Il ne fait aucun doute que catholiques et orthodoxes ont discuté du Filioque non seulement à partir des Saintes Écritures, mais aussi à partir de l'interprétation que leur ont donnée les Saints Pères. Avant d'approfondir ce sujet, il peut être utile de rappeler que, dans une déclaration du concile œcuménique de Constantinople II (553), chaque père du concile a déclaré accepter ce qui avait été établi par les quatre conciles œcuméniques précédents (Nicée, Constantinople I, Éphèse, Chalcédoine) et ce qu'enseignaient les saints Pères et Docteurs, reconnus de tous, sur la foi. Nous sommes particulièrement intéressés par la liste de ces Pères, accueillis comme maîtres de la foi : Athanase, Hilaire de Poitiers, Basile le Grand, Grégoire de Nazianze, dit le Théologien, Grégoire de Nysse, Ambroise, Augustin, Théophile d'Antioche, Jean de Constantinople, Cyrille d'Alexandrie, Léon le Grand et Proclus de Constantinople.
Pourquoi cette prémisse est-elle importante ? Parce que tant les catholiques que les orthodoxes admettent que, même si les œuvres des Pères individuels peuvent contenir des erreurs et des inexactitudes, il n'est néanmoins pas possible qu'ils enseignent l'hérésie dans leur ensemble. Or, parmi ces Pères, il y en a un bon nombre qui ont enseigné explicitement, bien que dans une terminologie qui n'est pas toujours univoque, que l'Esprit Saint, dans son hypostase, vient aussi du Fils.
Saint Hilaire, par exemple, dans son De Trinitate (2, 29) affirme qu'"il n'est pas nécessaire de parler du Saint-Esprit, car il nous est demandé de le confesser comme celui qui procède du Père et du Fils". Saint Ambroise suit Hilaire lorsqu'il insiste, comme plusieurs Pères, sur le parallèle entre la "dérivation" du Fils du Père et celle de l'Esprit du Fils, montrant ainsi qu'il ne faisait pas simplement référence à la Trinité économique, mais à la Trinité immanente (pour cette distinction, voir l'article précédent). Chez Ambroise, il est clair que, même en ce qui concerne les hypostases trinitaires, le Fils reçoit tout du Père, tandis que l'Esprit reçoit tout du Fils : tout, depuis leurs opérations envers le monde jusqu'à l'ordre immanent de la Trinité. En effet, saint Ambroise explique que tout ce que l'Esprit a reçu du Fils, "il l'a reçu grâce à l'unité de la substance, comme le Fils l'a reçu du Père. (…) Quoi de plus évident alors que cette unité ? Ce que le Père a appartient au Fils et l'Esprit reçoit aussi ce que le Fils a" (De Spiritu Sancto 2, 11. 118). De même que le Fils reçoit tout ce qui dérive de la consubstantialité avec le Père parce qu'il est engendré par Lui, de même l'Esprit reçoit tout ce qui dérive de la consubstantialité avec le Fils, parce qu'il procède de Lui, principe unique de sa procession avec le Père.
La position de saint Athanase est également d'une grande importance, car il se distingue parmi tous les Pères comme le grand champion de la foi nicéenne contre les tendances ariennes. Lui aussi, comme Ambroise, enseigne la "méthode", chère aux Pères, d'une approche libérée de cette dichotomie rigide qui éloigne la vie trinitaire interne et les opérations externes. Dans les Lettres à Sérapion qu'Athanase adressa à l'évêque de Thmuis pour réfuter une nouvelle hérésie dangereuse qui niait la divinité du Saint-Esprit, il établit un parallèle convaincant entre Père/Fils et Fils/Saint-Esprit. L'objectif d'Athanase était d'affirmer la divinité du Saint-Esprit, certainement pas de résoudre la question du Filioque, qui ne se posait essentiellement qu'avec le patriarche Photius ; cependant, le cadre argumentatif, qui - nous le répétons - trace les relations de la Trinité immanente à partir de la Trinité économique, conduit à la conséquence rigoureuse de la procession du Saint-Esprit à partir du Fils.
Voici quelques passages de la première lettre d'Athanase à Sérapion : "De même que le Fils est un, de même l'Esprit, donné et envoyé par le Fils, est aussi un (...). En effet, si le Fils, Verbe vivant, est un, l'énergie vivante, sanctifiante et illuminante, parfaite et complète, qui est son don, doit l'être aussi. On dit qu'elle procède du Père parce qu'elle rayonne, elle est envoyée et donnée par le Verbe qui, comme nous le professons, vient du Père" (I, 20.7). On peut noter comment Athanase interprète Jean 15,26 : la procession de l'Esprit à partir du Père n'exclut pas du tout le Fils ; au contraire, c'est précisément la procession à partir du Père qui inclut dans la même procession ce Fils qui est toujours avec le Père, parce qu'il est issu du Père. Le parallèle Fils-Esprit se poursuit : "Le Fils est envoyé par le Père.... Le Fils envoie à son tour l'Esprit (...). Le Fils glorifie le Père.... À son tour, l'Esprit glorifie le Fils (...). Le Fils dit : 'Ce que j'ai entendu du Père, je le dis au monde'. L'Esprit, à son tour, prend du Fils, qui dit en effet : 'Il prendra de ce qui est à moi et vous l'annoncera'. Le Fils est venu au nom du Père ; du Saint-Esprit, le Fils dit : 'Le Père l'enverra en mon nom' " (I, 20.8). Athanase conclut que "cette relation de nature que l'Esprit a envers le Fils est identique à celle que le Fils a envers le Père" (I, 21. 1), montrant ainsi la fluidité du passage de la Trinité économique à la Trinité immanente.
Le filioquiste le plus explicite parmi les Pères de certaines doctrines répertoriées par le IIe Concile de Constantinople est saint Augustin. Dans son ouvrage consacré à la Trinité, il reprend le parallèle entre la génération du Fils et la spiration de l'Esprit, que nous avons déjà vu chez Ambroise et Athanase, le conduisant à une précision de grande importance : « Et qui peut comprendre (...) que le Père a donné la vie au Fils non pas comme à un être qui existait déjà sans avoir la vie, mais qui l'a engendré hors du temps de telle sorte que la vie que le Père a donnée au Fils en l'engendrant est coéternel à la vie du Père qui lui a donné la date ; qu'il comprenne, dis-je, que de même que le Père a aussi en lui la propriété d'être le principe de la procession du Saint-Esprit, il a également donné le Fils pour être le principe de la procession du même Saint-Esprit, un procession hors du temps dans l'un et dans l'autre cas, et comprenez qu'il a été dit que le Saint-Esprit procède du Père, pour qu'on comprenne que le Fils étant aussi le principe de la procession du Saint-Esprit, vient au Fils de la part du Père". Notez encore une fois comment le passage de Jean 15, 26 est interprété dans le sens inclusif de la procession également de la part du Fils : précisément parce que l'Esprit procède du Père, il ne procède pas seulement du Père , mais aussi du Père. Fils, qui a tout reçu du Père, y compris la puissance d'inspiration de l'Esprit : « Car si tout ce que le Fils a, il le reçoit du Père, il le reçoit aussi du Père comme principe d'où procède le Saint-Esprit. » C'est pourquoi l'Esprit « procède principalement du Père et, par le don que le Père fait au Fils sans intervalle de temps, du Père et du Fils ensemble » ( De Trinitate XV, 26. 47).
Le philioquiste le plus explicite parmi les Pères de la doctrine sûre énumérés par le deuxième concile constantinopolitain est saint Augustin. Dans son œuvre consacrée à la Trinité, il reprend le parallèle entre la génération du Fils et l'exhalaison de l'Esprit, que nous avons déjà vu chez Ambroise et Athanase, ce qui le conduit à une clarification de grande importance : "Qui peut comprendre (...) que le Père a donné la vie au Fils non pas comme à un être qui existait déjà sans avoir la vie, mais qu'il l'a engendré hors du temps, de sorte que la vie que le Père a donnée au Fils en l'engendrant est coéternelle à la vie du Père qui la lui a donnée ; Qu'il comprenne, dis-je, que de même que le Père a en lui la propriété d'être le commencement de la procession du Saint-Esprit, de même il a donné au Fils d'être le commencement de la procession du même Saint-Esprit, procession hors du temps dans l'un et dans l'autre cas, et qu'il comprenne qu'il a été dit que le Saint-Esprit procède du Père, de sorte que l'on puisse comprendre que le Fils étant aussi le principe de la procession du Saint-Esprit, vient au Fils du Père. Remarquez encore comment le passage de Jn 15,26 est interprété dans un sens inclusif de la procession également de la part du Fils : précisément parce que l'Esprit procède du Père, il ne procède pas du Père seul, mais aussi du Fils, qui a tout reçu du Père, y compris le pouvoir d'inspiration de l'Esprit : "Car si tout ce que le Fils a, il le reçoit du Père, il le reçoit aussi du Père comme principe d'où procède le Saint-Esprit." C'est pourquoi l'Esprit "procède principalement du Père et, par le don que le Père fait au Fils sans intervalle de temps, du Père et du Fils ensemble" (De Trinitate XV, 26. 47).
C'est sur la base de ces textes que de nombreux saints latins affirmeront plus tard la procession de l'Esprit depuis le Père et le Fils, depuis saint Fulgence de Ruspe jusqu'au pape saint Léon III, en passant par saint Césaire d'Arles, saint Grégoire le Grand et saint Isidore de Séville. Ce sont de saints Docteurs qui étaient estimés et vénérés par les Grecs et les Latins non seulement au premier millénaire, mais encore aujourd'hui. Le moins que l'on puisse conclure est que la doctrine filioquiste avait été enseignée pendant des siècles par de nombreux Pères et saints sans que cela conduise à une quelconque accusation d'hérésie du côté oriental. Ces mêmes Pères, qui n'avaient jamais lu Jean 15, 26 comme témoignage de la procession de l'Esprit venant du Père seul, avaient également entretenu une relation profonde entre la Trinité économique - notamment l'envoi du Fils au monde par le Père, et l'envoi du Saint-Esprit dans le monde par le Père et le Fils – et la Trinité immanente.
Source : La Nouvelle Boussole Quotidienne
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