Au Sénégal, Barack Obama visitera la «Maison des esclaves» de Gorée
Au Sénégal, première étape de son voyage en Afrique qui commence ce jeudi (27 juin, NdCR.), le président des États-Unis visitera la «Maison des esclaves» de la petite île de Gorée, en face de Dakar. Cette villa rose à deux étages, classée au patrimoine de l'Unesco, est devenue pour le monde entier le premier lieu de mémoire de la traite négrière. Au rez-de-chaussée, on peut voir l'entrepôt où étaient entassés hommes, femmes et enfants ainsi qu'une issue étroite donnant sur la mer, appelée «Porte du voyage sans retour» par laquelle des dizaines de milliers de captifs sont censés être passés pour embarquer à destination des Amériques.
Passage obligé de tout dignitaire étranger, de François Mitterrand à George Bush ou à Nelson Mandela, la Maison des esclaves est aussi un lieu de recueillement pour les Afro-américains qui s'y rendent chaque année par milliers. Son destin singulier doit beaucoup à son ancien conservateur, Joseph Ndiaye, qui accueillit les visiteurs jusqu'en 2009 avec un discours plein d'émotions, dans lequel il décrivait avec force détails les souffrances des malheureux enchaînés dans les cellules, en route vers l'enfer de l'esclavage.
La première visite d'un président américain noir aura naturellement une résonance toute particulière. Et symbolique. Car c'est bien d'un symbole qu'il s'agit: Gorée n'a jamais été un grand centre de traite. La maison des esclaves n'a jamais été un entrepôt. Et la «porte du voyage sans retour» n'a jamais servi d'embarcadère vers l'horreur.
Ces affirmations iconoclastes ont fait scandale lors de leur publication, en décembre 1996, par le quotidien Le Monde. Le journaliste Emmanuel de Roux s'appuyait sur les travaux de deux historiens du célèbre Institut fondamental d'Afrique noire de Dakar (IFAN), un Sénégalais, Abdoulaye Camara, et un Français, le père jésuite Joseph Roger de Benoist. Les deux hommes démontaient tous les arguments de Joseph Ndiaye. Selon eux, la maison n'avait pas été construite par les Hollandais au XVIIe siècle, mais par des Français en 1783. A cette époque, disent les historiens, la traite européenne avait cessé sur les côtes du Sénégal.
Cette maison aurait été commandée par Anna Colas, une signare - une riche métisse. Les pièces du bas n'auraient pas été des cellules, mais des entrepôts pour la gomme arabique, l'ivoire et autres marchandises. Il y avait sûrement des esclaves, mais c'étaient des esclaves domestiques qui vivaient sur place.
La fameuse «porte du voyages sans retour» qui donne sur la mer, ne donnait pas sur un embarcadère, la côte étant trop rocheuse à cet endroit pour permettre aux bateaux d'approcher. D'ailleurs, même à l'époque du commerce des esclaves, l'île elle-même ne voyait transiter qu'entre deux cents et cinq cents d'entre eux par an, affirment toujours les historiens.
Au Sénégal, le choc fut rude. Le journaliste et les historiens furent parfois traités de «révisionnistes». Un an après les révélations du quotidien, un colloque en Sorbonne, intitulé «Gorée dans la traite atlantique: mythes et réalités» ne les démentit pas. Le point de départ de la légende de Gorée fut attribué au roman écrit par un médecin chef de la marine française, Paul-André Cariou, en poste dans l'île en 1940. Après l'indépendance, le président Senghor nomma l'ancien sous-officier des troupes coloniales Joseph Ndiaye conservateur de la Maison des esclaves, poste qu'il occupa jusqu'à sa mort en 2009. Son talent de conteur fit le reste.
Le 12 octobre 2012, lors de la visite de François Hollande à Gorée, l'africaniste Bernard Lugan, a démonté le mythe :
- « La véritable histoire de la « Maison des esclaves » a en effet été écrite notamment par deux historiens de l’IFAN (Institut fondamental de l’Afrique noire), Abdoulaye Camara, préhistorien et archéologue, ancien conservateur du Musée de Gorée puis du Musée d’Art africain de Dakar, et par le père jésuite Joseph Roger de Benoist, spécialiste de l’histoire du Sénégal. Le lecteur curieux pourra se reporter à ce sujet au journal Le Mondeen date du 27 décembre 1996 et à l’article intitulé « Le mythe de la Maison des esclaves qui résiste à la réalité ».
- L’histoire racontée par ces historiens est bien différente de la légende officielle de Gorée pieusement récitée par les guides locaux:
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1) Ce ne seraient pas les Hollandais qui construisirent la « Maison des esclaves » au XVIIe siècle, mais les Français et cela en 1783, donc à une période où la traite européenne avait cessé dans la région de la Sénégambie depuis plusieurs décennies. Une traite subsistait certes à cette époque, mais elle était à destination de l’Afrique du Nord et elle était pratiquée par des esclavagistes arabo-musulmans. Gorée ne fut pas concernée par elle.
2) Cette maison aurait été commandée par Anna Colas, une signare,c’est à dire une riche métisse.
3) Les « cellules » auraient été en réalité des entrepôts de marchandises.
4) Comme toutes les demeures coloniales de cette époque, la maison abritait une nombreuse domesticité et certainement même des esclaves qui y assuraient les tâches les plus ingrates, mais ce n’était pas une « esclaverie ».
5) A l’époque de la traite florissante, Gorée ne fut pas un centre esclavagiste. Au maximum du mouvement, c’est à dire au XVIIe et peut-être au début des XVIIIe siècles, les historiens estiment en effet entre deux cents et cinq cents le nombre d’esclaves qui y transitaient annuellement. - Et pourtant, il ne manque pas de lieux, réels ceux-là, où il est possible de voir comment était véritablement organisé l’odieux commerce des esclaves.
- J’en citerai un seul dans cette Afrique de l’Ouest littorale qui vit tant de royaumes africains esclavagistes vendre plusieurs millions d’hommes, de femmes et d’enfants à leurs partenaires européens. Il s’agit du fort de Cape Coast, situé au Ghana, à environ 200 kilomètres à l’ouest d’Accra et qui fut le principal point d’exportation des esclaves vendus par le royaume Fanti aux négriers anglais, hollandais et même suédois qui s’y succédèrent. Il serait également possible de citer, entre autres, Elmina à l’est de Cape Coast et Christiansborg (ou Osu) à Accra.
- La « mauvaise monnaie chassant la bonne », les petits arrangements avec l’Histoire sont peut-être favorables à l’industrie touristique de Gorée, mais, outre le fait qu’ils décrédibilisent ceux qui les cautionnent, ils risquent de faire le lit de ceux qui nient la traite esclavagiste ou qui la relativisent. »
- Source:
- http://bernardlugan.blogspot.fr/2012/10/francois-hollande-et-la-legende-goree.html
- et http://www.bvoltaire.fr/bernardlugan/quand-francois-hollande-cautionne-le-mythe-de-goree,1704
- Quand François Hollande cautionne le mythe de Gorée (Bernard Lugan) (octobre 2012)
- La franc-maçonnerie et l'histoire de l'esclavage