(Traduction d'un article rédigé en italien)
LE LIVRE
Benoît XVI, le dernier Européen. Et un prophète inouï
Quelques moments forts de la pensée de Ratzinger traités dans un essai, rédigé par 12 auteurs. L’image d’un prophète inédit dans la société laïque désespérée, mais aussi dans la catholicité liquide d’aujourd’hui, se dessine.
Plus de 10 ans après sa démission historique et près d'un an après sa mort, il est utile de revenir avec attention et empathie, mais aussi esprit critique allié à une justesse interprétative mesurée, à la figure du théologien devenu pape, Benoît XVI. (1927-2022). La communauté des blogs Campari & de Maistre vient de le faire avec un essai commun : Benoît XVI. Le dernier européen (Giubilei Regnani, 2023, 214 pages).
L'ouvrage offre une excellente synthèse de la pensée, des intuitions et de la personnalité du pontife allemand, considéré par les auteurs comme "le dernier pape européen" (p. 11). Peut-être parce qu'il est peu probable qu'il y ait, du moins dans un avenir immédiat, un pontife qui résume - avec la cohérence intellectuelle d'un Joseph Ratzinger - les apports des différentes traditions de l'Europe. C’est-à-dire la latinité romaine, la grécité philosophique, la nature germanique de la culture du Nord, sublimée et unifiée par l’esprit universel de l’Évangile.
Douze auteurs, parmi lesquels deux prêtres célèbres (Don Samuele Pinna et Don Marino Neri), ont relu et expliqué certains moments forts du Magistère du Pape et du théologien, montrant leur pertinence, notamment comme fonction corrective du présent ecclésial, plus que jamais confus et emmêlé.
Le livre s'étend de la politique à la liturgie, de la théologie (bâtie sur les piliers de saint Augustin et de saint Bonaventure) à l'exégèse biblique, de la prophétie au mysticisme. Jusqu'à l'intense confrontation que Benoît XVI a initiée d'une part avec le nihilisme postmoderne, qui attaque l'Église de l'extérieur, mais aussi et surtout avec le Concile Vatican II, son prétendu "esprit" et son héritage (aujourd'hui plus que jamais) contrasté.
Le plus significatif est le recueil d'une grande quantité de passages de Ratzinger, écrits avant même l'élection au trône de Pierre, et l'insertion de la leçon théologique de Ratzinger dans le contexte actuel d'"auto-sécularisation" de l'Église et de "dictature du relativisme" dans la société civile. Le résultat est Ratzinger, un prophète inouï dans la société laïque désespérée, mais aussi dans le catholicisme liquide d’aujourd’hui.
Parmi tous les points forts récupérés et analysés dans le texte, deux semblent peut-être les moins évitables pour les catholiques d’aujourd’hui et de demain. La rationalité du christianisme et l'interprétation du Concile comme moment de synthèse et de développement homogène de l'enseignement catholique. "La rationalité – écrivait Ratzinger en 1986, cité par Marco Mancini – appartient à l'essence même du christianisme, et elle lui appartient d'une manière sans comparaison avec d'autres religions" (p. 14.). Ici, nous comprenons mieux la valeur de la pensée logique (grecque) pour la théologie catholique, telle que développée plus tard dans le célèbre discours de Ratisbonne de 2006, sur lequel Alfredo Incollingo a proposé une admirable synthèse (pp. 121-136).
Le deuxième enjeu que Benoît laisse à l'Église et à la postérité est le discours de Noël 2005 sur la juste herméneutique du Concile (pp. 31-39). Certains, voyant que l’apostasie silencieuse se propage et s’aggrave, près de vingt ans après ce discours, soutiennent désormais que cette lecture "n’a pas fonctionné". Mais c’est là une grave erreur de perspective. Une vérité est valable même si, pour mille raisons contingentes et historiques, elle "ne marche pas", ne porte pas de fruit immédiat, n'est pas comprise ou reçue par tous, etc. Ainsi, la seule manière possible de sauver la cohérence interne du christianisme et la continuité de la même Église sujette - même dans les troubles inattendus du XXIe siècle - est de lire les acquis du Concile à la lumière du Magistère précédent ; et aussi à la lumière des précisions contenues dans le Magistère ultérieur (pensez au Catéchisme de 1997 ou aux encycliques Veritatis splendor et Fides et ratio ). Vatican II est un morceau de Tradition, comme Vatican I et le Concile de Trente, mais avec les particularités qui le caractérisent.
Nous ne savons pas si le pape Ratzinger deviendra un nouveau Docteur de l'Église, comme le réclamaient de nombreuses voix. Mais il fut sans aucun doute un grand médecin et gardien de la théologie chrétienne, un rare interprète de l'Évangile aux XXe et XXIe siècles, un auteur profond qui restera indélébile dans l'héritage illimité de la pensée chrétienne. L'ouvrage offre un recueil précieux et raisonné.