Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés.
A l'occasion du 350e anniversaire de la première apparition du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial à Sainte Marguerite-Marie Alacoque, religieuse mystique de l’ordre de la Visitation, François a publié, le 24 octobre 2024, l'encyclique Dilexit nos sur l'amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ ("Il nous a aimés"), qui porte sur la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, dont l'origine trinitaire est remarquable.
D'une spiritualité marquée par l'influence de l'École française ainsi que de la Compagnie de Jésus, l'encyclique se situe dans la continuité des sujets d'éthique sociale abordés par François au long de son pontificat. Elle se veut, à travers le thème de l'amour du Christ, une réflexion sur les difficultés du monde d'aujourd'hui, les douleurs et les souffrances.
La phrase Dilexit nos est une citation de l'Épître aux Romains (8:37), où Paul évoque le Christ. Elle se réfère également à l'Évangile selon Jean (ch. 15) et à la Première épître de Jean (ch. 4).
L'essentiel du contenu, qui occupe 130 pages, porte sur la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, courant spirituel popularisé à partir du XVIIe siècle et tombé peu à peu en désuétude au XXe siècle.
Ce texte s'inscrit dans la lignée des thèmes développés par le pape François depuis le début de son pontificat, notamment sa volonté de réhabiliter la piété populaire, où il voit une forme de théologie. Il encourage à ne pas enfermer cette dévotion dans un cadre individuel et à préserver son caractère communautaire.
L'encyclique se compose de cinq chapitres.
Le premier chapitre, intitulé "L'importance du cœur" (paragraphes 2-31), invoque le cœur de Jésus en lui demandant sa "compassion pour cette terre blessée qu’Il a voulu habiter comme l’un de nous".
Le deuxième chapitre, intitulé "Des gestes et des paroles d’amour" (32-47), évoque l’amour du Christ.
Le troisième chapitre, "Voici le cœur qui a tant aimé" (48-91), exhorte les fidèles à vénérer la totalité de la personne du Christ à travers son cœur.
Les dévotions chrétiennes sont loin d’être une simple addition, mais tout au long de l’histoire, elles ont été des correctifs essentiels aux théologies biaisées, aux piétés erronées et aux fausses spiritualités. Comme l’a enseigné saint Jean-Paul II, la dévotion au Sacré-Cœur "était une réponse à la rigueur janséniste, qui a fini par négliger l’infinie miséricorde de Dieu" (DN 80).
Le pape François explique que dans ce contexte janséniste, la diffusion de la dévotion au Sacré-Cœur "s’est avérée immensément bénéfique, car elle a conduit à une prise de conscience plus claire que dans l’Eucharistie, l’amour miséricordieux et toujours présent du cœur du Christ nous invite à nous unir à lui." (DN 84).
"Cela était difficile à comprendre pour de nombreux jansénistes qui méprisaient tout ce qui était humain, affectif, corporel, et qui considéraient en fin de compte que cette dévotion nous éloigne de la pure adoration du Dieu du Très-Haut. Pie XII qualifia de 'faux mysticisme' (Haurietis aquas, 15 mai 1956, IV : AAS 48 1956, p. 344) cette attitude élitiste de certains groupes qui voyaient Dieu tellement haut, tellement séparé, tellement distant, qu’ils considéraient les expressions sensibles de la piété populaire comme dangereuses et nécessitant un contrôle ecclésiastique." (DN 86).
Le quatrième chapitre, "L'amour qui donne à boire" (92-163), traite des plaies du Christ sur la croix et de son flanc transpercé, source d'amour pour l'humanité.
"L’annonce des temps messianiques se présentait comme une source ouverte pour le peuple : 'Je répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication, et ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé [...]. En ce jour-là, il y aura une fontaine ouverte pour David et pour les habitants de Jérusalem, pour laver péché et souillure'. (Za 12, 10 ; 13, 1). [Dilexit Nos 95]
"Ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem : elle les lavera de leur péché et de leur souillure." [Zacharie 13, 1 cité dans Dilexit Nos 95]
"Un côté transpercé, une fontaine ouverte, un esprit de grâce et de prière. Les premiers chrétiens ont inévitablement vu cette promesse s’accomplir dans le côté transpercé du Christ, la source d’où jaillit la vie nouvelle.
"En parcourant l’Évangile de Jean, nous voyons comment la prophétie s’est accomplie dans le Christ. Nous contemplons son côté ouvert d’où jaillit l’eau de l’Esprit : 'Un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau' (Jn 19, 34).
L’évangéliste ajoute ensuite : 'Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé' (Jn 19, 37) Il reprend ainsi l’annonce du prophète qui promettait au peuple une source ouverte à Jérusalem lorsqu’ils regarderaient celui qu’ils auraient transpercé (cf. Za 12, 10). La source ouverte, c’est le côté blessé de Jésus-Christ." [Dilexit Nos 96]
Nous, les croyants qui sommes renés de l’Esprit, nous venons de cette grotte du rocher : "Nous avons été extraits du sein du Christ" (S. Justin, Dial. 135 : PG 6, 787). Son côté blessé, que nous interprétons comme son cœur, est rempli de l’Esprit Saint, et des fleuves d’eau vive proviennent de lui : 'La source de l’Esprit saint tout entier demeure dans le Christ'. (Novatien, De Trinitate, 29 : PL 3, 944. Cf. S. Grégoire d’Elvire, Tractatus Origenis de libris Sanctarum Scripturarum, 20, 12 : CCSL 69, 144.) [Dilexit Nos 102]
"Saint Augustin a ouvert la voie à la dévotion au Sacré-Cœur en tant que lieu de rencontre personnelle avec le Seigneur. Pour lui, la poitrine du Christ n’est pas seulement la source de la grâce et des sacrements, mais elle la personnalise en la présentant comme symbole de l’union intime avec Lui, comme lieu de la rencontre d’amour. Là se trouve l’origine de la sagesse la plus précieuse qui consiste à Le connaître. Augustin écrit en effet que Jean, le bien-aimé, lorsqu’il pencha la tête sur la poitrine de Jésus, s’approcha du lieu secret de la sagesse. (Tract. in Joann. 61, 6 : PL 35, 1801.)" [Dilexit Nos 103]
"Saint Bernard reprend le symbolisme du côté transpercé du Seigneur en le comprenant explicitement comme une révélation et un don de l’amour de son Cœur. À travers la blessure, le grand mystère de l’amour et de la miséricorde devient accessible et nous pouvons le faire nôtre : 'Je prends avec confiance ce qui me manque dans les entrailles du Seigneur, car elles débordent de miséricorde et ne manquent pas d’ouverture par où jaillir. Ils lui ont percé les mains et les pieds, et ils lui ont perforé le côté. À travers ces fissures, je peux boire le miel du rocher et l’huile de la pierre la plus dure, autrement dit goûter et voir comme est bon le Seigneur [...]. Le fer a transpercé son âme, et son cœur s’est fait proche : il n’est plus incapable de comprendre mes faiblesses. Les blessures ouvertes dans son corps nous révèlent le secret de son cœur, elles nous font contempler le grand mystère de la compassion'. (Sermones in Cant. 61, 4 : PL 183, 1072.)" [Dilexit Nos 104]
Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris.
"Saint Bonaventure réunit les deux lignes spirituelles autour du Cœur du Christ. Tout en le présentant comme la source des sacrements et de la grâce, il propose que cette contemplation devienne une relation d’amitié, une rencontre personnelle d’amour. ... 'Afin que, du côté du Christ endormi sur la Croix, l’Église soit formée et que s’accomplisse l’Écriture qui dit : “Ils verront Celui qu’ils ont transpercé”, il fut accordé, par une disposition divine, qu’un des soldats ouvrit de sa lance ce côté sacré et le perfora entièrement, au point de faire couler le sang et l’eau en répandant le prix de notre salut qui, depuis la source – le secret de son cœur –, donnerait à profusion leur puissance aux sacrements de l’Église pour conférer la vie de la grâce, et serait désormais, pour ceux qui vivraient dans le Christ, une coupe [puisée à] la source vive qui jaillit pour la vie éternelle'. (Opusculum 3, Lignum vitae, 30, in Opera Omnia, Quaracchi 1898, t. 8, p. 79.)
"Il nous invite ensuite à faire un pas de plus afin que l’accès à la grâce ne devienne pas une chose magique, ni une sorte d’émanation néo-platonicienne, mais une relation directe avec le Christ en demeurant dans son cœur. En effet, celui qui boit est un ami du Christ, un cœur qui aime : 'Lève-toi donc, âme amie du Christ et sois la colombe qui fait son nid dans le mur d’une grotte, sois le moineau qui a trouvé une maison et ne cesse de la garder, sois la tourterelle qui cache les petits de son chaste amour dans cette ouverture sacrée.' (Ibid., pp. 79-80.)" [Dilexit Nos 106]
"Sainte Catherine de Sienne écrivait qu’on ne peut être témoin des souffrances endurées par le Seigneur, mais le Cœur ouvert du Christ nous offre la possibilité d’une rencontre réelle et personnelle avec beaucoup d’amour : 'J’ai voulu que vous voyiez le secret de mon cœur, en vous le montrant ouvert afin que vous voyiez que je vous aimais plus que ne pouvait le montrer la souffrance finie'. (Le Dialogue ch. 75, Paris 1999, p. 126.)" [Dilexit Nos 111]
"L’initiative de saint Jean Eudes est particulièrement intéressante. « Après avoir mené avec ses missionnaires, à Rennes, une mission très fervente, il réussit à faire approuver par l’évêque de ce diocèse la célébration de la fête du Cœur adorable de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’était la première fois que cette fête était officiellement autorisée dans l’Église. Par la suite, les évêques de Coutances, d’Évreux, de Bayeux, de Lisieux et de Rouen autorisèrent la même fête pour leurs diocèses respectifs entre 1670 et 1671." [Dilexit Nos 113]
"Certaines expressions de sainte Marguerite-Marie mal comprises pourraient conduire à une trop grande confiance dans les sacrifices et offrandes personnels. Or, saint Claude montre que la contemplation du Cœur du Christ, si elle est authentique, ne provoque pas de complaisance en soi-même ni de vaine gloire dans les expériences ou les efforts humains, mais un abandon indescriptible dans le Christ qui remplit la vie de paix, de sécurité et de résolutions." [Dilexit Nos 126]
"La blessure du côté d’où jaillit l’eau vive est encore ouverte chez le Christ ressuscité. Cette large blessure faite par la lance, ainsi que les blessures de la couronne d’épines qui apparaissent souvent dans les représentations du Sacré-Cœur, sont inséparables de cette dévotion. Nous contemplons en elles l’amour de Jésus-Christ qui fut capable de se donner jusqu’au bout. Le cœur du Ressuscité conserve ces signes du don total qui entraîna une intense souffrance pour nous. Il est donc en quelque sorte inévitable que le croyant veuille réagir non seulement à ce grand amour, mais aussi à la douleur que le Christ a accepté d’endurer pour tant d’amour." [Dilexit Nos 151]
"Avec Lui sur la Croix
... Le Pape Pie XI a voulu justifier cela en nous invitant à reconnaître que le mystère de la Rédemption par la Passion du Christ transcende, par la grâce de Dieu, toutes les distances de temps et d’espace.
"... 'Si, à cause de nos péchés futurs, mais prévus, l’âme du Christ devint triste jusqu’à la mort, elle a, sans nul doute, recueilli quelque consolation, prévue elle aussi, de nos actes de réparation, alors qu’un ange venant du ciel (Lc 22, 43) lui apparut, pour consoler son cœur accablé de dégoût et d’angoisse. Ainsi donc, ce cœur sacré incessamment blessé par les péchés d’hommes ingrats, nous pouvons maintenant, et même nous devons, le consoler d’une manière mystérieuse, mais réelle'." (Lett. enc. Miserentissimus Redemptor (8 mai 1928) : AAS 20 (1928), p. 174.) [Dilexit Nos 153]
"La Componction
Le désir nécessaire de consoler le Christ, qui naît de la souffrance en contemplant ce qu’Il a enduré pour nous, se nourrit aussi de la reconnaissance sincère de nos servitudes, de nos attachements, de nos manques de joie dans la foi, de nos vaines recherches et, au-delà de nos péchés concrets, de la non correspondance de nos cœurs à son amour et à son projet. [Dilexit Nos 158]
"Nous voyons ainsi que plus le désir de consoler le Seigneur est profond, plus la componction du cœur croyant est profonde. Celle-ci 'n’est pas un sentiment de culpabilité qui abat, ni un scrupule qui paralyse, mais une piqûre salutaire qui brûle à l’intérieur et guérit, parce que le cœur, lorsqu’il voit son mal et se reconnaît pécheur, s’ouvre, accueille l’action de l’Esprit Saint, eau vive qui l’émeut et fait couler des larmes sur son visage [...]. Il ne s’agit pas de pleurer sur nous-mêmes, comme nous sommes souvent tentés de le faire. [...] Avoir des larmes de componction c’est au contraire nous repentir sérieusement d’avoir attristé Dieu par le péché ; c’est reconnaître que nous sommes toujours en dette et jamais en crédit'. (Homélie de la Messe Chrismale, 28 mars 2024 : L’Osservatore Romano, 28 mars 2024, p. 2) [Dilexit Nos 159]
"Je demande donc que personne ne se moque des expressions de ferveur croyante du peuple saint et fidèle de Dieu qui, dans sa piété populaire, cherche à consoler le Christ. Et j’invite chacun à se demander s’il n’y a pas davantage de rationalité, de vérité et de sagesse dans certaines manifestations de cet amour qui cherche à consoler le Seigneur que dans les froids, distants, calculés et minuscules actes d’amour dont nous sommes capables, nous qui prétendons posséder une foi plus réfléchie, plus cultivée, et plus mature." [Dilexit Nos 160]
"Mais à un moment donné de cette contemplation du cœur croyant, l’appel dramatique du Seigneur doit retentir : 'Consolez, consolez mon peuple' (Is 40, 1). Et nous viennent à l’esprit les paroles de saint Paul qui nous rappelle que Dieu nous console 'afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit' (2 Co 1, 4).
"Cela nous invite à chercher à approfondir la dimension communautaire, sociale et missionnaire de toute dévotion authentique au Cœur du Christ. En même temps que le Cœur du Christ nous conduit au Père, il nous envoie vers nos frères. Dans les fruits de service, de fraternité et de mission que le Cœur du Christ produit à travers nous, la volonté du Père s’accomplit. De la sorte, le cercle se referme : 'C’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit' (Jn 15, 8). [Dilexit Nos 162-163]
Homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien.
En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié.
Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris.
Le cinquième chapitre, "Amour pour amour" (164-216), insiste sur l'aspect communautaire, social et missionnaire de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus.
"Saint François de Sales a été éclairé par la demande de Jésus : 'Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur' (Mt 11, 29). De cette façon, disait-il, dans les choses les plus simples et les plus ordinaires, nous volons le cœur du Seigneur : 'Il faut avoir grand soin de le bien servir, aux choses grandes et hautes et aux choses petites et abjectes, puisque nous pouvons également, et par les unes et par les autres, lui dérober son cœur par amour [...]. Ces petites charités quotidiennes, ce mal de tête, ce mal de dents, cette défluxion, cette bizarrerie du mari ou de la femme, ce cassement d’un verre, ce mépris ou cette moue, cette perte de gants, d’une bague, d’un mouchoir, cette petite incommodité que l’on se fait, d’aller coucher de bonne heure et de se lever matin pour prier, pour se communier, cette petite honte que l’on a à faire certaines actions de dévotion en publique : bref, toutes ces petites souffrances, étant prises et embrassées avec amour, contentent extrêmement la Bonté divine'. (Introduction à la vie dévote, 3 ème part. chap. 35 : S. Francois de Sales, Œuvres, Gallimard, Paris 1969, pp. 226-227.) Mais en définitive, ...'la marque que je vous donne pour connaître si vous aimez bien Dieu, est que vous aimez aussi bien le prochain [...] d’un amour pur, solide, ferme, constant et invariable, qui ne s’attache point aux qualités ou condition des personnes […] qui ne sera point sujet au changement ni aux aversions. [...] Notre Seigneur nous aime sans discontinuation, Il nous supporte en nos défauts et en nos imperfections ; il faut donc que nous fassions de même à l’endroit de nos frères, ne nous lassant jamais de les supporter' (Sermon pour le 17ème dimanche après la Pentecôte, Œuvres complètes, Annecy, Monastère de la Visitation, t. 9, pp. 200.201)." [Dilexit Nos 178]
"Saint Charles de Foucauld voulait imiter Jésus-Christ, vivre comme Il a vécu, agir comme Il a agi, toujours faire ce que Jésus aurait fait à sa place. ... d’où l’expression “amour pour amour” qui apparaît une fois encore lorsqu’il écrit : 'Désir des souffrances pour Lui rendre amour pour amour, pour l’imiter, [...] pour entrer dans son travail, et pour m’offrir avec Lui, tout néant que je suis, en sacrifice, en victime, pour la sanctification des hommes'. (Retraite à Nazareth, Jésus en sa Passion, du 5 au 15 novembre 1897.) ... Ce désir fait de lui progressivement un frère universel car il veut embrasser dans son cœur fraternel toute l’humanité souffrante en se laissant modeler par le Cœur du Christ : « Notre cœur, comme celui de l’Église, comme celui de Jésus, doit embrasser tous les hommes' (Méditation des saints Évangiles sur les passages relatifs à quinze vertus, Charité, (Mt 20, 28) Nazareth 1897-1898.)" [Dilexit Nos 179]
La conclusion (217-220) est une prière.
Paul Carpenter note dans La Croix que le pape François, qui passe quelquefois pour prendre des distances avec la France, cite dans son encyclique de nombreux religieux français ou francophones, dont plusieurs figures de l'École française de spiritualité, étroitement liée à la dévotion au Sacré-Cœur. Dilexit nos se réfère en effet à Bernard de Clairvaux, Guillaume de Saint-Thierry, François de Sales, Jeanne de Chantal, Jean Eudes, qui a notamment institué en octobre 1672, dans les communautés eudistes, la messe du Cœur de Jésus, Marguerite-Marie Alacoque, Claude La Colombière, Thérèse de Lisieux, Charles de Foucauld et Michel de Certeau.
Parmi ces religieux, plusieurs appartiennent à la Compagnie de Jésus. D'une façon générale, écrit le pape François, "la spiritualité de la Compagnie de Jésus a toujours proposé une 'connaissance intérieure du Seigneur pour mieux l'aimer et le suivre'" (DN 144) et les Exercices spirituels invitent les retraitants à "entrer dans le cœur du Christ" en contemplant le Crucifié.
Plus particulièrement, la publication de Dilexit nos marque le 350e anniversaire de la première apparition du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial devant Marguerite-Marie Alacoque, dont le jésuite Claude La Colombière a été l'accompagnateur spirituel, avant de jouer un rôle déterminant dans le développement de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus. L'encyclique évoque nommément les jésuites qui ont abordé ce sujet dans leurs écrits, dont François Borgia, Pierre Favre ou Alphonse Rodriguez. De fait, la Compagnie est consacrée au Sacré-Cœur depuis 1871, consécration renouvelée par Pedro Arrupe en 1972, puis en septembre 2024 par Arturo Sosa à Paray-le-Monial.
Même si Dilexit nos semble en décalage avec l'enseignement du pape François, ce document reprend l'un après l'autre les principaux thèmes de son magistère en matière de théologie morale, de doctrine sociale et d'écologie. En ce sens, les préoccupations qu'exprime l'encyclique face à un "monde déshumanisé" constituent un résumé de l’esprit de son pontificat.
Sa volonté de réhabiliter la piété populaire attachée au Sacré-Cœur de Jésus, de partir du "sens de la foi" des "petits" et de l'amour du Christ pour les humbles (DN 154), est en accord avec le courant latino-américain de la théologie du peuple souvent défendue par François dans ses prises de position. Plus encore, en posant la dévotion au cœur du Christ comme antidote aux errances "structurelles" des sociétés technologiques (DN 14, 84 et 218), il dénonce les "structures de péché", concept propre à la théologie de la libération, d'inspiration marxiste.
Or ces "structures de péché", ces "structures sociales aliénées", proviennent des comportements individuels (DN 183), de sorte que changer les cœurs amène aussi à transformer les structures sociales. Quand le cœur du Christ demande une "réparation" aux croyants, cette offrande suppose un engagement social. Cependant, la "norme morale" ne suffit pas à "susciter un dynamisme social qui restaure et construit le bien" : encore faut-il, dans une éthique fondée sur le "cœur aimant de Jésus", réapprendre à contempler le monde afin de sauvegarder la beauté de la Création. Il s'agit donc de reconstruire "le bien et le beau", en union avec le cœur du Christ, "au milieu du désastre laissé par le mal" (DN 182 et 183).
"Sœurs et frères, je propose que nous développions cette forme de réparation qui consiste, en définitive, à offrir au Cœur du Christ une nouvelle possibilité de répandre en ce monde les flammes de son ardente tendresse. S’il est vrai que la réparation implique le désir de compenser les outrages commis contre l’Amour incréé par les oublis ou les offenses, (Pie XI, Lett. enc. Miserentissimus Redemptor, 8 mai 1928, AAS 20 1928, p. 169) le chemin le plus approprié est que notre amour donne au Seigneur une possibilité de s’étendre en échange de toutes ces fois où il a été rejeté ou nié. Cela se produit en allant au-delà de la simple “consolation” au Christ dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, et se traduit par des actes d’amour fraternel par lesquels nous guérissons les blessures de l’Église et du monde. De cette manière, nous offrons de nouvelles expressions de la puissance restauratrice du Cœur du Christ.
"Les renoncements et les souffrances qu’exigent ces actes d’amour pour le prochain nous unissent à la Passion du Christ et, en souffrant avec le Christ en 'cette crucifixion mystique dont parle l’Apôtre, nous recevrons les fruits plus abondants de propitiation et d’expiation, pour nous et pour les autres'. (Ibid) Seul le Christ nous sauve par le don de Lui-même sur la Croix, seul il rachète car 'Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous' (1 Tm 2, 5-6)." (DN 200 et 201).
"Saint Jean-Paul II, outre la dimension sociale de la dévotion au Cœur du Christ, a parlé de la 'réparation qui est une coopération apostolique pour le salut du monde'. (Message à l’occasion du centenaire de la consécration du genre humain au Sacré Cœur réalisé par Léon XIII, Varsovie, 11 juin 1999 ) De même, la consécration au Cœur du Christ 'doit être envisagée en relation avec l’action missionnaire de l’Église, parce qu’elle répond au désir du Cœur de Jésus de répandre dans le monde, à travers les membres de son Corps, son dévouement total au Royaume'. (Ibid.) Par conséquent, à travers les chrétiens, 'l’amour se répandra dans le cœur des hommes, pour que se construise le Corps du Christ qui est l’Église et que s’édifie aussi une société de justice, de paix et de fraternité'. (DN 206).
Dans sa conclusion, François inscrit explicitement cette méditation sur le Sacré-Cœur dans la lignée de ses réflexions sur l’écologie (Laudato si’, 2015) et sur la fraternité (Fratelli tutti, 2020).
SOURCES:
https://www.vatican.va/content/francesco/fr/encyclicals/documents/20241024-enciclica-dilexit-nos.html
https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2024-10/dilexit-nos-4e-encyclique-francois-publication-24-octobre.html
https://www.la-croix.com/religion/veronique-margron-avec-son-encyclique-francois-nous-appelle-a-reparer-les-blessures-de-notre-temps-20241024
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dilexit_nos