité central, par le comité directeur, par le bureau, par le centre national... Si bien que ces députés que nous croyons élire, ils sont en réalité sélectionnés, ils nous sont en réalité imposés par la caste gouvernementale déjà en place, laquelle, agissant comme toutes les oligarchies, s'agrège les sujets qui lui conviennent et dont le caractère, les penchants, les alliances ont été soigneusement éprouvés. Nous croyons vivre sous un régime de suffrage universel, en réalité nous vivons sous un régime de cooptation" (Maurice Bardèche, Les Temps modernes, Editions Les Sept Couleurs, Montargis 1956, p. 25-26).
La belle "démocratie" issue des principes de 1789 instituant la "Volonté générale" comme le peuple "choisissant" ses "représentants" - eux-mêmes choisis par d'autres instances non-élues triant les problèmes et définissant les termes et les limites dans lesquels ils pourront être résolus - n'est rien d'autre qu'une oligarchie.
La liberté proclamée dans ces conditions confine au ridicule : le peuple déclaré "libre" n'a de liberté que la liberté de l'oiseau dans sa cage, libre d'aller d'un barreau à l'autre, ou celle d'un prisonnier dans sa cellule, libre d'aller d'un mur à l'autre, sans jamais pouvoir sortir de sa cellule. Cette image n'est pas excessive. Ainsi, selon l'article bien nommé "89"... de la Constitution de la Ve république actuellement en vigueur, "La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision". C'est la dernière phrase de la constitution de 1958. Le peuple tout en étant déclaré "libre" et source de la loi via la Volonté générale ne peut revenir sur la "forme républicaine du gouvernement", même s'il le voulait, cela ne lui est pas permis. Le peuple n’est donc pas "libre", ni même "souverain".
Un exemple concret de ce refus opéré par les révolutionnaires, de laisser libre le peuple de choisir (entre république ou monarchie) est celui de 1797. Cette année-là, un coup d'Etat opéré par trois directeurs - Barras, Reubell, La Revellière, le 18 fructidor an V, 4 septembre 1797 - avec l'appui de Bonaparte, contre leurs deux collègues Carnot et Barthélemy "annihile... l'écrasant succès des royalistes aux élections législatives, qui pouvait ouvrir la voie à une restauration monarchique" (Frédéric Bluche, Stéphane Rials, Jean Tulard, La Révolution française, Que-sais-je ? Puf, Vendôme 2004, p. 116.) Autrement dit, encore une fois, une minorité refuse le jugement "souverain" du peuple... On verra la chose se reproduire en 2005 par exemple, lorsque le referendum rejeté par le peuple français sur le Traité européen fut malgré tout imposé de force au "Parlement" sur décision de Nicolas Sarkozy.
Patrice Gueniffey explique en ourtre, que de ce système "représentatif" ... "on ne peut dire qu'un peuple est libre parce qu'il jouit de la faculté d'élire ses gouvernants" (les électeurs sélectionnent ceux qui décideront en leur nom sans réellement les choisir) ou même parce qu'il jouit de la faculté "de choisir une politique plutôt qu'une autre parmi les programmes qui lui sont proposés" (les termes des problèmes sont délimités par d'autres instances non-élues), ... il s'agit là, écrit-il, "de conditions indispensables à la liberté, mais en elles-mêmes insuffisantes. Un peuple est libre lorsqu'il dispose de moyens qui lui permettront d'approuver ou de sanctionner régulièrement" (P. Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 210.)
(2) Le mépris d'un peuple jugé "stupide", appelé la "populace", est à l'origine de l'adoption du régime "représentatif" par têtes.
La représentation par têtes permet la confiscation du pouvoir par une oligarchie "éclairée" - toujours en lien avec la banque - régime représentatif qui incarne le soit-disant "pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple".
Tocqueville (dans La Démocratie en Amérique) percevait qu'un Etat sans religion devenait lui-même une religion. C'est particulièrement vrai dans la démocratie moderne dite "représentative", où la libre définition du bien et du mal, des valeurs collectives, est laissée au choix d'une 'majorité'" par le jeu de la Volonté générale. La religion devait empêcher l'état démocratique "de tout concevoir", lui défendait "de tout oser" (Tocqueville cité in Yves-Marie Adeline, Histoire mondiale des idées politiques,Ellipses, Paris 2007,p. 372.) Mais très vite, la démocratie représentative, suivant sa pente naturelle du nombre, s'est émancipée de cette exigence morale et du frein représenté par la religion.
Le projet de Tocqueville consistant donc à se servir de la religion comme contre-pouvoir, refuge de valeurs stables et antigoniennes (une morale d'obligation, de ob-ligere: lier par le haut), rempart à la tyrannie démocratique est inopérante quand le régime soit-disant "représentatif" du peuple ne représente que les intérêts de l'oligarchie.
Pour solutionner ce problème de la confiscation du pouvoir par une minorité ploutocratique (banque) il faut penser et réfléchir à un autre type de "représentation" que le régime "représentatif" qui est issu de 1789.
L'idée est d'affranchir la "représentation" des principes révolutionnaires hérités de 1789 [voir la Ière partie : âge d'or, homme nouveau, volontarisme, constructivisme, volonté humaine, volonté générale, souveraineté nationale] et de permettre à tous les corps de la nation de participer réellement à la vie politique suivant leurs poids réels dans la société. Cette représentation sincère existait sous l'Ancien Régime sous la forme des Etats généraux où les députés étaient dotés de mandats impératifs de sorte qu'ils ne pussent être otages d'intérêts oligarchiques. Dans tous les cas, et quoiqu'il en soit de l'histoire des Etats généraux, "absolutus, venant du verbe absolvere (délier), ... monarchia absoluta signifie monarchie sans liens, et non pas sans limites" (François Bluche, Louis XIV, Fayard, Paris 2002, p. 186.) La personne du roi était indépendante, elle ne dépendait d'aucune puissance (d'argent), d'aucun parti, d'aucun lobby... Ceci explique pourquoi la banque au XVIIIe siècle a tout fait pour supprimer la monarchie "absolue" de droit divin. Un roi indépendant et souverain est bien plus difficile à corrompre qu'une majorité de députés "représentatifs".
Dans ces conditions, il faudra bien cerner le rôle réel des "partis politiques" et analyser de quelle manière leurs dirigeants sont des pantins aux mains de l'oligarchie.
« On aurait donc bien tort de croire que l'ancien régime fut un temps de servilité et de dépendance. Il y régnait beaucoup plus de liberté qu'aujourd'hui. »
(Alexis de Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution, 1856)
Rappelons que dans la rhétorique révolutionnaire de 1789, le "peuple" est tenu comme "toujours prompt à l'erreur". Quantité de textes illustrent le propos.
"Citons Condorcet : 'Comme ces Messieurs - il s'agit des parlementaires - ignorent l'opinion ou la méprisent, ils ne seront jamais jaloux que d'avoir les faveurs de la populace', (Correspondance inédite de Condorcet et de Turgot, p. 202). Et encore Condorcet, Réflexions sur le commerce des blés, Londres, 1776, p. 140 : 'Quand on parle d'opinion, il faut en distinguer trois espèces : l'opinion des gens éclairés, qui précède l'opinion publique et finit par lui faire la loi; l'opinion dont l'autorité entraîne l'opinion du peuple ; l'opinion populaire enfin, qui reste celle de la partie du peuple la plus stupide et la plus misérable..." (Condorcet cité in Mona Ozouf, L'homme régénéré, Essais sur la révolution française, Nrf Editions Gallimard, Mayenne 1989, p. 33).
"Pour d'Holbach, 'quoiqu'on nous répète tous les jours que l'homme est un être raisonnable, il n'y a qu'un très petit nombre d'individus de l'espèce humaine qui jouissent réellement de la raison ou qui aient les dispositions et l'expérience qui la constituent' (D'Holbach, Système de la Nature, 1770, t. 1, p. 129, cité in Xavier Martin, Nature humaine et Révolution française, Du siècle des Lumières au Code Napoléon, Dominique Martin Morin, Mayenne 2002, p. 219.)
... Pour Voltaire, le peuple français 'sera toujours un peuple ignorant et faible, qui a besoin d'être conduit par le petit nombre des hommes éclairés' (A Chamfort, en 1764; Voltaire, Corr., t. 7., p. 624, cité in X. Martin, ibid., p. 219-220.)
... [A]ux yeux de Rousseau, il ne convient pas de dilapider les connaissances auprès d''une populace indigne d'en approcher' (Rousseau, Discours sur les Sciences et les Arts, 1750, dans oeuvres complètes, t. 3., p. 29. Un thème si voltairien (Cf. Par ex. Voltaire, Corr. t. 8, p. 819, en 1767, à Frédéric II, sur la 'canaille qui n'est pas digne d'être éclairée'.); la 'multitude aveugle' avait besoin d'un grand législateur pour faire à sa place le contrat social (Rousseau, Contrat social, 1762, L. II, chap. 6, p. 380, cité in X. Martin, ibid., p. 219-220.) 219-220.)
... On comprend dans ces conditions, que Cabanis ait pu saluer dans la constitution du Consultat ce qu'il appelle 'la bonne démocratie', pour cette raison expresse, et sans ambiguïté, que rien ne s'y ferait par le peuple !" (X. Martin, ibid., p. 221.)
Ce mépris du peuple explique pourquoi les démocrates républicains ont choisi de limiter l'exercice réel du pouvoir à la désignation de "représentants" choisis par eux-mêmes.
"Les sophistes l'ont dit, pour le triomphe de leur égalité et de leur liberté, il faut que les suffrages cessent de se peser par ordre, qu'ils se comptent par têtes." (A. Barruel, ibid., p. 456). Pour le triomphe de l'égalité, sans doute, mais pour le triomphe de la liberté, c'est moins sûr !
S'agissant de cette "liberté", il se pose ici un problème d'ordre philosophique. Yves-Marie Adeline se demande si le souci de l'égalité, la représentation par têtes, c'est-à-dire le nombre, suffisent à "fonder la raison" et à "garantir que la loi veut le bien ?" (Cf. Yves-Marie Adeline dans Histoire mondiale des idées politiques, Ellipses, Paris 2007, p. 108.) Le bien donc la liberté du peuple. Or, le nombre (représentation par têtes) ne fait pas toujours la vérité, et l’erreur ne devient pas vérité en se multipliant. C'est donc que le bien et la liberté du peuple ne peuvent être induits du nombre, mais d'un autre fondement, comme nous le verrons ci-dessous.
Dans le régime dit "représentatif", les élus ont des mandats indirects, ils sont indépendants de leurs commettants, et sont transformés en "représentants" de la nation ... "chargés, nous dit François Furet, de la part véritablement royale du procès politique: élaborer par leur délibération collective la volonté nationale. ... Délibérer, légiférer, dire et incarner cette volonté ... telle est la vaste prérogative donnée par la Révolution - Assemblée constituante, Assemblée Législative, et Convention ensemble - ... à la 'représentation nationale', à l'abri de tout contrôle d'en-bas; si vaste que Carré de Malberg l'a analysée comme un 'absolutisme parlementaire' et Marcel Gauchet, plus récemment, comme un 'rousseauisme à représentants'." (F. Furet, préface in Patrice Gueniffey, Le Nombre et la Raison, La Révolution française et les élections , préface de François Furet, Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales, Paris 1993, p. V-VI.)
Pourquoi nous ne fêtons pas 1789 Vidéo basée sur le poème que Pierre d'Angles fit en janvier 1989, afin d'expliquer son refus de fêter le bicentenaire de la révolution de 1789.
Conférence de Patrice Gueniffey sur la Révolution française et l'Empire aux Jeudi La Procure 28/05/11
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