Béatrice Bourges : «La présence de Copé hier est clairement une tentative de récupération politique»
Dans un entretien publié aujourd'hui sur newsring.fr, Béatrice Bourges, porte-parole du Printemps français est revenue sur la Manif pour tous d'hier 26 mai. Elle a expliqué que « la présence de Copé hier est clairement une tentative de récupération politique », affirmé avoir vu de ses propres yeux « des policiers en civil enlever leur brassard orange pour se confronter à d’autres policiers, et faire croire à un affrontement avec des manifestants devant les caméras de télévision », et condamné un «État de plus en plus répressif».
Quel bilan dressez-vous de cette dernière mobilisation ?
C’est une véritable réussite dans la mesure où on y a trouvé des personnes plus déterminées que jamais. Le mouvement est resté très familial malgré les mises en garde excessives et la volonté de découragement de Manuel Valls et du préfet de police. Les manifestants ont bravé tout cela et se sont fait confiance pour protester de façon non-violente.
Plusieurs dizaines de personnes ont pourtant été interpellées dimanche après-midi, mais aussi avant et après la manifestation.
Pour ce qui est des arrestations qui ont eu lieu en amont de la manif, il faut dénoncer certains comportements des forces de l’ordre. Sur les Champs-Elysées, le député italien Luca Volontè, présent à Paris ce week-end, a assisté samedi soir à l'interpellation de plusieurs jeunes qui manifestaient contre la loi Taubira. Une personne qui lui expliquait ce qu’il se passait a même été arrêtée et mise en garde à vue. Le parlementaire italien s’est immédiatement étonné de ces violences policières en France. Parmi les personnes arrêtées dans la nuit de samedi à dimanche, il y avait aussi un avocat, présent pour filmer des arrestations abusives et des jeunes filles qui ont été malmenées par les forces de l’ordre ! On vit dans un Etat de plus en plus répressif.
Quant aux interpellations qui ont eu lieu dimanche, un simple chiffre : alors que les débordements survenus, le 13 mai dernier, au Trocadéro - dégradations, incendies de scooter, vitrines brisées, cars caillassés, etc. - avaient conduit à 20 gardes à vue, la manifestation de ce week-end en a provoqué 180. J’accuse Manuel Valls d’être un mauvais ministre de l’Intérieur. La violence, dont ont fait preuve ses services, est l’arme des faibles. Or, plus le ministère de l’Intérieur est violent, plus nous sommes non-violents: notre avantage est là. Que le ministre en tire les conséquences qu’il souhaite.
La manifestation de ce 26 mai se voulait donc entièrement non-violente ?
Des personnes ont certes commis des dégradations ce dimanche. Mais c’est un phénomène classique des manifestations. Dans ce contexte, l’agression d’un journaliste photographe de l’AFP est plus que regrettable. Mais, il s’agit là de voyous qui n’ont rien à voir avec la Manif pour tous. Rien ne permet d’ailleurs de dire qu’ils ont été arrêtés puisque, parmi les interpellés, des avocats ont signalé des erreurs de procédure: des personnes ne se sont pas vues notifier leurs droits, d’autres sont restées arrêtées plus de quatre heures sans se voir être formellement mises en garde à vue… La plupart d’entre eux n’ont même pas été retenus à Paris mais en banlieue, car les locaux parisiens sont saturés.
Nous sommes face à une répression policière guidée par une idéologie ! Ce que l’on voit des violences d’hier, ce sont des images en boucle du même endroit. Ayant passé la nuit sur l’esplanade des Invalides, avec les veilleurs de la Manif pour tous, j’ai vu de mes propres yeux des policiers en civil enlever leur brassard orange pour se confronter à d’autres policiers, et faire croire à un affrontement avec des manifestants devant les caméras de télévision. C’est surréaliste!
Selon un sondage paru dimanche, 72% des Français estiment que les manifestations d’opposants doivent cesser. N’était-ce pas la manif de trop?;
Non, pas du tout. La manifestation a permis au ministre de l'Intérieur et au gouvernement de voir que le peuple de France était très déterminé. Ils peuvent mentir sur les chiffres, mais les Français ne sont pas dupes. Les autorités avancent le nombre de 150.000 manifestants. Elles feraient mieux de dire 50 000. Tant qu’à être ridicule, autant l’être jusqu’au bout. En province, les manifestants étaient encore plus nombreux. Nous continuerons à nous mobiliser, mais sûrement avec des manifestations en province afin que cela ne coûte pas trop d’argent. Nous ne sommes pas là pour détruire mais pour construire autre chose. Malheureusement, nous avons été obligé de passer par une phase désagréable, la transgression. Nous l’assumons, même si elle ne fait pas plaisir à Monsieur Valls.
C’est très pratique de prendre le Printemps français comme bouc émissaire. Il parait que j’ai des amis fachos, dont je ne connaissais ni l’existence ni le nom... Même le GUD est ressuscité par Manuel Valls, alors que ce mouvement représente une vingtaine de personnes tout au plus. Quel danger pour la démocratie ! Cela me rappelle Alexandre Soljenitsyne, le dissident russe. Quand il est parti dans les camps de concentration, on disait de lui que c’était un danger pour l’URSS. Ça se passe ainsi dans les pays totalitaires. Je ne dis pas que c’est le cas en France, mais Monsieur Valls est une personne plus qu’autoritaire, qui dispose d’une arme de totalitaire. Heureusement qu’il n’est pas seul au pouvoir. Sans cela, la France deviendrait vite une dictature.
Soit Monsieur Valls n’est pas au courant qu’il n’y a pas de franges extrémistes dans le Printemps français, et dans ce cas il est incompétent et devrait démissionner. Soit il sait que le Printemps français comprend uniquement les membres de la manif pour tous lorsqu’ils sont dans la transgression. Ce qui est fort probable compte tenu de l’Etat policier qu’il développe.
Contrairement à de nombreux responsables de l'UMP, Jean-François Copé, lui, était présent lors de cette manifestation. Qu'en pensez-vous?
La présence de Monsieur Copé, hier, révèle clairement une tentative de récupération politique de notre mouvement. Le patron de l’UMP se découvre soudainement une forte opposition au mariage gay. Lorsqu’il était encore président du groupe UMP et que je me battais déjà contre cette possibilité d’union, il ne faisait pas preuve d’un si fort engagement et ne se rendait pas compte que mariage et adoptions étaient liés. Mais cette tentative ne marchera pas car nous sommes dans une recomposition politique qui va bien au-delà des partis. Le paysage politique est en train d’être refondé de fond en comble, non sur des valeurs politiciennes mais sur des valeurs d’humanité. Dans cette refonte, tous les politiques politiciens vont se voir balayés.
Cela ne se fera évidemment pas du jour au lendemain mais de manière progressive. Pour être proche de beaucoup de jeunes à travers ces manifestations, je constate que ces derniers sont très éloignés des schémas politiques classiques et décevants. La nouveauté est qu’ils ne s’engagent pas en politique proprement dit, mais sur des sujets de société, pour faire valoir leurs convictions. Ils font donc de la politique sans le savoir car ces sujets de sociétés sont éminemment politiques.
Pour autant, votre combat va-t-il au-delà des sujets de société ?
Il sera amené à s’étendre beaucoup plus loin, à tout ce qui touche à l’homme dans tous ses milieux: le monde du travail, la finance… Notre société est déshumanisée, idéologisée, voire cruelle pour les plus fragiles. Or nous aspirons à autre chose. Nous avons une vision de la société beaucoup plus humaine. Notre jeunesse a soif d’humanité et veut se battre pour une autre vision de la société.
Frigide Barjot a choisi de ne pas participer à cette dernière mobilisation car elle se sentait menacée. Y a-t-il des scissions au sein de la Manif pour tous ? Pourrez-vous à nouveau partager le même cortège avec elle ?
Ce combat était trop lourd pour Frigide Barjot. C’était une très grosse pression. Des personnes comme Ludovine de La Rochère (présidente de la Manif pour tous, ndlr) ont su résister à cette pression, et je leur tire mon chapeau, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. On ne peut évidemment pas les blâmer pour autant. Frigide Barjot jette l’éponge et elle en a le droit. Je lui suis même reconnaissante pour tout ce qu’elle a fait avant de changer son orientation, avant de déraper et de parler du contrat d’union civile.
Mais les gens ne s’étaient pas engagés pour ça, et lorsqu’on change les termes du contrat de façon unilatérale, ça ne plaît pas. Elle n’est donc pas venue le 26, car la base de la Manif pour tous s’opposait à sa nouvelle orientation. Mais je ne m'inquiète pas, Frigide Barjot a suffisamment de créativité, d’imagination et de sens de la formule pour pouvoir inventer quelque chose qui lui conviendra mieux.
- Petite synthèse de la Manif pour tous du 26 mai 2013
- Le printemps français est "un état d'esprit de résistance non-violente" (Béatrice Bourges)
- La partitocratie a-t-elle échoué à récupérer la Manif pour tous ?
- Ludovine de La Rochère : "il n’y aura pas d’homme politique qui interviendra au micro"
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