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18 avril 2014 5 18 /04 /avril /2014 21:39

Un article inattendu publié sur "blogs.mediapart" par Pierre-Antoine, intitulé "Le caractère aristocratique des éléctions", évoque la nécessité de changer les institutions pour obtenir enfin un vrai changement, une vraie alternative politique. L'auteur dénonce le régime ploutocratique (sans le mot) de la démocratie moderne et conclut avec raison : "aucune alternative politique réelle n'est possible sans changement de ces institutions." Voilà qui est dit !

Vous trouverez ensuite plus bas, deux videos illustrant bien le propos, une du philosophe Jean SALEM et une de Francis DUPUIS-DERI, professeur en sciences politiques, qui explique bien l'histoire politique du mot "démocratie moderne", un système qui explique-t-il, a été inventé par des gens qui haïssaient la démocratie comme pouvoir et souveraineté du peuple et ont conçu un système leur permettant d'empêcher le peuple (jugé irrationnel et dans l'obscuritisme) de se gouverner seul... L'imposture démocratique éclate au grand jour, tend de plus en plus à être connue, discutée et commentée.

F. DUPUIS-DERI soutient également qu'il y avait plus de démocratie avant 1789 qu'après... : "La modernité est une époque qui est moins démocratique que celle d'avant !"

 

Extrait :

 

Il faut donc le dire encore : l'élection est aristocratique dans son principe et construit une oligarchie en pratique. Si on peut concéder le caractère partiellement démocratique de l'élection tel que l'a montré Bernard Manin, pour citer celui qui a le mieux systématisé et approfondi la théorie des « principes du gouvernement représentatif », ce n'est qu'en comparaison aux systèmes de cooptation, d'achat des charges ou d'héritage de celles-ci (Bernard MANIN, « Principes du gouvernement représentatif », Flammarion, réédition 2012). La seule chose qui donne à l'élection son caractère démocratique, ce n'est pas l'élection mais l'universalité du suffrage.

 

[Note de Christ-Roi. Cette assertion de l'auteur nous semble bien hâtive. En effet, en 1793 par exemple, l'universalité du suffrage n'a pas empêché le génocide vendéen... ni n'a été une garantie contre "la première logique totalitaire de l'histoire" (Stéphane Courtois). Le suffrage universel a même autorisé l'apparition de régimes totalitaires en 1793 et en 1932 avec l'arrivée du nazisme au pouvoir. En 1932, Hitler  comprit à la suite de son putsch raté en 1923, qu'il ne pourrait accéder au pouvoir que par la voix démocratique et il fit le pari du suffrage universel. En revanche, en Russie, inversement, la première assemblée élue au suffrage universel en mars 1917 fut aussi la dernière avant 1991... Lénine comprit, lui, en 1917-1918, "que jamais il ne pourrait réussir cette prise de pouvoir en participant au processus démocratique inauguré en Russie depuis mars 1917 et que sa seule chance résidait précisément dans la destruction de cet embryon de démocratie." Ce qu'il fit dans la nuit du 18 janvier 1918 : "l'Assemblée est dispersée par la force. Sa mort officialise la naissance du régime totalitaire (communiste)" (Cf. Stéphane Courtois, "Communisme et Totalitarisme", Tempus, Paris 2009, p. 80, 86.)

 

En fait, le suffrage universel n'est pas une protection ou une garantie de la démocratie : "[L]a possibilité donnée aux citoyens d'élire leurs gouvernants n'est pas en elle-même démocratique. Ce qui démocratise le gouvernement représentatif, c'est plutôt la possibilité pour les citoyens de renouveler à intervalles réguliers, donc de juger, leurs dirigeants (B. MANIN, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995). C'est la seconde élection, et non la première, qui constitue le système démocratique (P. AVRIL, "Essais sur les Partis", Paris, LGDJ, 1986.) (P. Gueniffey, Histoire de la Révolution et de l'Empire, Perrin Collection Tempus, Paris 2011, p. 77,78.)

 

Il n'est pas non plus interdit de réfléchir aux liens entre l'élection de la Convention dite "nationale" en France en 1792, une assemblée élue pour la première fois au suffrage universel masculin afin de donner une nouvelle Constitution à la France, rendue nécessaire par la déchéance de Louis XVI lors de la "Conspiration du 10 août 1792" (Abbé Barruel), ourdie par Brissot [Voir  Lucien Jaume dans Le Discours jacobin et la démocratie : l'auteur parle d"insurrection" qui "n'est pas spontanée", "une collusion supposée entre Lafayette et les amis de Brissot".., un "Directoire secret" dont les "manifestants" "ont été préparés politiquement et militairement", dont "une synthèse a été fournie par G. Maintenant" : Les Jacobins, coll. Que sais-je? PUF, Paris 1984, p. 52-58.], et la Terreur qui s'en suivit avec le génocide vendéen..., difficilement compatibles avec la "démocratie" entendue comme pouvoir du peuple...]

 

... Lorsque le suffrage est universel, poursuit l'auteur, il y a une base démocratique au processus de dévolution des pouvoirs, MAIS le résultat de ce processus - les élus - lui n'est pas démocratique.

Si le mot démocratie est utilisé, c’est pour sa fonction de légitimation. Elle joue comme une onction dont le caractère rituel est évident (ce caractère rituel n’est pas nouveau, voir Olivier Christin, « Vox populi. Une histoire du vote avant le suffrage universel », Seuil, p. 66). Un politiste canadien a récemment publié sa thèse dans laquelle il démontre comment le mot démocratie a été complètement détourné de son emploi par les républicains à partir des révolutions américaine et française (cf. Françis Dupuy-Déri, « Démocratie, Histoire politique d'un mot ») [Voir videos ci-dessous NdCR.]. Les candidats américains aux élections se sont rendu compte qu'ils se faisaient élire lorsqu'ils se disaient démocrates, et comme par magie, ils sont nombreux à être devenus démocrates.

Nous ne sommes pas tous égaux dans l'élection, nous le sommes uniquement devant le vote... L'égalité est alors simple illusion, et le caractère démocratique plus qu'insuffisant pour être accordé au régime politique qui utilise principalement ce procédé comme moyen de désignation des gouvernants. Aussi, il faut réfuter l'idée selon laquelle l'élection est l'instrument de réalisation de la démocratie. Cette présentation n’a pas simplement pour vocation d’être une présentation « jolie » ou « ordonnée » des régimes politiques, mais elle permet d'expliquer un ensemble de phénomènes que certains attribuent à des complots plus ou moins étendus.

Argent-Roi.jpgOn constate, c'est flagrant aujourd'hui, que les élus ne sont pas représentatifs (ni sociologiquement -hommes de plus de 50 ans issus de classe non-populaires - ni idéologiquement - surreprésentation des deux partis dits de gouvernement que sont l'UMP et le PS par rapport à leurs forces réelles aux premiers tours, on peut aussi rappeler la distorsion flagrante à propos du Traité constitutionnel européen) ou qu'ils sont des carriéristes, des professionnels de la politique quand ils ne sont pas tout simplement corrompus ou malhonnêtes. On constate d’ailleurs la naissance d'une oligarchie au niveau mondial dont les liens sont étroits entre représentants politiques et finance. Hervé Kempf a fait une synthèse saisissante de cette « oligarchisation » du monde (H. KEMPF, « L'oligarchie, ça suffit, vive la démocratie ! », Seuil).

 

En faisant ce constat, on est tenté de croire qu'il y a un "système" à faire tomber, comme le scande le Front national. Ce parti se dit d'ailleurs régulièrement "anti-système". Mais qu'est-ce que ce système ? Dans la pensée du Front national, il s'agit d'un ensemble d'hommes et de femmes, de clans, celui de "l'UMPS". Comme c'est un système, il suffit au FN et à ses affidés de dire "tous pourris", et de prétendre qu'il suffit de les mettre à leur place pour que cela aille mieux.


Il ne suffirait ainsi de remplacer les gens actuellement au pouvoir pour que le système disparaisse. Or, ce n'est pas une question de personnes, mais une question d'institutions [C'est ici rapporté à la "démocratie", le point de vue du royalisme légitimiste: ce n'est pas la personne du roi qui prime, c'est les institutions. Même avec un roi mauvais, la qualité des institutions entraîne un cycle vertueux du pouvoir. NdCR.]: ce sont les institutions qui prédéterminent les caractères les plus courants des personnes désignées pour gouverner (comme le dit Bernard Manin, « Parce que l’élection est un choix, elle comporte ainsi une dynamique interne qui fait obstacle à la désignation de citoyens semblables aux autres », in « principes du gouvernement représentatif » op. cit., p. 182). Évidemment, cela ne signifie pas que tous les élus sont dépourvus de vertu, mais que ceux qui sont vertueux ne peuvent être élus que de manière marginale, parce que l'élection est une compétition dans laquelle la vertu réelle n'est pas un atout (puisqu'elle n'est pas déterminable ; et la vertu peut se feindre), mais plutôt un handicap (pour être élu, il faut être prêt à jouer les jeux d'appareils, les trahisons et reniements). C'est en cela que l'élection n'est pas démocratique : il faut un titre particulier pour gouverner.  La démocratie, elle, est « le pouvoir propre à ceux qui n’ont pas plus de titre à gouverner qu’à être gouvernés » (Jacques Rancière, « La haine de la démocratie », Éd. La Fabrique, 2005, p. 54).

L'enjeu est de taille : aucune alternative politique réelle n'est possible sans changement de ces institutions.

Pour aller plus loin :
Françis DUPUY-DERI, « Démocratie, Histoire politique d'un mot », Lux Editeur, 2013
Hervé KEMPF, « L'oligarchie, ça suffit, vive la démocratie ! », Seuil, 2011
Bernard MANIN, « Principes du gouvernement représentatif », Flammarion, réédition 2012
Jacques RANCIERE, « La haine de la démocratie », Éd. La Fabrique, 2005, p. 54
Jean SALEM, « Election piège à cons », Flammarion, 2012

On peut égalemment consulter le site d'Etienne Chouard.

 

Source: http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-antoine/240314/le-caractere-aristocratique-des-elections

 

 

 

 

 

Extrait de "Ce soir ou jamais" du 27-03-2012 de Frédéric Taddeï.

 

Jean SALEM : « Comme le dit Tocqueville, il ne faut surtout pas croire que du vote universel sortent nécessairement les meilleurs. 37,3% premier parti de l'Allemagne en 1932, le NSDAP. Cela a été enfin dit ce soir sur le plateau ... il est bon de se rappeler que tout ne coule pas à l'élection et tout n'en dérive pas, notamment la vertu et le bon droit".

 

JEAN-SALEM--Elections-piege-a-cons.jpgEn disant cela, Jean SALEM qui dit qu'il "n'appelle pas à l'abstention" mais "au premier tour votera Jen-Luc Mélenchon à reculons" et "au deuxième tour blanc-blanc", jette néanmoins une pierre dans la mare révolutionnaire de 1789 : "D'une certaine façon, les hommes de 1789 se font une haute idée de l'élection. Trop haute... Ils voient en elle une protection et une garantie. Ils la croient capable d'assurer que les élus aurront un intérêt identique à celui de leurs électeurs. Ils lui prêtent même la vertu de supprimer toute distinction entre représentés et représentants, de telles sorte que les premiers gouverneraient réellement à travers les seconds", explique Patrice Gueniffey in La Politique de la Terreur, Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 60.) Le mythe est ... condamné à un démenti permanent, dans la mesure où l'élection produit toujours et nécessairement une différence réelle entre le peuple et ses élus" (ibid., p. 60.)

 

Jean SALEM poursuit en dénonçant le «cirque électoral».

 

«Le cique électoral, ce sont les popoms girls et les pluies de confettis sur des conventions pliées à l'avance dont l'Empire nous donne le modèle, le parti républicain, le parti démocrate aux Etats-Unis. Ce sont les dynasties électives. Ce qui est le plus fort, c'est qu'elles sont électives ! Je dresse la liste d'une vingtaine de chefs d'Etat dans le monde. Elles sont électives parce que par le canal du suffrage universel ou du vote, on arrive à faire que les peuples reconduisent monsieur en général, rarement madame, qui a été fils de monsieur l'ex-président.»

 

 

Le pouvoir confisqué.

 

«Le citoyen a l'impression que tout se décide ailleurs. Rousseau disait déjà le peuple anglais croit qu'il est libre, il ne l'est que durant l'élection de son parlement. Si tôt qu'il est élu (ce parlement), le peuple n'est plus rien, il est esclave, poursuit Jean SALEM.

 

...Quand les peuples votent bien, les beni oui oui les encensent, quand il vote mal on fait revoter les peuples, ou on déjuge les peuples puisque une chambre haute ou une chambre basse, ou un Congrès quelconque défait ce qu'ils ont décidé : France 2005, mais aussi Pays-Bas, Irlande, etc. L'hyper abstention : 60% des gens sont restés à la maison dans l'Europe des 27 à l'occasion des élections européennes (2009 NdCR.), et dans le contexte national, on a vu lors de l'affaire du quinquennat en 2000 près de 70% d'abstention. Donc on en est là, le désert à l'américaine, le fait qu'un président aux Etats-Unis est élu avec 25% des voix, 30% des inscrits quand c'est un vote triomphal comme dans le cas d'Obama. Tout cela mérite une inquiétude» (étant donné le taux d'Abstention complète l'animateur Frédéric Taddeï.)

 

Le cirque de l'élection ininterrompue. [Voir notre article du 2 février 2007 "Le gouvernement gouverné"]

 

«Au cirque néolibéral de la réforme ininterrompue s'adjoint son compère qui est le cirque politico- médiatique de l'élection ininterrompue, c'est-à-dire notamment le sondage, les courbes qui montent et qui descendent et qui se croisent, choses qui n'ont à l'évidence que de moins en moins d'intérêt puisqu'on fait des grosses majorités relatives avec des fractions du corps électoral de plus en plus petites.

 

... La première farce c'est que le Parti socialiste ait voulu nous vendre le directeur du Fonds monétaire international comme candidat de la gauche en pensant qu'au 2e tour les foules de gauche allaient reporter leurs voix pour des gens comme ça qui nagent dans l'argent.»

 

Pour Francis Dupuis-Déri, la démocratie n'est pas celle que l'on croit et son histoire est encore plus méconnue. Détestée et ridiculisée pendant des siècles, la démocratie était vue comme le pire des régimes pendant des générations en Occident. Dans Démocratie. Histoire politique d'un mot (Lux éditeur, 2013), le professeur au Département de science politique de l'UQAM conclut avec fracas : "le Canada n'est pas une démocratie et ne l'a jamais été".

 

"Au XVIIIe siècle, la démocratie dans les textes ou discours à l'assemblée de ceux qu'on va appeler les fondateurs de la "démocratie moderne", c'est un terme péjoratif, c'est négatif. Personne ne se dit démocrate... Ils ne veulent absolument pas que le peuple puisse se gouverner seul.(Francis Dupuis-Déri)

 

 

 

 

 

 Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l'UQAM :

 

«La question que je me suis posée au départ de ma recherche, c'était un mystère ou une énigme -je n'étais pas le premier à m'en rendre compte-, j'essaie de comprendre pourquoi quand on retourne dans les textes de l'époque, au XVIIIe siècle, ceux qu'on va appeler les fondateurs de la démocratie moderne (aux Etats-Unis, ce sont des gens comme George Washington, en France, on peut parler des révolutionnaires comme Robespierre ou Danton), dans leurs textes, ou discours à l'assemblée, c'est un terme péjoratif, c'est négatif. Les démocrates ce sont toujours les autres et personne ne se dit démocrate. Ceux qui ont fondé la démocratie moderne sont en fait anti-démocrates. Deux générations plus tard, vers les années 1830-40, les élites politiques ont commencé à dire, dans ces deux pays, "finalement on vit dans une démocratie, on est démocrates." Et c'est un mot qui résume bien la fiction de notre système politique qui est de nous faire croire que les gens qui sont élus, qui nous gouvernent, gouvernent en fait en notre nom et que c'est le peuple qui est le vrai pouvoir. Ce qui est évidemment un mensonge. Ce n'est pas parce que l'on vote que l'on a le pouvoir. Choisir qui a le pouvoir ce n'est pas avoir le pouvoir.

 

On vit dans des aristocraties élues puisque c'est une petite minorité qui nous gouverne. On peut considérer que c'est une bonne idée, que c'est génial, que c'est mieux qu'une vraie démocratie, mais en tous les cas ce n'est pas une démocratie.»

 

Francis-Dupuy-Deri-democratie-histoire-d-un-mot.jpg

 

« Selon moi et selon d'autres, poursuit  Francis Dupuis-Déri, le peuple n'a pas vraiment le pouvoir dans nos régimes .

 

... Dans l'histoire de la philosophie politique en Occident, dès l'Antiquité mais avec la modernité aussi avec des gens comme Spinoza ou Rousseau (Rousseau c'est bien connu) et Montesquieu et d'autres, ils distinguent l'élection de la démocratie. Pour eux, l'élection, si l'on doit voter pour se donner des maîtres, des chefs, des dirigeants, c'est qu'on veut identifier les meilleurs logiquement, c'est que l'on constate que nous ne sommes pas tous égaux pour décider et on doit s'en nommer quelques uns et donc l'élection est un processus aristocratique.

 

L'élection, c'est un processus par lequel on nomme une petite clique de personnes qui vont nous diriger et cela ne relève pas de l'esprit démocratique, cela relève de l'esprit de l'aristocratie. Evidemment ce n'est pas une aristocratie comme on l'entend traditionnellement, de père en fils, une aristocratie héréditaire par le sang, mais c'est une aristocratie élective, une aristocratie élue, et donc c'est ce que l'on a par exemple en ce moment à Québec avec 125 députés. 125 députés sur 7 millions d'habitants, on peut s'entendre que c'est une toute petite clique qui dirige le Québec, en termes politiques.

 

Le referendum, c'est un processus que l'on perçoit comme plus démocratique justement parce que là, le peuple peut directement se prononcer sur une décision ou un choix clair, pas simplement se nommer des dirigeants ou des chefs. Ceci dit, au Québec les référendums sont consultatifs, ils n'ont jamais force de loi. Dans notre système ici c'est "up down", du haut vers le bas.  

 

En fait la fameuse question en philosophie politique, c'est qui décide ? Quel est le meilleur régime ? Et la question du meilleur régime c'est "qui peut prendre les meilleurs décisions" ?

 

Dans la philosophie politique dans l'histoire, il n'y a finalement que trois ou quatre solutions. Soit c'est une seule personne qui décide, c'est ce que l'on va appeler une monarchie. Evidemment les critiques de la monarchie vont dire que c'est plutôt une dictature; il peut y avoir une minorité de gens qui décident, ce sera une aristocratie : cela peut être des grands prêtres, des chevaliers, des guerriers, des nobles, cela peut être des élus (les députés par exemple, ça c'est une aristocratie élective, une minorité qui décide); on peut avoir la majorité qui décide, donc là vous avez la démocratie; et puis on pourrait dire qu'il y a un quatrième type de régime qui serait l'anarchie où là, c'est tout le monde vraiment qui s'entend sur chaque décision, c'est un système consensuel, il n'y a pas d'imposition de la décision par la majorité par exemple, comme en démocratie. Et donc ce qui est important de voir, c'est comment on fait fonctionner le processus de prise de décision. Qui participe en fait.

 

Pourquoi-l-on-a-fait-1789.jpg

 

Dans la Déclaration d'Indépendance américaine des Etats-Unis de 1787 on ne retrouve aucune fois le mot "démocratie".

 

Ce que j'essaie de démontrer dans le livre, ce que l'on va appeler les "pères fondateurs" de nos "démocraties modernes" ou en tous les cas ce que l'on va appeler "démocraties modernes" (soit aux Etats-Unis, soit en France), constatent que Athènes est un mauvais modèle. Pour eux, si l'on a un modèle à imiter de l'antiquité c'est probablement Rome, peut-être Sparte, mais en tout cas certainement pas Athènes parce qu'ils ne veulent absolument pas que le peuple puisse se gouverner seul.

 

En fait, le mot démocratie n'est jamais utilisé ou très rarement utilisé au moment de la Révolution française ou de la Guerre d'Indépendance aux Etats-Unis. Et quand il est utilisé c'est presque toujours pour critiquer un adversaire et le délégitimer. Donc on ne se revendique pas démocrate mais on accuse l'autre d'être démocrate. Démocrate était en soi un mot dénigrant. Le démocrate c'était par définition le jeune de 20-22 ans, un peu idéaliste qui n'avait pas encore de responsabilité dans la vie, et qui voulait trop de liberté, un peu d'aventures et qui n'était pas très sérieux politiquement. Des politiciens comme John Adams (2e président des Etats-Unis) et d'autres disent : "C'est normal d'être démocrate à 20 ans mais franchement à 40 ans ce n'est pas sérieux."

Et les démocrates, c'est ceux qui sont considérés comme voulant des transformations trop radicales au niveau politique, et surtout aussi, au niveau économique. Ce que l'on a oublié un peu aujourd'hui, c'est que au XVIIIe siècle, le démocrate c'est celui qui est du côté de pauvres et contre les riches, c'est celui qui veut un système économique égalitaire. Et les élites républicaines sont contre l'égalité économique, elles sont d'ailleurs généralement membres de l'élite financière, et donc elles se sentent menacées par la démocratie en fait et donc elles fondent un régime anti-démocratique [au sens que ce n'est pas la majorité réellement qui décide... mais des minorités, NdCR.].

 

Le roi au Moyen Âge ne sert pas à grand chose : une histoire de la démocratie médiévale qui est complètement oubliée

 

Il y a une forme de démocratie qui persiste justement (durant "les mille ans de monarchie"), dans les villages, dans les communes. Rien de comparable entre Athènes où s'assemblaient, 4, 5, 6000 personnes pendant une journée pour prendre des décisions directement et dans le cas du Canada,  les personnes qui le soir regardent la télévision. C'est deux systèmes complètement différent. Mais ce que l'on oublie, ce que je ne savais pas avant de commencer cette recherche, c'est que par exemple au Moyen Âge en Europe il y a une vie démocratique absolument extraordinaire. Le Moyen Âge, c'est en fait des milliers de petits villages qui fonctionnent de façon auto-gestionnaire par assemblées d'habitants. La communauté d'habitants de tels villages, est une entité juridique. Elle a en partage des terres communales, un bois, peut-être un moulin, un puits, des terres, des Etats, etc. Et elle gère ce patrimoine commun dans des assemblées. Il peut y avoir dix, quinze assemblées dans l'année. Et ces villages, en fait, n'ont à peu près aucun contact avec le "roi". Le roi au Moyen Âge ne sert pas à grand chose. Il fait des fêtes, il fait la guerre, il fait la chasse, et surtout il veut des taxes, des impôts. Mais il ne connait à peu près pas sa population, il n'offre aucun service. Il n'y a pas de ministère d'Education populaire, il n'y a pas de ministère de la culture, pas de ministère des sports, pas de ministère des transports. Donc il ne fait à peu près rien, c'est vraiment les communautés qui se gèrent. Et donc ça, c'est une histoire de la démocratie médiévale qui est complètement oubliée.

 

La modernité est une époque qui est moins démocratique que celle d'avant.

 

La modernité est antidémocratique. Et elle détruit la démocratie en fait, ou elle s'installe en fait à travers le colonialisme et l'impérialisme. Mais je ne suis pas le seul à le dire, poursuit  Francis Dupuis-Déri. Ce qui est à l'origine de mon travail par rapport à l'histoire du mot démocratie, c'est que je suis tombé sur des textes du XVIIIe siècle de ce que l'on appelle les "fondateurs de la démocratie moderne", aux Etats-Unis et en France, et leurs propos, quand ils utilisent le mot démocratie, ils sont contre la démocratie. Donc j'ai vraiment eu une interrogation. C'était pour moi un mystérieux. Je me disais comment comprendre que des régimes qu'on pense, que l'on associe nous aux plus grandes démocraties occidentales, comment comprendre qu'elles aient été fondées par des antidémocrates, qui étaient explicitement antidémocrates. C'était cela que je cherchais, je voulais savoir quand le mot change de sens, devient un terme positif et qu'il ne décrit plus des assemblées populaires mais il décrit un régime parlementaire électoral. C'était cela ma recherche et ma façon de trouver la réponse cela a été d'aller dans les textes de l'époque. Et au fur et à mesure qu'on va dans les textes, on trouve des réponses. Puisque on voit bien que les acteurs de l'époque changent le sens des mots pour des raisons politiques.

 

La-signature-de-la-Constitution-par-Christy--Washington--qu.png

La signature de la Constitution par Christy. Washington, qui préside la Convention et le couple Hamilton/Franklin au centre de la composition

 

  La démocratie c'est associé aux pauvres. Les pauvres pour eux sont associés à un problème à plusieurs niveaux en termes politiques. Les pauvres seraient irrationnels. À la limite ils sont capables de gérer leur quotidien, mais justement ils sont trop pris dans la gestion de leur quotidien. Et puis ils ne seraient que passion, ils ne seraient qu'émotion. Ils ne seraient animés seulement que par ces passions les plus basses, et donc on ne peut pas lui faire confiance non plus. Et puis (le pauvre) il serait plus facilement manipulable par les démagogues. Parce qu'il n'est qu'émotion il se laisse facilement influencé. Et puis en fait, il vient dans les assemblées pour défendre son intérêt individuel, catégoriel, particulier, et non pour penser au Bien commun. Et l'élite, elle, a la prétention - c'est plutôt arrogant - de dire que elle, elle est rationnelle, elle comprend le Bien commun et qu'elle est en fait la mieux placée pour prendre les bonnes décisions pour tout le monde.

 

La république et la démocratie ne sont pas des synonymes.

 

Abigail-Adams-par-Gilbert-Stuart.jpgComment sont accueillies les femmes dans la Révolution française ? Elles sont mal accueuillies. Bien évidemment, il y a des femmes des deux côtés. Du côté des forces républicaines et révolutionnaires, ... elles ont des clubs, des sociétés où on se rassemble pour parler de politique. Elles écrivent et elles veulent des droits. Elles veulent en fait les mêmes droits (que les hommes). Vous avez la même chose aux Etats-Unis, dont l'épouse de John Adams (premier vice-président des Etats-Unis et 2e président. NdCR.)  Abigail Adams. Elles lui écrit (dans une célèbre lettre de mars 1776, adressée à son mari qui siège alors au Congrès continental. NdCR.), elle lui dit "John, n'oubliez pas les femmes... quand vous créerez votre nouveau système politique." Et John Adams lui répond : "Chère Abigail, je ne peux que rigoler en entendant tes réclamations. On ne peut pas faire cela pour plein de raisons".

 

Si on regarde ce qui s'est passé aux Etats-Unis et en France, on voit que l'élite politique était tout à fait consciente que des femmes demandaients des mêmes droits. Donc ce n'est pas un oubli. Et même à cette époque, les femmes voyaient bien qu'il y avait un problème. Et donc dans le cas de John Adams, il dit que si on commence à donner des droits aux femmes, après les femmes vont commencer à en vouloir plus, puis après cela on sait bien ce qui va arriver, les autochtones vont en vouloir, les esclaves vont en vouloir et les jeunes vont en vouloir et les pauvres vont en vouloir. Et donc là cela va être le chaos complet. Donc on crée une république où ce sont les hommes propriétaires blancs qui vont gérer la politique.

 

Drapeau-americain-20-etoiles--1818-19-.gif

Drapeau américain 20 étoiles (1818-19)


Donc John Adams est intéressant à suivre parce qu'il s'exprime très clairement sur la démocratie. Lui avec d'autres comme James Madison, il dit qu'il ne veut pas fonder une démocratie. Il associe la démocratie aux pauvres et constate que dans une société bien ordonnée il faut que ce soit les membres de l'élite, la mieux éduquée, et les gens qui ont une certaine richesse qui doivent être ceux ou celles qui prennent les décisions. Et évidemment, il faut que cela soit des hommes et pas des femmes. Et donc en ce sens-là il est un très bon exemple de ces pères fondateurs de ce qu'on pense être des démocraties et qui n'étaient en fait qu'antidémocrates.

 

Comment expliquer qu'un régime fondé par des gens qui disent ne pas fonder une démocratie en vient à être dénommé démocratie par sa propre élite ? 

 

Quand on cherche aux Etats-Unis comme en France, vers 1830 environ (cela commence aux Etats-Unis mais cela se déplace très rapidement en France, c'est le même processus dans les deux cas), vous allez avoir au niveau des élections, des candidats (dans le cas des Etats-Unis, cela va être Andrew Jackson qui va être le premier à se dire "démocrate") parce que cela parle aux électeurs de la classe moyenne et plus pauvre, et cela permet de se présenter comme défenseur des petites gens contre les grands, les grands aristocrates, les grands riches, les grands politiciens, contre l'élite. C'est une sorte de discours un peu populiste finalement et qui fonctionne. Et donc en 10-15 ans, vous allez avoir aux Etats-Unis et bientôt en France, à peu près tous les candidats des campagnes électorales importantes qui vont se dire "démocrates", qui commencent à se battre entre factions, entre camps, entre partis finalement (qui a vraiment le droit de se dire "démocrate" et qui a volé l'étiquette de démocrate aux autres ?) Et ils ont tout à fait conscience à l'époque que c'est un jeu de mots finalement, c'est un jeu rhétorique pour séduire les électeurs...  

 

Si vous regardez le profil socio-économique des gens qui sont à l'Assemblée nationale aujourd'hui, il n'y a pas de pauvres. Ce sont généralement des gens qui sont riches.

 

... Et donc ce que l'on appelle aujourd'hui la démocratie, qui est le régime parlementaire, le régime électoral, est un régime où les pauvres ne participent pas à la prise de décision. Si vous regardez le profil socio-économique des gens qui sont à l'Assemblée nationale aujourd'hui, il n'y a pas de pauvres. Ce sont généralement des gens qui sont riches, qui ont des moyens, qui ont une profession libérale. Ce sont des avocats, des notaires, des notables. »

 

 

. Règne de la "démocratie" dans le monde : Près de la moitié des richesses mondiales est détenue par 1% de la population...

. L'imposture démocratique

. Le gouvernement gouverné

. La Mutinerie - Entretien avec Etienne Chouard (complet)

. 1789 : Une aristocratie en chasse une autre, naissance de la bourgeoisie d'affaires et de l'Argent-Roi, la ploutocratie

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